En 1993, Charles Pasqua, qui traversait alors sa période de "sage" moderne, annonçait la tenue d’un grand débat national et parlementaire sur "les" drogues douces. Une audace de courte durée, à laquelle il préféra une commission chargée d’avaliser le statu quo de la prohibition. Pourtant, à la majorité de ses membres, cette commission se prononça pour la dépénalisation du cannabis, plante dont le plus grand danger est... de mener ses adeptes en prison.

Malgré ces tâtonnements, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander un débat sur les drogues. Ainsi l’ANIT (Association nationale des intervenants en toxicomanie), le Comité consultatif national d’éthique ou encore la FASP (Fédération autonome des syndicats de policiers).

L’air du temps

Quoi qu’il en soit, le 7 juin, à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré stigmatisa devant des députés médusés "le laxisme et la faiblesse" de son prédécesseur (Charles Pasqua) en la matière. Deux jours plus tard, c’était au tour du président Jacques Chirac, toujours diplomate, d’insulter publiquement le premier ministre néerlandais, Wim Kok, sur sa politique en matière de drogues. Avant de rendre une visite amicale au roi du Maroc, premier pays exportateur de haschisch et premier fournisseur de la France.

Le refus du débat démocratique a atteint son paroxysme avec l’interdiction par le préfet de police de Paris, Philippe Massoni, d’une soirée privée de discussions organisée le 16 juin à Paris par le CIRC (Collectif d’information et de recherche cannabique). Les invités, dont l’ancien eurodéputé (Verts) Yves Frémion et le président de Radical Jean-François Hory, se retrouvèrent à la porte de l’Espace Voltaire devant un cordon de CRS en tenue de combat. Le débat devint alors meeting devant plusieurs dizaines de participants attentifs et autant d’hommes en armes (probablement eux aussi en quête d’informations).

Et vint l’ère Chirac

Une semaine plus tard, la brigade des stupéfiants convoquait pour audition les citoyens ayant eu l’impudence de braver l’interdiction du préfet de police. Ainsi, Dominique Voynet et Stéphane Lavignotte, pour les Verts, furent longuement entendus au Quai des Orfèvres, comme de "vulgaires" trafiquants. Un inspecteur se présenta même au siège de Radical pour interroger Jean-François Hory, mais ce fonctionnaire zélé fut immédiatement rappelé par ses supérieurs avant de violer l’immunité parlementaire européenne du président du Parti radical transnational.

Changeant son fusil d’épaule, le parquet a déféré les seuls organisateurs de ce débat devant le tribunal correctionnel. Fabienne Lopez (présidente du CIRC Paris-Ile-de-France) et Jean-Pierre Galland (président de la Fédération des CIRC) ont été invités à se présenter le 15 décembre devant la XVIe chambre correctionnelle pour "organisation de manifestation malgré interdiction". La convocation ne fait mention ni du débat interdit ni de la substance prohibée dont on souhaitait parler.

Cette péripétie judiciaire illustre la volonté des autorités de mettre un terme aux velléités de débat démocratique sur ce sujet en condamnant les citoyens turbulents. La logique de ce processus devrait conduire l’administration à interdire le CIRC et à prononcer sa dissolution. Une mesure que préconise déjà le très réactionnaire et néanmoins influent SCHFPN (Syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale). Il est vrai qu’il faut faire vite : les CIRC se multiplient en province, où ils tiennent rassemblements et débats avec le soutien d’élus locaux.

La Rédaction