Les cartels mexicains de la drogue se portent bien. Selon les statistiques les plus récentes (1992-93) des Nations unies, de la DEA et de la PGR elle-même, le trafic de drogues au Mexique n’a pas fléchi de façon significative. Au contraire, de nouveaux groupes de trafiquants sont apparus aux côtés des anciens ; routes, marchés et réseaux internationaux se sont développés. Les quantités de cocaïne pénétrant aux États-Unis n’ont pas diminué et le prix de vente dans la rue y a même baissé. Le 3 octobre dernier, trois tonnes de cocaïne pure ont été saisies, lors d’un contrôle de routine, par les autorités mexicaines dans les double-fonds d’un navire de pêche, le "Mardo Queo", près de Mazatlan (Etat de Sinaloa). Une prise qui renforce la thèse de la PGR, selon laquelle les narcos utilisent de plus en plus la voie maritime pour faire passer la drogue des côtes du Golfe du Mexique ou du Pacifique, jusqu’aux États-Unis. Par ailleurs, les trafiquants utilisent de nouvelles méthodes pour échapper au dispositif radar américain, notamment les largages depuis leurs avionnettes près des côtes mexicaines, la drogue étant récupérée puis acheminer par voie terrestre. Les saisies les plus importantes, en 1993, ont eu lieu au début de l’année, principalement dans l’Etat de Basse-Californie. L’assassinat du cardinal-archevèque Posadas, le 24 mai, a marqué un coup de frein considérable aux saisies de cocaïne, déjà en nette décrue depuis 18 mois (38,8 tonnes en 1992, contre 50,3 l’année précédente). Selon un analyste du National Security Archive de Washington, 70% de la cocaïne qui rentre aux États-Unis passerait, à un moment ou un autre, par le Mexique ; la PGR affirme, pour sa part, que 4 500 tonnes de cocaïne, soit près de 500 tonnes par an (un tiers de la production mondiale estimée), ont transité par le territoire mexicain depuis l’arrivée au pouvoir de Carlos Salinas de Gortari en décembre 1988. La demande d’héroïne aux États-Unis et en Europe a suscité une augmentation des cultures de pavot et du trafic d’opium et d’héroïne, au Mexique, en Amérique centrale et du Sud. L’organisation du "Chapo" Guzman a tissé des liens avec des trafiquants jusqu’en Thaïlande. Sept groupes au moins contrôlent au Mexique le trafic de drogues jusqu’aux marchés de consommation. L’organisation de Juan Garcia Abrego opère dans les Etats de Tamaulipas, Veracruz et Nuevo Leon ; celle d’Amado Carrillo Fuentes contrôle certaines zones de Tamaulipas, Chihuahua et Durango, ainsi que le sud-est du pays ; le cartel de Sinaloa, dont Hector "El Güero" Palma a repris les rênes après l’arrestation de son chef, Joaquin (El "Chapo") Guzman Lúra, domine dans le Sinaloa, le District fédéral de Mexico, le Morelos et le Guerrero ; le cartel de Tijuana, dirigé par les frères Arellano Félix - actuellement les trafiquants les plus recherchés par la justice - contrôle la Basse Californie et la côte nord du Pacifique, régions frontières stratégiques du trafic avec les États-Unis ; le groupe de Clemente Coto Peña opère dans le Sonora. Deux autres organisations importantes continuent vraisemblablement, malgré le démantèlement de leur commandement, d’être actives sous la houlette de nouveaux chefs : en particulier, dans l’Etat de Jalisco, celle d’Emiliano Quintero Payan, arrêté à la fin avril 1993 et oncle de Rafael Caro Quintero, capturé lui-même en 1985 après la découverte dans son ranch "El Bufalo", sur les instances de la DEA, d’une immense plantation de cannabis (8000 tonnes saisies - plus de la moitié de la demande annuelle américaine) ; également, le cartel de Juarez, actif à Chihuahua, dirigé précédemment par l’ex-commandant de police Rafael Aguilar Guajardo, abattu à Cancún en avril dernier, et dont Amado Carrillo Fuentes aurait pris le contrôle. Selon la DEA, ces différents groupes, qui travaillent indifféremment avec les cartels colombiens de Cali et Medellin, continuent, malgré les récents changements et destitutions de fonctionnaires corrompus, à bénéficier d’une large protection, tant dans la police qu’à un haut niveau gouvernemental. Mais, si les critiques américaines contre le "laxisme" et la corruption des services antidrogues mexicains paraissent solidement fondées, ces derniers ont beau jeu de rappeler que la force aujourd’hui de certains cartels s’est alimentée de méthodes, pudiquement baptisées d’"apprentis sorciers", importées de l’autre côté du Rio Grande. L’affaire Machain, du nom de ce docteur mexicain accusé - puis innocenté - des tortures et du meurtre, en mars 1985, à Guadalajara, de l’agent de la DEA Enrique Camarena, avait mis à jour un réseau de transport d’armes destinées à la Contra du Nicaragua par le truchement du cartel de Guadalajara, réseau "couvert" par la CIA grâce à l’intermédiaire du chef de la DFS - les services secrets mexicains - José Antonio Zorrilla Pérez, emprisonné depuis pour l’assassinat du journaliste Manuel Buendia... Quitte, ensuite, à se débarrasser de témoins gênants en les accusant de trafic de drogues, selon une méthode également utilisée au Panama dans le cas de Manuel Noriega. Ces "traditions" de double jeu ont laissé des traces : quelque temps avant l’assassinat du cardinal Posadas, le directeur des services d’interception aérienne de la PGR a pris la fuite. Il était, semble-t-il, le contact privilégié de la DEA dans sa collaboration avec le Mexique pour détecter les vols des avionnettes narcos (correspondant de l’OGD au Mexique).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 25