France, Tchad, Soudan, au gré des clans

Dossier noir n°3, par Agir ici et Survie, sous la direction de François-Xavier Verschave, L’Harmattan éd., 1995.

 Avant-propos : Que fait la France au Tchad et au Soudan ?

 Khartoum : le régime militaro-islamiste, tel qu’en lui-même

 Les séductions d’el Tourabi et la revanche de Fachoda.

 Soudan : quelques repères chronologiques (1953-95)

 N’Djaména : Déby, entre Mobutu et tchador.

 Tchad : la "métropole" sans boussole

 Tchad : quelques repères chronologiques

 Services secrets : l’intoxication

 Conclusion : quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites...

1953

Accord anglo-égyptien sur l’autonomie et l’autodétermination du Soudan. Premières élections libres.

31 décembre 1955

L’Assemblée Nationale vote à l’unanimité l’Indépendance du Soudan. Mutinerie au Sud lorsque des soldats du Nord viennent remplacer les officiers anglais.

1er janvier 1956

Proclamation de l’Indépendance.

De 1956 à 1959

Succession de dictatures militaires et de régimes parlementaires.

Octobre 1964

Les civils renversent les militaires par une grève politique. Echec de l’ouverture démocratique : les enjeux politiques pour la Présidence priment sur les questions d’intérêt national.

25 mai 1969

Le colonel Gaafar Mohamed Nimeiri est porté au pouvoir par les militaires avec l’aide des communistes.

9 juin 1969

Le colonel Nimeiri promet l’autonomie générale pour le Sud et le développement économique, social et culturel de la région. Nomination d’un ministre des Affaires du Sud.

Août 1971

Tentative de coup d’état des communistes.

Mars 1972

Le Président Nimeiri met fin à la guerre civile entre le Nord et le Sud par la signature de l’accord d’Addis Abeba garantissant l’autonomie régionale du Sud et une totale liberté culturelle et religieuse. Signature de l’Acte d’Autonomie Régionale du Sud qui ne peut être modifié " que par la majorité des 3/4 des membres de l’Assemblée, élus démocratiquement et par l’approbation de la majorité des 2/3 des citoyens du Sud-Soudan par un référendum ".

Mai 1973

Promulgation d’une nouvelle Constitution reprenant l’esprit de l’accord d’Addis Abeba (respect de l’origine tribale et ethnique, développement du Sud afin de parvenir à une parité avec le Nord, Constitution et droit laïcs, liberté religieuse). Libération de tous les prisonniers politiques suite au coup d’Etat manqué d’août 1971.

Juin 1973

Promulgation d’une nouvelle loi sur la sûreté de l’Etat autorisant les perquisitions sans mandat et l’emprisonnement sans jugement. Le parti au pouvoir, l’Union Socialiste Soudanaise devient le seul autorisé.

5 septembre 1973

Coup d’Etat manqué contre le régime du président Nimeiri. Multiplication des arrestations et création de tribunaux d’exception.

Septembre 1975

Suite à des manifestations d’étudiants de l’Université de Khartoum, arrestations de dirigeants des mouvements étudiant et ouvrier, de syndicalistes et de juristes.

2 juillet 1976

Tentative d’assassinat du Président Nimeiri, présentée par le pouvoir comme fomentée par la Libye et un parti interdit, le Front National Soudanais (FNS). Les procès qui s’en suivent prononcent 81 peines capitales.

1977

Le Président Nimeiri est élu pour un mandat de 6 ans, avec 99,1% des voix .

Juillet 1977

Rencontre secrète entre le Président Nimeiri et Sadek el Mahdi, chef du FNS. Annonce d’une " réconciliation nationale ". Hassan el Tourabi (Frère musulman) est nommé Président du comité chargé de réviser la législation afin de " l’islamiser ".

Août 1979

Hassan el Tourabi devient ministre de la Justice.

1980-81

Suite à la découverte du pétrole dans le Sud, tentative manquée du Président Nimeiri de modifier les frontières afin d’inclure les puits de la région du Sud dans celle du Nord. Finalement, la zone pétrolifère est décrétée " province de l’Unité " et rattachée directement au Gouvernement central.

1983

Le Président Nimeiri casse de sa propre autorité les accords d’Addis Abeba afin de mieux utiliser les richesses du Sud.

Juin 83

La " Conférence économique sur les problèmes du Sud ", à Juba, dresse le bilan provisoire du Plan de développement du Sud (1977-83). Sur les 225 millions de $ prévus en six ans pour le Sud, 20% ont été effectivement versés.

8 septembre 1983

Sous la pression des Frères musulmans revenus au gouvernement, promulgation d’une sorte de nouveau Code pénal, sous l’appellation de charia. Il fournit les moyens légaux d’écraser toute opposition.

12 août 1984

Le président Nimeiri tente de faire voter des amendements à la Constitution de 1973 afin de la rendre conforme à la loi islamique. Rejet par le Parlement.

Avril 1985

Soulèvement populaire et renversement du Président Nimeiri. Un Comité Militaire de Transition prend le pouvoir. Sous son contrôle, un gouvernement civil est mis en place avec pour mission de préparer une nouvelle Constitution et des élections libres pour avril 1986.

Avril 1986

Elections démocratiques (bien que 31 circonscriptions du Sud n’aient pu voter pour cause de guerre). Mise en place d’un gouvernement civil. Sadek el-Mahdi est nommé Premier Ministre.

16 novembre 1988

" Accords de paix " entre le parti DUP et l’APLS de John Garang : ils prévoient l’abrogation de la charia, des traité et protocole de défense avec l’Egypte et la Libye, ainsi que la levée de l’état d’urgence dans tout le pays, après un cessez-le-feu.

26 mars 1989

Adoption des " Accords de paix " par le gouvernement.

3 avril 1989

Ratification des " Accords de paix " par l’Assemblée Constituante, par 128 voix contre 23.

10 avril 1989

Le Parlement ajourne les débats sur l’application des lois islamiques, entraînant la démission du Président de l’Assemblée Constituante, Youssef Mohamed (Front national islamique, FNI), et le boycott des futurs travaux de cette Assemblée par les 50 députés du FNI.

12 avril 1989

Le FNI indique qu’il poursuivra ce boycott " jusqu’à l’édification d’un Etat islamique, but pour lequel nous sommes prêts à nous sacrifier ".

3 mai 1989

Hassan el Tourabi appelle au djihad (guerre sainte) contre les rebelles.

13 juin 1989

Au lendemain d’une réunion de négociations à Addis Abeba, le Premier Ministre Sadek el Mahdi exprime sa satisfaction. Il y voit " un premier pas vers la solution des problèmes du Soudan ".

16 juin 1989

A Londres, le colonel John Garang déclare que " la paix est réellement en vue au Soudan, l’APLS et le gouvernement de Khartoum sont engagés dans des négociations sérieuses pour mettre un terme à six années de guerre civile ".

30 juin 1989

Coup d’état militaire du général el-Bechir. Il " lance un appel aux citoyens qui ont porté les armes [...] à revenir à une confiance mutuelle, à l’oubli du passé et à bâtir ensemble un pays sur l’unité et la stabilité ". Proclamation dl’état d’urgence. Interdiction de tous les partis politiques et de tous les journaux, suspension des syndicats. Le gouvernement s’engage à organiser des élections libres et à mettre fin à l’état d’urgence en mars 1995.

2 juillet 1989

Le " Conseil de Commandement de la Révolution de Salut National " (CCRSN) réaffirme que l’application de la charia sera soumise à un référendum.

6 juillet 1989

Premier contact à Addis Abeba entre la junte et l’APLS, préparant des entretiens sur la " mise en application " de l’accord d’Addis Abeba de 1972 et la formation d’un Conseil Exécutif chargé de l’administration des régions du Sud.


Eté 1989

Le Président el-Bechir laisse planer le doute sur la stratégie de paix de la junte. Dissolution des partis politiques et des syndicats.

21 octobre 1989

Constitution à Khartoum de l’Alliance Nationale Démocratique (AND) regroupant 52 syndicats et partis politiques (à l’exception du FNI), c’est-à-dire 80 à 85% des Soudanais du Nord et du Sud. Adhésion à une charte commune.

Décembre 1989

Premiers pourparlers entre le gouvernement et le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (MPLS), expression politique de l’APLS.

Mars 1990

Hassan el-Tourabi reconnaît le rôle du FNI dans l’organisation du coup d’Etat de juin 89.

Avril 1990

Coup d’Etat manqué organisé par des officiers du parti Baas. Exécutions sans procès de 28 d’entre eux.

Fin 1990

Arrestations, meurtres et " disparitions " en série d’opposants Nouba.

1991

Le gouvernement el-Bechir reste en butte à l’opposition armée de l’APLS dans le Sud et l’Ouest du pays. Il lance des attaques contre les groupes ethniques Four et Zaghawa du Darfour, à l’Ouest. La répression brutale contre les Nouba s’amplifie.

Mars 1991

Adoption d’un nouveau Code pénal fondé sur la charia, applicable uniquement dans le Nord du pays.

17 juin 1991

Le général el-Bechir déclare : " Nous utilisons tous les moyens pour améliorer nos relations avec [la France]. A cet égard, nous avons une nouvelle approche par l’intermédiaire de Jean-Christophe Mitterrand, [...] qui nous visite de temps à autre, et j’ai une relation personnelle avec lui, qui dépasse les relations officielles ".

Juillet 1991

Manifestations à l’Université de Khartoum, très sévèrement réprimées par la police de sécurité.

Août 1991

Première scission du MPLS de Garang.

1992

Les pourparlers de paix reprennent à Abuja, capitale du Nigéria, entre le gouvernement de Khartoum qui défend " l’unité d’un grand Soudan tout en conservant la charia " et l’APLS de John Garang qui insiste sur le maintien de l’Accord de paix du 16/11/88, approuvé par le Parlement en 1989.

Février 1992

Rencontre à Londres des différentes composantes de l’opposition (Nord et Sud) au régime de Khartoum.

Juin-juillet 1992

Suite aux offensives lancées par l’APLS contre Juba, arrestations de centaines de Soudanais du Sud.

Juillet-août 1992

Nombreuses attaques contre des villages nouba de la région de Tuleishi.

C’est à cette période que commence la déportation de quelque 750 000 sudistes réfugiés dans la " ceinture de misère " autour de Khartoum, vers des " camps de réinstallation " éloignés de la capitale, souvent privés d’infrastructures élémentaires et d’approvisionnement.

Septembre 1992

Les autorités de Khartoum lancent un programme visant à " protéger " les enfants des rues livrés à eux-mêmes (par suite des déplacements de population). Une série d’écoles et de camps spéciaux sont créés. Amnesty International se dit préoccupée par le fait que des enfants sont arbitrairement détenus.


4 décembre 1992

L’Assemblée générale des Nations-Unies menace le gouvernement soudanais d’un blâme pour exactions et violation grave des droits de l’homme contre le peuple soudanais (notamment à Juba en août 92).

24 décembre 1992

6 000 habitants massacrés dans le village d’Heiban (monts Nouba).

1993

Négociations d’Abuja II. Echec des pourparlers de paix.

Le régime de Khartoum propose à la France d’intervenir en médiateur dans le conflit avec l’APLS. Il invite des journalistes et scientifiques français et noue des contacts avec les partis politiques hexagonaux. Plusieurs provinces soudanaises introduisent le français comme matière à option dans le secondaire.

Dans les monts Nouba, des dizaines de milliers de civils sont déplacés après destruction délibérée de leurs villages par les forces pro-gouvernementales.

Janv.-février 1993

Grandes manifestations réprimées dans la violence à Khartoum et dans de nombreuses villes du Nord.

Février-mars 1993

Nombreuses exactions commises dans le Bahr-el-Ghazal par les milices du régime (les FDP, Forces de défense populaire), à l’occasion de convois ferroviaires entre Khartoum et Wau : exécutions, viols, enlèvements de femmes et d’enfants pour les réduire en esclavage.

Avril 1993

Congrès de l’AND à Nairobi. Publication d’une déclaration rappelant son attachement à une séparation totale entre l’Etat et la religion.

Hassan el Tourabi se réjouit du succès de la droite aux élections législatives françaises.

18 août 1993

Le gouvernement américain inscrit le Soudan sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme.

2 décembre 1993

Tenue d’une Conférence arabo-islamique à Khartoum. 400 dirigeants intégristes représentant 60 pays d’Afrique, Asie et Europe, sont présents.

Fin 1993-mi 1994

Le général Philippe Rondot, de la DST, entame la traque de Carlos à Khartoum. Les responsables des services secrets soudanais sont invités à quatre reprises en France. Ils tiennent avec les responsables de la DGSE des séances de travail dans une base secrète du Sud de la France. Des photographies prises par satellite leur sont fournies. La DST aide à la réorganisation des services de Sécurité soudanais. La France livre aux services d’espionnage de Khartoum du matériel de communication et d’écoutes téléphoniques.

Début 1994

A l’initiative des Présidents de l’Erythrée, de l’Ethiopie, du Kenya et de l’Ouganda (IGADD), des négociations de paix reprennent entre le gouvernement de Khartoum et les deux factions de l’APLS.

De visite à Paris, le responsable Afrique du Département d’Etat américain, George Moose, se plaint de l’assistance technique apportée par la France au régime soudanais.

Mi-février 1994

Le rapporteur spécial de l’ONU Gaspar Biro présente un rapport à la Commission des droits de l’homme, à Genève. Il " conclut sans hésitation que de graves violations des droits de l’homme ont eu lieu au Soudan, notamment un grand nombre d’exécutions extra-judiciaires et sommaires, de disparitions forcées ou involontaires, de tortures systématiques et d’arrestations arbitraires généralisées de personnes soupçonnées d’être des opposants ".

12 mars 1994

Suspension du journal El Soudani, appartenant à un membre du FNI, suite à la parution d’un article dénonçant la corruption.

23 mars 1994

Sous l’égide des 4 Présidents de l’IGADD, signature à Nairobi d’un accord sur l’aide humanitaire aux populations du Sud Soudan.

Fin juillet 1994

Voyage d’Hassan el-Tourabi à Paris, où il aurait rencontré Charles Pasqua.

15 août 1994

Livraison du terroriste Carlos aux autorités françaises. Charles Pasqua affirme le lendemain que le régime soudanais " a rompu de manière éclatante avec le terrorisme ".

Fin 1994

Mgr. Paride Taban, évêque de Torit, déclare dans une lettre pastorale : " La politique du gouvernement du Soudan est pire que l’apartheid ". Les fondamentalistes musulmans, souligne-t-il, utilisent la guerre, la terreur, la torture et la faim comme armes afin d’islamiser le pays. Il dénonce les pratiques d’esclavage.

Début décembre le FMI accepte de rééchelonner 1,6 milliard de dollars de dettes soudanaises.

Janvier 1995

A la tête de la troïka diplomatique de l’Union européenne, la France négocie la normalisation des relations entre l’Europe et le régime soudanais.

Amnesty International déclare : " Le Soudan viole plus que jamais les droits de l’homme ", et dénonce " des agissements d’une gravité et d’une ampleur sans précédent dans l’histoire du Soudan ". Médecins sans frontières précise : " Le gouvernement soudanais utilise l’arme alimentaire pour affaiblir et même décimer les populations sympathisantes de l’APLS ".