Sujet : DPS

Audition de : Jean-Louis Arajol, Serge Thilique et Pierre Bargibant

En qualité de : membres du Syndicat Général de la Police

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 3 mars 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Jean-Louis Arajol, Serge Thilique et Pierre Bargibant sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean-Louis Arajol, Serge Thilique et Pierre Bargibant prêtent serment.

M. Jean-Louis ARAJOL : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, le syndicat général de la Police (SGP), depuis sa création en 1924, n’a cessé de mener un combat pour le strict respect des valeurs républicaines, la sauvegarde de la Nation et l’honneur de la police républicaine.

Depuis toujours, nos prises de position sont cohérentes lorsque nous nous érigeons contre toutes les formes de racisme, lorsque nous réclamons et obtenons, avec d’autres, la dissolution du Front National de la Police, lorsque nous condamnons toutes les formes d’intégrisme, de terrorisme et les zones de non-droit et, enfin, lorsque nous demandons, ce qui fait l’objet de notre audition aujourd’hui, la dissolution du DPS.

Cette demande s’appuie sur des faits concrets. Par exemple, à la veille de la manifestation et du congrès du Front National à Strasbourg, le 29 mars 1997, nous réagissons, par un communiqué de presse, en alertant les pouvoirs publics sur les dangers que représente cette milice politique qu’est le DPS, organisée de telle façon qu’elle peut être amenée à exercer la sécurité sur la voie publique, éventuellement à l’aide d’armes comme des bombes lacrymogènes, des barres de fer et autres... Je précise qu’à la veille du congrès de Strasbourg, nous avions demandé une audience auprès du directeur général de la police nationale, pour la bonne et simple raison qu’il était question, pour les représentants du DPS, d’assurer la sécurité de ladite manifestation, non seulement à l’intérieur de la salle de congrès mais également à l’extérieur, sur la voie publique, ce qui nous avait naturellement inquiétés. Le SGP dénonce et refuse qu’une quelconque collaboration ou connivence puisse s’établir de façon forcée avec les forces de l’ordre de la République. Il est également important de rappeler que, le même jour, le SGP, lorsqu’il a été reçu par le directeur général de la police nationale, a demandé l’ouverture d’une enquête sur les agissements du DPS, arguant du fait que, dans une République, il ne devait y avoir qu’une seule police, d’essence civile bien entendu !

Malheureusement, nous sommes obligés de constater que les faits survenus par la suite à Strasbourg, nous ont donné raison puisqu’il y a eu, notamment, usurpation de qualité d’officiers de police judiciaire par les membres du DPS. Depuis lors, les trois membres du DPS arrêtés à Strasbourg ont été condamnés à un an de prison avec sursis pour s’être fait passer pour des policiers : ces faux policiers avaient en effet interpellé deux jeunes, les avaient plaqués contre leur véhicule qu’ils avaient fouillé, se présentant comme des fonctionnaires de police.

Pour prouver la nature factieuse du DPS, il nous est facile de reprendre les propres termes de M. Jean-Marie Le Pen, qui, dans un communiqué de l’AFP daté du 16 avril 1997, déclarait que, si le DPS venait à être dissous, " il appartiendrait à chaque citoyen mis en danger d’assurer sa propre légitime défense. ". Il s’agit bien là, pour nous, d’un aveu de la part des représentants du Front National que le DPS s’approprie des prérogatives des forces de l’ordre républicaines.

Nous ne resterons pas sans rappeler non plus les événements de Montceau-les-Mines où des membres du DPS sont intervenus sur la voie publique, bloquant le passage et privant donc les citoyens de la liberté d’aller et venir. Ces mêmes membres étaient porteurs de casques, de boucliers et de matraques. Dans cette affaire spécifique, la confusion fut totale avec les services d’ordre légaux et républicains ; je veux, bien entendu, parler des compagnies républicaines de sécurité.

Par ailleurs, concernant l’altercation survenue entre M. Jean-Marie Le Pen et la candidate socialiste, à Mantes-la-Jolie, une fois de plus, les agissements de deux membres du DPS ont été déclarés pour le moins indélicats. En effet, le procès a bien fait ressortir la volonté de provocation et de violence qui émanait de ces deux personnes.

Le 18 septembre 1996, un gardien de la paix, en état de légitime défense a blessé par balle un militant du Front National qui tentait de l’agresser à l’aide d’un couteau sur le boulevard circulaire de la Défense, dans les Hauts-de-Seine. Le sous-brigadier concerné était d’origine antillaise et évoluait au sein du service de la brigade anticriminalité de Paris (la BAC 75). Comme il se rendait à son travail et circulait donc vers Paris, voyant un véhicule franchir la ligne continue, il lui adresse des coups d’avertisseur et des appels de phares. Apparemment irrité, le contrevenant immobilise la voiture du policier par une queue de poisson, brandit un couteau et se précipite vers lui en proférant des injures racistes. Manque de chance pour lui, si je puis m’exprimer ainsi, il s’agissait d’un policier dont la tenue de maintien de l’ordre était partiellement dissimulée par une veste mais qui, après avoir évité les coups de couteau, et être parvenu à sortir de son véhicule par la portière passager, a décliné sa qualité de fonctionnaire de police. Rien n’y fait : le contrevenant, qui était accompagné d’un homme et d’une femme, tente à nouveau d’agresser le policier avec son couteau. En état de légitime défense, le policier sort alors son arme de service et blesse son agresseur à la main droite. A l’arrivée du car de police-secours, le sous-brigadier a alors été pris à partie par des amis du conducteur qui le suivaient en voiture. Ces derniers se sont réclamés du service d’ordre du Front National, l’agresseur se trouvant, quant à lui, être le frère d’un dirigeant national du Front National.

Pour mémoire, nous rappellerons également devant la Commission quelques exactions du DPS portées à notre connaissance :

- à Marseille, le 4 avril 1987, affrontements sur la Canebière et ses alentours avec les membres du service d’ordre de M. Jean-Marie Le Pen, coiffés du béret rouge des parachutistes ; un Algérien est blessé à la tête ;

- à Dieppe, le 7 août 1987, durant la campagne électorale, violences avec matraques et bombes lacrymogènes du service d’ordre de M. Jean-Marie Le Pen ;

- à Saint-Malo, également le 7 août 1987, violences avec coups de poing sur les contre- manifestants ;

- à Paris, le 13 mars 1988, incidents avec violences exercées contre des militants du parti socialiste sur un marché de la rue Belgrand ;

- à Gardanne, le 15 mars 1993, lors d’un meeting de campagne électorale sur le marché, après incidents, des membres du service d’ordre du Front National sont poursuivis pour détention d’armes ;

- à Dreux, le 15 septembre 1993, des lance-pierres et des manches de pioche sont découverts dans le véhicule de Mme Marie-France Stirbois ; le conducteur est interpellé par la gendarmerie nationale ;

- à Orléans, le 27 février 1995, condamnation d’un membre du service d’ordre du Front National par la cour d’appel d’Orléans six mois de prison avec sursis pour coups et violences volontaires avec armes (le 6 mars 1993, lors d’un meeting, participation à une fusillade avec fusils à pompe) ;

- à Toulon, le 14 décembre 1995, perquisition et garde à vue de cinq membres du DPS par la police judiciaire, dans le cadre d’une affaire criminelle ;

- à Dole, en juin 1996, durant une campagne électorale, deux équipes du Front National s’affrontent par erreur avec matraques et barres de fer. Elles sont renvoyées dos à dos par le tribunal ;

- à Paris la Défense, le 16 septembre 1996, deux membres du service d’ordre agressent à coups de couteau un policier d’origine antillaise - c’est l’affaire à laquelle je faisais précédemment allusion devant vous - lors d’un contrôle routier ;

- à Montceau-les-Mines, le 27 octobre 1996 - je vous en ai parlé également - à l’occasion de la venue de M. Bruno Gollnisch, secrétaire général du Front National, le service d’ordre est dans la rue, habillé et équipé comme nos collègues des compagnies républicaines de sécurité ; le maire de la ville dépose d’ailleurs plainte pour usurpation d’uniforme ;

- à Strasbourg, en mars 1997, M. Claude Jaffrès, conseiller régional du Front National d’Auvergne est condamné, le 1er avril 1997, pour usurpation de fonctions de police judiciaire et arrestation illégale, à un an de prison avec sursis. Cet élu, aidé de trois acolytes du DPS, avait procédé au contrôle d’identité de deux manifestants ;

- à Vitrolles, le 23 mai 1997, des incidents violents opposent le service d’ordre du Front National et des militants des droits de l’homme ;

- en janvier 1998, M. Bernard Courcelle, responsable du DPS est impliqué dans une sombre affaire de vente d’armes aux Tchétchènes qui ont apparemment payé un million de dollars alors que, ni l’argent, ni les armes n’ont été retrouvés ;

- en février 1998, M. Frédéric Jamet, ancien de l’OEuvre française et ex-secrétaire général du Front National de la Police, autodissous après décision de justice lui déniant la qualité de syndicat, est mis en examen pour association de malfaiteurs.

D’après certaines sources, le DPS disposerait d’un budget autonome, de véhicules, de moyens de transmission propres, de moyens photo et vidéo, ainsi que d’un fichier des opposants au Front National. De plus, il serait constitué en zones de défense comme l’armée.

Pour tous ces faits et pour tous ces motifs, nous demandons donc la dissolution du DPS en application de la loi du 10 janvier 1936.

J’ajoute que, suite à nos informations sur cette organisation, nous avions demandé, comme je vous l’ai dit au début de mon propos, une audience officielle à M. le directeur général de la police nationale. Nous avons appris, par la suite, qu’une enquête avait été diligentée par la direction centrale des renseignements généraux mais nous n’avons plus eu, depuis, d’informations relatives à cette enquête.

M. le Président : Mais vous avez rencontré le directeur général de la police nationale ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Bien entendu, et à plusieurs reprises. M. Claude Guéant, étant à l’époque, directeur général, nous l’avons interpellé sur ce sujet. Il nous a fait savoir qu’une enquête allait être diligentée par la direction centrale des renseignements généraux. Nous avons ensuite demandé à la fois à M. Claude Guéant et à son successeur, M. Didier Cultiaux, où en était cette enquête mais nous n’avons plus reçu aucune nouvelle, bien que nous ayons, bien entendu, interpellé sur ce point les différents ministres qui se sont succédé.

M. le Président : Et quelle réponse a reçu votre demande de dissolution ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous n’avons reçu aucune réponse ! On nous a simplement dit qu’une enquête était en cours et que le fait de connaître l’appartenance de certaines personnes au DPS permettait au moins de les localiser, de les repérer et de mieux les cerner. Mais nous n’avons reçu aucune réponse officielle sur les résultats de cette enquête...

M. le Président : Parmi les questions posées, il y a celle des polices municipales et, notamment, du lien qui peut unir les polices municipales des mairies frontistes au DPS. Avez-vous des éléments particuliers d’information à nous communiquer ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout ce que je peux vous donner, c’est notre appréciation sur le sujet. Lorsque nous nous disons fermement opposés à la prolifération des polices municipales, nous ne mettons pas en cause les élus qui, sous la pression de leurs concitoyens, mettent en place ces polices municipales. Si nous dénonçons le désengagement de l’Etat en la matière, c’est bien parce qu’il nous paraît que moins l’Etat s’engage sur ce sujet, plus les élus sont enclins à installer des polices municipales. Cependant, cette prolifération n’est pas sans risque.

Lorsque les élus des villes, et notamment de certaines d’entre elles aux noms malheureusement célèbres depuis quelques mois, ont à leur botte des policiers municipaux, il peut naturellement se produire des dérives qui sont contraires aux principes mêmes d’une République et d’une démocratie. On a ainsi pu voir ou lire, ici et là, quels sont les agissements de la police municipale de Vitrolles, par exemple.

Dans ces conditions, quelle différence peut-il y avoir entre une police municipale aux ordres d’un élu du Front National et la milice privée du Front National qu’est le DPS ? Pour moi, il s’agit strictement de la même chose ! C’est l’usurpation d’une force qui est, en principe, instituée pour l’avantage de tous par une force instituée pour servir les intérêts particuliers de quelques-uns, quel que soit d’ailleurs le parti auquel ils appartiennent, même si, en l’occurrence, il s’avère qu’il s’agit du Front National.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au cours de nos auditions, il a pu apparaître qu’il existerait, dans certains cas, des connivences entre les policiers et les membres du DPS. D’ailleurs, il me semble que, si deux policiers ont été démis de leurs fonctions, il en reste encore un en exercice, dont il serait prouvé qu’il aurait des activités quelque peu étonnantes. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ces connivences qui pourraient exister, quelques événements donnant à penser que, au cours de certaines manifestations, les policiers ont laissé faire le DPS ? Avez-vous des faits à nous rapporter sur cette question ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Ce que je peux vous dire, c’est qu’il est certain que la police est ce qu’elle est et que des syndicats d’extrême-droite ont existé ou existent en son sein, notamment le Front National de la Police.

Je veux dire par là que l’extrême-droite et le Front National avait, bien entendu, des ramifications très importantes au sein de la police nationale : on l’a vu, non seulement avec la création du Front National de la Police, mais également plus tard, avec la multiplication d’organisations syndicales, notamment le SPPF - Syndicat professionnel des policiers de France - qui aujourd’hui n’existe plus, mais aussi Solidarité Police, syndicat qui provenait d’une scission de la FPIP (Fédération Professionnelle Indépendante de la Police) qui est, à nos yeux, un syndicat d’extrême-droite dont les liens avec le PNFE - je mentionne pour mémoire les attentats contre le foyer SONACOTRA de la Côte-d’Azur - ne sont plus à démontrer !

L’extrême-droite ayant donc des ramifications, y compris syndicales, donc organisées, au sein de la police nationale, il est possible - je dis bien il est possible car je ne peux pas attester, preuves à l’appui, de tels faits - que certains " collègues ", si j’ose encore les appeler ainsi, aient parfois eu des comportements très laxistes dans certaines manifestations vis-à-vis des éléments du DPS et des fascistes du Front National.

Je vais prendre un exemple concret qui a eu un grand retentissement : celui de ce " collègue " des compagnies républicaines de sécurité qui ne s’est pas contenté de saluer un personnage haut en couleurs du Front National mais qui lui a serré la main en lui présentant ses voeux de complet bonheur et de totale réussite. Ce " collègue " a d’ailleurs fait, je crois, l’objet de mesures disciplinaires puisque, si mes souvenirs sont bons, il a été, sinon révoqué de la police nationale, du moins sévèrement sanctionné.

Il se peut donc très bien qu’existent certains liens, comme il en existait à une autre époque avec d’autres structures d’ailleurs, entre ces organismes paramilitaires ou en tout cas parallèles, et la police nationale. C’est un fait ! Cela étant, vous me permettrez d’ajouter que, si de telles ramifications existent, elles n’existent pas qu’à la base mais à tous les niveaux de responsabilité et à tous les grades du ministère de l’Intérieur...

M. André VAUCHEZ : On comprend à quel point est pernicieuse, au regard du fonctionnement de la police, cette gangrène extérieure qui pénètre, comme elle le fait dans le reste de la société, votre organisation professionnelle. Vous avez, à plusieurs reprises, indiqué que vous aviez demandé la dissolution du DPS et je crois que notre rôle ici est, effectivement, de faire en sorte que ce groupement disparaisse, s’il satisfait aux critères définis par la loi de 1936.

En matière d’usurpation d’uniforme et de fonction, vous avez signalé des faits précis dont je pense qu’ils nous seront très utiles, mais connaissez-vous également des cas où les victimes de tels agissements ont porté plainte et où les jugements ont conclu au caractère pernicieux de l’action du DPS ?

M. Serge THILIQUE : Tout simplement à Strasbourg où les deux personnes interpellées ont déposé plainte contre les membres du DPS qui ont, ensuite, été condamnés par le tribunal de Colmar pour usurpation de qualité et de fonction d’officier de police judiciaire, ce qui est très important.

M. Jean-Louis ARAJOL : Ce que je peux aussi vous dire, c’est que, lors des événements de Montceau-les-Mines auxquels j’ai fait allusion, il est très clair que les membres du DPS étaient revêtus de tenues prêtant à équivoque parce qu’elles pouvaient être confondues avec celles de nos collègues CRS. Ils portaient des casques et des uniformes de couleur bleu marine du type de ceux qui sont utilisés par nos collègues en charge du maintien de l’ordre, ils avaient des matraques et étaient, de toute évidence, entraînés et préparés à des manifestations de type anti-émeutes ou autres : c’était très clair !

M. Robert GAÏA : Qui a déposé plainte ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je crois que c’est le maire de Montceau-les-Mines.

M. Robert GAÏA : Et quelle a été la réaction de votre organisation syndicale ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons dénoncé la similitude qu’il pouvait y avoir entre cette milice et les forces républicaines de sécurité de ce pays.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans votre réponse à ma question précédente, vous avez précisé qu’il pouvait y avoir des connivences à la base mais aussi à tous les grades du ministère de l’Intérieur. Pouvez-vous rentrer dans le détail et aller plus loin, puisque votre audition se fait sous le régime du secret ?

Par ailleurs, pensez-vous qu’il y ait eu des connivences entre la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et le DPS ? Enfin, pensez-vous qu’un certain nombre de faits, tels que par exemple, certains hold-up, certains braquages perpétrés contre les convoyeurs de fonds puissent avoir une relation avec le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : La société ACDS, notamment ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Voilà !

M. Jean-Louis ARAJOL : Oui. je vous ai parlé tout à l’heure de M. Frédéric Jamet qui était un membre éminent du Front National et qui siégeait d’ailleurs dans les instances paritaires de la police. Il était, je crois, à l’origine, affecté aux renseignements généraux, de surcroît à un poste clé, de la préfecture de police et avait donc accès à un certain nombre d’informations, pour le moins importantes et confidentielles. Vous n’ignorez pas qu’il a, par la suite, fait l’objet d’une poursuite et d’une incarcération au motif qu’il travaillait, je crois, pour la mafia calabraise... Je pense qu’il y avait un lien entre certains braquages et le système mafieux. C’est là un fait précis.

M. le Président : Vous faites allusion à l’affaire de février 1998 ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait !

M. le Président : C’est là où l’on a saisi 120 kilos de tolite ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Exactement !

M. Pierre BARGIBANT : J’ajouterai simplement, monsieur le Président, que la position qu’occupait, à l’époque, M. Frédéric Jamet était très importante puisqu’il rédigeait, à l’intention du directeur des renseignements généraux, l’ensemble des notes de synthèse qui concernaient les Renseignement généraux de la préfecture de police de Paris ! (Rires).

M. Jean-Louis ARAJOL : C’est vrai !

M. le Président : Si je comprends bien, nous allons devoir le faire sortir de prison pour nous procurer les notes de synthèse que nous cherchons toujours !(Sourires.)

M. Jean-Louis ARAJOL : Il doit probablement en avoir connaissance, monsieur le Président.

M. le Président : Il s’agit bien de ce M. Frédéric Jamet qui était président du Front National de la Police ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait. C’est l’un de ses fondateurs.

M. le Président : Et quelles étaient exactement ses fonctions ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Il était aux renseignements généraux de la préfecture de police de Paris. Il était officier de police.

M. le Président : Serait-il possible d’avoir des précisions sur les périodes durant lesquelles il a exercé ces responsabilités ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je pense que les services de la préfecture de police seront tout à fait disposés à vous les communiquer.

M. Serge THILIQUE : Cela doit remonter aux années antérieures à 1995.

M. Jean-Louis ARAJOL : Si je puis me permettre de revenir à la question qui m’a été posée, et sans vouloir aller trop loin, je dirai que j’ai commencé à faire mes armes syndicales en 1985-1986, dans un service qui couvrait le deuxième arrondissement de Paris. Lorsque j’y ai assumé ce mandat de délégué syndical, la section du deuxième arrondissement était composée à 75 % de membres de la FPIP. Messieurs Reynès et Cirisotti, ceux-là même qui ont été inculpés dans l’affaire des foyers SONACOTRA de la Côte d’Azur à laquelle j’ai fait allusion, en faisaient partie. Pour avoir mené un combat contre ces gens-là, je connais un peu leur manière d’être, leur manière d’agir et de procéder.

Je me permettrai d’établir une sorte de comparaison entre ce que j’ai pu connaître, à l’époque, et ce que je découvre aujourd’hui, à travers le DPS. Il y avait alors, dans la police nationale, outre le service d’action civique (SAC), des groupes de collègues, qui, avec des officiers et des commissaires, se réunissaient le week-end - c’est toujours le cas aujourd’hui, il faut le savoir - dans les forêts avoisinant la région parisienne pour y jouer à la " guéguerre militaire " avec des pistolets à peinture... Pour ma part, j’ai toujours été choqué par ce genre de pratiques car, si l’on peut être tenté par le sport le week-end, ce genre de sport qui consiste à recruter à l’intérieur des commissariats des policiers républicains pour faire en sorte qu’ils deviennent des soldats, non pas au sens positif mais négatif du terme, me semble pour le moins curieux.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Pour être clairs, je pense que vous voulez parler de la forêt de Fontainebleau...

M. Jean-Louis ARAJOL : Entre autres, mais comme je n’ai jamais participé à ce genre d’activités, je ne sais pas très bien où elles se déroulent.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Cela signifie qu’il y aurait, le week-end, des activités d’entraînement à " la guéguerre ", pour reprendre votre formule. Avez-vous la possibilité de dénoncer ce genres de pratiques et, si oui, l’avez-vous fait ? Relèvent-elles véritablement du domaine privé, auquel cas vous n’avez aucune marge de manoeuvre ? J’aimerais savoir ce qu’il en est car, apparemment, beaucoup de gens sont au courant de la situation mais rien ne change...

M. Jean-Louis ARAJOL : Je crois que ce qui est le plus difficile pour un syndicaliste républicain dans la police nationale, c’est précisément de dénoncer de tels faits.

Je peux vous dire que, lorsque j’ai monté ma section syndicale, toujours sur le deuxième arrondissement, j’ai dénoncé, par rapport écrit, certains propos racistes et antisémites tenus à l’encontre d’un directeur et de M. le Président de la République

 François Mitterrand, à l’époque - ainsi que des saluts hitlériens effectués pendant les appels. Mais le problème tient au fait que de telles affaires durent très longtemps et que tout est mis en place pour que celui qui accuse se retrouve le plus souvent en situation d’accusé et de coupable. Il a fallu, à l’époque, toute la pugnacité de mon organisation syndicale, de M. Bernard Deleplace qui était, à l’époque, secrétaire général de la FASP - Fédération autonome des syndicats de police - et du SGP et de M. Richard Gerbaudi, pour me soutenir dans cette affaire et faire en sorte, non seulement que je ne sois pas inquiété mais aussi que les protagonistes et auteurs de tels comportements soient sanctionnés. Je ne vous cache pas que cela a été très difficile d’autant que, vous le savez, l’omerta policière, savamment entretenue par une certaine hiérarchie et par l’administration, fait qu’il n’est jamais bon pour un policier de dénoncer les comportements de ses collègues, même s’il apparaît qu’ils sont indignes d’un policier républicain.

M. le Président : On a cru effectivement le comprendre à travers plusieurs auditions !

M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur Arajol, nous avons sans doute, comme vous, le désir d’obtenir la dissolution du DPS. Pour y parvenir, il nous faut nous appuyer sur la loi du 10 janvier 1936 et, évidemment sur des faits concrets. En conséquence, il est nécessaire de prouver, par exemple, aux termes de la loi, qu’il s’agit d’un groupe de combat. Puisque vous avez évoqué à plusieurs reprises la question des armes, vous serait-il possible d’apporter des informations plus précises à la Commission sur ce sujet qui paraît essentiel ?

Par ailleurs, vous avez parlé d’entraînements dans la forêt de Fontainebleau. Serait-il possible d’approfondir la question et y a-t-il des connivences entre les sociétés de tir, de gardiennage et le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Vous vous doutez bien que si j’avais des preuves rationnelles en nombre à vous fournir, je le ferais avec grand plaisir. Le problème, c’est que, dans ce genre d’affaires, on en est réduit à faire des supputations par crainte d’avancer des choses qui ne seraient pas réelles.

En revanche, je peux vous dire qu’il y a, comme chacun le sait, des centres de tir fréquentés à la fois par des policiers, des convoyeurs de fonds et des membres du DPS. Pour notre part, nous avons d’ailleurs dénoncé le fait qu’à une certaine époque - une proposition de loi de M. Bruno Le Roux a d’ailleurs été adoptée sur ce sujet en première lecture à l’Assemblée nationale - il était possible de se procurer une arme sur simple inscription à un centre de tir. Il est clair que les membres du DPS s’entraînaient dans de tels clubs et qu’ils y côtoyaient donc d’autres personnes, qu’il s’agisse de policiers ou d’éléments de la société ACDS, société de sécurité privée et, plus précisément, de convoyage de fonds. Mais je n’ai pas en ma possession d’éléments précis avec des noms à la clé et des preuves concrètes démontrant que tel membre du DPS ou tel autre s’entraînerait au tir à tel endroit ou compterait tel policier au nombre de ses proches : je ne peux rien affirmer parce que je n’ai aucune preuve !

M. le Président : Sur ACDS, pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Non, si ce n’est que c’est une société qui, je crois, s’est trouvée mêlée plusieurs fois à des affaires de braquages, à des hold-up. On sait aussi pertinemment que cette société recrutait dans des milieux pour le moins extrémistes, notamment d’extrême-droite ! Cela étant, bon nombre de policiers qui sont révoqués de la police nationale sont ensuite enclins à exercer des activités dans les sociétés de sécurité privées.

M. Pierre BARGIBANT : J’aimerais simplement ajouter une petite chose, à savoir que nous sommes des fonctionnaires de police, des " flics ", qui, souvent, réagissent et agissent en fonction de présomptions et ne peuvent avoir des preuves flagrantes qu’au cours d’une enquête. En l’occurrence, nous sommes aussi des syndicalistes et, comme le rappelait précédemment Jean-Louis Arajol, il est très difficile pour nous, syndicalistes policiers, de briser l’omerta policière : nous n’avons pas peur de nous exprimer là-dessus.

Pour autant, il est quelque chose qui me surprend : lorsque, au départ, nous avons dénoncé le DPS - nous avons été le premier syndicat policier à le faire et à réclamer sa dissolution -, nous avons interpellé, sur la base de présomptions et de faits qui nous semblaient troubles, le ministre de l’Intérieur, M. Jean-Louis Debré, ce qui l’a conduit à ouvrir une enquête des renseignements généraux. Or, si un ministre de l’Intérieur décide d’ouvrir une enquête des renseignements généraux sur une organisation telle que le DPS, c’est bien parce que ses présomptions l’amènent, lui aussi, à croire qu’il y a quelque chose à aller chercher.

En ce qui nous concerne, nous souhaitons donc, ainsi que Jean-Louis Arajol l’a dit tout à l’heure, avoir connaissance des conclusions de cette enquête et pas simplement concernant les structures du DPS - puisqu’elles sont clairement établies et qu’on trouve son organigramme dans tous les journaux - mais aussi sur les missions qui lui sont confiées, les moyens qui lui sont attribués, qu’ils soient financiers, humains, ou en matériels...

M. Jean-Louis ARAJOL : Si vous voulez, pour être encore plus clairs, nous avons parfois l’impression qu’il est plus facile de mener une enquête sur un dirigeant syndical que sur les membres du DPS... ( Sourires.)

M. Jean-Pierre BLAZY : Vous n’avez pas connaissance de ce rapport commandé par M. Jean-Louis Debré ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous n’en avons jamais eu connaissance. Je tiens à préciser que nous avons demandé, à nouveau, à M. Jean-Pierre Chevènement et au successeur de M. Claude Guéant où en était le rapport, ce qu’il advenait de l’enquête menée par la direction centrale des renseignements généraux sur cet organisme, si même elle avait été conduite et par qui. Mais, sur tout cela, nous ne savons rien !

M. Jacky DARNE : Dans votre exposé liminaire, vous avez dit que " d’après certaines sources ", le DPS disposerait de l’autonomie financière, de moyens de transmission et de véhicules. A un autre moment, vous avez évoqué un trafic d’armes avec la Tchétchénie, ce qui, au regard de la loi, constitue un des éléments permettant de caractériser un comportement justifiant une dissolution. Ces sources, un peu abstraites, auxquelles vous faites référence peuvent-elles être précisées ? En effet, comme le disait mon collègue, si nous ne disposons pas de faits, d’autres peuvent, eux, en avoir : vous-même, comment êtes-vous informés et par qui ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Comme tous ceux, je crois, qui peuvent s’intéresser de près au sujet, nous avons collecté toutes les informations que nous avons pu trouver dans la presse et notamment dans les communiqués AFP. Nous avons ainsi réalisé deux dossiers que nous vous remettrons d’ailleurs à l’issue de cette audition et qui nous ont permis de nous interroger sur les agissements et les comportements du DPS.

M. Jacky DARNE : Et sur la Tchétchénie, par exemple ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Même chose !

M. Pierre BARGIBANT : Je mentionnerai simplement, sur ce problème de la Tchétchénie, un fait qui nous a choqués et que nous avons entendu lors d’une audience d’un procès qui est en cours : on a trouvé au domicile de M. Frédéric Jamet, que nous avons cité précédemment, lors de la perquisition qui a suivi son interpellation, la photocopie d’un chèque d’un million de deutsche marks émis sur une banque de Zagreb. On est en droit, non seulement en tant que citoyen mais en tant que policier, de penser qu’il y a là quelque chose qui n’est pas normal et qui cloche... Je n’assure rien et je m’interdis de le faire parce que je n’ai pas de preuves flagrantes. Mais on peut se poser la question de savoir comment la photocopie d’un chèque d’un million de deutsche marks tiré sur une banque de Zagreb a pu être retrouvé au domicile d’un fonctionnaire de police qui était alors en activité, à la suite d’une interpellation pour un vol à main armé et la découverte de 120 kilos d’explosifs... Je pose la question mais je n’ai pas de moyens d’investigation.

M. le Président : Dans une affaire de vol à main armée, dites-vous ?

M. Pierre BARGIBANT : Oui, chez M. et Mme Pétrossian.

M. Robert GAÏA : Il y a effectivement eu un braquage chez Pétrossian où tout le monde sait qu’il n’y avait pas d’argent en caisse puisque la majorité des clients paient par chèques ou carte bleue. En tout cas, telle est l’information qui m’est parvenue de diverses sources et en particulier des journalistes qui n’excluaient pas l’éventualité d’un lien avec la mafia russe ou autre...

M. le Président : Et le braquage a été commis par M. Frédéric Jamet ?

M. Pierre BARGIBANT : Oui, et par son équipe composée de fonctionnaires de police dont un commandant et un lieutenant ou capitaine de police.

M. Robert GAÏA : Les grands points d’interrogation, c’est que tout le monde sait qu’il va y avoir un braquage et que, lors du braquage, les malfaiteurs ne ramassent pas d’argent !

M. Pierre BARGIBANT : Ils ont pris une boîte de caviar... Mais c’est à la suite de ce braquage que l’on a découvert la photocopie du chèque et les 120 kilos d’explosifs que j’ai évoqués : c’est pourquoi j’établis une relation entre les faits !

M. Robert GAÏA : Je suis étonné de vous en entendre parler parce qu’au niveau de la police, généralement, on ne connaît pas l’affaire Pétrossian... C’est bien que vous la connaissiez, vous, à la base !

M. Pierre BARGIBANT : C’est également là que l’on parle de la mafia calabraise et des ramifications qui existaient à l’époque.

M. le Président : Avec M. Frédéric Jamet et son équipe ?

M. Pierre BARGIBANT : Tout à fait !

M. Robert GAÏA : Vous avez dit que le ministre de l’Intérieur, M. Jean-Louis Debré, avait diligenté une enquête des renseignements généraux, mais comment le savez-vous ?

M. Jean-Louis ARAJOL : De manière tout à fait officielle.

M. Robert GAÏA : Officiellement, mais encore ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons, la veille des événements de Strasbourg, - je rappelle les faits de manière précise - demandé en urgence une audience auprès du directeur général de la police nationale qui était M. Claude Guéant. Il nous a reçus, je dirai de mémoire, à dix-huit heures et nous lui avons fait savoir que nous avions appris que le DPS, fort de je ne sais combien de centaines de membres, allait assurer une mission de sécurité sur la voie publique, lors du congrès du Front National, qu’à nos yeux, au vu de la manifestation contre le Front National qui avait été décidée, ce jour-là, sur place, il y avait des risques de débordements et nous avons demandé à M. le directeur général ce qu’il pensait faire. Il a répondu, comme le ferait d’ailleurs n’importe quel directeur général, que les renseignements généraux étaient en train d’accomplir un travail d’investigation pour savoir dans quelles conditions allait se dérouler la manifestation et que tout le dispositif était en place afin d’éviter les débordements. Nous avons, alors, demandé à M. le directeur général, de manière officielle, en audience syndicale - nous avons d’ailleurs fait ensuite, un communiqué de presse et, à l’intention de nos adhérents, un compte rendu d’audience, pour le souligner - de diligenter une enquête sur cet organisme car les services de police sont parfois très performants pour faire la lumière sur certaines affaires.

Je pense donc que, concernant cet organisme, avec tout ce qui a pu ressortir en termes de faits, d’agissements et d’affaires, y compris médiatiques, il était facile pour une direction centrale de renseignements généraux, de commander une enquête et de recueillir un maximum d’informations pour savoir trois choses simples : premièrement, si oui ou non, cette milice de sécurité privée dispose d’un budget autonome ; deuxièmement, comment elle recrute ses membres et, troisièmement, si ces derniers sont armés et entraînés.

J’estime que, sur ces trois points, nous étions en droit, en tant que syndicalistes, d’obtenir des réponses précises.

M. Robert GAÏA : Tel n’est pas l’objet de ma question monsieur Arajol : aujourd’hui, j’apprends que c’est vous qui avez diligenté l’enquête des renseignements généraux ! Vous nous avez dit : " Le ministre de l’Intérieur a diligenté une enquête des renseignements généraux ". Comment savez-vous que le ministre de l’Intérieur a diligenté une enquête des renseignements généraux ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Cela nous a été dit officiellement par le directeur général de la police nationale de l’époque !

M. Robert GAÏA : Quand ?

M. Jean-Louis ARAJOL : En audience !

M. Robert GAÏA : Vous avez un compte rendu d’audience à nous fournir ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Oui, nous devons en avoir un exemplaire que nous vous communiquerons, naturellement.

M. Robert GAÏA : Merci ! Par ailleurs, je comprends parfaitement ce que vous qualifiez " d’omerta " de la police, mais ces derniers temps, vous avez été beaucoup plus prolixe sur la gendarmerie et puisque, là, il n’y a pas d’omerta, je voudrais que vous nous parliez des liens entre la sécurité militaire, la gendarmerie, le monde de la défense et le DPS.

M. Jean-Louis ARAJOL : C’est très simple ! J’ai précisé, tout à l’heure, notre position sur les polices municipales et je veux profiter de ce lieu pour m’exprimer une nouvelle fois sur le sujet. Nous avons fortement débattu des problèmes police-gendarmerie lors de la publication du rapport établi par MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, concernant la fameuse histoire du redéploiement des forces de police et de gendarmerie qui, vous le savez, a fait couler beaucoup d’encre ! Vous connaissez mon opinion sur le sujet mais tel n’est pas l’objet de cette Commission...

Il faut savoir, néanmoins, que, pour ce que nous concerne, contrairement à ce que certains laissaient entendre en déclarant que les syndicats de policiers étaient hostiles à la gendarmerie, nous n’avons rien contre nos collègues gendarmes, bien au contraire. Je me suis exprimé à plusieurs reprises devant les médias pour dire que ces derniers étaient également confrontés à des difficultés dans leur travail, qu’ils avaient également de moins en moins de facilités pour l’accomplir, et qu’ils étaient " mangés à toutes les sauces ", si vous me permettez cette expression, en termes d’horaires et d’effectifs ce qui rendait leur tâche très difficile. J’ignore donc pourquoi il y a eu une volée de bois vert du ministère de la Défense. Pour bien préciser notre position sur le papier, il est vrai que j’ai alors rédigé une lettre ouverte aux gendarmes de base, distribuée par nos collègues délégués du syndicat général de la police (SGP), pour exposer nos souhaits. Même si, actuellement, nous essayons de recueillir plusieurs informations sur cette question, je peux vous dire qu’à cette époque-là, la direction de la protection et de la sécurité de la défense nationale (DPSD), aurait été - je dis bien aurait été - saisie de l’affaire. Ce que je peux vous assurer, c’est que j’ai reçu un courrier du directeur général de la police nationale me menaçant d’une ouverture d’information judiciaire pour appel à la subversion et je peux attester également que les délégués du SGP ont été entendus tout simplement parce qu’ils distribuaient des tracts. Cela a notamment été le cas en Ardèche.

Pour le reste, et notamment sur les agissements de l’organisme que vous avez évoqué, je laisse faire les choses et j’espère de tout coeur, dans les mois à venir, avoir plus de précisions et de preuves pour mieux connaître sa manière de fonctionner. Dans cette affaire, en tout cas, il pourrait être opportun pour la Commission - je me permets de lui faire cette suggestion - de demander à M. le directeur général de la police nationale, M. Didier Cultiaux, qui, suite à cette affaire, m’avait interpellé sur les réactions dudit organisme, comment et pourquoi il se réunissait pour un fait qui n’était finalement qu’un fait syndical.

M. le Président : " Cet organisme " : vous voulez parler de la DPSD ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait ! Pour ma part, je suis surpris et très franchement, j’ignorais l’existence de cet organisme.

M. le Président : Et vous avez été concerné ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons eu, comme je vous l’ai dit, une entrevue avec M. Didier Cultiaux, directeur général de la police nationale, qui, après m’avoir rencontré pour me dire de ne pas me formaliser mais qu’il était obligé de m’adresser une lettre, m’a demandé de faire cesser ce courrier - qui n’était pourtant pas un appel à la révolution armée dans la gendarmerie - parce que, au ministère de la Défense... Pour le reste, je ne dispose d’aucune preuve. J’ai entendu dire que certains numéros d’immatriculation, dont le mien, étaient distribués dans toutes les gendarmeries de France. J’ai entendu dire ceci ou cela mais ce ne sont que des supputations.

M. Robert GAÏA : Nous nous éloignons là du DPS ! On nous dit que M. Bernard Courcelle émarge à la sécurité militaire...

M. Jean-Louis ARAJOL : Là-dessus, je ne pourrai rien vous dire !

M. le Président : Mais l’intervention de la DPSD touchait votre action syndicale concernant les problèmes de redéploiement de la police et de la gendarmerie et ne concernait pas le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : C’est cela. En tout cas, pas directement, que je sache. Tout s’est déclenché au moment de la polémique sur le redéploiement police-gendarmerie.

M. le Président : Si nous vous interrogeons dans ces termes, c’est à la suite d’auditions au cours desquelles la question a été posée de la surveillance par la DPSD d’un certain nombre de personnes qui travaillent sur la question du DPS. Comme vous avez eu maille à partir, par votre directeur interposé avec la DPSD, nous voulions savoir si ce problème tenait au DPS ou à une autre question. Manifestement, il est lié à la question du redéploiement des forces de police et de gendarmerie.

En revanche, il serait utile que vous nous indiquiez très précisément la date de l’audience au cours de laquelle on vous a dit qu’une enquête avait été diligentée par le ministre de l’Intérieur puisque nous le recevons la semaine prochaine. En effet, cette affaire a été pour nous un serpent de mer puisque, dans un premier temps, on nous a dit qu’il n’y avait pas de rapport ; puis, dans un deuxième temps, qu’il existait mais sous la forme d’un simple assemblage de notes de synthèses dont on apprend d’ailleurs qu’elles sont, pour une part, l’oeuvre de M. Frédéric Jamet... Enfin, que ce rapport allait nous être fourni comme un rapport d’étape alors que vous prétendez, vous, qu’un rapport vraiment spécifique a été demandé.

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons demandé, nous, qu’une enquête soit menée sur le DPS. On nous a répondu que la direction centrale des renseignements généraux diligentait une enquête.

M. Robert GAÏA : Sur ordre du ministre de l’Intérieur ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je pense que lorsqu’un directeur ordonne une enquête à la direction centrale des renseignements généraux, il ne le fait pas sans l’aval du ministre de l’Intérieur : cela va de soi ! Après, malgré nos relances, nous n’avons été tenus au courant de rien !

M. le Président : Vous n’avez jamais vu le rapport ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Jamais : pas une ligne, pas une trace...

M. le Président : Nous avons vu, hier soir, un rapport dont on nous disait qu’il n’existait pas ou sur lequel nous obtenions des réponses confuses : il est assez volumineux mais c’est un autre rapport, qui concerne les sociétés de gardiennage. Concernant la date de l’audience, pourriez-vous nous donner plus de précisions ?

M. Jean-Louis ARAJOL : C’était la veille du congrès du Front National à Strasbourg, le 28 mars 1997. L’audience a eu lieu à dix-huit heures, le vendredi, et c’est là que l’on nous a appris qu’une enquête était diligentée par les renseignements généraux.

M. Robert GAÏA : Mais sur Strasbourg ou en général ?

M. Jean-Louis ARAJOL : En général ! Et il me semble m’être entretenu de ce sujet avec M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, qui m’a confirmé le fait que ses services y travaillaient. Mais j’ignore sur quoi ces travaux ont débouché...

M. Serge THILIQUE : Monsieur le Président, je souhaiterais préciser un point qui me semble important.

Tout à l’heure, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a posé une question sur d’éventuelles connivences à un haut niveau. Sans parler de connivences, nous disions qu’il était déjà difficile pour nous, même en qualité de syndicalistes, de dénoncer certaines pratiques, mais il faut savoir que lorsque nous le faisons, nous avons l’impression de ne pas être suivis. Par exemple, lorsque le Front National de la Police s’est présenté aux élections professionnelles en 1995, nous avons, à l’époque, interpellé le ministre pour dire que nous ne comprenions pas qu’un syndicat, contrairement aux textes en vigueur, puisse se présenter sous le sigle d’un parti politique : rien n’a été fait ! Pourtant, il était simple pour le ministre de dire aux intéressés qu’ils n’avaient pas le droit de se présenter sous ce sigle et qu’ils devaient en choisir un autre... Bref, rien n’a été fait, en dépit de toute notre insistance et il a fallu que nous allions nous-mêmes devant les tribunaux pour faire en sorte que les choses bougent.

M. Jean-Louis ARAJOL : Et aux dernières élections c’était pareil !

M. Serge THILIQUE : Effectivement ! Ensuite, il y a eu ce fameux rapport qui a été diligenté, depuis maintenant deux ans, mais qui n’arrive toujours pas. Donc, il est vrai que nous avons vraiment l’impression, sans parler de connivence, d’un certain laisser-faire. Il y a peut-être des intérêts qui sont, certes, importants mais nous aimerions que l’on nous informe, même si certaines choses peuvent être dites et d’autres non.

M. Jean-Louis ARAJOL : Dans le même registre, même si cet élément n’est pas directement lié au DPS, j’ajouterai que, lors des dernières élections, bien que la loi Perben puisse être appliquée différemment en fonction du corps, nous avons très vite pris conscience, sur la base d’estimations, que nous allions institutionnaliser l’extrême-droite dans les instances paritaires de la police nationale. Je suis intervenu en demandant une audience personnelle à M. le ministre de l’Intérieur. Je lui ai dit qu’il allait avoir le Front National comme une verrue sur le visage et que, tout ministre républicain qu’il était, il resterait comme celui qui a institutionnalisé l’extrême-droite dans les instances paritaires. Rien n’y a fait ! Le système de scrutin a été mis en place tel quel alors qu’on aurait pu appliquer différemment la loi Perben et, aujourd’hui, l’extrême-droite siège dans un bon nombre d’instances paritaires départementales et nationales au CTPC (Comité technique paritaire central) et au comité technique paritaire ministériel, alors que nous aurions parfaitement pu épargner ce genre d’épreuves à la police nationale.

M. Jean-Pierre BLAZY : Lorsque vous dites l’extrême-droite, vous voulez parler de la FPIP, mais elle existait déjà...

M. Jean-Louis ARAJOL : Elle ne siégeait pas au sein du comité paritaire central et ministériel, alors qu’aujourd’hui, bon nombre de ses représentants siègent dans les instances paritaires ce qui signifie qu’ils ont des jours de détachement et qu’ils sont reconnus institutionnellement ! Et je regrette que cela se soit fait sous le ministère de M. Jean-Pierre Chevènement, malgré nos recommandations.

M. Robert GAÏA : Dans un commissariat que je connais bien, dans le Sud de la France, des tracts du Front National ont été distribués en pleine campagne électorale, au poste de commandement, par l’intermédiaire de syndicalistes de la FPIP. Quelle a été votre réaction à l’époque puisque, d’après ce que j’ai vu, l’enquête de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) a conclu qu’il ne s’était rien passé ? Je ne sais si c’est à l’omerta de la police qu’il convient d’attribuer ce silence assourdissant...

M. Jean-Louis ARAJOL : Les appels à la violence policière ne sont pas le fait de ce syndicat uniquement et je peux vous dire que pour ce qui nous concerne, nous les dénonçons systématiquement, comme cela a été le cas récemment dans l’Est !

M. Robert GAÏA : J’insiste surtout sur le fait que ces tracts ont pu être distribués dans l’enceinte du commissariat...

M. Jean-Louis ARAJOL : Absolument ! Malheureusement, nous ne sommes pas toujours maîtres de notre appareil et nous-mêmes, au SGP, avons subi un préjudice énorme du fait qu’un de nos délégués, qui était le délégué d’un service de sept à huit personnes à Paris, a sorti un tract, sans l’aval du bureau national, avec prose antisémite à la clé. Nous ne sommes donc pas à l’abri de ce genre d’agissements. Cependant, la FPIP est un syndicat reconnu d’extrême-droite : M. Philippe Bitauld n’est quand même pas un républicain ou cela se saurait !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Quel est le comportement de ces personnes dans le cadre de la commission paritaire ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Un comportement odieux, hautain. Lors d’une des dernières instances paritaires nationales, au cours de laquelle a été abordée la question des emplois-jeunes, dont vous savez ce que pense - j’estime que c’est faire une police au rabais, qu’il est même dangereux pour les jeunes concernés de se retrouver au bout de six semaines, sans aucune formation, en possession d’une arme et qu’il aurait mieux valu les embaucher au titre de policiers nationaux - nous avons eu un débat. M. Philippe Bitauld a pris la parole pour dire que la police nationale était méconnaissable aujourd’hui, qu’on la tirait par le bas, que les nouveaux arrivés étaient tous des beurs, etc.. Ce qui m’a le plus choqué, - et je pense que le procès-verbal de la commission administrative paritaire peut l’attester -, c’est que personne n’a réagi et qu’il m’a fallu prendre la parole dans cette instance paritaire nationale pour dire que ceux qui ont tiré la police par le bas depuis des années, ce sont les barbouzes et ceux qui ont mélangé les affaires liées à des organismes privés et la mission d’essence républicaine de la police nationale.

Ce représentant syndical a un comportement hautain et s’il pouvait nous fusiller du regard, il le ferait mais nous y sommes habitués. Il est là, il siège comme tout un chacun, il interpelle le directeur général et le directeur de l’administration et fait des interventions à caractère beaucoup plus politique que syndical.

M. Pierre BARGIBANT : Juste une petite précision qui figurera dans le document que je vous remettrai, monsieur le Président : la fameuse audience avec le directeur général s’est déroulée le 27 mars 1997 à dix-huit heures quinze. De plus, je joindrai au document un article de France-Soir, en date du 17 avril 1997, dans lequel il est indiqué que M. Jean-Louis Debré a demandé une enquête précise sur les agissements du DPS

M. Jean-Louis ARAJOL : Enfin, monsieur le Président, il me paraît important, par rapport au DPS, de souligner que, suite à notre action, M. Nicolas Courcelle, frère de M. Bernard Courcelle, a téléphoné, en personne, à mon adjoint, M. Frédéric Lagache et l’a menacé, ce qui nous avait amenés à rédiger, à l’époque, un communiqué de presse.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.