Sujet : DPS

Audition de : Denis Prieur

En qualité de : préfet du Haut-Rhin, ancien préfet de Saône et Loire

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 23 mars 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Denis Prieur est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Denis Prieur prête serment.

M. le Président : Monsieur le préfet, nous vous avons demandé de venir devant notre commission, car les incidents survenus à Montceau-les-Mines ont été évoqués par nombre de témoins entendus par notre commission.

Je rappelle rapidement les faits.

M. Bruno Gollnisch a organisé le 25 octobre 1996 une réunion dans cette ville qui a suscité une contre-manifestation. Il semble que, pendant quelques heures, des membres du DPS portant des uniformes similaires à ceux des CRS soient intervenus pour protéger le meeting de M. Bruno Gollnisch, qu’ils aient chargé les manifestants et réglé la circulation sans que les forces de l’ordre n’interviennent.

M. Bernard Courcelle que nous avons entendu la semaine dernière a affirmé : " Le préfet avait donné l’ordre au commissaire de ne pas bouger. "

Nous aimerions donc recueillir votre version des faits et savoir si des suites ont été données à ces incidents.

M. Denis PRIEUR : Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, compte tenu de l’objet de votre Commission, je pense que vous souhaitez que j’évoque devant vous la soirée du 25 octobre 1996 à Montceau-les-Mines et les faits qui se sont produits à l’occasion de la tenue d’une réunion publique du Front National dans cette ville.

La réunion s’est, en effet, accompagnée de la présence et de l’intervention d’un groupe d’une trentaine de personnes formant le service d’ordre du Front National, dont une partie au moins appartenait au département protection et sécurité.

Afin de lever toute ambiguïté, je dois vous indiquer que je n’étais pas physiquement présent à Montceau-les-Mines le soir du 25 octobre et que je n’ai eu sur le moment qu’un compte rendu téléphonique des faits par la directrice du cabinet de la préfecture, elle-même informée par le directeur départemental de la sécurité publique du département de Saône-et-Loire, présent sur place.

Il m’est assez difficile dans ces conditions, s’agissant en outre de faits remontant à près de deux ans et demi, d’être précis. Je me bornerai donc à rappeler le déroulement général de la soirée.

En 1996, le Front National comptait deux fédérations en Saône-et-Loire : l’une pour l’est du département, l’autre pour l’ouest. C’est le responsable de cette dernière qui prit l’initiative d’organiser une réunion publique de son mouvement à Montceau-les-Mines le 25 octobre 1996, avec pour invité et orateur principal M. Bruno Gollnisch. Pour ce faire, il obtint de la ville de Montceau-les-Mines la location d’une salle au centre nautique.

La réunion fut précédée de l’envoi d’un très grand nombre d’invitations, de la distribution de tracts et de collages d’affichettes. Cependant, cet effort de propagande ne semblait, d’après les informations qui m’étaient communiquées, trouver que peu d’échos auprès de la population et les prévisions de participation à cette réunion restaient modestes. Lors des contacts que j’ai eus avec M. le député-maire de Montceau-les-Mines dans les jours précédant immédiatement la réunion publique, j’ai tenté de lui faire partager mon opinion, selon laquelle considérer le meeting du Front National comme un " non-événement ", susceptible d’attirer au plus une centaine de personnes pouvait permettre que cette réunion passe relativement inaperçue et n’entraîne pas de troubles. Toutefois - et c’était tout à fait compréhensible - ce n’est pas cette position qui fut adoptée par les partis politiques de gauche, les associations et l’organisation syndicale locale opposée au Front National qui mirent sur pied, en accord avec la municipalité, une contre-manifestation de protestation. Son annonce étant faite et son principe acquis, nous nous sommes attachés, avec la municipalité de Montceau-les-Mines, à ce que son déroulement ne génère pas de risques d’incidents. D’où le choix du lieu et de l’horaire, tous deux éloignés de ceux du meeting du Front National, et des modalités retenues, à savoir une protestation digne, déterminée, sous forme d’un rassemblement dans le calme devant la mairie avec des appels à la raison de la part des personnes qui prendraient la parole au cours de cette réunion pour éviter toute provocation.

L’adoption de ces modalités permettait d’envisager que se déroulent successivement et sans encombres, d’abord la manifestation républicaine de protestation contre la venue de M. Bruno Gollnisch, puis la réunion publique du Front National. Toutefois, à titre de précaution, j’avais demandé pour la fin de l’après-midi et la soirée du 25 octobre le concours d’une compagnie républicaine de sécurité, destinée à renforcer les effectifs limités dont disposait le commissariat de Montceau-les-Mines.

Cette unité constituait une réserve en cas de nécessité, en particulier s’il fallait prêter main forte au corps urbain de Montceau-les-Mines, dans l’hypothèse où celui-ci aurait eu à intervenir. En revanche, il n’était pas paru souhaitable que soit mis en place d’emblée un dispositif policier devant le centre nautique, afin de ne pas donner l’impression que la police nationale avait reçu mission de protéger la réunion du Front National et par crainte qu’une présence policière soit ressentie comme une " provocation ". D’ailleurs, les représentants du Front National eurent des propos très violents à mon encontre, parce que nous n’avions pas cédé à leurs exigences en n’organisant pas une protection policière a priori de leur réunion.

Le directeur départemental de la sécurité publique se rendit à Montceau-les-Mines en milieu d’après-midi pour assurer sur place la direction des opérations avec, comme consigne générale, d’éviter toute tension susceptible de compromettre l’objectif d’absence de contacts entre contre-manifestants et participants à la réunion du Front National.

Au cours de la soirée, je fus informé successivement :

- du déroulement sans aucun incident, de dix-huit heures à dix-neuf heures quinze, d’un rassemblement de 350 personnes devant l’Hôtel de ville de Montceau-les-Mines en signe de protestation contre la venue de M. Bruno Gollnisch ;

- du début, vers vingt heures, de la réunion du Front National au centre nautique devant une assistance estimée de 80 à 100 personnes ;

- d’un affrontement, vers vingt heures quarante-cinq, à l’extérieur du centre nautique, entre le service d’ordre du Front National et de jeunes contre-manifestants au nombre d’une cinquantaine, qui, malgré les consignes données lors du rassemblement de dix-huit heures, avaient décidé de s’y rendre pour interpeller les participants à la réunion du Front National. Cet incident très bref étant resté isolé et sans suite, la police n’avait pas eu à intervenir, le calme étant revenu aussitôt aux abords de la salle où se tenait la réunion. Je n’appris que plus tard qu’une jeune fille avait été très légèrement blessée au visage dans cet incident et qu’elle s’était présentée au commissariat dans la soirée pour y déposer plainte ;

- de la fin de la réunion publique, un peu avant vingt-trois heures, sans autre incident ;

- qu’à l’extérieur du centre nautique, service d’ordre du Front National et jeunes contre-manifestants s’étaient tenus mutuellement en respect à distance pendant toute la durée de la réunion, la police observant les choses de près pour s’assurer qu’il n’y avait pas de contacts physiques entre les deux groupes ;

- enfin, d’un nouvel affrontement vers vingt-trois heures quinze, opposant jeunes et membres du service d’ordre du Front National au moment où ces derniers, la réunion terminée et les participants repartis chez eux, cherchaient à regagner leurs véhicules sur le parking du centre nautique et subissaient des jets de projectiles divers. Un membre du service d’ordre du Front National avait reçu une pierre lancée par un jeune et était blessé à la tête. La police urbaine, qui s’était avancée en direction des protagonistes pour observer de plus près et parer à une détérioration de la situation, était intervenue, sous une pluie de projectiles lancés par les jeunes, pour les faire reculer et permettre aux pompiers de faire évacuer le blessé ;

- d’un retour au calme aux abords du centre nautique, mais de quelques dégradations commises sur des véhicules et du mobilier urbain par les jeunes contre-manifestants refluant du centre nautique ;

- d’un retour définitif au calme sur toute la ville peu après minuit. Je n’ai pas noté l’heure exacte de cette dernière information, mais c’était après minuit ;

Ayant demandé des nouvelles des deux seules personnes légèrement blessées au cours de cette soirée, l’une dans les rangs des jeunes vers vingt heures quarante-cinq, l’autre appartenant au service d’ordre du Front National vers vingt-trois heures quinze, j’appris que toutes deux étaient rapidement ressorties de l’hôpital après y avoir été examinées, leurs blessures étant superficielles.

Dans les jours qui suivirent cette soirée, on assista à un début de polémique sur l’attitude de la police - et de la mienne - à laquelle il était reproché par les uns d’avoir trop laissé agir le service d’ordre du Front National et par les autres de les avoir exposés à un danger en ne dispersant pas immédiatement par la force les manifestants hostiles au Front National.

Interrogé par l’Agence France presse, j’ai pris la défense de la police nationale qui avait su résister aux attitudes de surenchère de ceux qui auraient voulu que la soirée se solde par des violences bien plus graves, ce qui aurait été probablement le cas si elle était intervenue de façon prématurée et en faisant place nette.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, cet exposé est sans doute incomplet et il est possible qu’une partie de la réalité m’ait échappé. Je vous ai relaté, dans la limite de ma mémoire et en rappelant que je n’étais pas personnellement présent sur les lieux, ce que je crois s’être passé ce soir-là à Montceau-les-Mines et dont certaines images diffusées par la télévision ont pu - je le comprends parfaitement - faire s’interroger beaucoup de gens.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. J’en relève une relative à une consigne que j’aurais donnée. Dans le contexte de la soirée qui nous occupe, il était important de se donner les chances maximales pour que ce qui avait été prévu par les gens raisonnables puisse se dérouler : une manifestation devant l’Hôtel de ville, ayant pour objectif de montrer qu’une large partie de la population de Montceau-les-Mines était en désaccord avec la venue d’un responsable national du Front National, mais qui, pour autant, n’utilisait pas la violence comme moyen d’exprimer ce désaccord.

S’il y avait eu, de part et d’autre, des gens raisonnables comptant sur les représentants mandatés des autorités et sur les forces publiques pour assurer la liberté de réunion, les chances eussent été grandes que les choses se passent normalement.

Des indications nous laissaient à penser que cela pouvait se dérouler ainsi. Comme je l’ai indiqué, mettre en place un dispositif policier extrêmement massif compte tenu des lieux - le centre nautique est entouré d’un très large espace vide - aurait pu avoir deux conséquences : d’une part, donner de façon flagrante l’image d’une réunion placée sous la protection de la police nationale ; d’autre part, susciter un élément de tension supplémentaire, puisqu’il est apparu que des jeunes se trouvaient là, d’aucuns sans doute pour des raisons de conviction, d’autres pour des raisons habituelles dans ce type de manifestations qui donnent la possibilité de se frotter à d’autres personnes.

Pour me résumer, ce qui a été exprimé de façon lapidaire et erronée sous la forme " Le préfet avait donné des consignes de non-intervention " est une traduction inexacte du choix du dispositif retenu. Il est clair que la police savait très bien que si les incidents se révélaient d’une certaine gravité, elle devrait évidemment intervenir. C’est du reste ce qu’elle fit après la fin de la réunion, lorsque des membres du service d’ordre du Front National - parmi lesquels certainement des membres du département protection et sécurité - ont voulu s’en aller et donc récupérer leurs véhicules. Des heurts se sont produits. Un membre du service d’ordre du Front National a reçu, comme je l’ai indiqué dans mon exposé et d’après les informations qui m’ont été fournies, une pierre sur la tête. La police est intervenue. La personne a été prise en charge par les pompiers. Il fallait que la police soit là pour leur permettre d’agir. Ce fut le dernier incident grave de la soirée. On a assisté ensuite de la part de jeunes à des atteintes au mobilier urbain et à quelques véhicules.

M. le Président : Nous entendons ce que vous nous dites, mais les journalistes qui ont filmé les événements - le reportage a suscité tous les débats que vous savez - ne nous ont pas dit exactement la même chose. Ils ont déclaré avoir été présents à vingt-et-une heures lors de l’arrivée de M. Bruno Gollnisch. Que s’est alors produite une sorte d’échauffourée, notamment avec des membres du DPS qui protégeaient M. Bruno Gollnisch. Ceux-ci portaient la tenue classique du DPS. Les journalistes sont entrés dans la salle pour voir comment la réunion publique se déroulait, puis sont ressortis - il y avait déjà eu alors quelques incidents - pour faire le point de la situation. Ils ont découvert un DPS plus musclé, plus nombreux, notamment des DPS en tenue proche de celle des CRS : casques, boucliers, matraques, tenues noires, bottes. Pendant, disent-ils, une heure à une heure et demie, il y a eu affrontement entre ce service d’ordre dans la tenue que nous venons de dire et un certain nombre de jeunes, qu’ils ont estimés à une cinquantaine. Voilà donc ce que nous rapportent les journalistes, très étonnés que pendant une heure et demie à deux heures la protection du meeting ait été assurée, non par la police nationale, mais par le service d’ordre, le DPS, au surplus dans une tenue proche de celle des forces de l’ordre.

Vous comprendrez que nous nous interrogions sur le déroulement de cette soirée.

M. Denis PRIEUR : C’est tout à fait compréhensible.

M. le Président : Je conçois que vous n’ayez pas souhaité que la réunion du Front National paraisse protégée par la police nationale. Toutefois, des affrontements ayant lieu à l’occasion d’une réunion publique, on peut s’interroger en retour sur le fait qu’un service d’ordre, dans la tenue que je viens de décrire, occupe la place publique à la place des forces de l’ordre. Apparemment, avant que la police n’intervienne vers 23 heures, c’est le DPS qui a tenté de faire régner l’ordre. Cela pose problème.

M. Denis PRIEUR : La présence du DPS sous cette forme et en tenue n’était ni annoncée ni prévisible. Cet élément, venant en quelque sorte s’ajouter au contexte de la réunion du Front National, a posé la question de l’attitude à adopter. Ainsi que je l’ai indiqué, la préoccupation de limiter les conséquences et les heurts susceptibles de se produire aux abords du lieu où se tenait la réunion publique a fait pencher la balance en faveur de la préservation d’une situation présentant un équilibre apparent. Je ne dis pas que cela soit un bien. Mais si l’on tire le bilan en termes de dommages corporels subis par telle ou telle personne, cette manifestation n’est pas de celles ayant entraîné les violences ou les blessures les plus importantes ou les préjudices corporels les plus forts. J’ai indiqué que deux personnes avaient été blessées, conduites à l’hôpital et en étaient ressorties.

La préoccupation principale des responsables de l’ordre public était que cette soirée s’achève sans effusion de sang, sans conséquences graves. Tel est le souci qui a les animés plutôt que la préoccupation, tout à fait légitime au demeurant, liée à l’image que pourraient retenir des personnes témoins de cette soirée, d’un service d’ordre dans une tenue prêtant incontestablement à commentaires. Je le répète, ce fut une découverte. D’ailleurs certains des jeunes manifestants jetant des projectiles pensaient les lancer contre les forces de l’ordre. S’il y avait eu intervention " à chaud " et dans des conditions mal calibrées, le risque aurait été plus grand encore que celui qui s’est réalisé.

Voilà ce que je puis répondre à votre question. Je rappelle une nouvelle fois que, n’étant pas personnellement présent, les informations qui me parvenaient, les seules sur lesquelles je pouvais me fonder pour, le cas échéant, asseoir une décision, n’étaient pas aussi directement perceptibles que la vision directe des faits des personnes que vous citez.

M. le Rapporteur : Monsieur le préfet, j’ai bien compris que votre souci premier face à cette manifestation, qui n’était pas l’une des plus importantes du Front National en France, était de la faire considérer par les honnêtes gens comme un non-événement. Par conséquent, votre souci de ne pas dramatiser, en n’accordant pas une protection énorme, en prenant connaissance des positions de la mairie et des formations politiques de gauche d’organiser une contre-manifestation devant la mairie à une heure différente du meeting qui avait lieu au centre nautique, paraissait bien cadré au départ. Ainsi que vous l’avez souligné, ce qui s’est passé n’était ni annoncé ni prévisible.

En matière de maintien de l’ordre, je crois savoir que l’on se trouve bien souvent confronté à des événements inattendus, la situation étant parfois éloignée de ce que l’on souhaiterait. Vous avez parlé d’équilibre. Considériez-vous qu’il s’agissait d’un équilibre entre des gauchistes impétueux qui n’auraient pas dû être là et des personnes du Front National qui y étaient et qui n’auraient pas dû y être ? Par conséquent, que l’équilibre étant réalisé, les forces de polices n’avaient pas à s’engager ?

J’ai le sentiment, après avoir vu les reportages à la télévision et entendu des journalistes de grands hebdomadaires d’information comme L’Express ou Le Point - qui n’appartiennent donc pas à une presse extrémiste - d’une carence quelques heures durant de la police, laissant la place à une formation paramilitaire du Front National avec des équipements qui ressemblaient - effectivement les jeunes manifestants s’y sont trompés - à des équipements de policiers ou de gendarmes mobiles. Ils ont - ce fut confirmé, semble-t-il - utilisé des grenades lacrymogènes, puisque des volutes blanches furent constatées par certains fonctionnaires des renseignements généraux.

Ce sentiment de la presse est, du reste, partagé en partie par les membres du Front National qui disent avoir appelé en vain au secours.

Certes, il n’y a eu ni violences extrêmes ni blessés graves, mais c’est la première fois dans l’histoire du Front National que l’on voit une police privée tenir tête à des manifestants et maintenir l’ordre. C’est ce qui nous a paru choquant, de même qu’aux journalistes présents. Pourquoi la police n’est-elle pas intervenue ou à quel moment est-elle intervenue ? Vous dites que cela s’est passé très rapidement. Mais les renseignements que nous avons, qui au demeurant peuvent être faux, font état d’une assez longue durée si l’on considère le temps de l’entrée de M. Bruno Gollnisch dans les bâtiments ajoutée à celle de la tenue du meeting. Pendant ce temps, à l’extérieur, avait lieu cet affrontement " équilibré " entre les deux parties, suivi, à la sortie, par de nouveaux affrontements.

Les témoins, à savoir les journalistes et des personnes du DPS, dont M. Bernard Courcelle, ont été choqués par la non-intervention des CRS, présents à trois cents mètres. Par conséquent, pour notre mission d’enquête, il s’agit là d’un événement, peut-être pas très important, mais emblématique de l’absence de police pour des raisons que l’on ne s’explique pas totalement et d’une police parallèle d’un mouvement politique.

D’où ma question : pourriez-vous expliquer cette absence de réaction de la police qui ne me convainc pas totalement, sauf à dire " Laissons ces gens-là s’étriper entre eux ; ils sont à égalité, on verra après. " ? Cela m’inquiète.

M. Denis PRIEUR : Il ne s’agissait pas du tout de cela.

La description que j’ai eue de la situation fut celle d’une échauffourée, peu après le début de la réunion, selon moi liée à l’arrivée de M. Bruno Gollnisch, puis une période de calme pendant un long temps. Une nouvelle échauffourée est survenue vers 23 h 15. Dans l’intervalle, les groupes se tenaient à distance l’un de l’autre. Je n’ai pas reçu d’informations relatives à des heurts au cours de cette période intermédiaire ni d’éléments selon lesquels l’ordre aurait été maintenu, au cours de cette soirée, par le service d’ordre du Front National. Les éléments dont je disposais faisaient état de la présence d’un groupe de jeunes et du service d’ordre du Front National, les deux se tenant à distance respective. Il y eut, par moment, des cris et des invectives, habituels dans ce type de situation.

Les images que j’ai vues, comme tout le monde, ne sont pas continues dans le temps. Elles correspondent à des moments où survenait un incident, elles ne reflètent pas de manière formelle ce qui a choqué les gens, à savoir la présence constante de membres du DPS en tenue.

Je ne peux administrer la preuve que si d’autres dispositions avaient été prises, la situation aurait dégénéré davantage. Je pense qu’il a été relativement censé et raisonnable de ne pas accroître les ferments de risques et de tensions débouchant sur des gestes violents. L’on sait bien que des charges policières peuvent avoir des conséquences difficiles à canaliser ou à contrôler. Cette attitude, dont je conçois qu’elle ait pu être interprétée comme une absence a, en réalité, favorisé une issue à peu près acceptable, non en termes d’image - certainement -, peut-être pas en symbole, mais en termes de bilan corporel et de préjudices au cours de cette soirée.

M. le Président : N’étant pas sur place, vous dites avoir réagi en fonction des informations dont vous disposiez.

Juste après le début du meeting - dans cette période où d’après les informations qui vous sont parvenues il n’y avait pas d’affrontement -, les journalistes présents ont déclaré : " Nous assistons aussitôt à une confrontation qui a lieu entre des membres du DPS - habillés dans la tenue décrite précédemment - et une cinquantaine de jeunes, visiblement du quartier voisin. "

" La stratégie du DPS est double : un groupe est chargé de contenir l’avancée des jeunes manifestants vers le centre nautique, tandis que le second protège l’accès du Centre, en détournant les voitures qui n’étaient pas identifiées comme venant assister au meeting. Cela dure une heure et demie à deux heures, pendant lesquelles on nous laisse filmer et faire des interviews. "

Si les faits se sont déroulés comme les journalistes sur place l’ont rapporté, estimez-vous que cette situation a été normale ?

M. Denis PRIEUR : Je ne puis être formel sur le fait que les choses se soient passées ainsi. Mais si cela a été le cas, je ne peux trouver cela normal.

Cela dit, la question est de savoir quelle est la réponse appropriée. La réponse adaptée peut être éventuellement imaginée dans la salle de rédaction d’un journal ; on ne l’imagine pas forcément de la même façon lorsque l’on est sur les lieux et que l’on a plusieurs objectifs à atteindre et à concilier. Il faut être tout à fait honnête sur la préoccupation principale de ceux qui avaient une responsabilité en matière de sécurité au cours de cette soirée : elle visait à éviter que les jeunes manifestants, effectivement venus de quartiers voisins, qui proféraient des injures, des invectives, projectiles à la main, gardent toute leur vie des traces et des séquelles de leur présence à la manifestation.

La préoccupation principale du responsable sur place consistait en quelque sorte à ne pas intervenir tant que les limites n’étaient pas dépassées, avant de prendre une décision qui aurait pu déboucher sur des blessures. En fonction de l’objectif qui était que cette soirée se termine sans incidents gravissimes, l’action de la police a été tournée au moins autant vers les jeunes venus pour se frotter au Front National que vers les membres du département protection et sécurité. En quelque sorte, la police aurait eu, dans une intervention à chaud et de force, à prendre en compte deux cibles, ce qui, je le pense, aurait probablement débouché sur des conséquences et des troubles plus grands en termes de bilan corporel, non en termes de troubles à des conceptions républicaines auxquelles nous sommes tous attachés.

M. le Président : C’est la première fois que l’on voit, en tout cas à la télévision, des membres du DPS - les unités mobiles d’intervention - habillés d’une manière très proche de celle des CRS. Il y a, en quelque sorte, usurpation d’uniforme. Est-ce votre sentiment ?

M. Denis PRIEUR : C’est là un domaine où je suis insuffisamment assuré pour m’avancer.

Quels sont les faits ? Si l’on se réfère aux images tournées par la télévision, il s’agit d’hommes habillés de combinaisons bleues ou noires - il faisait nuit -, en tout cas sombres, certains portant casquettes, d’autres des casques de motocyclistes. Il est assez difficile de qualifier le fait d’usurpation d’uniformes. Le port d’uniforme suppose, non seulement un équipement général, une tenue vestimentaire, mais également des écussons, des signes distinctifs, des éléments qui ne laissent aucun doute sur l’appartenance à une force organisée et dûment mandatée par la République pour la protection de ses citoyens.

M. le Président : Cela explique-t-il l’absence de poursuites ?

M. Denis PRIEUR : C’est un domaine qui ne relève pas de ma compétence.

M. le Président : Vous étiez au courant, vous étiez préfet.

M. Denis PRIEUR : Non, monsieur le Président, ainsi que je l’ai expliqué, l’information sur la tenue exacte des membres du service d’ordre du Front National m’est parvenue sous la forme d’images diffusées ensuite.

M. le Président : Le maire a porté plainte, mais aucune poursuite n’a été engagée postérieurement. Est-ce pour la raison que vous venez de dire ?

M. Denis PRIEUR : Je ne puis répondre à cette question, qui relève du domaine judiciaire.

M. le Président : Vous avez tout de même une conviction. Pensez-vous que le parquet aurait dû poursuivre ?


M. Denis PRIEUR : J’imagine qu’il doit être très difficile de qualifier de façon précise un délit ou une infraction sur ce type de problème. Certaines tenues peuvent prêter à confusion, telles les tenues de motards ou de motocyclistes. Qu’est-ce qui caractérise un délit où il y a manifestement intention de se faire passer pour ce que l’on n’est pas ? C’est difficile à déterminer de façon précise sur le plan pénal.

M. le Président : Vous avez indiqué que des jeunes lançaient des pierres en pensant qu’ils affrontaient le service d’ordre de la police.

M. Denis PRIEUR : J’ai cité cela comme un fait que l’on a entendu ; je n’ai aucune preuve que ce soit la vérité.

M. le Président : Ne pensez-vous pas qu’en portant cette tenue, les membres du DPS avaient l’intention de " paraître comme... " ?

M. Denis PRIEUR : Cela paraît vraisemblable, dans la mesure où ce serait cohérent avec les connotations qui s’attachent au Front National et plus particulièrement à son service d’ordre : idéologie sur la force, sur l’autorité. Elles laissent à penser que ce n’était pas un hasard s’ils étaient vêtus ainsi et non avec des survêtements de couleur orange ou jaune.

M. le Rapporteur : Je comprends votre position. En effet, la nuit tous les chats sont gris et un survêtement noir ou une tenue de motard peut ressembler étrangement dans le feu de l’action à une tenue de gendarme mobile ou de gardien des compagnies républicaines de sécurité. Il me semble toutefois qu’en la circonstance, il ne s’agissait pas de tenues tout à fait banales, puisque la presse parle " d’accoutrements ressemblant étrangement à celui des CRS : casques, boucliers en plexiglas, matraques, tenues noires et bottes ". C’était vraiment là des CRS déguisés !

Les rapports de police indiquent que " les membres du DPS, se sont signalés de façon ostensible par la tenue vestimentaire - pantalons et blousons de toile bleu foncé, par le matériel utilisé - casques à visière plexiglas amovible, boucliers rectangulaires transparents, bombes lacrymogènes à la ceinture -, uniformes et équipements faisant croire à la présence de policiers, de forces officielles. "

Les événements se sont produits en deux temps.

Lors de l’entrée de M. Bruno Gollnisch, les membres du DPS ont chargé une première fois avec des bombes lacrymogènes, ce qui n’est pas une charge normale de manifestants. Autant les forces de police en retrait ont pu être surprises à ce moment-là, autant je ne comprends pas que, à nouveau, à la fin de la manifestation, elles n’aient pas considéré qu’elles avaient affaire à un service d’ordre peu habituel et qu’il convenait d’intervenir. Autrement, cela revient à dire que les policiers sont plus dangereux pour rétablir l’ordre que le service d’ordre d’un parti politique, ce qui paraît inquiétant.

Certes, cela ne s’est pas trop mal passé, mais on a eu l’impression d’une carence des services de police - voilà ce qui m’inquiète dans cette manifestation. C’est vrai, il n’y a pas eu trop de dégâts, mais était-il normal que l’on dise : " Mieux vaut que ces gens-là se tapent dessus entre eux plutôt que de faire intervenir la police " ?

M. Denis PRIEUR : Je comprends bien toutes ces questions, monsieur le rapporteur.

Nous n’avions pas pour a priori de laisser les deux camps s’affronter.

Par ailleurs, il n’était pas nécessaire qu’intervienne une instruction de ma part pour constater un fait délictueux, s’il était constatable. Il existe une différence entre voir une personne dans la rue en milieu d’après-midi - dans des conditions tout à fait normales - déambuler dans une tenue qui peut susciter une interpellation au motif que vous indiquez, et le faire dans les circonstances comme celles de la soirée que nous évoquons. L’atmosphère était fortement chargée d’électricité. La priorité a été, à tort ou à raison

 mais le bilan d’ensemble laisse à penser que ce n’est pas tout blanc ou tout noir - d’éviter toutes conséquences gravissimes pour les personnes plutôt que de mettre fin à un scandale, si l’on peut me permettre cette expression, un scandale tenant au fait que des personnes s’étaient pour une soirée arrogé un rôle qui n’était certes pas le leur.

Une fois de plus, le déroulement souhaité au cours de cette soirée par toutes les personnes responsables, toutes celles qui avaient de fortes convictions et dont le souci était de ne pas faire bon marché de l’intégrité physique des gens, consistait à limiter les relations entre les personnes ayant clairement manifesté devant l’Hôtel de ville leur opposition à la manifestation du Front National et les quelques dizaines de personnes qui avaient choisi d’assister à la réunion publique dans un local mis à disposition du mouvement.

M. le Président : Maintenant que l’on sait la façon dont cela s’est passé, que vous avez vu des images, que vous avez donc d’autres informations, pensez-vous qu’il aurait été souhaitable de prendre des dispositions différentes de celles prises à l’époque ?

M. Denis PRIEUR : Chaque situation étant unique, il est difficile d’apporter une réponse générale en termes de préservation de la sécurité ou de l’ordre public.

Une réunion était organisée par le Front National, avec une campagne d’affichage intensif ayant reçu peu d’échos. Que pour cette seule raison, on ait déployé des forces uniquement destinées à permettre à M. Bruno Gollnisch d’arriver triomphalement entre une haie de policiers n’eût pas été acceptable.

M. le Président : L’ancien ministre de l’Intérieur, M. Jean-Louis Debré, que nous avons auditionné, a déclaré que c’est à partir des événements de Montceau-les-Mines, qu’il s’est posé la question de l’interdiction du DPS.

Si j’en crois le rapport d’un journaliste - mais peut-être la formule n’est-elle pas avérée -, celui-ci affirme qu’après ces événements, il a interrogé le directeur de la police nationale qui lui aurait dit - je souligne le conditionnel : " Ce sont des événements regrettables. Il faut que l’on soit plus vigilant pour que cela ne se reproduise pas. ".

M. Denis PRIEUR : Vous apportez vous-même la réponse en utilisant le conditionnel, monsieur le Président.

M. le Président : Nous sommes tout de même étonnés de l’absence de poursuites. Il est clair qu’une combinaison sans insignes ne tombe pas forcément sous le coup d’infraction pour port illégal d’uniformes, mais dans les circonstances où cela s’est passé, l’intention était nette. Nous avons le sentiment que la situation a été sous-estimée ; peut-être a-t-on fait une erreur d’appréciation, ce qui peut se comprendre, sur le déroulement futur des événements - il y a eu imprévu. Il n’y a pas eu que de l’imprévu. C’est pourquoi nous nous étonnons de l’absence ultérieure de poursuites alors même que les plus hautes autorités de l’Etat semblaient se préoccuper de ce qui s’était passé à Montceau-les-Mines.

M. Denis PRIEUR : Je n’ai rien enclenché de cette nature. Après coup, j’ai rendu compte du déroulement des événements. Un compte rendu a également été adressé au procureur de la République. S’il s’agissait de déclencher des poursuites, je n’étais pas celui qui, de façon la plus naturelle ou la plus directe, était à même d’y procéder. Je ne le pense pas.

M. le Rapporteur : Nous enquêtons sur le fonctionnement du DPS ainsi que sur les quelques " ratés " qu’il a pu y avoir. Je cite Montceau-les-Mines, une manifestation salle Wagram avec dépôt de gerbe impromptu à l’Arc de Triomphe, Strasbourg... Nous essayons donc de décortiquer ces affaires, car il faut bien vous avouer que dans un premier temps les responsables du ministère de l’Intérieur que nous avions entendus semblaient faire preuve d’une absence quasi totale de curiosité. Il nous a fallu aller plus au fond.

Je vous poserai deux questions.

Aviez-vous reçu, comme cela peut se passer, des instructions du ministre de l’Intérieur ou de son cabinet à propos de cette manifestation ?

Une enquête de commandement a-t-elle été diligentée à son issue ?

M. Denis PRIEUR : Non, je n’avais pas reçu d’instructions particulières. Compte tenu de la façon dont les choses se présentaient, il était difficile d’imaginer un tel déroulement, en particulier que cela resterait dans les annales comme un événement aussi exceptionnel.

Par ailleurs, je n’ai pas connaissance d’enquête conduite par la suite ; en tout cas, je n’ai pas été interrogé.

J’ai procédé à deux rapports : l’un le lendemain, le 26 octobre, assez bref ; un autre le 28 ou le 29, un peu plus développé, dans la mesure où, entre-temps, des commentaires avaient été portés sur le déroulement de la soirée et que le premier, assez concis, appelait certainement, pour l’information du ministre, des développements. Je n’ai pas eu par la suite à faire d’autres communications sur le sujet.

M. le Président : Monsieur le préfet, nous vous remercions.