Un grand merci à tous, dans cette journée très chargée, d’avoir pris de votre temps pour être avec mon collègue allemand Christoph [Heusgen], votre serviteur et nos équipes. C’est un plaisir de vous accueillir au premier jour de cette présidence française du Conseil de sécurité qui nous conduira jusqu’au terme du mois de mars.

Je vous propose que nous procédions en trois temps avant bien sûr d’ouvrir à des questions : je vais d’abord vous dire en quelques mots le sens de la démarche franco-allemande inédite que nous engageons aujourd’hui ; Christoph [Heusgen] présentera ensuite la démarche commune que l’Allemagne et la France portent en ce qui concerne la réforme des méthodes de travail du Conseil de sécurité ; enfin, nous présenterons successivement, votre serviteur puis Christoph [Heusgen], les priorités étroitement coordonnées qui sont celles de la présidence française au mois de mars et de la présidence allemande au mois d’avril.

Quelques mots donc d’abord sur le sens de cette démarche franco-allemande inédite. Comme vous le savez, nous avons décidé de saisir l’opportunité des présidences successives de la France au mois de mars puis de l’Allemagne au mois d’avril, selon l’ordre alphabétique qui détermine celui des présidences, pour coordonner étroitement ces deux exercices. Nous avons sur cette base élaboré ensemble, avec les deux équipes, des programmes de travail étroitement articulés. Je dirai que ces présidences "jumelées" de la France et de l’Allemagne expriment une démarche à la fois innovante dans son principe et pragmatique dans son approche. Il ne s’agit pas d’une fusion des deux présidences mais bien d’une coordination étroite entre elles, dans le respect de l’identité propre de chacun des deux partenaires, au service de trois objectifs.

 Le premier objectif c’est de donner un nouvel élan au partenariat franco-allemand ici à New York dans le cadre des Nations unies.

 Le deuxième objectif c’est, ce faisant, de défendre les valeurs européennes et de contribuer à exprimer dans l’enceinte des Nation unies une voix européenne forte dont, je crois, le monde a besoin aujourd’hui.

 Le troisième objectif, en cohérence avec les deux premiers, c’est de défendre et promouvoir le multilatéralisme qui nous apparait plus nécessaire que jamais, à un moment où il est par ailleurs mis à l’épreuve. Cette démarche franco-allemande, par son caractère à la fois innovant et pragmatique, fait partie de nos efforts conjoints, avec d’autres bien sûr, pour réformer, renouveler, refonder le multilatéralisme. Voilà en un mot quel est le sens, la signification profonde de cette démarche inédite entre la France et l’Allemagne (...).

En complément des propos de mon collègue allemand sur les méthodes de travail du Conseil de sécurité je soulignerai simplement la nécessité de les rénover sérieusement si nous voulons redonner vie, force, créativité à ce multilatéralisme dans lequel nous croyons plus que jamais. C’est le sens de nos efforts. Notre objectif est d’initier un processus - qui prendra nécessairement du temps - pour permettre de vrais échanges au Conseil de sécurité et encourager les uns et les autres à débrancher leur pilotage automatique, à sortir de la posture pour mieux servir ce qui est la raison d’être du Conseil de sécurité : rechercher sans relâche les convergences possibles pour parvenir à des décisions - non pas à des mots mais à des décisions - au service de la paix et de la sécurité.

J’ajouterai une remarque plus personnelle sur la réforme des méthodes de travail. Les militaires utilisent souvent l’expression "fire-and-forget" pour décrire le mécanisme par lequel, une fois lancé, un missile programmé pour ce faire ira trouver lui-même sa cible. Au Conseil de sécurité, si je peux oser cette analogie, c’est parfois "vote-and-forget" : lorsqu’au terme d’une difficile négociation nous aboutissons à un texte, nous avons parfois tendance face à l’accumulation des crises à passer à autre chose, à une autre négociation. Or, il serait essentiel je crois que lorsque le Conseil de sécurité se met d’accord sur un texte, une résolution par exemple, ses membres puissent se coordonner étroitement entre eux pour travailler à la mise en oeuvre concrète de ce texte. Cela créerait de surcroît un cercle de confiance, de travail en commun, qui faciliterait cette recherche nécessaire de convergences que j’évoquais il y a un instant.

Dans ce cadre, quelles sont les priorités de la présidence française du mois de mars, telles que définies en coordination étroite avec celles de la présidence allemande au mois d’avril ? Pour simplifier à l’extrême nous avons trois grandes priorités thématiques et une grande priorité géographique.

 La première priorité thématique c’est la protection et le rôle des femmes dans les situations de conflit. C’est un immense sujet, qui nous mobilise de plus et plus et qui touche chaque jour davantage au coeur du processus de décision et d’action des Nations unies. Nous aurons différents exercices à ce sujet. Nous organiserons en particulier, en marge de la CSW [Commission de la condition de la Femme], une réunion en format Arria sur la participation des femmes dans les processus politiques, qui sera co-présidée par deux de nos Ministres. Pour ce qui concerne la France ce sera la ministre Marlène Schiappa, en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. L’Allemagne organisera de son côté un débat ouvert de haut niveau sur les violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits au mois avril, sur lequel Christoph [Heusgen] reviendra.

 Deuxième priorité thématique commune à l’Allemagne et à la France, le renforcement du droit international humanitaire. Deux événements sur ce sujet crucial auront lieu le 1er avril - sur lesquels Christoph [Heusgen] reviendra plus en détail -, à savoir une réunion en format Arria présidée par les ministres français et allemand des affaires étrangères, axée sur la protection du personnel humanitaire et médical, puis un briefing au Conseil de sécurité sur le respect du droit international humanitaire. L’objectif n’est pas d’ajouter des mots aux mots mais de renforcer concrètement le droit international humanitaire et son respect.

 La troisième priorité thématique est la lutte contre le financement du terrorisme. Vous savez combien le sujet est important et combien les Nations unies ont progressé sur ce sujet au cours des dernières années. Le moment nous paraît venu de franchir une nouvelle étape en ce sens. C’est pourquoi nous organiserons un débat ouvert sur ce sujet de la lutte contre le financement du terrorisme le 28 mars. À cette occasion, nous avons l’intention de présenter une résolution sur cette question majeure, qui constitue une priorité de notre politique étrangère. J’ai déjà eu l’occasion de vous présenter les principaux objectifs de cette initiative française et suis naturellement à votre disposition si vous souhaitez y revenir.

Voilà pour nos trois principales priorités thématiques. Maintenant notre grande priorité géographique - sans pouvoir mentionner ici les autres faute de temps - sera le Mali et le Sahel. C’est dans cet esprit que nous organiserons une visite du Conseil de sécurité au Mali et au Burkina Faso, pour à la fois évaluer la mise en oeuvre de l’accord de paix et de réconciliation au Mali et le rôle de la MINUSMA, mais aussi pour soutenir la force du G5 Sahel dans sa mission de lutte contre le terrorisme dans la région sahélienne. À l’issue de cette visite nous organiserons une réunion ministérielle du Conseil de sécurité sur le Mali ici à New York, le 29 mars, à laquelle participeront nos deux ministres des Affaires étrangères ainsi que le Secrétaire général des Nations unies et le Premier ministre du Mali.

Voilà à très grands traits et en simplifiant à l’extrême les priorités qui guideront la France et la présidence allemande qui suivra, puisque toutes ces priorités ont été définies ensemble entre Français et Allemands. La réalité est que nous aborderons en mars et en avril la quasi-totalité des problématiques du Conseil de sécurité et des crises, sur lesquels je ne reviens pas ici, sans même mentionner les urgences qui pourraient advenir. Nous aurons par ailleurs en mars plusieurs renouvellements de mandats : la MONUSCO, l’UNMISS, l’UNAMA, l’UNSOM. Nous aurons la visite et les briefings de Mme Mogherini pour ce qui concerne l’Union européenne, de M. Lajcak pour ce qui concerne l’OSCE, et beaucoup d’autres choses encore.

Notre ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, sera à New York du 28 mars au 2 avril pour marquer l’engagement de la France sur nombre des priorités que je viens d’évoquer. Sans être aucunement exhaustif, il présidera ainsi le débat ouvert sur la lutte contre le financement du terrorisme le 28 mars ; il prendra part au débat de haut niveau sur le climat ; il s’exprimera lors de la réunion ministérielle sur le maintien de la paix ; il présidera la réunion ministérielle sur le Mali le 29 mars ; et il participera aux réunions ministérielles organisées sous la présidence allemande, les 1er et 2 avril, dont Christoph [Heusgen] vient de parler.

Voilà, nous sommes ouverts tous les deux à vos questions - les questions difficiles pour Christoph [Heusgen] et les questions faciles pour votre serviteur (...).

Q - Question de l’AFP sur la Corée du Nord

R - (...) En complément des propos de Christoph, je dirai que les trois séries de sanctions qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité sur le dossier nord-coréen ont été un levier particulièrement efficace pour permettre d’ouvrir la voie au processus politique dans lequel nous sommes aujourd’hui. C’est un vrai succès sur le plan du rôle et de l’action du Conseil de sécurité, qu’il faut apprécier comme tel.

Deuxièmement, nous sommes aujourd’hui dans une situation où aucun progrès tangible n’a encore été engendré au regard de nos objectifs communs. À partir de là, l’allègement et la levée des sanctions ne sont pas à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et ne nous paraissent pas devoir être mis à l’ordre du jour du Conseil.

Q - Questions de Canada free Press sur le Vénézuéla

R - Sur le Venezuela, nous avons assisté ensemble hier à un constat d’impasse au Conseil de sécurité, avec des positions inconciliables. Est-ce que cela doit nous conduire à nous résigner ? Non bien sûr. La résolution de la crise reste un objectif essentiel et outre le Conseil de sécurité, dont il faut souhaiter qu’il soit en mesure de prendre ses responsabilités le moment venu, nous avons d’autres enceintes pour y travailler, notamment le groupe de contact international auquel la France participe et les différents canaux bilatéraux possibles. Encore une fois, notre objectif n’est pas de décider à la place du peuple vénézuélien, c’est au contraire de lui redonner la parole et de lui permettre de s’exprimer librement pour qu’il reprenne en main son propre destin. Nous ne pouvons pas baisser les bras alors que l’urgence humanitaire est là et que l’urgence liée au flot des réfugiés qui ne cesse de croitre est là.

Q - Question de L’Orient le jour sur le Liban.

R - La position qui est la nôtre sur le Hezbollah est bien connue et a été exprimée à de nombreuses reprises par nos plus hautes autorités. Je n’y reviens donc pas ici. Deuxièmement, l’un de nos objectifs centraux aux Nations unies sur le Liban, à la fois comme ami du Liban et comme plume sur le dossier libanais, c’est de maintenir l’unité du Conseil de sécurité sur ce sujet. C’est l’une des boussoles qui guident notre action ici à New York. Et le fait est qu’au cours des dernières années nous avons pu obtenir des expressions unanimes du Conseil de sécurité à plusieurs reprises (...).

Q - Question de Reuters sur la Birmanie et sur les droits de l’Homme en Corée du Nord.

R - (...) Sur la Birmanie, et indépendamment même de la question que vous soulevez d’une résolution, nous ne sommes pas face à une page blanche. Le Conseil a adopté le 6 novembre 2017 une déclaration présidentielle importante sur la Birmanie, dans l’élaboration de laquelle la France a joué comme vous le savez un rôle très significatif. Cette déclaration présidentielle trace assez clairement la feuille de route et les priorités, et notamment les trois volets que sont l’humanitaire au sens large - et les conditions, qui ne sont pas réunies aujourd’hui, pour obtenir un retour des réfugiés -, la lutte contre l’impunité et tout ce qu’elle implique, et la mise en oeuvre des recommandations de la commission Annan, s’agissant par exemple de la question essentielle de la citoyenneté. Certains d’entre vous se rappellent sans doute que durant notre présidence précédente nous avions invité Kofi Annan à venir nous présenter ces recommandations. Nous avons donc une feuille de route qui nous oblige et que les membres du Conseil de sécurité - qui l’ont adoptée à l’unanimité - comme les parties concernées ont la responsabilité de mettre en oeuvre. Pour le dire autrement, il n’y a donc pas d’excuse à l’inaction. Or, au-delà des quelques gestes qui ont été faits par le gouvernement birman, nous sommes très loin du compte, les choses vont beaucoup trop lentement. La pression du Conseil de sécurité et de la communauté internationale nous paraît donc indispensable pour accélérer sensiblement le mouvement. C’est dans ce contexte que se pose la question de la meilleure manière pour le Conseil d’exercer cette pression au regard de ce qu’est l’équation au sein du Conseil sur ce sujet.

S’agissant des droits de l’Homme en Corée du Nord, c’est naturellement une très forte préoccupation. Je crois que dans la situation où nous sommes aux Nations unies, représentants de pays qui se battent pour la promotion des droits de l’Homme face à des vents qui sont souvent des vents contraires, nous ne pouvons pas ignorer cette situation, et si vous me permettez l’expression nous ne pouvons pas "mettre les droits de l’Homme dans notre poche" au nom d’autres préoccupations. Ce n’est pas possible et ce n’est pas qui nous sommes. À partir de là la vraie question, et vous y avez fait allusion, est de savoir s’il est possible ou non, dans le contexte actuel, de réunir la majorité qualifiée nécessaire au Conseil de sécurité pour que cette question y soit évoquée.

Q - Question de la Voce di New York sur la réforme de l’ONU et du Conseil de sécurité.

R - Dans notre esprit l’un des mots-clés de la réforme des Nations unies, nécessaire à sa crédibilité dans le long terme, c’est l’ouverture. Et cette ouverture se décline en trois grandes têtes de chapitre. La première c’est l’ouverture du Conseil de sécurité, autrement dit son élargissement. C’est un objectif stratégique de la France - et je crois pouvoir le dire de l’Allemagne - et nous souhaitons l’élargissement du Conseil de sécurité dans les deux catégories de membres, permanents et non- permanents, et s’agissant des permanents à l’Allemagne, au Japon, à l’Inde, au Brésil et à une représentation équitable de pays africains. Ce premier volet est crucial pour mieux assurer la représentativité du Conseil de sécurité. Le deuxième pilier de l’ouverture, c’est l’ouverture aux partenariats. Pour renforcer leur efficacité, les Nations unies doivent multiplier les partenariats, par exemple avec l’Union africaine sur le volet paix et sécurité ou avec la Banque mondiale dans le domaine plus large du développement. Ce sont à mon sens deux des partenariats les plus dynamiques et les plus prometteurs. Et le troisième volet de l’ouverture c’est l’ouverture à la société civile, au monde de l’entreprise, aux ONG, aux syndicats, aux fondations, aux collectivités territoriales, à tous ces acteurs dits non-étatiques qui sont des partenaires cruciaux pour l’ONU. Et je crois que si nous sommes capables ensemble - cela prendre du temps bien sûr - de réussir cette triple ouverture alors nous aurons fait un bon travail pour la crédibilité et le succès des Nations unies. Il va sans dire que ce sont des chantiers dont l’horizon de temps dépasse celui de nos présidences jumelées (...)