Le 7 octobre 1998, Lionel Jospin a annoncé son intention de signer la " Charte européenne des langues régionales et/ou minoritaires ". Cette décision fait suite aux rapports de Bernard Poignant et de Guy Carcassonne, à la mission officielle de Nicole Péry, et aux négociations officieuses de Pierre Joxe. Présentée comme une occasion de mettre un terme à un long et inutile conflit, la signature de la Charte ne paraissait pas devoir être débattue jusqu’à la prise de position négative du Grand Orient de France et à la campagne conduite par André Bellon, président d’Initiative républicaine.

Cette Charte donne lieu à de multiples malentendus que nous voudrions lever un à un. Dans cette livraison, nous souhaitons montrer que, contrairement à ce que laisse accroire son intitulé, elle ne traite pas des langues minoritaires pour elles-mêmes, mais comme instrument de protection des " nationalités ". De ce fait, elle établit une discrimination entre les langues parlées en Europe, selon qu’elles peuvent ou non être attachées à un territoire européen. Elle exclut les langues des nomades et des Européens issus d’une immigration récente. Cette discrimination apparaît comme le cheval de Troie d’une conception ethnique de l’Europe des régions, défendue par l’extrême droite, et instrumentalisée par le gouvernement allemand qui y voit un moyen d’affaiblir ses alliés.

Le Réseau Voltaire, dont le vice-président, Yves Frémion, fut un des plus ardents défenseurs de la diversité culturelle au Parlement européen, entend recadrer ce débat au profit du patrimoine et de la création linguistique souvent délaissés par un État qui, sous couvert de République, se comporte parfois de manière normative et discriminatoire.


La Charte européenne des langues régionales et/ou minoritaires


La Charte européenne des langues régionales et/ou minoritaires a été rédigée dans le contexte de l’effondrement du Mur de Berlin et dans la perspective de l’adhésion des États d’Europe centrale et orientale au Conseil de l’Europe. Elle fait partie d’un ensemble de traités visant à offrir une solution pacifique à la " question des nationalités ", sur le modèle de l’ancien Empire austro-hongrois.

Ouverte à signature par le Conseil de l’Europe, le 5 novembre 1992, elle affirme dans son préambule que " le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée ou publique constitue un droit imprescriptible et universellement reconnu ". Pour mettre en œuvre ce droit, chaque État signataire s’engage à appliquer un ensemble de mesures concrètes choisies au sein d’un catalogue.

À la suite de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, qui s’est tenue à Vienne le 9 octobre 1993, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a en outre rédigé une Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, qui a été ouverte à signature le 1er février 1995. Pendant que la guerre faisait rage en ex-Yougoslavie, il s’est agi d’élever la protection des minorités au rang de " Droit de l’homme ". La Déclaration finale de la Conférence de Vienne introduit donc un quiproquo puisqu’elle utilise l’expression " Droit de l’homme " au sens anglo-saxon qui, sur ce point, s’oppose au sens français.

Quoi qu’il en soit, la Charte et la Convention-cadre forment un paquet cohérent qui a été négocié en relation avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, puis rédigé et promu principalement sous l’impulsion de Ferdinando Albanese, longtemps directeur de l’Environnement et des Pouvoirs locaux au Conseil de l’Europe.

Signalons que la France a refusé de signer la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Cependant, elle a annoncé, le 7 octobre 1998, sa volonté de signer et de ratifier la Charte européenne des langues régionales et/ou minoritaires, ce qui suppose d’une part la modification de l’article 2 de sa Constitution (cf. avis du Conseil d’État du 8 février 1997) et, d’autre part, l’édiction d’une " déclaration interprétative " relative à la philosophie de la Charte (cf. rapport du professeur Guy Carcassonne).