(Résumé de la partie publique de l’audition)

M. Van Oudenhove indique que le ministère public s’intéresse au problème des sectes dans la mesure où les activités de ces mouvements ou le comportement de certains de leurs membres révèlent des comportements d’ordre pénal (manoeuvres d’escroquerie, violences, infractions relatives à la protection de la jeunesse, etc.).

L’autorité judiciaire est consciente du problème et du danger que les pratiques illégales de certaines sectes pourraient représenter pour l’ordre public. Elle est donc soucieuse de collaborer étroitement avec la commission d’enquête. Les tragiques événements survenus depuis 1978 dans divers pays montrent que le risque est réel.

M. Van Oudenhove tient à rappeler les responsabilités en matière pénale des procureurs généraux près les cours d’appel.

La première responsabilité concerne l’exercice de la police judiciaire. Celle-ci consiste, conformément à l’article 8 du Code d’instruction criminelle, en la recherche des infractions, au rassemblement des preuves et en la mise à disposition des tribunaux des auteurs identifiés. La police judiciaire est exercée sous la direction des procureurs du Roi, eux-mêmes placés par l’article 27 du Code d’instruction criminel-le sous les ordres du procureur général. Le procureur général exerce en outre la surveillance sur tous les officiers de police judiciaire, sous l’autorité du ministre de la Justice (article 148 du Code judiciaire). Le ministre de la Justice peut, en vertu de l’article 5, alinéa 2, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, donner des directives générales pour l’exécution des mesures de police judiciaire.

Les procureurs généraux disposent également d’un pouvoir de décision en ce qui concerne l’exercice des poursuites devant les juridictions pénales (article 143 du Code judiciaire). Cette action s’exerce également sous l’autorité du ministre de la Justice qui peut, en vertu de l’article 274 du Code d’instruction criminelle, formuler des injonctions positives de poursuites dans les délits dont il a connaissance.

Enfin, ils se concertent avec le ministre de la Justice pour définir la politique criminelle (article 1 er de l’arrêté royal du 14 janvier 1994 créant un service de la politique criminelle).

M. Cornelis estime que le risque que présente l’activité des sectes est plus grand lorsque celles-ci s’adressent à des personnes faibles ou vulnérables en raison de leur état psychique ou de leur situation sociale circonstancielle ou permanente. Plus que les autres, les mineurs se trouvent dans une situation où ils ne peuvent pas réagir à des manoeuvres que ce soit de séduction ou de manipulation psychologique, à des sévices ou à des négligences.

Les questions qui peuvent se poser en matière de protection de la jeunesse dans ce contexte concernent le recrutement éventuel de mineurs par des sectes, les infractions ou dangers dont les mineurs pourraient être victimes du fait de l’appartenance de leur famille à une secte et les renseignements que les procédures civiles peuvent fournir sur les troubles causés par les sectes dans la vie des familles.

Les informations disponibles ne mettent pas en évidence un recrutement direct de mineurs d’âge mais plutôt de jeunes adultes. On ne doit cependant pas exclure la possibilité de filières qui conduisent progressivement des jeunes gens à adhérer à des sectes via la pratique d’arts martiaux, par exemple, des conférences ou des projections relatives à des programmes d’éducation ou de formation, ou encore des traitements psychologiques ou de désintoxication. En Belgique, il semble néanmoins que ce soient plutôt les parents qui entraînent leurs enfants dans le cadre de leurs activités au sein d’une secte.

Par ailleurs, il n’existe pas d’informations ou de procédures judiciaires mettant en évidence des sévices dont auraient été victimes des mineurs dans le cadre de l’activité d’une secte. Des faits de pédophilie et de privation de soins ont été suspectés dans le cas du dossier Ecoovie, mais il n’a pas pu être établi qu’ils avaient lieu en Belgique. D’autre part, les autorités judiciaires ont connaissance d’accusations portées à l’étranger contre la secte des Enfants de Dieu, devenue entre-temps La Famille. Aucun élément d’infraction n’a cependant été révélé en Belgique.

Peu de dossiers protectionnels ont été ouverts à la suite d’états de danger dans lequel se trouveraient des mineurs en raison de l’appartenance de leur famille à une secte, à l’exception du refus de certains actes médicaux, comme la transfusion sanguine ou les opérations qui entraînent une transfusion sanguine, chez les témoins de Jéhovah. L’attitude généralement suivie en la matière en cas de danger grave et immédiat consiste à saisir le juge de la jeunesse, qui placera l’enfant dans un établissement hospitalier et donnera lui-même l’autorisation d’intervention.

Ceci ne signifie pas que des activités sectaires ne peuvent pas avoir une interférence dans d’autres dossiers, notamment dans le cadre de difficultés pédagogiques dues au fait que des parents affiliés à une secte veulent appliquer des principes d’éducation trop rigides à leurs enfants ou les contraindre à des activités de prosélytisme ou de culte. A cet égard, M. Cornelis tient à signaler que, dans certains cas, l’influence d’une secte s’est néanmoins révélée positive pour donner une structure à des familles dépourvues de points de repère.

Assez fréquemment, des dissensions et des litiges en raison d’activités sectaires sont invoqués dans les procédures au fond en divorce, dans les procédures de mesures provisoires en référé et dans le conten-tieux familial civil du tribunal de la jeunesse : dis-sensions qui proviennent de méthodes éducatives différentes, d’un régime alimentaire imposé par un ou plusieurs membres de la famille, de loisirs dispo-nibles ou non en raison d’activités de prosélytisme et de (l’absence de) contacts sociaux, certaines sectes coupant leurs membres de toute relation amicale ou familiale. L’intérêt de l’enfant peut parfois être gravement compromis. Ces procédures permettent parfois de révéler l’existence et les activités suspectes d’une secte jusque-là inconnue.

Le parquet de Bruxelles dispose d’un numéro d’in-dice particulier pour les dossiers sectes : le numéro 57, autour duquel l’information peut depuis 1990 être centralisée. Toute information ayant trait à l’appartenance à une secte (plaintes concernant l’exercice du droit de visite, problèmes de droit de garde, etc.) est transmise au magistrat désigné par le procureur du Roi pour s’occuper de ce problème. Il est ainsi informé de l’existence de la secte dans l’arrondissement judiciaire, de l’évolution de ses activités, ainsi que de l’importance de ces activités en fonction du nombre d’informations reçues.

MM. Cornelis et Van Oudenhove indiquent que le dossier relatif à l’Ordre du Temple Solaire est un dossier 57. Par contre, la classification 57 n’existait pas encore au moment où le dossier Ecoovie a été traité.

M. Cornelis ajoute qu’il est probable que si un problème concernant la protection de la jeunesse (comme, par exemple, un enfant présentant certaines carences alimentaires dues au régime imposé par la mère, adepte des témoins de Jéhovah) se pose dans le cadre d’un dossier de divorce en référé, cette affaire donnera lieu à une classification 57. Il ne peut répondre de manière formelle si cela se produit dans d’autres contextes.

M. Van Oudenhove indique qu’au niveau du parquet général, il existe déjà des magistrats de référence. Tous les problèmes qui se rattachent à la protection de la jeunesse, y compris la drogue, l’immigration, la bio-éthique, les problèmes qui ont trait à la dignité humaine, au respect de la vie privée, etc., sont rapportés à la section dirigée par M. Cornelis. Il a à sa disposition des magistrats et divers collaborateurs.

A la question de savoir pourquoi les signaux perçus par l’appareil judiciaire sont aussi faibles concernant le phénomène sectaire, M. Cornelis évoque la situation de dépendance des membres, l’état psychologique des personnes décidant de sortir d’une secte, mais surtout le fait qu’il s’agit d’infractions commises dans le cadre de la vie privée. Afin de respecter les libertés constitutionnelles (liberté d’opinion, de culte et d’association), il est en effet exclu d’opérer des recherches policières à titre préventif : l’intervention ne peut avoir lieu qu’en fonction d’indices préalables ou de plaintes adressées à l’autorité.

En outre, la protection de l’enfance en danger est dorénavant confiée aux instances communautaires, c’est-à-dire le " Comité voor bijzondere jeugdzorg " en Région flamande (décrets coordonnés du 4 avril 1990 du Conseil flamand), le conseiller de l’aide à la jeunesse en Région wallonne (décret du 4 mars 1991 du Conseil de la Communauté française) et le Conseil de l’aide à la jeunesse en Communauté germanophone (décret du 20 mars 1995 du Conseil de la Communauté germanophone).

Les autorités judiciaires ne sont plus compétentes qu’à l’égard de la jeunesse délinquante et, exceptionnellement, en cas de danger grave et imminent, elles peuvent intervenir à l’égard d’un enfant en danger. De ce fait, la compétence des policiers est elle aussi réduite.

Poursuivant l’exposé, M. Duinslaeger indique que le magistrat national est placé sous l’autorité directe, fonctionnelle et juridique du collège des procureurs généraux mais qu’il entretient, dans le cadre du mandat qui lui a été conféré par le ministre de la Justice et le collège, des contacts directs avec les procureurs du Roi et les juges d’instruction des 27 arrondissements judiciaires. Le magistrat national est en quelque sorte le bras opérationnel du collège pour des affaires qui couvrent plusieurs ressorts ou qui nécessitent une coordination sur le plan national ou international, ce qui sera certainement le cas pour la lutte contre les sectes dangereuses. Le témoin renvoie à l’organigramme suivant :

Les missions du magistrat national sont de plusieurs ordres. En ce qui concerne ses missions opérationnelles, le magistrat national a pour mission la coordination et la centralisation au niveau national et international des recherches, enquêtes et poursuites en matière de criminalité grave, notamment les affaires de grand banditisme, de terrorisme, de cri-minalité organisée, y compris les affaires de trafic de stupéfiants, ainsi que la lutte contre les sectes nuisi-bles.

Le magistrat national centralise ces enquêtes en donnant son avis ou en faisant des propositions et des recommandations au procureur du Roi ou au juge d’instruction qu’il assiste. Il intervient également en cas de situation conflictuelle dans des matières relevant des différents ressorts, soit à la demande des autorités locales compétentes, soit sur propre initia-ive, mais toujours avec l’obligation d’en aviser le procureur général ou les procureurs généraux compétents, le collège ou le doyen.

Le magistrat national est l’interlocuteur privilégié de la Belgique pour les relations avec les autorités judiciaires étrangères dans toutes les affaires où une intervention judiciaire urgente s’impose.

Il joue également un rôle de plus en plus important au niveau de l’entraide judiciaire et de la coopération policière. Dans le cadre de cette mission, il essaye d’établir des contacts directs avec ses collègues étrangers pour régler ou résoudre les problèmes pratiques liés à la coopération judiciaire internationale, y compris les problèmes de l’échange de l’information et de la coordination opérationnelle entre les autorités judiciaires et de police dans les pays concernés, dans le respect des instruments internationaux existants (convention Schengen, ...) et avec l’accord des autorités compétentes, notamment du ministre de la Justice.

Le magistrat national peut en outre prendre toutes les mesures urgentes qui s’imposent dans le cadre de l’exercice de l’action publique, aussi longtemps qu’aucun procureur de Roi n’est compétent sur le plan territorial, c’est-à-dire pour les affaires non localisées.

Enfin, il est notamment l’interlocuteur de la Sûreté de l’Etat au niveau judiciaire.

M. Duinslaeger indique qu’une concertation a lieu entre le magistrat national, la Sûreté de l’Etat, la gendarmerie et la police judiciaire, toujours au niveau des organes centraux, c’est-à-dire la brigade nationale, qui est en fait le bras opérationnel du commissariat général aux délégations judiciaires, le bureau central des recherches, ...

A la question de savoir si le commissaire général n’est dès lors pas mis au courant, le témoin répond qu’il s’agit d’un problème interne à la police judiciaire.

Toute tentative de définition du phénomène sectaire est, selon l’orateur, peu judicieuse, voire même inutile, dans la mesure où une définition générale des sectes, et des sectes dangereuses en particulier, n’apporte aucune plus-value lorsqu’il s’agit de déterminer la nécessité de s’attaquer à une secte particulière.

Par contre, il serait très utile de disposer d’un ou de plusieurs critères permettant de juger si un phénomène criminel déterminé - et cela peut être le cas pour une secte dangereuse - est de nature telle qu’il nécessite une approche spécifique ou la mise en oeuvre de moyens spécifiques. De là l’importance d’une description opérationnelle du phénomène.

Une définition générale des sectes (dangereuses) n’est en outre pas sans danger dans la mesure où elle ne peut tenir compte que de la situation hic et nunc, alors que le phénomène sectaire est en soi évolutif et présente une grande diversité de forme et de fond. Une telle définition risque également d’entrer en conflit avec les garanties constitutionnelles en matière de liberté d’opinion, de religion, d’association et de réunion, voire même d’enseignement.

Dans ce contexte, M. Duinslaeger fait remarquer que la simple adhésion à une secte ne peut être considérée comme un fait délictueux ; on ne vise dans ce cas que la victime. Seuls les dirigeants ou les membres occupant une fonction dirigeante au sein de la secte doivent pouvoir être poursuivis. A cet égard, la question se pose en outre de savoir si l’influence, voire la manipulation exercée par le gourou n’est pas telle que certains cadres de la secte ont également perdu leur libre arbitre et sont contraints d’agir par une " force à laquelle ils n’ont pas pu résister " (arti-cle 71 du Code pénal), si bien qu’il n’y a pas d’infraction. Dans certains cas, on pourrait même se demander si le gourou de la secte lui-même ne se trouve pas dans un état de trouble mental qui relève davantage de la psychiatrie que du système répressif, même si le danger qu’il représente pour les autres membres du groupe est, dans ce cas, tout aussi important. Afin de juger en tout état de cause, il y a lieu d’examiner alors le but social, l’animus societatis de la secte. Ainsi, il est, par exemple, évident que Sun Myung Moon tente d’accumuler un maximum de richesses non pas pour être en mesure de se consacrer pleinement à la réflexion spirituelle, mais au contraire pour s’asseoir une puissance économique absolue. Il ne peut donc être question de déstabilisation mentale dans son cas, que du contraire.

Concernant l’éventualité d’une définition, outre la difficulté d’atteindre un consensus en la matière, M. Duinslaeger insiste sur le fait que cela conduirait rapidement à prévoir une nouvelle incrimination rendant passible d’une peine pénale la participation à l’organisation d’une secte. Vu le caractère évolutif du phénomène, un certain nombre de sectes dangereuses risqueraient toutefois de ne pas tomber dans le champ d’application de cette incrimination. Par contre, si pour éviter cela, le législateur tente de définir de manière précise autant d’éléments différents que possible, cela risque de créer de nombreux problèmes juridiques, étant donné que chaque élé-ment constitutif pris séparément pourra faire l’objet d’une contestation.

L’organisation et la coordination de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée a posé à l’origine des problèmes identiques. C’est pourquoi il a été décidé d’élaborer une définition purement opérationnelle sur la base d’une série de critères. La définition de la criminalité organisée empruntée au Bundes Kriminalamt et acceptée par l’ensemble du monde judiciaire et policier est libellée comme suit :

a) la perpétration planifiée d’infractions d’une importance considérable à elles seules ou dans leur ensemble ;

b) motivée par l’aspiration au profit ou au pouvoir ;

c) où plus de deux personnes impliquées agissent ensemble ;

d) durant une période assez longue ou indéterminée ;

e) avec répartition du travail ;

f) a) en se servant de structures commerciales et/ ou ;

b) en ayant recours à la violence ou à d’autres moyens d’intimidation, et/ou ;

c) en exerçant de l’influence sur la vie politique, les médias, l’administration publique, la justice ou la vie économique.

Selon l’orateur, les activités d’un certain nombre de sectes connues peuvent correspondre à la définition ci-dessus.

Il s’agit de la constatation d’un phénomène et non de l’énumération de faits punissables par la loi. Il serait d’ailleurs très difficile de transformer chaque partie de cette définition en une incrimination vu le caractère très vague du libellé.

Par contre, la définition opérationnelle a démontré son utilité à trois niveaux.

Sur la base de cette définition il y a en effet moyen :

 d’établir si un problème se pose ;

 si ce problème requiert une approche spécifique ;

1. si cela vaut la peine de mettre en oeuvre des moyens spécifiques tels que l’analyse criminelle, l’observation, l’infiltration ou d’autres pratiques " undercover ".

Une telle définition opérationnelle peut également être adaptée très facilement à l’évolution de la situation. Une méthode de travail analogue pourrait être utilisée dans la lutte contre les sectes dangereuses. La liste des critères établie par la " Direction générale des renseignements généraux " et publiée en 1995 par la commission parlementaire d’enquête en France, ainsi que les caractéristiques spécifiques retenues par la Sûreté de l’Etat en Belgique semblent constituer une bonne base de départ. Tant la gendarmerie que la Sûreté de l’Etat sont demandeurs d’une telle définition opérationnelle car la définition générale utilisée jusqu’ici par la Sûreté de l’Etat a déjà dû être modifiée à plusieurs reprises.

Dans une telle démarche, il y aurait lieu de déterminer si les critères de la commission Gest ont tous la même importance et s’ils doivent être utilisés de manière cumulative ou séparément. La question se pose en effet de savoir si un certain nombre de caractéristiques spécifiques ne doivent pas être réunies en ordre principal d’un point de vue opérationnel afin de déterminer s’il s’agit d’une secte dangereuse, alors que d’autres critères ne doivent être pris en considération qu’en ordre subsidiaire.

Outre le poids relatif des indices retenus, M. Duinslaeger estime que les critères français tien-nent insuffisamment compte de la finalité des méthodes utilisées par les sectes. Le but de la déstabilisation mentale n’est en effet pas la déstabilisation en elle-même, mais la dépersonnalisation totale en vue de l’assujetissement intégral de l’adepte au profit du gourou ou de la secte.

Les critères français tiennent également insuffisamment compte de l’organisation et de la structure des sectes. Le danger représenté par certaines sectes réside en effet également dans le fait que leurs activités présentent une certaine continuité, pendant de longues périodes, qu’elles agissent méthodiquement et sont organisées en fonction d’une structure hiérarchique, généralement pyramidale, autour du leader. L’influence nuisible (manipulation mentale) exercée sur l’individu n’en sera que plus importante.

Pour le reste, un certain nombre de critères, tels que les exigences financières exorbitantes et la rupture avec l’environnement d’origine, sont très semblables aux phénomènes rencontrés dans la criminalité organisée, la maffia, voire même des groupes terroristes. Toutefois, ce dernier critère se retrouve également dans certains ordres religieux contemplatifs, certains internats, voire même lors de certaines préparations sportives (isolement afin d’affûter l’esprit d’équipe).

D’autres critères sont également insuffisants pour opérer une distinction entre le phénomène sectaire et d’autres formes de criminalité : atteinte à l’intégrité physique et détournement de circuits économiques (cf. la maffia et la technique du racket), infiltration des pouvoirs publics (cf. la problématique de la corruption, de la criminalité organisée, de la maffia).

L’élaboration d’une définition opérationnelle doit se faire en collaboration avec tous les acteurs concernés, à savoir les services de police et de renseignement, les départements concernés et le ministère public, sans négliger l’aspect préventif et l’aide aux victimes.

M. Duinslaeger suggère de tenir compte d’un critère supplémentaire : le fait qu’une secte qui opère en Belgique a des liens ou entretient des relations sur le plan idéologique ou spirituel, financier, de l’organisation ou de la logistique, avec d’autres sectes qui ont été impliquées dans des événements dramatiques survenus à l’étranger (suicides collectifs, ...). Ainsi, on pourrait entamer une enquête sur l’existence en Belgique de sections, filiales ou organisations soeurs de ces sectes, dont on peut dire a priori qu’elles sont dangereuses.

On peut s’interroger non seulement sur la nécessité d’une définition opérationnelle, mais également sur l’utilité et la nécessité d’une définition juridique légale, d’une incrimination spécifique. Les qualifications retenues actuellement sont des incriminations distinctes, existant par elles-mêmes, qui ne sont pas nécessairement liées au phénomène des sectes. On peut songer notamment aux incriminations suivantes : menaces, coups et blessures, détention arbitraire, association de malfaiteurs, enlèvement, escroquerie, extorsion, traite d’êtres humains, infractions relatives à la protection de la jeunesse, infractions à la législation sur les armes, stupéfiants, faits de moeurs, abstention coupable, blanchiment et fraude fiscale, contrebande et fraude sociale, exercice illégal de la médecine et homicide.

M. Duinslaeger souligne par ailleurs le problème posé par la collecte d’informations sur des dossiers existants. Même s’il existe à Bruxelles un numéro spécifique pour les sectes, il convient toutefois de faire observer que l’on tient compte, lors de l’introduction d’un dossier, de la gravité des faits. C’est ainsi qu’une affaire de drogue, dans laquelle une secte serait impliquée, risque fort d’être répertoriée comme une affaire de drogue, vu l’importance que l’on accorde à la lutte contre la drogue.

S’agissant de la définition légale, il faut soulever le problème des libertés constitutionnelles. Ces libertés et droits constitutionnels s’arrêtent là où une certaine contrainte, physique ou morale, est exercée à l’égard des adhérents ou lors du recrutement de membres potentiels. Le problème est que l’on doit tenter de traduire ce fait en une incrimination spécifique. On devra recourir à cet effet, nécessairement et inévitablement, à des notions vagues qui ne peuvent finalement être appréciées et concrétisées que par le juge, ce qui n’exclut pas toutefois que l’on puisse songer à une incrimination spécifique visant à protéger contre les abus, d’une manière plus généra-le, l’individu se trouvant dans l’une ou l’autre position vulnérable ou précaire.

A l’heure actuelle, la loi ne prévoit qu’un certain nombre d’infractions contre l’intégrité physique et économique de la personne humaine. Par contre, il n’est fait allusion à l’intégrité psychique que dans un certain nombre d’articles de la loi, et ce, au titre de circonstances aggravantes. On part, par exemple, du principe que le fait d’être mineur d’âge prouve la vulnérabilité de la victime. Pensons également aux circonstances aggravantes en cas de viol. Dans la loi du 13 avril 1995 sur la traite des êtres humains, il est également tenu particulièrement compte du critère de vulnérabilité de la victime.

En ce qui concerne l’application des incriminations susvisées relevant du droit commun, il convient également de mettre l’accent sur le problème de l’administration de la preuve. Il est difficile de pénétrer et d’infiltrer une secte, compte tenu des possibilités de cloisonnement interne, de l’existence de structures de protection vis-à-vis de l’extérieur, de pratiques d’intimidation, d’épreuves initiatiques, etc. Les éléments importants pour l’administration de la preuve doivent venir de l’intérieur mais, pour d’évidentes raisons de dépendance, les adeptes ne sont pas disposés à déposer.

Les plaintes d’anciens adeptes ne sont pas toujours dignes de foi ni objectives. Elles sont souvent difficilement vérifiables et sont généralement déposées bien longtemps après les faits incriminés.

A cela s’ajoute encore le fait que les personnes qui adhèrent à une secte, sont généralement déçues des structures d’accueil existantes, des religions traditionnelles et des réseaux sociaux dont font partie la police et la justice.

Si la secte déçoit une fois de plus, ces personnes ne se tourneront pas facilement vers les structures d’accueil dont, dans un premier temps, elles s’étaient détournées.

Il existe en outre un certain nombre de sectes qui ont des ramifications internationales et qui disposent d’antennes dans plusieurs pays où elles exercent leurs activités sous la forme d’A.S.B.L. Pour la gestion de leurs avoirs, elles utilisent des structures financières établies dans des paradis fiscaux ou des sociétés off-shore.

M. Duinslaeger déclare que, nonobstant l’existence de toutes ces difficultés, les services de police et le ministère public sont disposés à s’attaquer au problème des sectes.

Conformément à la décision de faire jouer au ma-gistrat national le rôle de point de contact, des con-tacts préliminaires ont été établis récemment avec la Sûreté de l’Etat, avec les services de police et, plus particulièrement, avec la gendarmerie, étant donné que celle-ci peut, dans le cadre de sa mission admi-nistrative, recueillir des informations importantes, dans le but précisément de procéder de manière plus coordonnée sur la base de la définition opérationnelle à élaborer et après une analyse plus approfondie du phénomène.

On aborde à nouveau en l’occurrence le problème des capacités des différents services, ainsi que celui des priorités et de la détermination de la politique criminelle, pour laquelle le ministre de la Justice, en collaboration avec le collège des procureurs généraux, est responsable.

Il convient donc aussi de faire clairement un choix politique.

S’agira-t-il d’une nouvelle priorité distincte ?

Quels effectifs et quels moyens faut-il mettre à disposition et éventuellement au détriment de quel autre domaine ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord connaître l’ampleur du problème. Selon la gendarmerie, il y a, selon les estimations, une centaine de sectes, dont la plupart ne sont pas nuisibles. M. Lallemand évalue le nombre de sectes en-tre 100 et 150. La Sûreté de l’Etat fait mention d’une cinquantaine de sectes nuisibles. Le recours à une définition opérationnelle permettrait aussi de clarifier les choses en l’occurrence.

On peut en outre se demander si l’arsenal actuel d’instruments, tant au niveau opérationnel que juridique, et tant au niveau des recherches que des poursuites, ne doit pas être adapté et, si oui, dans quel sens.

Si l’on décidait de faire une priorité de la lutte contre les sectes, resterait le problème de l’attribution des moyens aux instances qui seront chargées de cette lutte. Cette demande de moyens ne peut consister seulement en une demande de ressources humai-nes plus importantes ou de moyens matériels ; elle doit surtout consister en une demande d’instruments plus performants pour les recherches et les poursuites. Il s’agit en outre souvent de décisions qui ont une incidence budgétaire très limitée. L’orateur cite com-me exemples un meilleur contrôle des A.S.B.L., le renversement de la charge de la preuve en ce qui concerne les avoirs d’origine suspecte, les possibilités d’infiltration, avec les programmes de protection des témoins qui y sont liés, une réglementation pour les témoignages anonymes, la suppression des éléments gênants dans la législation relative à la protection de la vie privée et le réexamen des différentes compétences des différents acteurs (services de police, mi-nistère public et juges d’instruction) qui intervien-nent en matière de recherches et de poursuites.

M. Duinslaeger estime que l’on invoque parfois l’argument de la violation de la vie privée pour empêcher les instances chargées des recherches et des poursuites de combattre des phénomènes criminels, phénomènes qui constituent eux-mêmes une atteinte sérieuse à la sécurité publique et, partant, à la vie privée du citoyen. Par ailleurs, il n’est parfois guère tenu compte de la proportionnalité des mesures. En effet, il est aujourd’hui plus simple de procéder à une perquisition chez une personne ou de la priver de sa liberté que d’écouter ou de contrôler ses conversa-tions téléphoniques, voire d’identifier son numéro de téléphone ou son numéro GSM, alors que les attein-tes à la vie privée paraissent tout de même plus importantes en cas de perquisition ou de privation de la liberté.

Lorsque le choix définitif aura été opéré, on pourra, en ce qui concerne l’organisation et la coordination au niveau de l’approche tactique, se baser, comme pour la définition opérationnelle, sur le système qui existe actuellement en matière de criminalité organisée.

L’intervenant fournit à cet égard les deux schémas suivants : (...)

Il s’avère que la brigade spéciale de la police judiciaire et le Bureau central des recherches (BCR) de la gendarmerie remplissent une fonction de soutien à l’égard des brigades et des districts. Cette considération vaut également pour le magistrat national à l’égard des parquets, étant entendu qu’il est relié, à son tour, au collège des procureurs généraux.

Dans le premier schéma, il existe une cellule distincte pour les sectes. Cette solution appelle toutefois un certain nombre de questions. Sous quelle autorité sera placée cette cellule ? Qui contrôlera son fonctionnement ? Comment sera réglée la question du devoir de discrétion ou de l’obligation de secret ? Selon quelles méthodes travaillera-t-elle ? Comment devra-t-on régler les échanges d’informations avec les agences externes ? Comment concilier le secret de l’instruction avec la nécessité d’information sharing et comment garantir que l’on tiendra suffisamment compte de la finalité juridique, notamment en ce qui concerne la loyauté et la régularité de l’administration de la preuve ?

Le deuxième schéma est plutôt basé sur le fonctionnement des cellules nationales " hormones ", " traite des êtres humains " et " disparitions ". Ces deux dernières cellules traitent des infractions qui peuvent présenter des liens directs avec les sectes. C’est la raison pour laquelle l’intervenant estime qu’il faudrait pouvoir créer un interface entre ces deux cellules. On pourrait dès lors envisager d’insé-rer la cellule " sectes " dans l’organe central de police générale, comme c’est le cas pour les autres cellules.

Etant donné que les deux cellules précitées fonctionnent déjà au sein du BCR pour tous les services de police et que la gendarmerie a une compétence nationale, tant sur le plan administratif que judiciaire, l’intervenant estime que l’on pourrait doter la nouvelle cellule d’une structure analogue. Elle constituerait un service d’appui pour tous les services de police et toutes les instances et départements concernés et serait tenue de faire rapport à un certain nombre d’autorités.

Cette cellule devrait travailler sur le mode pluri-disciplinaire à tous les niveaux.

Sur la base de l’analyse et du traitement des informations fournies par les différentes instances concernées, on identifie les zones à problèmes et on examine dans quelle mesure une approche axée strictement sur le dossier est possible. Dans la dernière phase, le dossier est introduit auprès de l’autorité judiciaire compétence, qui peut naturellement toujours compter sur l’aide de la cellule. Le magistrat national est également tenu, dans ces affaires, d’en référer au collège des procureurs généraux.

En attendant une décision, on pourrait envisager d’instaurer un formulaire uniforme comparable aux formulaires généraux de déclaration pour la prostitution, la traite des êtres humains et les stupéfiants, qui sont centralisés par le Service général d’appui policier.

En ce qui concerne l’échange d’informations, on pourrait songer à obliger les parquets à faire rapport au magistrat national, qui centraliserait les informations fournies par les parquets.

Il peut également s’avérer important de tenir compte des activités des sectes qui ne sont pas physiquement présentes en Belgique, mais qui utilisent une structure belge. Il s’agit en effet d’un phénomène international qui se situe souvent à la frontière de la criminalité organisée réelle.

Bref, que l’on lutte contre la criminalité organisée, les sectes, les stupéfiants, les hormones ou la traite des êtres humains, la finalité du combat reste identique. Les instruments, l’arsenal législatif et les procédures doivent également être identiques, du moins dans les grandes lignes.

Le rôle de la Sûreté de l’Etat est, à cet égard, particulièrement important, tout comme il est essentiel qu’il y ait une bonne collaboration, y compris au niveau de l’approche tactique et de l’échange d’informations.

A la question de savoir si la mise en place d’une cellule qui regrouperait les sectes, les disparitions et la traite des êtres humains ne risque pas de provoquer certains amalgames entre le phénomène sectaire et celui de la prostitution, M. Duinslaeger répond que les cellules " disparitions ", " traite des êtres humains " et " sectes " doivent continuer à travailler de façon séparée, avec la possibilité d’échanger certaines informations. Selon lui, il y a malgré tout un lien entre la problématique de la traite des êtres humains et celle des sectes. Dans les deux cas, il y a abus d’une situation précaire, notamment chez les mineurs.

En conclusion M. Van Oudenhove indique que d’une manière générale, le recensement des informations, telles qu’elles ont pu être observées au niveau judiciaire, permet aujourd’hui de dégager un certain nombre de caractéristiques concernant les dossiers sur les sectes.

Le nombre de plaintes est peu élevé. Apparemment, les personnes concernées considèrent que les relations qu’elles peuvent nouer dans le cadre des sectes relèvent essentiellement de la vie privée. C’est donc souvent à l’occasion de conflits familiaux ou de conflits de voisinage que les faits sont portés à la connaissance de la police.

En règle générale, les plaintes ne concernent ni des faits de violence, ni des faits de séquestration, ni des faits de moeurs, ce qui réduit considérablement le nombre de dossiers qui seraient susceptibles d’évoluer vers une procédure judiciaire devant les tribunaux.

En outre, il ne semble pas y avoir en Belgique, actuellement, de communauté sectaire importante qui serait rassemblée dans un milieu déterminé. L’activité des sectes et des filières de recrutement sont multiformes. Elles prennent parfois simplement l’aspect de programmes éducatifs destinés à la jeunesse, de thérapies de désintoxication, parfois même de restaurants végétariens, d’interventions de médecins ou de praticiens de l’art de guérir ou de progam-mes de protection de l’environnement, ...

On constate également que certaines sectes tentent de s’introduire dans les écoles par la diffusion de vidéocassettes ou la présentation de programmes de formation. Ceci est particulièrement caractéristique de l’Eglise de Scientologie.

On relève, par ailleurs, que les membres de sectes changent de résidence lorsqu’ils se sentent surveillés. Ils s’installent alors dans une autre région ou à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, les observations réalisées confirment incontestablement la nécessité d’une vigilance des services de police et des autorités judiciaires, avec une attention particulière des sections spécialisées des parquets en matière de protection de la jeunesse, ainsi que d’une coordination poussée des échanges d’informations.

Enfin, à la question de savoir si le camouflage par les sectes d’activités commerciales en A.S.B.L. fait également l’objet d’un contrôle, M. Van Oudenhove répond affirmativement. Il ajoute qu’il serait peut-être utile d’attirer l’attention des magistrats, et notamment des jeunes substituts, par des instructions internes sur certains aspects particuliers, propres aux sectes, de dossiers qui, au départ, semblent être d’un autre type (financier, ...).


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be