L’ONU s’est impliquée tardivement dans le conflit kosovar. Ce n’est que le 31 mars 1998, à la demande du Groupe de contact, que le Conseil de sécurité prend position et arrête des mesures. Il approuve le Mémorandum sur l’enseignement et l’Accord d’application négociés par la Communauté de Sant’Egidio. Il s’aligne sur le Groupe de contact, en cherchant à concilier droit des minorités et respect de l’intégrité territoriale des États, et prône l’autonomie renforcée du Kosovo, sans préciser s’il s’agit d’une autonomie substantielle au sein de la Serbie ou d’une re-fédéralisation de la RFY. Surtout, il ordonne un embargo sur l’ensemble des fournitures d’armes aux deux parties et demande au secrétaire général de l’organisation d’assurer une observation précise de l’évolution politique et humanitaire du conflit (résolution 1160).

Pour mettre en œuvre l’embargo, le Conseil de sécurité institue, le 3 avril 1998, un Comité des sanctions. Afin de garantir sa neutralité, il est placé sous présidence brésilienne. Malgré de très nombreuses relances en un an, le Comité des sanctions n’obtiendra d’engagements fermes que de la part d’un tiers des États membres de l’ONU.

Pour sa part, le secrétaire général de l’organisation, Kofi Annam, note dès le 30 avril, que ses moyens financiers et humains ne lui permettent pas d’assurer l’observation du respect de l’embargo. À défaut de personnels qualifiés en nombre suffisant, il sollicite l’autorisation du Conseil de faire appel aux autres organisations intergouvernementales présentes sur place. Il obtient l’assistance de l’OSCE (1er juin), puis de l’OTAN (11 juin), de l’UEO (18 juin), du Comité du Danube (23 juin) et de l’Union européenne (30 juin). Chaque organisation lui adresse un rapport mensuel, à partir desquels il rédige une synthèse à l’attention du Conseil de sécurité. Mais en l’absence de coordination sur le terrain de ces diverses institutions, ces rapports sont lacunaires et redondants. Finalement, en septembre, les grandes puissances décident de débloquer des moyens pour l’OSCE plutôt que pour l’ONU. Ce choix est signifiant. En effet, l’OSCE, a vocation, depuis la Charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990) à gérer la question des minorités dans l’Europe d’après la guerre froide, c’est-à-dire hors la tutelle soviétique. Le 15 octobre 1998, le Conseil permanent de l’OSCE renforçait sa mission de vérification au Kosovo, sous l’autorité de l’ambassadeur William Walker (décision 259). Nécessairement, pour assurer la sécurité des vérificateurs de l’OSCE en RFY, l’OTAN renforçait sa force d’extraction, stationnée de l’autre côté de la frontière macédonienne. De facto, compte tenu de ses moyens, l’OSCE devenait l’organisation intergouvernementale " chef de file " dans la région, supplantant l’ONU. Une coordination globale entre toutes les organisations (ONU, OSCE, OTAN, UEO, Comité du Danube, UE) pour assurer l’observation de l’embargo ne fut effective qu’à partir de la réunion de Vienne, le 14 décembre 1998. Pendant huit mois, les deux camps avaient continué à s’armer. Les Serbes avec la complicité de la Russie, les Albanais avec des instructeurs allemands et du matériel fourni par les Américains.

Les négociations politiques entre les Serbes et leur minorité albanaise se poursuivirent uniquement par l’intermédiaire du Groupe de contact. Plusieurs scénarios évoquèrent l’usage d’une force d’interposition ou d’occupation. Prenant les devants, le secrétaire général de l’ONU demanda au Conseil de sécurité de proroger le mandat de la Force de déploiement préventif des Nations Unies en Macédoine (FRODEPRONU). Ses effectifs furent augmentés de manière à préparer une éventuelle mission (résolution 1186 du 21 juillet 1998).

Par ailleurs, le secrétaire général n’a eu de cesse d’attirer l’attention du Conseil de sécurité sur les problèmes humanitaires rencontrés au cours de l’année 1998, et sur la prévisible catastrophe à venir. Au début de l’été, environ 200 000 réfugiés se sont présentés aux frontières de la RFY, déstabilisant les États limitrophes. Un appel de fonds a été ouvert qui n’a reçu que 1,7 milliards de dollars, correspondant seulement à 9,7 % des besoins recensés. À la suite de l’opération " Faucon déterminé " de l’OTAN, et des initiatives diplomatiques du Groupe de contact et de la Russie, en juin 1998, la situation politique s’est stabilisée et les réfugiés sont massivement retournés en RFY, s’agglutinant dans les villes plutôt que retournant chez eux à la campagne. Pendant l’hiver, le secrétaire général a coordonné un vaste programme d’aide alimentaire et en vêtements aux personnes déplacées et aux pays, appauvris, de la région.

Dans ses rapports successifs, Kofi Annam a relevé que si le niveau de violence avait décru au Kosovo, l’insécurité s’était propagée sur tout le territoire. Elle touchait désormais aussi les villes de sorte que l’on ne pouvait plus s’appuyer sur aucune zone sûre pour asseoir la paix. Le rêve d’une solution multiethnique s’éloignait et, quelle que fût l’issue du conflit, des déplacements massifs de populations étaient à prévoir. Mais le Conseil de sécurité a ignoré ces observations (cf. par exemple, rapport du 30 janvier 1999).

Le secrétaire général faisait également remarquer que les moyens de ses agences étant limités, il avait dû sous-traiter l’essentiel de son programme de distribution à des organisations caritatives non gouvernementales. Or, leur efficacité dépend de la confiance que leur accordent les populations. On peut constater que les ONG s’identifient chacune avec telle ou telle catégorie de population et en définitive, par leur action même, contribuent à renforcer les clivages ethniques, donc à éloigner tout règlement pacifique. De cela aussi, le Conseil de sécurité n’a pas tenu compte.

Le 23 septembre 1998, le Conseil de sécurité s’en remet définitivement aux médiations diplomatiques du Groupe de contact et de la Russie. Sur pression de la France, la résolution 1199 pose le fondement juridique d’une intervention militaire, probablement de l’OTAN sur mandat des Nations Unies. La résolution précise (art. 16) : " au cas où les mesures concrètes exigées dans la présente résolution et la résolution 1160 ne seraient pas prises [le Conseil demande aux États membres] d’examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix et la stabilité dans la région ". Cette option est réaffirmée, le 24 octobre, par la résolution 1203 qui exige l’application des accords conclus entre la RFY et l’OSCE.

Pourtant ces résolutions, si elles justifient une action militaire sous mandat onusien, ne permettent aucunement à des États membres de prendre unilatéralement une telle initiative. Le 29 janvier 1999, le président du Conseil de sécurité publie une déclaration ambiguè. Il apporte son soutien aux efforts de l’OSCE et du Groupe de contact, il feint d’ignorer les menaces de l’OTAN, et met en garde Serbes et Kosovars contre l’escalade de la violence. Le 1er févier, la Serbie saisit le Conseil des menaces de l’OTAN contre sa souveraineté et son intégrité territoriale. La requête n’aboutit pas, mais la Russie et la Chine croient encore pouvoir opposer leur veto à une intervention de l’Alliance. Le 23 mars, sans mandat du Conseil, l’OTAN bombarde un État souverain, membre de l’ONU.

L’ONU est la première victime de l’internationalisation du conflit. Le Conseil de sécurité, sorte de directoire mondial des grandes puissances, a perdu son autorité. Du coup, le droit international élaboré par l’ONU vole en éclats. Les États-Unis assument désormais seuls leur hégémonie politique et militaire sur le reste du monde et déterminent de nouvelles normes juridiques.