Le témoignage de M. Godbille repose sur son expérience au sein de la section financière du parquet de Bruxelles.

Le témoin a été confronté au phénomène des mouvements sectaires par le biais d’un dossier purement financier qui concernait les dirigeants d’un groupe multinational : la S.A. Pianto, dont le siège social se trouvait au Grand-Duché de Luxembourg. Ce groupe avait pour objet la fabrication et la commercialisation d’un produit diététique miracle diffusé par une secte religieuse dite des " Trois Saints Coeurs ", dont les fondateurs étaient les frères Melchior.

Le 1 er octobre 1987, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamnait Robert Melchior notamment pour infractions aux lois fiscales et aux lois coordonnées sur les sociétés commerciales, pour faux en écritures et faits d’extorsion.

Certains membres de la secte, connue à Mons, ont également fait l’objet d’une procédure judiciaire pour enlèvement de mineur.

La police judiciaire a mené une longue et minutieuse enquête sur les pratiques commerciales de cette société. Dans ce type de dossiers, il est souvent très difficile de recueillir des preuves testimoniales. Toutefois, la convergence d’une série d’indices a permis, dans ce cas précis, d’établir qu’outre les délits fiscaux, il y avait extorsion, violence morale et atteinte à l’autonomie de la volonté des adhérents.

L’enquête a tenté de déterminer si la société en question respectait les règles du jeu commercial. Or, il s’est avéré qu’il n’y avait pas affectio societatis et qu’il n’existait pas de réelle prise de risque. A l’examen des comptes bancaires, il est apparu qu’il n’y avait pas eu dépôt de cautions. En outre, de faux procès-verbaux d’assemblées générales ont été rédigés pour des assemblées qui n’ont jamais eu lieu. Outre diverses infractions visant à éluder l’impôt, de nombreux faux en écritures (fiches de rémunérations, comptes individuels, etc.) ont été commis.

Il est particulièrement intéressant de noter qu’au travers de ces faits, il a également pu être établi que " la discipline du " groupe " était fondée sur une " aliénation psychologique " provoquée et constitutive de violence morale et une soumission sans condition excluant toute réaction constructive pendant la présence dans le " groupe " et même ultérieurement après la fuite de ce milieu " (cf. les attendus du jugement du 1 er octobre 1987).

Les comportements sociaux des membres de la secte, décrits notamment au travers du procès de Mons, traduisent une emprise, une manipulation au moment du recrutement. Souvent les personnes concernées vivent des moments difficiles et se trouvent en position de faiblesse psychologique. Après un certain temps, l’attitude de convivialité observée au départ au sein de la secte disparaît , à un point tel que la personne ne peut plus quitter le groupe de son plein gré. On assiste à un éloignement induit par rapport à la famille et au milieu d’origine.

Par ailleurs, les droits et obligations des membres diffèrent largement en fonction de la hiérarchie du groupe. Ainsi, l’ascèse imposée aux membres de la secte n’est pas partagée par le gourou.

Il est également fait usage de la langue de bois. Les membres de la secte n’hésitent pas à mentir et refusent toute forme d’audit externe qui pourrait contredire les vérités proférées au sein du groupe.

Il est également apparu, au cours de l’enquête, que les adhérents sont obligés de verser leurs biens à la secte. Les dons sont souvent considérables. En s’attaquant aux biens de l’adhérent, on tente de déstructurer sa personnalité en l’insécurisant. Il est forcé de rester au sein de la secte. La personne qui exprime sa volonté d’en sortir devient un objet de haine et est rejetée par le groupe.

En conclusion, on constate, au niveau des actes civils et commerciaux qui sont posés, une soumission aveugle du sujet de droit à une force coercitive, à un tiers dominateur, qui non seulement utilise la crédulité d’autrui mais aussi trompe les membres de son groupe. Il y a déstructuration de la personnalité, violence morale et extorsion.

A la lumière de ces différents éléments, M. Godbille insiste sur la nécessité d’une approche pluridisciplinaire (comme dans le cadre de la grande criminalité), ainsi que d’une centralisation des informations.

Actuellement, aucune section du parquet n’est directement en charge des délits liés aux sectes, si bien qu’on ne peut faire état de statistiques quant à l’ampleur de ce phénomène. Les magistrats et les enquêteurs sont toujours saisis en fonction de l’infraction constatée (atteintes aux personnes, captation d’héritages, enlèvement d’enfants, délits financiers, affaires de moeurs, etc.).

La plupart des dossiers relatifs aux sectes ont dû être classés sans suite faute de priorité et de moyens matériels et humains suffisants. Les enquêteurs disponibles sont commis à d’autres tâches considérées comme prioritaires.

Aucune information en la matière n’a été transmise au témoin par les services de police, de la gendarmerie ou de l’administration fiscale. Il n’y a pas non plus d’échanges de renseignements entre les différentes sections du parquet, les magistrats étant tenus, de par leur fonction, à ne pas divulguer d’informations.

Peu de plaintes sont déposées. Elles sont souvent anonymes, peu précises et peu circonstanciées. Il est toutefois évident que si des dossiers aboutissaient plus souvent, on assisterait sans nul doute à une multiplication du nombre de ces plaintes.

M. Godbille insiste également sur les limites de la territorialité du droit pénal face à une délinquance parfaitement organisée au niveau international.

Compte tenu du fait que ce ne sont pas les sectes qui sont visées en tant que personnes morales, mais les infractions commises par leurs membres, le témoin estime que l’arsenal législatif actuel est suffisant. En ce qui concerne la prévention d’extorsion, il serait cependant particulièrement utile de pouvoir renverser la charge de la preuve, comme cela est déjà le cas dans la législation fiscale en matière d’avanta-ges anormaux et bénévoles.

A la question de savoir s’il a subi personnellement des pressions de la part de certains membres de sectes, M. Godbille répond négativement.

Enfin, le témoin souligne que la prévention et l’information ( 1 ) doivent rester la priorité essentielle, même s’il est évidemment nécessaire de donner aux victimes d’agissements délictueux commis par des sectes les moyens de se défendre efficacement. Toute solution judiciaire n’est, selon lui, qu’un constat de faillite de cette action préventive.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be