L’Operacion Café Blanco, en mars l995, a confirmé que l’Argentine est un important pays de transit pour la cocaïne en provenance du Pérou et de la Colombie. Inspirée par la DEA, elle a per - mis l’arrestation de 10 Colombiens de Cali et la saisie d’une tonne de cocaïne. La drogue était transportée à bord d’un avion Piper Cheyenne qui s’est posé dans une zone inhabitée aux confins des provinces de Cordoba et de Santiago del Estero. Cette opération a été entourée d’un certain flou qui a provoquée la suspicion de la presse : les autorités ont tout d’abord parlé de 2 tonnes de cocaïne, puis d’une tonne et demi et finalement d’une tonne seulement qui aurait été incinérée en catimini. La police locale de Cordoba n’a pas été associée à l’opération, ce qui a suscité de vives protestations du gouverneur de la province. D’autre part la drogue et les prisonniers ont été transférés à Buenos Aires dans l’avion réservé à l’usage exclusif de la présidence de la Répu - blique. De même, des informations sur un réseau de blanchiment du cartel de Cali à Buenos Aires à travers des banques, des entreprises de construction et des établissements commerciaux ont été éclipsées par les informations sur la campagne électorale du président Carlos Menem qui brigue un nouveau mandat. La belle - soeur du président, Amira Yoma, reste quant à elle sous le coup d’une demande d’extradition de la part de la Justice espagnole (pour blanchiment de l’argent de la drogue) à laquelle la Justice argentine refuse d’accéder. Depuis plusieurs années, on connaissait également l’existence de laboratoires de transformations de pâte base bolivienne en chlorhydrate de cocaïne dans les provinces de Salta et Jujuy. Ces entreprises mixtes, boliviano - argentines, bénéficieraient de complicités dans les milieux économiques locaux et nationaux des deux pays. Mais le phénomène le plus marquant en Argentine, est l’explosion de la consommation de la cocaïne dans tous les milieux sociaux. Cette drogue, dont le degré de pureté varie de 70 % à 80 % est commercialisée quasi ouvertement dans la plupart des grandes villes du pays. Les points de vente les plus courus sont les bars (whisker’as), les dancings, les salles de jeux électroniques, les gymnases, les salles de billards et de ping pong, etc. La police locale touche son pourcentage des propriétaires de ces établissements pour fermer les yeux. Les descentes de police sont provoquées soit par une rupture de contrat soit par des ordres venus "d’en haut". C’est ainsi qu’on a découvert en février que le bar d’une des vedettes de la télévision, Moria Casan, était une sorte de libre - service de toutes les drogues. On constate également l’apparition d’une distribution au détail par des vendeurs ambulants de hot dogs, de glaces et de fleurs qui écoulent de la marijuana et de la cocaïne au gramme au coin des principales artères du centre de Buenos Aires. Le prix de cette dernière est de 20 dollars le gramme (50 dollars pour 3 grammes). On peut observer à l’heure du déjeuner un nombre inhabituel d’employés de bureau qui font la queue devant ces débits pour acheter des "saucisses blanches". La drogue est en général caché dans les toilettes d’un bar voisin et le marchand va en chercher à mesure qu’on lui passe commande. L’histoire du fleuriste, aujourd’hui emprisonné, qui vendait de la drogue au lycée Nacional de Buenos Aires, à 150 mètres de la Présidence (Casa Rosada) a fait la une des journaux. Autres points de vente : les garages ou les magasins d’occasions, qui écoulent des objets volés (postes radio, appareils photos). Leurs propriétaires achètent la protection de la police à raison de 2 000 à 3 000 dollars mensuels. On peut également commander la drogue à partir de son domicile par téléphone cellulaire. Les numéros sont changés chaque mois pour des raisons de sécurité. Les commandes sont honorées par coursier. Le consommateur peut même trouver de la cocaïne à 10 dollars le gramme, mais on prétend qu’elle est fabriquée à partir de feuilles de coca qui ont été l’objet de fumigation, avec tous les risques d’empoisonnement que cela re - présente. On ne compte plus les victimes illustres de la cocaïne de la rock star locale, Charlie Garc’a, à l’acteur comique Alberto Almedo. Le directeur de la sélection nationale de football, Daniel Passarella, exige un contrôle avant d’incorporer un joueur dans l’équipe. Accusé par le président Menem de s’être enrichi grâce à l’argent du narco-trafic, l’ex-gouverneur de la province de Catamarca (sur la route du transit entre la Bolivie et Buenos Aires), Ramon Saadi, a, quant à lui, mis au défi le chef de l’Etat de se soumettre à un examen des fosses nasales (correspondant de l’OGD à Buenos Aires).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 43