De longue date, que ce soit pour les crimes de sang, les attentats à l’explosif ou par mitraillage des biens publics ou privés, ou les vols à main armée, la Corse se distingue par un taux élevé de faits constatés, et par un faible taux d’élucidation.

Ainsi, entre 1979 et 1998, 924 homicides ont été commis ou tentés. De 1974 à 1997, 9 policiers et gendarmes, et 5 élus ont été tués.

Le taux d’élucidation moyen de ces homicides (rapport entre les faits élucidés et faits constatés) pour la période 1979-1998 est de 50 %, alors qu’il est de 82 % pour la même période sur le continent.

Le ministère de l’intérieur indique que " l’absence de témoignages ou d’indices matériels, comme la difficulté de déterminer un mobile de ces infractions, expliquent pour partie cette différence ".

La particularité de cette situation tient à un double aspect : la petite criminalité est relativement faible : ainsi, en 1998, la Corse du Sud se classait, pour le nombre de délits commis pour 1 000 habitants, en 33e position des départements français (36e pour la Haute-Corse). Le déploiement considérable des diverses forces de sécurité enregistre là son résultat le plus probant. Mais en revanche, s’agissant des motifs réels de leur présence, c’est-à-dire la répression des violences terroristes, sous le triple aspect des homicides, vols à main armée et attentats, après avoir fléchi en 1997 et surtout 1998, ces violences sont en nette recrudescence depuis le début de l’année 1999.

Ainsi 105 vols à main armée sont-ils intervenus sur les huit premiers mois de l’année 1999 dont, pour la seule Corse-du-Sud, 23 en mars et 19 en août.

Quant aux attentats contre les personnes et les biens, après être passés de 315 en 1997 à 98 en 1998, ils ont repris à un rythme élevé depuis le mois de mars 1999, 230 attentats ayant été comptabilisés au début octobre 1999. Depuis le passage dans l’île du Premier ministre, les 6 et 7 septembre dernier, à son discours de fermeté a répondu la multiplication des attentats.

A) LES ATTENTATS CONTRE LES BATIMENTS PUBLICS

Les manifestations les plus symboliques de cette violence consistent en attentats par explosifs visant les bâtiments publics : réduits, si l’on ose dire, à une vingtaine en 1998, ils se chiffraient déjà à près d’une cinquantaine pour les neufs premiers mois de 1999, et se sont considérablement accentués ces dernières semaines.

Ces attaques contre les symboles de la présence de l’Etat en Corse peuvent être considérées comme une forme de défi exprimé par les nationalistes envers cette présence qu’ils récusent. Ces attentats illustrent, jusqu’à la caricature, les impasses de la violence nationaliste : faciles à réaliser (la protection de tous les bâtiments publics mobiliserait un nombre disproportionné de forces de sécurité), donc quasiment sans risque pour leurs auteurs, ils sont fortement médiatisés, et censés démontrer et la vigueur des forces nationalistes, et l’impuissance de l’Etat.

Toutes les implantations de la République sont atteintes :

 les premiers visés sont les bâtiments relevant du ministère des Finances : trésoreries, locaux des douanes et des impôts. Ainsi, de 1992 à 1998, dix attentats ont visé ces différents services, dont deux majeurs : l’un a visé l’hôtel des impôts de Bastia, au mois de décembre 1995, le détruisant entièrement ; l’autre a été effectué au domicile d’un agent vérificateur, le 10 décembre 1998, n’entraînant, par miracle, que de légères blessures infligées aux proches voisins ;

 la trésorerie d’Ajaccio a fait l’objet d’un nouvel attentat, le 21 juin dernier ;

 les services de police et de gendarmerie paient également un lourd tribut, avec des plasticages répétés, et même des attaques en règle comme celle qui a entièrement détruit les locaux de la brigade de gendarmerie de Pietrosella, au sud d’Ajaccio en 1997 ;

 les bâtiments académiques ne sont pas épargnés, et l’on renonce à énumérer le détail des plasticages que le rectorat d’Ajaccio a subis.

Outre la menace potentielle -et parfois réelle- que ces attentats représentent pour les agents de l’Etat, leur coût financier est loin d’être négligeable6(*), et ces actions violentes sont rarement suspendues, même à l’occasion des " trêves " annoncées par les mouvements clandestins.

B) LES ATTENTATS CONTRE LES PERSONNES

· Tous ne relèvent pas de la violence nationaliste, et nombreux sont ceux qui, non revendiqués, tiennent à des différends d’ordre privé qui se régleraient ailleurs devant les tribunaux. Cette voie inusitée de " solution " apportée à des conflits, parfois mineurs (propriétés rurales, bornage...) illustre la banalisation du recours à la violence pour des querelles subalternes, démentant ainsi l’image mythique d’une population soudée et solidaire, notamment contre " l’occupant " français, que voudrait promouvoir certains nationalistes.

· En revanche, un certain nombre d’attentats touchent des personnes en raison de leur appartenance politique, et même ethnique.

L’exemple récent le plus significatif est le dynamitage, dans la nuit du 17 au 18 septembre dernier, d’une ferme située près de Porto-Vecchio, qui venait d’être acquise par une famille d’agriculteurs bretons. Revendiqué le 20 septembre par le FLNC-Canal historique, qui exprime ainsi une mise en garde envers les " allogènes " pour qu’ils comprennent que " la terre corse ne leur appartiendra jamais ", cet attentat n’a quasiment pas été condamné par les élus insulaires, nationaux ou locaux. Il a même été justifié par le groupe nationaliste Corsica Nazione de l’assemblée territoriale.

Cette acceptation tacite, cette quasi-tolérance d’actions violentes qui susciteraient une révolte partout ailleurs en France sont une part constituante du caractère atypique de la criminalité sévissant en Corse, que des liens complexes unissent au phénomène nationaliste.


Source : Sénat. http://www.senat.fr