Madame la Chancelière de la République fédérale, chère Angela Merkel,
Monsieur le Maire d’Aix-la-Chapelle,
Monsieur le Ministre-Président du Land de Rhénanie-Nord-Westphalie,
Monsieur le Président de la Roumanie,
Monsieur le Président du Conseil européen,
Monsieur le Président de la Commission européenne, chers amis,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Président du Bundesrat,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le président de la Cour constitutionnelle fédérale,
Mesdames et Messieurs les Ministres-Présidents, Présidents de région, de conseils départementaux, Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers amis,

Lorsque Konrad Adenauer et le Général de Gaulle signèrent en janvier 1963 le Traité de l’Elysée, ils scellèrent une réconciliation entre nos deux pays, préparée et cimentée dès la sortie de la guerre. Ils allaient à l’encontre de tout ce qui, naturellement, les auraient conduits à nouveau à la division.

Aujourd’hui cette réconciliation est actée, elle est une évidence et nous sous-estimons sans doute parfois la puissance de ce miracle historique pour nos deux pays, comme pour l’Europe. Nous avons depuis franchi tant d’étapes. Nous avons appris à regarder nos histoires en face.

En 2018, du Hartmannswillerkopf à l’Arc de Triomphe, de la clairière de Rethondes au Bundestag, nous avons pu faire mémoire de nos luttes fratricides d’hier parce que notre amitié d’aujourd’hui est plus forte. Et je veux dire ici à mon tour ma reconnaissance à l’égard des responsables de nos deux pays qui nous ont précédés, ma reconnaissance à l’égard de l’ensemble des responsables politiques qui pendant tant de décennies ont construit sur le terrain, pas à pas, les liens entre nos régions, nos villes, ma reconnaissance à l’égard de tous ceux qui ont rapproché durant ces décennies nos sociétés civiles et nos jeunesses pour faire aujourd’hui ce qui alors semblait impossible.

Cette amitié s’est fortifiée depuis 1963, même quand le vent de l’histoire venait bousculer les lignes. Et je veux rendre un hommage particulier au chancelier Adenauer et au général de Gaulle : ce qu’ils ont accompli est unique et je crois qu’ils auraient été fiers et émus que, 56 ans plus tard, leur traité vive et demeure, que notre amitié se soit élargie à l’Europe entière, enfin réunie, et que nous trouvions la force, envers et contre tout, d’écrire ensemble une nouvelle page.

Je veux saluer aussi ici l’engagement de la chancelière Angela Merkel qui n’a jamais cessé de se tenir aux côtés de la France et qui n’a jamais cessé de se tenir aux côtés de l’Europe. Depuis que je suis président de la République, trois choix européens nous ont constamment guidés, je crois pouvoir le dire, l’un l’autre : ne jamais céder à la confrontation mais toujours nous parler en vérité et sans tabou, renforcer toujours le socle franco-allemand qui reste indispensable à une Europe bousculée, comme nous le faisons aujourd’hui, et élargir notre action à l’ensemble de nos partenaires de l’Union. Car aucun succès européen ne peut se construire dans l’isolement, seul ou même à deux. C’est pour cela que ce traité aujourd’hui est essentiel, et c’est pour cela que votre présence, Messieurs les présidents des institutions européennes, cher Jean-Claude, cher Donald, cher Klaus, est bien plus qu’un symbole.

Entre l’Allemagne et la France, c’est aujourd’hui par ce traité d’Aix-la-Chapelle un nouveau chapitre qui s’ouvre. Sur les fondations de la réconciliation nous construisons une nouvelle étape. Au moment où notre Europe est menacée par les nationalismes qui se développent en son sein, où notre Europe est bousculée par un Brexit douloureux, où notre Europe est inquiète des grands changements internationaux, qui dépassent largement l’échelle des nations, le climat, le numérique, le terrorisme, l’immigration, des chocs qui percutent souvent, d’ailleurs, le modèle européen, et interrogent notre identité, dans ce monde et cette Europe, l’Allemagne et la France doivent assumer leurs responsabilités et montrer la voie. La voie de l’ambition et de la souveraineté réelle, et de la protection des peuples. Elles doivent, en particulier, montrer combien des nations adultes, vivant en paix, soucieuses de l’avenir des peuples, gagnent à converger dans des domaines qui rendent plus fortes, et finalement, plus indépendantes, nos nations et notre continent. Parce qu’au fond, la menace aujourd’hui ne vient plus du voisin. Elle vient de l’extérieur de l’Europe et de l’intérieur de nos sociétés, si nous ne sommes pas capables de répondre à la colère qui gronde.

C’est par la convergence ambitieuse de nos règles sociales, de nos politiques d’innovation, de nos normes, de notre défense, de notre culture stratégique, par ce nouveau rapprochement de nos citoyens, de nos jeunes, de nos cultures, de nos collectivités, par l’affirmation d’une nouvelle solidarité face à ces menaces, que nous pourrons exercer ensemble cette nouvelle responsabilité franco-allemande pour l’Europe.

Vous venez de décrire ce traité, Madame la Chancelière. Beaucoup de ce qui est inscrit là semblait impossible il y a encore quelques années. La solidarité en matière de défense, que nous actons entre nous, est unique. Elle vient conjurer des décennies de division. Elle porte un projet de protection et de défense. Ce que nous portons en matière de culture, d’éducation, d’innovation, c’est notre capacité à préparer nos peuples face à toutes ces menaces, tous ces défis, pour pouvoir porter une part de l’ambition du monde. Ce que nous actons, en matière de convergence économique et sociale, c’est le rapprochement progressif de nos sociétés, de ce qui, depuis trop d’années, bien souvent, diverge. Ce que nous actons, c’est le rapprochement de régions frontalières, de la création d’une dynamique nouvelle, qui correspond à la réalité vécue au quotidien par tant de nos concitoyens. C’est par les symboles comme par les gestes du quotidien, en facilitant la vie des dizaines de milliers de frontaliers, qui habitent d’un côté et travaillent de l’autre, que nous construisons aussi cette unité.

Unité, solidarité, cohésion, ce sont les maîtres-mots du traité que nous signons. L’Europe ne survivra pas à une désunion, elle en mourrait. La nouvelle responsabilité franco-allemande pour l’Europe est bien là. Lui donner les instruments de sa souveraineté en matière de défense, de sécurité ou d’accès à l’espace, en matière migratoire face aux transitions écologiques et numériques.

Les conflits entre la France et l’Allemagne ont mis le monde à feu et à sang, et il était de notre devoir d’y mettre un terme définitif. C’est chose faite. Notre ambition commune, désormais, doit être que l’Europe soit le bouclier de nos peuples contre les nouveaux tumultes du monde. C’est cela, notre défi contemporain. Ce sont ces nouvelles protections, c’est notre capacité à enfin expliquer, montrer et démontrer que l’amitié entre l’Allemagne et la France, que nos projets communs, que notre ambition pour l’Europe est ce qui protège vraiment et ce qui permet vraiment de retrouver le contrôle de nos vies, et de construire nos destins librement choisis dans le monde qui s’ouvre.

Et ceux qui oublient la valeur de la réconciliation franco-allemande se rendent complices des crimes du passé. Ceux qui caricaturent ou répandent le mensonge font mal à notre histoire et à nos peuples qu’ils prétendent défendre en voulant faire bégayer nos histoires. Je préfère regarder en face notre Europe. Elle va mal, parfois. Nous n’allons pas assez vite de temps en temps. Mais regardez aussi tout ce que nous avons accompli durant ces décennies passées, tout ce que nous avons encore accompli durant ces derniers mois et tout ce qui nous attend. Et je préfère regarder en face notre Europe qui tient bon, que nous devons chaque jour renforcer au-delà de l’étape que nous franchissons aujourd’hui, parce qu’il faudra peupler les mots de ce jour d’actes qui viendront demain, mais aussi parce que le monde et chacun de nos citoyens en a besoin, est de plus en plus incertain et appelle une réponse de plus en plus forte.

Oui, je préfère avec vous, tous ensemble, regarder cette Europe qui avance, que nous construisons avec ambition, avec force, et qui se bâtit aussi sur cette amitié solide, sur nos nouvelles convergences et sur cette ambition nouvelle que nous actons aujourd’hui.

Mesdames et Messieurs, chers amis, nous aimons nos patries avec force, et parce que nous les aimons, nous ne voulons pas chérir ce qui les a parfois meurtries : la haine de l’autre, le ressentiment morbide, l’oubli de ce que nos cultures se sont mutuellement constamment apportées. Oui, nous aimons nos patries et nous aimons l’Europe, parce que nous savons qu’elles sont profondément, irrémédiablement inséparables. Et Madame la Chancelière, chère Angela, vous le disiez : nous sommes ici dans ce lieu qui symbolise les racines profondes de cette Europe qui nous a faite, et étant là, nous retrouvons le coeur vibrant de cette histoire qui s’est comme constamment répétée. Mais ce que, depuis 70 ans, nous avons inventé, est unique. Ça n’est pas ni l’histoire romaine, ni l’histoire carolingienne, ni tant de rêves d’empire qui nous ont parfois réunis sous la domination ou la dépendance l’un de l’autre. Non, c’est un projet nouveau, sans hégémonie, profondément démocratique, c’est une invention que nous avons conçue ensemble, celle d’un projet librement consenti, choisi, chaque jour réinventé, où l’un ne décide pas pour l’autre ni pour les autres mais où tous les membres, constamment, choisissent ensemble pour eux-mêmes. Notre Europe n’est pas un nouveau rêve d’empire. C’est un projet démocratique d’un souffle nouveau, et c’est cela, ce que nous célébrons aujourd’hui. Et dans cette ville de Charlemagne, ce que nous célébrons, c’est au fond, passant d’une langue à l’autre, passant d’un rêve à l’autre, le fait que, sachant toutes nos différences, nous savons à chaque instant ce que la différence de l’autre nous apporte.

Et en vous écoutant, Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à l’instant, je me souvenais avec émotion de ce que Mme de Staël disait parfois : "Lorsque mon coeur cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande." Il y a des mots qu’on ne comprend pas, il y a des mots qu’on ne traduit pas, mais chacun de nos pas réduit l’écart de ces intraduisibles, et il y a des mots dont nos coeurs ont besoin, d’une langue l’autre. Parce que cette part d’incompréhensible nous rapproche. Parce que la part que je ne comprends pas en allemand a un charme romantique que le français, parfois, ne m’apporte plus. C’est indicible, c’est irrationnel, mais nous devons chérir cette part d’indicible et d’irrationnel qui ne sera dans aucun de nos traités, et qui est la part vibrante, magique, de ce qui nous rassemble aujourd’hui et de ce qui nous fait. Alors, oui, nous aimons nos patries, nous aimons notre amitié même et ce qui nous unit, et nous aimons l’Europe, et parce que nous l’aimons, nous avons décidé de continuer à la faire, avec force, avec enthousiasme, avec détermination.

Vive notre amitié, et vive l’Europe.