The Observer publie une remarquable enquête de Patrick Wintour et Peter Beaumont, basée sur des entretiens avec des officiers supérieurs et ministres des États membres de l’OTAN. De cette série d’articles, on retiendra notamment les points suivants :

 Selon l’ambassadeur Richard Hoolbroke, la guerre aurait pu être évitée en amont. Il suffisait pour cela de déployer une force militaire de paix, sous l’égide de l’ONU, en 1998. Milosevic l’aurait accepté. Ceci n’a pas pu être fait car les États-Unis ont refusé de participer à un tel engagement, d’une part parce qu’ils n’en mesuraient pas l’impérieuse nécessité et d’autre part pour ne pas remettre en selle l’ONU. En l’absence de soutien de son propre gouvernement, Hoolbroke a du se contenter de négocier le déploiement de vérificateurs civils de l’OSCE.

 En 1998, l’état-major britannique a mis à l’étude un plan d’intervention militaire au Kosovo, dénommé " Opération Bravo ". Il comportait six options, dont la supérieure prévoyait l’invasion de la Serbie avec une armée de 300 000 hommes. Cette étude a servi de base au général Clark pour préparer une intervention au sol. Son plan, dit " Bravo-minus ", prévoyait l’invasion du seul Kosovo avec 170 000 hommes. Le Royaume-Uni était prêt à aligner à lui seul 50 000 hommes, soit la totalité de sa force de projection. Ce plan a été finalisé trois jours avant l’acceptation par Milosevic du cessez-le-feu. Le comité militaire de l’OTAN est persuadé que les Serbes ont pris leur décision après avoir été informés des plans de l’Alliance par un de ses membres, probablement la France.

 William Cohen (secrétaire américain à la Défense) et Sandy Berger (conseiller national de sécurité) étaient opposés à un engagement au sol, tandis que Tony Blair et le général Clark (commandeur suprême de l’Alliance) en étaient partisans. Pour contourner cette résistance et convaincre Clinton du bien fondé de leur position, Blair et Clark ont travaillé de concert. Blair transmettait à Clark l’enregistrement de ses conversations avec Clinton de sorte que le général puisse suivre l’évolution de la pensée du président. Début juin, Clark avait constitué à Mons un état-major parallèle qui préparait l’hypothèse " Bravo minus ". Ce groupe était désigné sous le nom de code " les chevaliers Jedï ".

 La confusion qui régnait au sommet politique de l’Alliance se traduisait par une

absence de consignes claires aux militaires. Le général Sir Michael Jackson a tenté d’alerter Tony Blair sur cette carence. Ne pouvant l’atteindre directement, il fit passer ses réclamations par le leader libéral britannique, Paddy Ashdown, qui remit un mémorandum à Blair lors du sommet de Washington. Ce document aurait convaincu le Premier ministre britannique de prendre la tête des faucons.

 Milosevic a tenté de jouer sur les désaccords au sein de l’OTAN. La France était susceptible de sombrer dans une crise intérieure, mais il n’avait aucun moyen de la précipiter. L’Allemagne pouvait caler sur le pacifisme des Verts. Mais Joscka Fischer considérait que l’engagement allemand lui procurait une rédemption pour les crimes du nazisme. L’Italie était prête à lâcher, et Milosevic, attentif aux déclarations des divers élus, tenta de négocier directement avec Dini. C’est pour encourager la prise d’autonomie des Italiens que Milosevic lui-même négocia l’exfiltration de Rugova vers Rome. Mais, après la résurgence troublante des Brigades rouges, D’Alema assura les Américains que ses déclarations anti-OTAN étaient à strict usage intérieur et n’auraient pas de conséquences.

 Devant le risque de désagrégation de l’Alliance, les Américains mirent en place une téléconférence quotidienne réunissant les chefs d’état-major et les secrétaires généraux de chancellerie allemands, britanniques, français, italiens et américains. Ce forum paralysa toute velléité d’indépendance des uns et des autres. Les Britanniques en profitèrent pour affirmer leur leadership en Europe, face à une Allemagne qui rechignait à l’intervention au sol, et à une France qui ne savait pas ce qu’elle poursuivait comme but dans cette guerre.

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