Dans les années 80, la plus grosse partie du cannabis vendu au Niger venait pour l’essentiel du Nigéria, et dans une moindre mesure du Tchad, où une production au bord du lac alimentait partiellement l’acquisition d’armes légères des différentes factions dans la lutte pour le pouvoir que se livraient Hissène Habré et Goukouni Wedeye. A cette époque, des commerçants de l’ethnie Djerma, à bord de pick-up 404 achetés à l’usine de montage Peugeot basée au Nigeria, approvisionnaient les marchés en cannabis et amphétamines sous le regard bienveillant des autorités militaires qui quadrillaient étroitement le pays et pratiquaient un racket sur tous les produits licites et illicites, selon un partage des zones rappelant les territorialités mafieuses : tout pouvait passer à condition de payer une taxe qui faisait l’objet de longs marchandages. On aurait pu penser que la situation géographique du Niger - absence de façade maritime et appartenance à la zone sahélo-saharienne la plus aride - mettait toutefois ce pays à l’abri des productions de cannabis sur une large échelle. Cependant, ne bénéficiant, du fait de son enclavement, que du passage du fleuve Niger et de peu de forages profonds, il a été le destinataire d’une aide très conséquente tant de la part des ONG occidentales, des collectivités françaises que des institutions internationales. Une aide qui a été détournée de ses objectifs : ainsi les aménagements de périmètres sur le territoire de l’ethnie songhaï pour la riziculture, la multiplication des jardins maraîchers de contre-saison dans les zones de cuvette et surtout les terres irriguées grâce aux eaux du lac Tchad, près de la ville de Bosso, à la frontière est du pays, ont favorisé le développement, imprévu, de la culture du cannabis au cours des cinq dernières années. Les régions agricoles avoisinant des villes comme Tillabéri, Niamey, Dosso, Gorou-Bankassam, Bosso, etc, se sont laissées envahir l’une après l’autre par cette culture facile et de bon rapport. Sur les marchés hebdomadaires de ces agglomérations qui généralement drainent des populations importantes, on peut se procurer autant de cannabis que l’on veut à raison de 15 000 F CFA le kilo - une manne pour le paysan, pour le grossiste et même pour le petit dealer qui vend une dose (contenu d’une petite boite d’allumettes à 250 CFA) : un kilo de cannabis peut donner jusqu’à 350 doses et donc rapporter 850 000 CFA. Selon certaines sources, la production s’est d’abord développée à Bosso, à la frontière du lac Tchad, avant de s’étendre progressivement le long des berges du fleuve, puis, dans une seconde étape, les petits périmètres de cultures maraîchères de l’intérieur des terres. D’après un sociologue nigérien travaillant sur la gestion des ressources humaines dans le cadre de plusieurs projets agricoles, rencontré par le correspondant de l’OGD, on peut estimer à première vue à quelque 480 hectares les terres "récupérées" par le cannabis sur de grands et de petits périmètres, répartis en lopins de deux mètres sur dix environ. Ces 480 hectares ont nécessité environ 300 millions CFA d’investissement. Les militaires n’ignorent rien d’un trafic dont une large partie d’entre eux n’a jamais cessé de bénéficier depuis dix ans. La population nigérienne sait qu’au cours des huit dernières années, aucune saisie de drogue n’a été effectuée, ni aucune arrestation opérée, à l’exception de celle de deux Libanais que l’on a accusé, sans preuves véritables, de passer de l’héroïne. Ils auraient en réalité, selon les rumeurs, refusé d’être "généreux" avec les douaniers de l’aéroport qui ont, eux aussi, l’habitude de racketter les commerçants, alors même que ces derniers viennent de s’acquitter de leurs obligations légales. Ce commerce de l’herbe a des retombées financières locales importantes. L’odeur caractéristique du cannabis flotte bien souvent dans les rues de Niamey, Dosso ou Tillabéri, montrant que sa consommation se banalise. D’ailleurs le "joint" y est appelé "Conjoncture", du même nom qu’une bière locale que son prix, 150 CFA, met à la portée des populations défavorisées elles-mêmes (correspondant OGD en Afrique de l’Ouest).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 22