Bob Denard s’ennuyait beaucoup. La retraite ne le tentait pas vraiment. Le contrôle judiciaire, comme émotion forte, il avait connu mieux... Et puis cet homme là avait fini par s’habituer aux Comores.

À Paris, des hauts diplomates étaient justement, eux-aussi, en train de penser aux Comores. C’était bien beau d’avoir chassé Denard de là, il y a six ans, mais ça ne rapportait rien. Encore un peu et on pourrait faire une croix sur ce confetti perdu de l’Empire. "Y’a qu’à envoyer Denard !", dit quelqu’un pour faire une blague. "C’est sûr qu’il ne demande que ça", précisa un autre qui avait déjeuné avec lui la veille.

En deux coups de cuiller à pot, on ficela l’expédition : financement, recrutement, c’était un jeu d’enfant. De nuit blanche en nuit blanche, le projet remonta sur le bureau du Président. Il y avait Foccart et quelques autres experts le jour où il fallut prendre une décision. Parmi ces experts, le politologue. Lui n’était pas du tout d’accord : "Vous avez vu la courbe des sondages ?, dit-il. Vous n’êtes pas un peu fous ?! Si on fait un coup pareil, dans le climat actuel de critique de la politique africaine, on va se retrouver avec une campagne anti-colonialiste et on perdra encore trois points. Pour un peu, on va se prendre le Rwanda dans la gueule et Emmanuelli aura été pour rien à Kigali !"

Dans un confortable fauteuil, en face du politologue, à gauche du Président qui s’envoyait une Corona avec une tranche de citron vert, il y avait le stratège. Un homme qui pense vite. Avec un petit sourire, il prit la parole : "Voilà ce qu’on peut faire. On envoie Denard. On lui donne le feu vert et tout ce dont il a besoin. Mais discrètement. Et dès qu’il fait son coup, on se retourne contre lui. On lui envoie un corps expéditionnaire, comme l’autre fois. C’est fou ce qu’on gagne en honorabilité avec des trucs comme ça. Et on reprend le contrôle des Comores au passage."

C’était lumineux. Sifflement admiratif du Président. Le politologue, retournant sa veste, dit : "Ça peut être avantageux, surtout que ça nous permet de faire diversion pour Mururoa..." Un troisième malin ajouta : "Tant qu’à faire, on colle dans l’équipe de Denard des excités d’extrême-droite, François-Xavier Sidos par exemple." Sidos qui était, il y a peu, mis en cause dans une tentative d’assassinat contre un conseiller de Charles Pasqua.

Le président acquiesça à l’ensemble du plan : première étape, on donne le feu vert à Denard. Il faut à ce moment là que tout le monde croie, dans les services, chez les mercenaires, dans l’extrême droite ou chez nos amis journalistes qu’on est derrière lui. Et dès le lendemain, on démarre la deuxième étape : rétablissement de la loi et de l’ordre aux Comores.

Michel Sitbon