A) UN PHENOMENE NATIONALISTE VIOLENT DES SES ORIGINES (1975-1989)

Le Front de Libération Nationale de la Corse (FLNC) a été fondé en 1976, pour structurer politiquement le mouvement de protestation qui s’était exprimé l’année précédente par l’occupation d’une entreprise viticole située à Aléria, sur la côte orientale de l’île. Cette action, menée par Edmond Siméoni, visait à dénoncer les aides spécifiques accordées aux exploitants d’origine non corse (en l’occurrence, des Français rapatriés d’Algérie), et s’était soldée par la mort de deux gendarmes, tués lors de l’assaut visant à déloger les occupants de l’exploitation.

La dénomination, inspirée du FLN algérien, comme les revendications exprimées lors du mouvement d’Aléria (rupture de l’égalité entre corses et non corses, affairisme supposé de l’exploitant viticole mis en cause) soulignent l’aspiration à une " pureté régionale ".

Face à l’émergence de cette violence d’un nouveau genre, l’Etat ne reste pas sans réagir : Edmond Siméoni est traduit devant la Cour de Sûreté de l’Etat, en 1976, tout comme les huit membres d’un commando ayant investi l’hôtel Fesch, à Ajaccio, en 1980.

La condamnation de ces derniers à des peines de un à quatre ans de prison, le 11 février 1981, est suivie par une " nuit bleue ", dénomination poétique pour une réalité qui ne l’est pas : 45 charges d’explosif en Corse, 3 à Paris.

Cependant, le poids croissant de l’aspiration nationaliste amène le gouvernement issu de l’alternance de 1981 à lui donner une réponse politique, avec la mise en place par Gaston Defferre d’un statut juridique spécifique à la Corse, en 1982.

Les premières élections régionales découlant de ce statut, au scrutin proportionnel, permettent aux deux listes nationalistes, dont la principale est conduite par Edmond Siméoni, de recueillir 13 % des voix, et 8 sièges, sans pour autant apporter une réponse à la violence endémique par laquelle s’expriment les nationalistes.

Aussi est-il créé à Ajaccio, en 1983, un poste de préfet adjoint à la sécurité, sur le modèle déjà existant à Lyon, Lille et Marseille, dont le premier titulaire est Robert Broussard. Son action vigoureuse contribue à restaurer la paix civile.

Il faut cependant constater que la satisfaction d’une partie des revendications politiques des nationalistes corses par l’instauration d’un statut particulier n’enraye pas, bien au contraire, la vague d’attentats, qui finissent par constituer un élément de la spécificité corse, au même titre que l’insularité ou le climat.

B) LA SANGLANTE DESAGREGATION DU FLNC (1989-1996)

Soudé dans ses premières années, le mouvement nationaliste enregistre une première défection d’importance avec la fondation, en 1989, de l’ " Accolta naziunale corsa " (ANC) par Pierre Poggioli, qui était un militant de la première heure du FLNC.

Tout comme ce mouvement, l’ANC se dote d’une branche armée : Resistenza.

Puis les dissidences se succèdent. En 1990, Alain Orsoni fonde le " Mouvement pour l’autodétermination " (MPA), dont la branche armée est le FLNC-Canal habituel.

En réponse, les fidèles au FLNC d’origine, devenu la " Cuncolta nazionalista ", baptisent leur structure militaire clandestine le " FLNC-Canal historique ". Trois personnalités animent ce dernier mouvement : François Santoni (directeur commercial de Bastia Securita, société de transport de fonds, à partir de 1994), Charles Pieri, et Jean-Michel Rossi, qui dirige le journal " U Ribombu ".

Aux élections territoriales de 1992, consécutives à l’adoption d’un nouveau statut pour la Corse sous l’impulsion du ministre de l’intérieur Pierre Joxe, les nationalistes regroupés dans une liste commune (seul le MPA s’en est dissocié) " Corsica Nazione ", menée par Edmond Siméoni, remportent près d’un quart des voix.

Paradoxalement, ce bon score, loin d’unir les nationalistes pour réussir la rénovation de la vie politique corse, dont ils ont dénoncé la sclérose et les compromissions, amorce une ère de règlements de comptes sanglants dont il est difficile de saisir toutes les motivations.

Le premier meurtre qui sème le trouble dans l’esprit des militants est celui de Robert Sozzi, membre du FLNC-Canal historique, dont l’élimination est publiquement revendiquée par ce même mouvement, lors des journées de Corte d’août 1993, du fait de la " menace " qu’il aurait constituée pour ce mouvement.

Les années qui suivent sont ponctuées d’actions criminelles, tentées ou réussies, culminant avec l’assassinat de Jules Massa, proche de François Santoni, en février 1996, puis l’explosion d’une voiture piégée à Bastia, le 1er juillet suivant, qui tue un proche de Charles Piéri, et blesse ce dernier.

C) LA REFONDATION NATIONALISTE (1996-1999)

Ces dissensions sanglantes sur fond d’affairisme n’ont pas manqué de décourager les militants les plus idéalistes. Ceux-ci contestent également les négociations qui, sporadiquement, réunissent émissaires des gouvernements successifs et responsables nationalistes pour parvenir à une trêve des armes en contrepartie de la satisfaction de diverses revendications (enseignement de la langue corse, aménagement de la dette agricole...).

La plus médiatisée de ces entreprises échoue à Tralonca, village proche de Corte où la Cuncolta organise, le 11 janvier 1996, une vaste conférence de presse que l’on n’ose qualifier de " clandestine " tant l’accès des différents moyens d’information y est organisé, y compris par les forces de sécurité de l’Etat. Cette démonstration de force -les nationalistes y paraissent nombreux et dotés d’un armement moderne- visait à faire savoir publiquement que le principal mouvement nationaliste, animé alors par François Santoni, acceptait de négocier avec le gouvernement. Cette offre devait se concrétiser lors de la visite, effectuée le lendemain, du ministre de l’intérieur Jean-Louis Debré en Corse.

Mais l’opinion publique fut moins frappée par ces bonnes intentions affichées que par la puissance de feu exhibée par les nationalistes, et l’opération n’aboutit donc pas au résultat recherché. En revanche, celle-ci contribua à persuader les militants les plus intransigeants que leurs idéaux n’étaient plus défendus par les organisations en place. De nouvelles défections s’en suivirent, affectant la Cuncolta (fondation de " Fronte Ribellu ") et le MPA (" Corsica Viva ").

Les plus radicaux des nationalistes refusent, quant à eux, de se regrouper derrière un sigle ; le communiqué anonyme de revendication de l’assassinat du préfet Erignac est d’ailleurs explicite à cet égard :

" Nous ne sommes pas un énième mouvement, renaissant, dissident ou en gestation. Nous sommes les fils de cette terre, jaloux de ses valeurs ancestrales ".

Mêlant " intellectuels " et " agriculteurs " militants du Syndicat des Paysans Corses (SPC), ce mouvement veut retrouver l’intégrité, dans tous les sens du terme, du nationalisme des origines. Plus qu’une dérive " brigadiste ", évoquée en référence à la violence des Brigades rouges italiennes, il s’agit d’une scission intégriste, par sa volonté de renouer avec la pureté mythique de la lutte nationale.

Le passage de la théorie à l’action est consommé avec l’assassinat du préfet Erignac.


Source : Sénat. http://www.senat.fr