L’oratrice a mené durant 12 ans des enquêtes auprès des sectes avec le concours des étudiants en sociologie des religions. Ces derniers ont suivi les activités d’un certain nombre de sectes, de sorte que 103 dossiers ont été constitués dont plus de 90 concernant des mouvements actifs à Bruxelles.

Selon Mme Morelli, il convient de relativiser l’importance du phénomène des sectes. En effet, les leaders des mouvements, les journalistes de même que les associations anti-sectes gonflent le nombre des adeptes.

Les premiers veulent se donner de l’importance, les deuxièmes souhaitent attirer l’attention du lecteur, tandis que les troisièmes visent à obtenir leur reconnaissance assortie de subsides.

De plus, les informateurs de police gonflent également les données statistiques.

Le public-cible intéressant les mouvements sectaires est extrêmement diversifié. Il peut s’agir de jeunes, de familles avec enfants, d’anciens soixante-huitards ou de prépensionnés actifs, par exemple.

L’oratrice estime que le terme " secte " ne doit pas systématiquement être assimilé au terme " danger ".

Il existe un certain nombre de groupes dangereux et l’arsenal législatif dont la Belgique dispose permet de les combattre.

Par ailleurs, Mme Morelli estime que les critères appliqués par la commission d’enquête française présidée par M. Gest ne sont pas objectifs. En effet, certaines affirmations comme, par exemple, " les sectes sont d’apparition récente " ou " ce sont des mouvements religieux de petite taille ", sont dénuées de pertinence.

D’autres sont peu nuancées. A titre d’exemple " les sectes sont liées à des mouvements politiques douteux ". Mme Morelli suppose que l’on veut parler de l’extrême droite. Toutefois, pareille affirmation n’est vraie que pour certains cas.

Le critère relatif à la nuisance est particulièrement complexe à définir. Vise-t-il des personnes s’imposant des mortifications ou adoptant un style de vie peu sain ? Dans l’affirmative, un tel critère s’applique aussi à l’ordre des Chartreux. Dès lors, deux solutions sont envisageables. Soit, on oblige ces personnes à vivre selon les règles sanitaires normales, soit on admet qu’il s’agit d’adultes consentants et qu’ils ne font aucun tort à la société civile.

Le critère des moyens financiers considérables caractérisant certaines sectes nécessiterait un travail de recherche infini.

Dans l’hypothèse où la rupture avec l’environnement familial et l’embrigadement des enfants devaient être retenus, les interventions des autorités seraient innombrables. En effet, dans le deuxième cas, par exemple, les autorités seraient également tenues d’intervenir auprès des groupes charismatiques au sein desquels les parents emmènent leurs enfants.

Le critère de l’infiltration des pouvoirs publics n’est guère praticable. Le témoin considère qu’il est normal sinon légitime que des groupes religieux ou confessionnels tentent d’influencer les décisions politiques.

Enfin, les critères ayant trait à la multiplicité des visages et au langage codé se révèlent inapplicables.

S’agissant des abus tels que l’exercice illégal de la médecine, les escroqueries ou la publicité mensongère par exemple, Mme Morelli estime qu’il convient de mettre en oeuvre la législation existante de manière stricte et sans distinction aux fins de les combattre.

Dès lors, une législation prévoyant des peines à l’encontre de personnes contraignant un individu à faire partie ou à cesser de faire partie d’un groupe religieux n’est par opportune en ce sens qu’elle viserait aussi l’association de défense de l’individu et de la famille (ADIF).

D’autre part, une interdiction de cession de biens à une communauté religieuse ou à une secte serait mise en échec par le biais de montages juridiques.

En conclusion de son intervention, le témoin considère que l’on assiste à une individualisation de plus en plus grande de la religion tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des Eglises. Une législation ne peut modifier cette tendance.

Le président fait observer que Mme Morelli tend à minimiser le phénomène sectaire, dans la mesure où celui-ci serait monté en épingle par les médias. Ce discours accrédite l’idée que le pouvoir politique ne doit pas s’en préoccuper parce qu’il ne pourra le maîtriser. En outre, l’oratrice semble penser que les sectes et les grandes religions ne sont séparées que par une étape historique.

Toutefois, lorsque l’organisation sociale est susceptible d’être perturbée par les sectes, le pouvoir politique est tenu de prendre ses responsabilités. Le président met particulièrement en exergue les hypothèses de meurtres et/ou de suicides.

S’agissant de la distinction à établir entre une secte et une église, le président se réfère à un ouvrage, paru sous l’égide de l’Institut d’Etude des religions et de la laïcité de l’ULB ( 1 ), énonçant l’avis du pasteur protestant, M. Hof :

" Est église tout groupement religieux qui a la prétention d’englober en son sein tous les hommes appartenant à la communauté où il vit.

En droit, tous les hommes appartenant au groupe social au sein duquel vit l’église lui appartiennent aussi. L’église maintient autant qu’elle peut des relations diplomatiques avec l’Etat ; accepte, jusqu’à la limite des concessions possibles, la culture du groupe au sein duquel elle vit, quitte à oeuvrer silencieusement pour la faire évoluer dans le sens de son idéal ".

" Par contre, sont des sectes les groupements protestataires qui n’acceptent point l’espèce de compromis passé entre l’église et la société, entre l’appel religieux et l’ordre social. La secte se présente à ses adeptes comme l’arche au milieu de la tempête, la planche de salut au milieu de la corruption universel-le. Elle ne prétend assurer le salut que d’un petit nombre, d’un reste d’élus, de saints que Dieu a choisi personnellement, individuellement pourrait-on dire, en tout cas un par un. La secte présente un caractère nettement marqué d’exclusivisme, de repli sur soi, de retrait. Entrer dans une secte, c’est se retirer du monde et rompre avec lui. "

" Puisque tous sont élus au même titre, la secte ne comporte pas ou guère de sacerdoce hiérarchique. Tous sont oints et prêtres. L’accent est nettement mis sur l’expérience religieuse ".

Les témoignages recueillis par la commission vont dans le sens de la définition précitée.

D’autre part, les ordres religieux fermés ne se caractérisent pas, semble-t-il, par une mise en cause de la société et de l’Etat ou par une forme de rupture avec le monde.

Mme Morelli observe, en ce qui concerne les suicides collectifs, que la presse a attiré l’attention du public sur les soixante personnes décédées dans le cadre de l’affaire de l’Ordre du Temple Solaire (OTS). Toutefois, à travers le monde, singulièrement en Inde et en Afrique noire, comme en Irlande ou en Israël, des milliers de personnes meurent pour des raisons religieuses et ces faits ne sont plus mis en exergue.

D’autre part, l’on peut se poser les mêmes ques-tions concernant le suicide collectif des juifs de la citadelle de Massada assiégée par les Romains et celui des membres de l’OTS dans la mesure où ces personnes sont présentées comme des " volontaires " au suicide. D’un côté, un discours évoque leur sens admirable de la pureté religieuse. De l’autre côté, l’on parle d’escroquerie et de folie.

Concernant la distinction entre une secte et une église, il y a lieu de relever que l’église chrétienne des premiers siècles correspond à la définition des sectes du pasteur M. Hof dans la mesure où celle-ci n’entretenait pas de bons rapports avec l’Etat, où elle prô-nait une rupture avec le monde et où l’on y constatait une absence de hiérarchie. Au cours des siècles, l’Eglise s’est structurée et a composé avec le monde civil.

Il est facile de tolérer des groupes qui nous sont en fait sympathiques mais cette tolérance doit s’appli-quer évidemment aussi aux groupes qui nous paraissent de par leurs idées " insupportables ", tout en veillant à appliquer les législations en vigueur lorsque ces groupes commettent des abus.

Mme Morelli souligne que tout délit commis par les sectes est susceptible d’être sanctionné par la législation actuelle (détournement de mineurs, captation doleuse d’héritage, escroquerie, publicité mensongère ou exercice illégal de la médecine, par exemple).

En ce qui concerne la protection des mineurs, les interventions par voie d’autorité se justifient. Par contre, l’oratrice estime que l’on ne peut empêcher des majeurs de s’infliger toutes sortes de douleurs, voire de se suicider.

Il faut observer que, s’agissant des enfants nécessitant une transfusion sanguine dont les parents sont Témoins de Jéhovah, une solution est toujours trouvée en Belgique et que jusqu’à présent aucun enfant n’est jamais mort en Belgique pour ces raisons.

A l’égard de la diversité des croyances, la société civile peut adopter deux attitudes : soit elle ne s’en occupe aucunement, soit elle tente d’aménager une convivialité entre les différents groupes, quelles que soient leurs convictions.

Certaines sectes constituent des associations de malfaiteurs dont les responsables utilisent les aspirations religieuses des gens afin de satisfaire leurs intérêts personnels. Toutefois, l’exploitation sur le plan financier est difficile à prouver. En particulier, comment démontrer la mauvaise foi des responsables ?

L’intervenante ne discerne pas les critères qu’il conviendrait de mettre en oeuvre à cet égard.

Quant aux abus sexuels, il y a lieu de poursuivre et de condamner leurs auteurs conformément aux dispositions légales en vigueur.

Concernant les informations recueillies par ses étudiants, Mme Morelli indique qu’elles sont accessibles à la bibliothèque de l’Institut d’étude des reli-gions et de la laïcité de l’ULB. Il s’agit de travaux d’étudiants n’ayant pas fait l’objet de publications. Ces travaux ne mentionnent aucun renseignement relatif au financement des sectes ou à l’utilisation des fonds dont elles disposent.

Par ailleurs, en réponse à une question à ce sujet, le témoin indique qu’elle ne s’oppose pas à l’adoption d’une loi érigeant en infraction l’abus de la faiblesse d’une personne pour autant qu’elle ne vise pas spécifiquement les sectes. Le problème essentiel consiste à définir la notion d’état de faiblesse.

Quant à l’activité de groupements sectaires sur les campus universitaires, Mme Morelli précise qu’un certain nombre de groupes orientaux se développent à l’ULB. Il est légitime d’informer et de s’informer sur la teneur de ces groupes.

En conclusion, le témoin constate que les sectes arborent des visages changeants afin d’approcher les gens et de les rassurer en raison de la publicité négative qui leur est faite par les médias. Il est nécessaire d’informer toutes les classes d’âge, en particulier les jeunes et les personnes du troisième âge. L’information doit être détaillée afin de permettre à chacun de discerner ce qui se cache derrière chaque mouvement.

En réponse à la question de savoir s’il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre les personnes qui ont choisi de vivre une vie d’ascète et celles qui le devien-nent au terme d’une déstructuration psychologique, notamment par le biais d’une privation de sommeil ou d’une alimentation carencée dont elles n’étaient pas prévenues, Mme Morelli fait remarquer que les privations de sommeil et de nourriture (jeûne) sont courantes dans de nombreux groupes religieux.

Elle souligne par ailleurs que la déstructuration de la personnalité au sein des sectes a donné lieu à l’apparition de " déprogrammeurs " dont la mission est en principe de rendre " normal " l’ancien adepte. En réalité, le couple déstructuration/déprogrammation donne lieu à un double lavage de cerveau aussi nuisible dans sa deuxième phase que dans sa première.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be