Sujet : DPS

Audition de : Christiane Chombeau

En qualité de : journaliste au Monde

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 9 mars 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

Mme Christiane Chombeau est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Christiane Chombeau prête serment.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je suis le Front National depuis la fin de 1994, mais le DPS a fait l’objet d’enquêtes menées par le journaliste en charge de la police. Il est bon que plusieurs regards soient portés sur ce mouvement. Mon témoignage, j’en suis désolée, ne comporte que des éléments vécus, des situations singulières et quelques informations recueillies au cours d’enquêtes sur le Front National, que je vous livrerai tels quels.

J’ai réuni quelques éléments significatifs de ce que représente le DPS et, en les classant, il m’apparaît que la mission du DPS répond assez bien à la définition donnée par Roland Gaucher qui était encore conseiller régional Front National il y a peu : une mission de protection et de renseignement, interne et externe sur des personnes qui n’appartiennent pas au Front National. J’ajouterai que certains agissements du DPS l’assimilent à une police ; ses membres n’hésitent pas à consulter les papiers d’identité de personnes appréhendées et remises ensuite à la police. Tels sont les éléments que j’essayerai d’illustrer. Ils s’accompagnent d’agissements sur lesquels je m’interroge sans avoir de réponse.

La mission de protection - protection des personnes, des meetings - est la base de tout service d’ordre. Je peux dire cependant que les membres du DPS l’oublient parfois, notamment lorsque les journalistes sont agressés aux fêtes " Bleu Blanc Rouge " (BBR). Je ne parlerai que de ce que j’ai vécu.

En 1997, lors de la fête BBR, quatre personnes télécommandées par un membre du comité central ont entouré un petit groupe de journalistes dont je faisais partie, manifestement animées de la volonté de provoquer une réaction violente de notre part. Nous nous en sommes immédiatement rendu compte et nous avons essayé de rester calmes. Nous avons dû subir mains aux fesses, crachats, insultes... Ils essayaient surtout de provoquer les garçons en s’en prenant à ma personne. Fort heureusement, ces derniers n’ont pas réagi, car si tel avait été le cas, ils auraient eu droit à un passage à tabac. Cela a duré un bon moment.

J’en viens à la mission de renseignement interne du DPS. J’ai eu la surprise

 tout récemment et alors que je ne l’avais pas demandé - de recevoir une fiche très précise d’un membre du DPS dont je tairai le nom, récapitulant toutes les condamnations d’un conseiller régional du Front National qu’il ne jugeait pas digne de représenter son parti. Je n’ai évidemment par les moyens de vérifier auprès des tribunaux si les condamnations étaient avérées. A priori, les informations semblent exactes. Ce n’est pas vraiment étonnant, il existe au sein du DPS des personnes de la gendarmerie ou de la police, retraitées ou non. Nous l’avons constaté au détour d’un fait divers : M. Frédéric Jamet, représentant le Front National de la Police et pris lors d’un " casse ", a travaillé pour les renseignements généraux.

Des liens évidents existent avec les services qui peuvent éventuellement procurer des renseignements.

Le DPS collecte des renseignements sur les mouvements antiracistes comme sur les journalistes. Ils sont photographiés, filmés - je l’ai vu - lors des manifestations, des distributions de tracts sur les marchés. Leurs albums doivent finir par être remplis ! J’en déduis, sans en avoir la preuve, qu’il existe plusieurs petites structures autonomes.

Je m’interroge sur certains faits qui me sont arrivés personnellement. Je ne sais si les auteurs de ces faits appartiennent au DPS, mais ils appartiennent au Front National. Ce qui m’est arrivé me semble une pratique assez bizarre de la part d’un parti politique.

La première fois, il s’agissait bien d’un DPS. J’ai été suivie à l’issue de la conférence de presse du 14 janvier 1998 du Front National Paris et Ile-de-France, qui avait pour objet de présenter les candidats aux élections des conseils régionaux et s’était déroulée sur la péniche, pont de l’Alma. Je m’aperçois qu’un DPS me suit. Je vérifie : je m’arrête, la personne s’arrête ; je redémarre, elle redémarre, jusqu’au moment où je suis entrée dans un restaurant. Lorsque je suis ressortie, la personne, découragée sans doute, n’était plus là. C’est là une de leurs activités ; elle est réelle.

Si l’on prend chaque fait individuellement, on peut penser que l’on se fait du cinéma mais le rapprochement de plusieurs incidents m’a perturbée.

D’autres faits plus graves se sont produits dans un laps de temps d’une quinzaine de jours.

Je remarque que mon courrier adressé à mon domicile est intercepté. Lorsque l’on suit le Front National, par mesure de sécurité, on évite de donner son numéro de téléphone privé et son adresse, d’autant que j’ai des enfants, un compagnon. Nous n’avons pas envie qu’ils soient embêtés par des coups de téléphone anonymes.

Pour situer le contexte, j’ai eu à poursuivre M. Madiran, directeur de la rédaction du journal Présent, et le journal, pour diffamations et injures. Lors de ces procès, j’ai obtenu de ne pas donner mon adresse et j’avais donc donné celle du journal. M. Madiran n’avait pas mon adresse à ce moment-là. De toute façon, s’il y avait eu poursuites et si j’avais eu à payer quoi que ce soit, mon employeur jouait le rôle de garantie.

Première constatation : le courrier arrive avec retard. Cela peut se produire. Un jour, mon compagnon qui travaille plus tardivement que d’habitude à la maison, entend le bruit du portail en fer - j’habite un petit pavillon - et donc celui de la boîte aux lettres, se dit que le courrier est arrivé, sort et le prend. Une demi-heure après, il entend le facteur dans la rue qui dépose du courrier. Il lui dit : " Mais vous êtes passé il y a une demi-heure ! " Le facteur lui répond que tel n’était pas le cas.

Il ne s’agissait pas d’une simple lettre perdue ; il y en avait plusieurs.

Peut-être était-ce une coïncidence. Toujours est-il que quelques jours après, je reçois à mon adresse un colis non timbré, de M. Madiran. Etonnement. C’est un système habituel : lorsque vous souhaitez vérifier qu’une personne habite un lieu donné, vous ne timbrez pas le courrier. Si la personne n’est pas concernée, elle le renvoie ; sinon, elle l’accepte, paye le tarif postal, et vous êtes assuré de son domicile.

La factrice n’acceptant pas d’apposer " n’habite pas à l’adresse ", le courrier repart - pas question de payer - et revient deux jours après, bien timbré cette fois-ci, avec un mot de M. Madiran me faisant comprendre qu’il connaît mon adresse. Hasard ou non, nul ne le sait, le même jour, je reçois une lettre de M. Emmanuel Ratier, journaliste, spécialiste du fichage des journalistes, des francs-maçons, des juifs et de l’étalage de tous ses fantasmes dans ses articles ! Cette lettre de M. Ratier - auquel je n’avais jamais adressé la parole, je ne l’ai vu que très récemment - était destinée à me faire comprendre par insinuations qu’il savait où j’habite. Il me priait de ne plus parler de lui dans mes articles en disant que, lui aussi, pourrait dire des choses sur mon passé, sur ma vie privée ! J’ai été rassurée, parce que mon passé militant qu’il croyait connaître était assez rocambolesque, ce qui m’a tranquillisée sur la fiabilité de ses fiches.

Il n’empêche que je continuerai d’écrire sur M. Ratier lorsqu’il le faudra.

Toujours à la même époque, j’assiste à une conférence de presse. Mme Lehideux, vice-présidente du Front National, se précipite vers moi pour me demander si un M. Chombeau à Chatou, qui a été conseiller général et adjoint à la mairie de Chatou, fait partie de ma famille. Pour la petite histoire, elle habite cette commune et s’est présentée sur une liste adverse. Je lui ai répondu : " Cherchez ! Au moins, pendant ce temps-là, vous ne ferez pas autre chose ! " Résultat : deux jours après, mon père, qui est aujourd’hui une personne âgée, me signale que lui et ma mère ont reçu deux coups de téléphone bizarres et ajoute : " La première fois, la personne a demandé de tes nouvelles. Nous pensions donc que c’est quelqu’un qui te connaît bien. A un moment donné, j’ai demandé : Mais qui êtes vous ? La personne a raccroché. " Idem pour le second coup de fil.

Dès que j’ai su cela, je me suis adressée directement au service de presse du Front National et à Mme Lehideux en lui disant que je n’appréciais pas du tout que mes parents reçoivent des coups de fil anonymes, et que je demanderais que leur ligne soit surveillée. Cela a suffi. Mes parents n’ont plus jamais été importunés. Peut-être s’agit-il de hasards, mais ils sont bizarres. Comme je le souligne, je ne suis pas certaine que le DPS était le coordinateur, mais je suis certaine que c’était le Front National.

En ce qui concerne les autres activités du DPS, il me semble qu’elles dépassent celles d’un service d’ordre. Plusieurs anecdotes le montrent.

M. Michel Collinot était conseiller régional, membre du bureau politique, membre historique du Front National. En novembre 1996, il a eu des faiblesses, des crises paranoïaques. Pensant être poursuivi, il téléphonait à plusieurs journalistes à la fois ainsi qu’à moi plusieurs fois par jour pour me raconter ce qui lui arrivait. Certes, il y avait son délire, mais également des faits que j’ai pu vérifier par la suite. Il annonçait avoir des révélations à faire à la presse et en avait prévenu M. Bruno Gollnisch. Celui-ci a alerté M. Bernard Courcelle, chef du DPS, pour qu’il rende visite à M. Michel Collinot. M. Bernard Courcelle a outrepassé sa mission de responsable d’un service d’ordre en faisant pression sur la femme de M. Michel Collinot pour l’interner. Celle-ci est intervenue deux jours plus tard pour faire sortir son mari, car elle n’était, en fait, pas du tout consentante.

Autre incident, à l’Arc de Triomphe. Le 21 octobre 1996, après un meeting de M. Bruno Gollnisch, salle Wagram à Paris, celui-ci veut déposer une gerbe. Un responsable des forces de l’ordre présent s’y oppose. M. Bruno Gollnisch donne l’ordre qu’on libère le chemin et deux membres du DPS saisissent ce responsable des forces de l’ordre, le soulèvent - quelqu’un prend sa casquette - et l’évacuent manu militari devant nous, en présence de la presse. Ce n’est pas la mission d’un service d’ordre normal.

Le 11 octobre 1997, se déroulait la manifestation des familles au sujet de l’allocation " garde d’enfants ", à laquelle participaient plusieurs membres du bureau politique du Front National. En général, sont présents les gardes du corps de M. Bruno Mégret, de M. Bruno Gollnisch, mais aussi parfois, à proximité du cortège, des personnes du DPS sans leur uniforme. Ces personnes m’entourent, me menacent verbalement : " On t’aura, fous le camp d’ici, fais gaffe à toi ! " C’est là leur activité lorsque les membres du DPS ne sont plus en mission officielle.

Les membres du DPS n’hésitent pas à prendre les pièces d’identité des personnes qu’ils interceptent. Je puis certifier le fait survenu à Carpentras, où les membres du DPS ont intercepté un jeune contre-manifestant. J’ai vu une personne saisir les pièces d’identité, partir avec, revenir. En général, ils règlent leurs comptes, remettent ensuite les personnes à la police. Dans le cas précis, c’est une autre personne du DPS qui a rendu les pièces d’identité à la police, non à la personne interceptée.

J’ai noté ce type d’ambiguïté entre les forces de l’ordre et le DPS à plusieurs reprises. Je me souviens d’un fait précis survenu lors du premier tour des élections municipales partielles, le 17 novembre 1996 à Dreux dont la presse a rendu compte.

Il est vrai que parfois, les membres du DPS négocient auparavant les positions de chacun, ce qui est relativement normal. Mais ce jour-là, j’ai été heurtée par certaines confusions à l’instar des journalistes ou des responsables politiques qui ont alerté les autorités. Du reste, au second tour, cela s’est passé différemment. Une manifestation pacifique anti-Front National avait lieu devant la mairie. Les forces de l’ordre se sont positionnées entre l’entrée et les manifestants afin d’éviter les heurts. Mais, fait choquant, juste derrière ce cordon des forces de l’ordre, se tenaient les membres du service d’ordre du Front National, casqués, prêts à intervenir. Ils étaient véritablement mêlés. Il serait possible de retrouver les articles sur le sujet. Je crois que les représentants politiques sont intervenus.

Ces faits conduisent à s’interroger.

Le DPS dépend directement, comme vous avez pu le constater, du Président du Front National, quel qu’il soit. Aujourd’hui, bien que le Front National soit coupé en deux, les pratiques demeurent. Il ne s’agit pas d’un service d’ordre au service d’une organisation, mais véritablement au service d’un homme. Lorsque le DPS a voulu assurer la protection de tous ses membres, le Président a rappelé qu’ils étaient là pour obéir et pour assurer la protection des personnes que lui-même désignerait.

S’agissant de l’organisation, il conviendrait d’interroger mon collègue Pascal Ceaux qui a véritablement essayé de la comprendre. Cependant, suite à la crise et à l’éclatement du Front National, une petite ouverture s’est dessinée, chacun souhaitant parler et s’exprimer. J’ai pu alors me rendre compte de la sophistication de l’organisation en même temps que de ses faiblesses. C’est à la fois une organisation régionale et départementale, au maillage plus ou moins fin. Est-ce en fonction des forces locales, ou des initiatives prises par certaines personnes ? Je ne puis vous dire. Je pencherai plutôt pour le facteur personnel, car j’ai constaté que certaines grosses régions pouvaient être regroupées.

Qui sont les hommes ?

Beaucoup sont des anciens de l’armée, des officiers de réserve. Certains n’hésitent pas à être mercenaires à leurs heures. On les retrouve derrière M. Bob Denard, en Angola.

Un nouveau chef du DPS de M. Jean-Marie Le Pen vient d’être nommé. Ce n’est plus M. Marc Bellier. Ladite personne est officier de réserve et se trouvait récemment en Angola.

Ce peuvent être aussi des hôteliers. J’ai eu l’occasion de suivre M. Jean-Marie Le Pen à l’occasion de l’un de ses déplacements en Isère. En général, j’évite de rester le soir dans le même hôtel, mais, en l’occurrence, il fallait que je le suive dès le lendemain matin et j’y suis restée. Pour recevoir toute la délégation, l’hôtel avait été fermé. Le patron hôtelier, à mon grand étonnement, assurait la protection du meeting dans les rangs du DPS, le soir même et le lendemain.

Mais on trouve aussi bien des agents de la RATP ou de toute autre profession.

Sont-ils permanents ou bénévoles ? Il y a un noyau de permanents de tous âges dans les sièges importants ; il y a aussi des permanents assurant d’autres fonctions, mais qui sont aussi au DPS.

Des gens de tous âges participent au DPS. Au congrès de Strasbourg en 1997, qui se tenait au Palais des congrès, des personnes âgées assuraient le bon fonctionnement. Ce congrès s’étalait sur le samedi, le dimanche et le lundi. Nous sommes revenus au Palais des congrès où se poursuivaient quelques activités le samedi soir, qui avait été un peu chaud. Nous avons vu un groupe de jeunes hommes un petit peu en retrait, prêts à intervenir, avec casques, boucliers, tenues sombres. Il ne s’agissait pas des petits vieux présents au cours de la journée !

Il y a aussi des femmes que j’ai vues pour la première fois à l’université d’été de Toulouse en 1995. J’ai personnellement eu droit à une fouille des sacs ; elles ont ouvert mon carnet d’adresses. Je me demande ce que l’on peut cacher dans un carnet d’adresses !

Au cours d’un déplacement dans le Vaucluse en 1995 de M. Jean-Marie Le Pen, les journalistes devaient prendre des voitures réservées pour eux, conduites par des membres du DPS. J’avais demandé à m’asseoir à l’avant. Le chauffeur a accepté et j’ai alors pu voir à mes pieds des matraques, un matériel utilisable en cas de coups durs. Lorsqu’il s’est rendu compte que je le voyais, on m’a mise ailleurs.

Pour en venir à l’appel aux sociétés extérieures, il arrive de voir des personnes qui travaillent pour différentes sociétés, notamment celle du frère de M. Bernard Courcelle, le Groupe Onze, tout comme l’on voit apparaître des gens du GUD lors de certaines manifestations.

M. le Président : Je vous remercie de ces renseignements utiles.

Vous avez écrit dans un article que l’équipe de sécurité de M. Bruno Mégret puisait notamment parmi les membres du GUD. On a parlé d’un ancien gudard chargé d’organiser le service d’ordre de M. Bruno Mégret lors du conseil national du 5 décembre.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je pense que mon collègue Pascal Ceaux sera plus à même de vous livrer des informations précises à ce sujet, mais je suis à votre disposition pour procéder à des recherches.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Tout au long de votre intervention, vous avez qualifié d’anecdotes ce qui vous était arrivé. Je pense qu’il s’agit plutôt de faits graves et propres à jeter le trouble.

Les événements constatés vous laissent penser que les porosités entre la police et certains membres du DPS, voire du Front National, sont importantes. Vous avez cité le cas de Carpentras et de Dreux. Disposez-vous de photos ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Le seul témoignage dont on dispose est constitué par ce que les journalistes ont écrit. Travaillant au Monde, nous ne prenons pas de photos.

Il n’est pas impossible que la manifestation à Carpentras ait fait l’objet d’un film. Je l’ignore. Compte tenu du nombre de journalistes et de photographes présents à Dreux, il serait stupéfiant que des photos n’aient pas été prises. Le fait qu’elles n’aient pas été publiées dans la presse nationale ne signifie pas qu’il en a été de même dans la presse locale. Dans la mesure où ce sont là des moments de tension, les photographes viennent pour surprendre des scènes de violence.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Après avoir entendu votre témoignage, on a l’impression qu’il y a une interpénétration entre le Front National et le DPS. On pourrait presque appeler " DPS " toute l’organisation du Front National.

Mme Christiane CHOMBEAU : Votre question est très intéressante. Je l’ai posée moi-même à M. Bernard Courcelle.

Je l’interrogeais sur son mode de recrutement à l’occasion d’un événement, les meetings principalement. Nous étions au moment de la crise et j’essayais de savoir s’il avait des difficultés à recruter. Il m’a expliqué ne pas en avoir. Il dispose d’une liste de personnes, à qui il demande l’une après l’autre si elles sont libres. Il ne demande pas pourquoi s’il se voit opposer un refus. Il continue à téléphoner - il s’agit en fait du responsable départemental ou régional - jusqu’à obtenir le nombre de personnes requis pour assurer la sécurité de l’événement. Il a même la possibilité de rechercher dans d’autres départements que celui où se tient le meeting.

On peut en conclure qu’il dispose d’un grand réseau de militants actifs mobilisables quasiment 24 heures sur 24. Il nous l’avait laissé entendre lors du congrès de Strasbourg, expliquant que si des renforts s’avéraient nécessaires, il rappellerait des militants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un groupe, mais je pense qu’il existe différentes strates, ce que suggèrent les anecdotes que je vous ai livrées au sujet des renseignements. Certains savent, d’autres ne savent pas puisqu’ils éprouvent le besoin de procéder à leurs propres enquêtes.

J’ai également essayé de savoir à quel camp se ralliaient les responsables du DPS et je me suis rendu compte qu’ils n’étaient pas forcément connus de certains élus du Front National.

J’en ai conclu que les responsables forment un noyau informé, l’ensemble formant une pyramide.

M. Jacky DARNE : Les intimidations dont vous avez été victime nous édifient sur la difficulté d’exercer librement votre métier.

Vous avez parlé d’une fiche.

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui, la dernière en date concernait un conseiller régional du Front National.

M. Jacky DARNE : Concernant ces systèmes de fichiers, connaissez-vous d’autres éléments permettant d’affirmer que le DPS ou le Front National disposent d’un ensemble de fiches sur des personnes, notamment sur les journalistes ?

Mme Christiane CHOMBEAU : En lisant leur presse, on se rend compte qu’ils disposent de renseignements qui sont loin d’être anodins, par exemple sur des militants de Ras l’Front. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à publier leurs numéros de téléphone, leurs adresses privées. Heureusement, ces informations s’accompagnent de grosses inexactitudes, mais cela montre que des enquêtes ont été menées. Il en va de même des journalistes et d’hommes politiques connus pour leur hostilité au Front National.

Lorsqu’ils n’apprécient pas une personne, ils n’hésitent pas à vous transmettre des renseignements.

M. Jacky DARNE : Après les interventions auprès de vos parents ou après les détournements de votre courrier, avez-vous fait des déclarations à la police, avez-vous envisagé de porter plainte, avez-vous communiqué avec la direction de votre journal ? Cela l’a-t-il conduit à décider des enquêtes complémentaires sur ces faits ? Ou bien vous êtes-vous contentée d’informer votre entourage ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Chaque fois qu’il y a eu violence, j’ai essayé d’en parler.

S’agissant de ce qui m’est arrivé ou des lettres de menaces anonymes que j’ai reçues, je ne suis plus seule en cause, j’ai une famille et je fais partie d’un organe de presse. Je dois en avertir mes responsables et la direction de ma rédaction. Ils sont, en effet, au courant et me font confiance dans la démarche que je souhaite adopter. Toutes les pièces sont, bien sûr, conservées ailleurs que chez moi.

Je me suis parfois demandé s’il fallait porter plainte. J’ai préféré attendre une preuve plus tangible, pour avertir la police par exemple.

Bien que je n’aie pas déposé plainte, des personnes sont au courant de ce qui se passe.

M. Jacky DARNE : Il n’y a donc pas eu enquête officielle ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non. J’aurais fait appel à la police si les coups de téléphone anonymes à mes parents s’étaient poursuivis. Mon intervention a suffi.

M. Jacky DARNE : Vous avez parlé à Mme Lehideux elle-même ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui.

M. Jacky DARNE : Que vous a-t-elle répondu ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Rien du tout, mais cela s’est arrêté. De même, j’ai fait savoir au responsable du service de presse et à un responsable du Front National le courrier que j’ai reçu.

M. le Président : Vous avez parlé d’une lettre de menaces. En avez-vous reçu d’autres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : La lettre adressée à mon domicile se présentait en termes voilés. Les autres sont des lettres de menaces anonymes. La dernière m’est parvenue la semaine dernière.

M. le Président : Avez-vous le sentiment qu’elles viennent du Front National ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Le seul parti politique que je suive est le Front National. Je ne fais rien d’autre. Certes, je n’en ai pas la preuve. Mais il s’agissait d’une reproduction de pogrom des juifs en Pologne me souhaitant la bonne année. Il s’agissait de scènes de tuerie alors que l’on me souhaitait la bonne année ! Je ne pense pas que ce soit un lecteur lambda du Monde. A moins que ce soit un simple sympathisant du Front National.

M. le Président : Où recevez-vous ces lettres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Au Monde. Si je les recevais chez moi, je n’hésiterais pas.

M. Robert GAÏA : Je vous remercie, madame, de nous avoir livré des faits dont nous avons besoin.

Avez-vous noté des défaillances de l’appareil d’Etat, de la part de la police ou des préfets ?

Mme Christiane CHOMBEAU : J’ai été frappée par la complicité, la bienveillance à l’égard du DPS.

Une enquête devait avoir lieu sur ce qui est arrivé à la personne qui gardait l’Arc de Triomphe.

M. Robert GAÏA : A la salle Wagram, avez-vous vu des policiers ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Il n’y en avait aucun ; depuis, il y en a.

Depuis que, les renseignements généraux ne peuvent plus suivre les partis politiques, personne ne suit réellement le Front National. Je l’ai vérifié.

M. Robert GAÏA : Un membre des renseignements généraux était présent salle Wagram. Il a téléphoné.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je suis très étonnée. Il est vrai que la salle est grande, mais il y a des personnes que nous finissons par connaître, parce que ce sont toujours elles que l’on rencontre. Un laps de temps suffisant s’est pourtant écoulé pour permettre une intervention.

M. Robert GAÏA : Avez-vous vu des fourgons de police ? A combien évaluez-vous le temps entre le moment où M. Bruno Gollnisch décide de déposer une gerbe à l’Arc de Triomphe et le moment où survient l’incident avec le policier ?

Mme Christiane CHOMBEAU : A environ une demi-heure, le temps que les gens se rassemblent, sortent. Il y avait des jeunes, des vieux. Il a fallu que ces personnes se déplacent jusqu’à la place de l’Arc de Triomphe. Ils ne sont pas tout de suite venus sur la flamme, puis l’ont entourée.

M. Robert GAÏA : La police intervient une heure après.

Mme Christiane CHOMBEAU : L’essentiel était fait. Je suis stupéfaite de ce vous me dites.

Il me semble par ailleurs que l’on ne peut malmener ainsi un représentant des forces de l’ordre. Une enquête a dû être ouverte - à ce moment-là, il y avait de nombreux témoins -, et des sanctions auraient dû être prises.

M. Robert GAÏA : A Dreux, vous avez expliqué qu’un cordon de police séparait les manifestants de l’entrée de la mairie.

Mme Christiane CHOMBEAU : Une seule rangée.

M. Robert GAÏA : Et entre la police et l’entrée de la mairie ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Il y avait plusieurs rangées de DPS.

M. Robert GAÏA : A deux ou trois mètres les uns des autres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non, à un mètre. Le DPS était juste derrière. Ils portaient des blousons.

M. Robert GAÏA : Comme à Montceau-les-Mines ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Je n’y étais pas. En revanche, il ne s’agissait pas des mêmes habits qu’à Strasbourg où ils portaient tous une tenue identique, peut-être pas de combat, mais confortable. A Dreux, je n’ai pas ce souvenir. Sans doute étaient-ils en blouson. Ils étaient gantés, portaient des casques.

M. Robert GAÏA : Il s’agissait plus de tenues de casseurs que d’uniformes ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui, ils étaient prêts à intervenir. Ce n’était pas la confusion visuelle, mais la confusion de fait.

M. Robert GAÏA : A Toulon, vous avez subi des fouilles à corps. Cela s’est-il passé à l’intérieur ou à l’extérieur du Palais des congrès ? La police était-elle présente ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Je n’ai pas fait attention.

A l’extérieur, le service d’ordre demandait les cartes et, l’entrée du Palais franchie - c’était en 1995 - nous avons été fouillés à corps. Ce fut ensuite le tour des sacs, les carnets d’adresses ont été ouverts pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Nous avons protesté, arguant que l’on pouvait difficilement cacher entre deux feuillets quelque chose de dangereux pour les représentants du Front National, hormis nos plumes ! Ensuite, des ordres ont dû être donnés - en tout cas, en ce qui concerne les femmes - de ne pas pousser la fouille aussi loin. Cela ne s’est pas renouvelé de cette façon-là.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Merci, madame, pour votre témoignage.

Quelle motivation vous a poussée à suivre le Front National ? Est-elle née de votre volonté personnelle ou votre journal vous a-t-il imposé ce travail ?

Vous avez parlé de différents niveaux de connaissances ; certains seraient informés et d’autres non. Pouvez-vous le confirmer ?

Nous essayons de connaître les relais réels, physiques, matérialisés, dans les régions, les départements. Vous avez évoqué l’hôtelier qui était en même temps membre du DPS. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Christiane CHOMBEAU : L’hôtelier avait fermé son hôtel pour le week-end. J’ai cité cet exemple parce que je l’ai vécu. Lors de mes divers déplacements, j’ai pu constater que d’autres personnes dans l’hôtellerie jouaient le rôle de relais. Cela dit, toutes les catégories professionnelles sont représentées au sein du DPS.

Je pense, en effet, qu’il existe un cloisonnement des informations. On s’en rend compte lorsque l’on pose des questions ou lorsque des DPS d’un autre niveau recherchent des informations dont le DPS national dispose déjà. Il est probable que ce dernier sait à peu près tout sur moi alors que d’autres personnes en sont encore à me photographier.

S’agissant de mon parcours professionnel, je suis entrée au Monde en juin 1974 ; j’ai travaillé dans nombre de services, occupé plusieurs postes. Il se trouve que j’ai eu l’opportunité de travailler au service politique et que la personne qui suivait alors le Front National ne souhaitait plus poursuivre ce travail. J’ai donc postulé comme d’autres personnes. J’ai été retenue.

Pourquoi ? Est-ce parce qu’il y a des choses que je n’aime pas, mais que je souhaite comprendre ? C’est ainsi que j’ai été correspondante du Monde pendant quatre ans en Afrique du sud, au moment le plus difficile de l’apartheid, de 1976 à 1980. J’ai vécu le racisme quotidien et institutionnalisé. Inconsciemment, j’ai voulu voir si ce que l’on me disait de ce parti présentait des similitudes avec ce que j’avais vécu dans un autre pays. C’était inconscient. Je m’en suis rendu compte après.

M. le Président : Les menaces dont vous faites l’objet ont manifestement pour but de faire pression sur vous, sur ce que vous écrivez dans vos articles. Vous l’a-t-on laissé entendre ?

Mme Christiane CHOMBEAU : C’est de l’intimidation, mais personne ne se vante de ce type de procédé qui a pour but de tester la résistance, d’où l’importance des moyens de réplique. La première intimidation provenait de la branche catholique traditionaliste représentée par Présent et Madiran, dont j’avais l’honneur, surtout à une époque, de faire régulièrement la une, en des termes tels qu’ils ont conduit à deux procès. L’un est aujourd’hui en Cour de cassation, l’autre en appel contre le journal.

C’est donc un processus d’intimidation. La pression est exercée surtout lors de grands meetings, comme les BBR, où la foule donne prétexte à des actions débridées. Les journalistes sont la cible de toutes sortes d’attaques. A force d’insultes, d’attaques, une journaliste de télévision a " craqué ".

Selon moi, ils ont intérêt à un grand roulement de journalistes. Moins nous sommes spécialisés, mieux c’est. Peut-être prête-t-on mieux le flanc à une certaine forme de propagande. C’est un procédé d’intimidation pour nous faire évacuer le plus rapidement possible. Encore tout récemment, M. Jean-Marie Le Pen s’est adressé à moi et à l’un de mes confrères : " Encore vous ! On en a marre de vous voir. Comment se fait-il que le Front National soit le seul parti à toujours être suivi par les mêmes ! " C’est faux, mais l’irritation est grande de toujours voir les mêmes personnes poser les questions.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Avez-vous assisté à la violente altercation subie par Mme Annette Peulvast-Bergeal ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non, je n’étais pas présente. Très peu de journalistes avaient été informés du déplacement de M. Jean-Marie Le Pen.

M. le Président : Madame, nous vous remercions.