La justice italienne a révélé, au début du mois de mai, les résultats d’une opération désignée sous le nom de code Rex, associant les polices italienne, espagnole et marocaine. La cible était un puissant réseau de trafic de haschisch marocain dirigé par la famille Di Giovine de la ’Ndrangheta (mafia calabraise). Selon les enquêteurs, le réseau acheminait chaque semaine, par bateau, des tonnes de haschisch marocain en Espagne, d’où la drogue était distribuée par camion dans toute l’Europe. En Italie, le réseau disposait d’un centre de stockage à Turin. Depuis le mois de janvier, plus de deux tonnes de résine de cannabis et dix kilos de cocaïne ont été saisis dans le cadre de l’enquête. Les policiers italiens avaient repéré à Tétouan, dans le nord du Maroc, la présence de Rosario Di Giovine et de son fils Filippo, cerveaux présumés du trafic. Ils ont été arrêtés par la police marocaine, lors d’une réunion qu’ils tenaient à Cabo Negro, luxueuse station balnéaire de la côte méditerranéenne. Ce coup de filet n’est, en fait, qu’un avatar de l’opération Pit-n, déclenchée en Espagne en novembre 1991 par le juge Baltasar Garz-n. Elle avait débouché sur le démantèlement d’un réseau de trafic de haschisch entre le Maroc et l’Espagne, alimentant toute l’Europe et, surtout, sur l’arrestation au Portugal du capo calabrais Emilio Di Giovine (l’autre fils de Rosario). Détenu dans une prison de haute sécurité lusitanienne, Emilio avait failli être libéré par son frère Filippo, à la tête d’un commando de mercenaires croates puissamment équipé d’armes de guerre. Lors du rendez-vous de Cabo Negro, la vedette incontestée du trafic de haschisch au Maroc a échappé une nouvelle fois à la vigilance des fonctionnaires marocains. Abdelwahed Meziane Amar, surnommé par les Espagnols El Sultan del Chocolate (le sultan du "chocolatè) a été arrêté en Espagne en 1988, puis relaxé, faute de preuves. A nouveau recherché dans le cadre de l’opération Pit-n, il était accusé d’avoir introduit en Espagne, pour le compte des réseaux liés à Di Giovine, entre 200 et 300 tonnes de haschisch de 1987 à la fin de 1991. Le frère de Meziane, Omar, était chargé du blanchiment des fonds à Ceuta (l’enquête évoquera un montant de 6 milliards de francs français blanchis dans l’enclave espagnole au Maroc). Ayant échappé au coup de filet espagnol, Abdelwahed Meziane Amar jouit quelque temps de sa luxueuse résidence de Cabo Negro malgré le mandat d’arrêt international émis à son nom. Il n’est arrêté que le 18 décembre 1992 par les services nationaux de la police marocaine, à la suite d’insistantes pressions espagnoles. Immédiatement transféré à Casablanca, Meziane sera curieusement relâché au cours de l’été 1993, ayant bénéficié d’une mise en liberté provisoire d’autant plus exceptionnelle qu’en juin 1993, une circulaire du ministère de la Justice interdisait à tous les tribunaux d’accorder ce genre de faveur aux individus suspectés de trafic de drogues. Depuis, il semble que le sultan du chocolat avait repris son "exil intérieur" doré dans la région de Tétouan : une clandestinité toute relative, puisque l’hebdomadaire tangérois Les Nouvelles du Nord relève qu’il "circulait dans des berlines de luxe le plus souvent avec une plaque d’immatriculation espagnoleç. La ’Ndrangheta a commencé à investir dans le haschisch marocain à la fin des années 1970. En juin dernier, un autre de ses représentants, Giuseppe Mennuni, avait été arrêté à Tétouan et extradé vers l’Italie. Lors de la campagne pour les élections législatives, en juin 1993, des correspondants de l’OGD avaient pu constater la présence de mystérieux observateurs italiens dans une circonscription du Nord où étaient recensés 10 000 hectares de cultures de cannabis. Les derniers coups d’éclat de la police marocaine, sollicitée par les autorités italiennes, ne font que confirmer la solidité des liens noués de part et d’autre de la Méditerranée par la criminalité organisée européenne. Et l’insolente baraka des correspondants marocains de ces réseaux ne rassure guère sur la détermination des autorités de Rabat à lutter contre leurs activités (rédaction de La Dépêche internationale des drogues, Agence France - Presse, Les Nouvelles du Nord).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 44