A propos de l’émission sur France 2 (dans la nuit du 26 septembre 1999), on a pu lire sur le forum Internet de l’association Survie : " Le plus frappant dans ce type de gros plans aura sans doute été ce témoignage, du chef d’Etat Major de l’Élysée je crois, qui, parlant de Dallaire, hésite beaucoup à dire, et a finalement le courage de dire que l’honneur d’un militaire dans une telle situation est d’avoir le courage de désobéir ".

Ceci nécessite une mise au point !

La personne dont on loue ici le courage et la sincérité est le général Quesnot. Il intervient à deux reprises dans ce reportage. La première fois il dit avec un sourire en coin qu’il ne croyait pas aux accords d’Arusha - ce qui en soit est assez grave, le soutien aux accords d’Arusha est en effet un argument élyséen pour justifier son action au Rwanda -. Dans la seconde il charge Dallaire, expliquant que s’il avait désobéi, il pouvait avec les 2 500 hommes de la MINUAR arrêter le génocide. Ajoutant : " il se serait peut-être fait virer après, mais enfin... ".

Qui est le général Quesnot ? Christian Quesnot est le chef de l’état major particulier de Mitterrand et le principal responsable du soutien inconditionnel de la France à Habyarimana, puis, pendant et après le génocide, au GIR génocidaire. C’est l’âme de la cellule Élyséenne qui avec la coopération militaire dirigée par le général Huchon, tirait les ficelles. C’est probablement le Français le plus souillé par cette complicité de génocide.

Ce cynisme est du troisième degré. Quesnot sait que Dallaire s’est débattu avec l’énergie du désespoir pour pouvoir intervenir, envoyant demande sur demande à ses supérieurs de l’ONU. Dallaire est sincère. Le général Quesnot, manipulait quant à lui l’ONU (via les autres pions de la Françafrique tel que Djibouti, présent au conseil de sécurité avec le Rwanda !) et entretenait le mythe des " Khmers noirs ". Il a déclaré le 29 avril 1994 : " Le FPR est le parti le plus fasciste que j’ai rencontré en Afrique, il peut être assimilé à des Khmers noirs. " Affirmation extraordinaire, alors qu’au même moment les forces opposées au FPR commettaient un génocide ! [Ces propos ont été rapportés par Pierre Favier et Michel Martin-Roland, dans La décennie Mitterrand. 4. Les déchirements, Seuil 199, p. 478.]

Qui est Dallaire ? Le Major-général Roméo Dallaire, canadien, était le commandant de la Mission de l’ONU (MINUAR). Il avait menacé de descendre les avions de Quesnot qui apportait des armes aux FAR et aux milices pendant le génocide. Gérard Prunier rapporte ces propos de Dallaire : " S’ils atterrissent ici pour livrer leurs foutues armes au gouvernement, je ferai abattre leurs avions " (Entretien avec un fonctionnaire des Nations Unies, Genève, 29 juillet 1994) dans Rwanda Le Génocide, Dagorno, 1997, page 341. Sur Dallaire, je recommande de lire Les Casques bleus au Rwanda, L’Harmattan, 1998, de Jacques Castonguay et, bien sûr, sa déposition à Arusha où il s’est mis à pleurer. Cette déposition se trouve dans UBUTABERA (http://persoweb.francenet.fr/~intermed).

Quesnot à raison, Dallaire n’a pas eu le courage d’abattre les avions de la France. Combien de gens abusés auront alors crié " bravo Quesnot ! ". Quesnot fait du second degré jubilatoire à la Mission, fait du cinéma, fait semblant d’hésiter. Sa voix s’éraille un peu devant l’énormité qu’il va dire et qu’il a soigneusement préparé. Alors que pèse sur sa conscience les horreurs d’un génocide, il va oser charger Dallaire et tenter de le déshonorer ! On atteint ici le comble de l’abjection. Oui, " l’honneur d’un militaire c’est de désobéir ". Oui, l’ONU a laissé massacrer un million d’innocentes victimes. Mais Dallaire, lui, au moins, en crevait de rage et d’impuissance, tandis que les troupes de choc du 1er RPIMa du général Quesnot, se déplaçaient sans état d’âme pendant l’opération Amaryllis, au milieu de ce bain de sang. Alors que ses alliés tueurs de civils accomplissaient leur monstrueux projet programmé, Quesnot leur livrait des armes. Le général Quesnot, lui, sait désobéir. Non pas à ses supérieurs (son supérieur était en l’occurrence François Mitterrand), mais aux règles d’humanité de base, aux sentiments qui font de nous des hommes.

Épilogue. En 1995 le général Quesnot a quitté l’armée pour diriger une officine privée de "sécurité" comme Barril et consort. Quant au Général Huchon, il coule lui aussi des jours paisibles à la tête de la zone de défense de Marseille. (J.P.G.)