Fin juin 1993, Charles Pasqua lançait son idée de grand débat sur la dépénalisation des drogues douces. Du calme, Charles ! Les antiprohibitionnistes ont des arguments en béton. Et la presse, longtemps frileuse, consacre désormais des dossiers qui ne peuvent que constater l’évidence : la France sur la question des drogues est en pleine préhistoire.

Le 22 septembre, le gouvernement Balladur présente son plan d’action contre la toxicomanie. Charles se retire, non sans avoir au passage entonné le couplet de la théorie de l’escalade (les prétendument drogues douces sont le sas qui conduit aux narcotiques les plus durs, "L’Express" du 30 septembre 1993) et Simone Veil annonce la création d’une commission composée de personnalités "d’origine très diverses", pas des spécialistes mais "des gens qui connaissent et comprennent les jeunes". Comme il y a urgence (le sida se propage par voie intraveineuse parmi les usagers de drogue), Simone veut que le rapport lui parvienne pour le nouvel an.

L’automne passe, puis vient l’hiver... et toujours rien. Jean-Paul Séguela, parasitologue et fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, nous assure que la commission est fonctionnelle, mais que personne ne veut la présider. Il nous racontait des bobards, Jean-Paul.

Le 22 décembre, Charles Pasqua nomme Roger Henrion - gynécologue connu pour ses idées conservatrices - à la tête de la commission. Elle sera chargée d’apporter des propositions précises, qui "en aucun cas, ne sauraient aller dans la voie de la dépénalisation" (JO), précise le ministre de l’Intérieur sous les vivats de ses collègues députés... Avant même que les membres de la commission ne soient nommés, le devin Charles en connaît déjà les conclusions. Bravo !

Le 9 mars, on apprend par la presse que la commission, composée de dix-sept personnes, est enfin opérationnelle. Parmi les "gens qui connaissent et comprennent les jeunes", il y a deux moustachus : Michel Bouchet, patron de la brigade des stups et Gilles Leclair, patron de l’OCRTIS (1), les pandores de Pasqua. Le rapport devrait être rendu fin juin.

Tous les mercredis, les bons et les mauvais élèves de la commission se consultent et avalent un monceau de littératures indigestes dans les locaux de la DGLDT (2). Ils s’entraînent pour les auditions publiques, qui débutent dans une salle du Sénat le premier juillet.

Le public ne se bouscule pas au portillon : quelques journalistes, la représentante de la Ligue des droits de l’homme, l’équipe du CIRC - immanquablement accueillie par un sourire narquois de Michel Bouchet -,. et le professeur Henrion qui déclarera dans "Le Monde" : "Avant les travaux, j’avais des idées et pas de connaissances. Maintenant j’ai des connaissances, et plus d’idées."

Plus de quarante personnes ont été entendues dans une ambiance plutôt détendue et nombre d’entre elles ont tiré la sonnette d’alarme sur la façon dont sont traités les usagers de drogues illicites. En octobre, nous assurent les membres de la commission, sortiront les fameuses "propositions précises", exigées par Simone et Charles .

L’automne passe, puis vient l’hiver. Interpellés par les médias, Simone Veil et Philippe Douste-Blazy se planquent derrière le rapport.

Ça coince... et c’est normal. En effet, chaque fois qu’un gouvernement commande un rapport sur les drogues, la réponse est invariablement la même : il faut, en tous cas, en dépénaliser l’usage.

Ebranlé dans ses convictions premières, le professeur Henrion défendra-t-il ce que veut entendre le gouvernement ? Des bruits courent sur le match opposant les partisans de la dépénalisation, dont le professeur Henrion, et les autres emmenés par Michel Bouchet. La commission subit-elle des pressions de la part de Simone et Charles qui ne veulent pas de ce débat à quelques mois de la présidentielle ? C’est ce que nous entendons.

Nous voilà en 1995. Nous lisons dans la presse que de réunion en réunion, la tendance pour la dépénalisation l’emporterait d’une voix et que la bande à Michel menace de se désolidariser.

Le rapport qui devait atterrir le 20 janvier - jour du procès du CIRC - sur le bureau de Simone, arrive le 3 février, jour où le CIRC est condamné au nom du L. 630... Et jour de la Saint Blaise, le patron des rouisseurs (3) de chanvre.

En comptant le rapport du Comité d’éthique et la résolution de la consultation des jeunes, l’Etat perd trois à zéro dans le match qui l’oppose aux antiprohibitionnistes. Mais toujours aussi hypocrite et méprisant, il s’en balance.

Jean-Pierre Galland


1. Office central de répression du trafic des stupéfiants.

2. Direction générale à la lutte contre la drogue et la toxicomanie.

3. Cherchez dans le dico.