Le 9 février, l’Armée Mon Tai (MTA) dont le chef est le fameux baron de la drogue Khun Sa, a fait fusiller 61 paysans du village de Pangtawee, près de Langkho dans le sud de l’Etat shan, qui refusaient de lui vendre leur opium. Ce premier massacre, accompagné de la destruction par le feu de dizaines de cases, traduisait l’isolement politique et la perte d’autorité de Khun Sa dans la région, en dépit de sa force militaire (La Dépêche Internationale des Drogues n 6). Il est en particulier rendu furieux par le fait que ses passeurs sont arrêtés en Thaïlande, ses chargements de drogue saisis et que des partis rivaux empiètent sur son territoire. Dans le même temps ses concurrents - qui ont les bons "contacts" - ne sont pratiquement pas inquiétés. Des observateurs à Chiang Mai estiment que cette situation pourrait présager des affrontements notamment entre le MTA, l’armée birmane et des bandes rivales. Des portes-paroles du MTA affirment que les villageois de Pangtawee ont été pris dans des tirs croisés lorsque ses soldats sont venus arrêter leur chef, lié à un gang, les Seu Lai (tenues camouflées). Ce gang est organisé par un chef de bande chinois appelé Lee Shao Seng basé à Nawng Ok, à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie. Des sources indépendantes shan confirment l’existence des Seu Lai et ajoutent qu’ils ont également commencé à acheter de l’opium aux paysans de Pangtawee. L’opium est envoyé, plus au sud, dans une raffinerie à Loi Ma Lai, à côté de Nawng Ok, en face de la ville thaïlandaise de Fang. Le laboratoire est contrôlé par les forces de la minorité wa qui combattaient avant l989 dans les rangs du Parti communiste, mais ont été reconnues par la dictature birmane comme une sorte d’armée privée, qu’elle a en particulier utilisée pour combattre Khun Sa. Ce dernier s’est opposé à cet arrangement et a demandé aux villageois de lui vendre leur opium. Leur refus a entraîné les exécutions. Un second massacre de plus de 100 paysans a eu lieu le 20 mars aux environs des mines de rubis de Nam Mai Pan, près de la garnison de Mong Hsat. Les autochtones qui ont découvert les gisements avaient passé un accord avec les forces opérant dans la région : ils gardaient un tiers des pierres précieuses ; un autre allait à la garnison locale du 49 "me bataillon de l’armée birmane et le dernier tiers à l’armée privée wa. Les officiers de Khun Sa - lequel considère cette zone comme lui appartenant - basés à Mong Gang, ont adressé plusieurs avertissements aux mineurs. N’ayant pas obtenu satisfaction, il ont capturé une centaine de villageois, parmi lesquels des femmes et des enfants, et les ont fauchés à la mitrailleuse. Cependant, des questions se posent à propos de cette deuxième tuerie. Après les avertissements de Khun Sa, le commandement de la garnison a demandé aux Wa d’évacuer la zone, en laissant par conséquent les mineurs sans défense face au MTA. On ne comprend pas pourquoi un détachement de l’armée cantonnée à moins de deux kilomètres du lieu du massacre n’est pas intervenu. Les militaires ont-ils été payés, ou la vérité est-elle encore plus sinistre ? Beaucoup de gens pensent en effet qu’il s’agit d’un complot pour pousser Khun Sa à se discréditer au moment précis où des envoyés du gouvernement des États-Unis se trouvaient à Rangoon. Quoi qu’il en soit, ces deux massacres montrent que le contrôle de Khun Sa sur la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie est en train de lui échapper au profit, au sud, des restes de l’armée du Kuomingtang - théoriquement "relocalisée en Thaïlande" -, et, au nord, des forces de l’ex-parti communiste qui étendent leurs réseaux de trafic d’héroïne avec la complicité active de l’armée birmane et des fonctionnaires corrompus du Bureau de la sécurité publique chinois. Le plus puissant de ces nouveaux barons de l’héroïne est Lin Mingxian, dit U Sai Lin, un ancien Garde rouge du Yunnan qui avait rejoint le PC en l968. Aujourd’hui, il est à la tête d’une puissante milice, reconnue par le gouvernement, dans la zone où se rejoignent les frontières de la Birmanie, du Laos et de la Chine. Ses raffineries en Birmanie sont situées à Mong La et Man Hpai à la frontières du Yunnan. L’opium provient à la fois de l’est de la Birmanie et, de l’autre côté du Mékong, de la province de Louang Nam Tha au Laos. Pour faire face à l’augmentation de la production, Lin a récemment établi une raffinerie à l’intérieur du Laos, ce qui permet de transporter l’héroïne jusqu’au Cambodge, (La Dépêche Internationale des Drogues n 16) voire jusqu’au Vietnam. Contrairement à Khun Sa, qui est traité de "rebelle" par la junte birmane, Lin Mingxian est officiellement reconnu comme un "leader local". Ainsi on l’a vu participer, à Rangoon, en janvier et février, à la réunion de la Convention nationale qui a été désignée pour rédiger une nouvelle constitution. Certaines agences des Nations unies, parmi lesquelles le PNUCID, dirigent plusieurs "projets de développement" dans son fief (correspondant de l’OGD en Birmanie).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 20