Comme ailleurs en France, le littoral de la Corse fait l’objet d’appétits qui rendent particulièrement important le respect des règles d’urbanisme et des prescriptions des lois " montagne " et " littoral ", notamment en ce qui concerne la bande des 100 mètres.

La responsabilité de ces manquements au droit de l’urbanisme sont multiples. Au-delà de celle des services de l’État ou des communes régulièrement mises en avant, il convient également de rajouter celle de certains notaires. En effet, ceux-ci sont censés assurer la sécurité juridique des actes authentiques. Ayant le monopole des mutations immobilières, ils interviennent donc dans toutes les ventes. Ainsi, au sujet d’un immeuble construit à San Nicolao dont le permis avait été annulé par le tribunal, le préfet de Haute-Corse avait écrit au président de la Chambre départementale des notaires pour qu’il " porte cette décision de justice à la connaissance d’éventuels acquéreurs de logements compris dans cet ensemble immobilier " ; les logements avaient hélas été déjà tous vendus.

S’agissant de certains contentieux significatifs, la préfecture de la Haute-Corse a, à titre d’exemple, fourni à la commission une liste de dossiers allant d’occupations illégales du domaine public maritime à des constructions sans permis. Cet inventaire, forcément lacunaire, illustre parfaitement la propension à ignorer les contraintes d’urbanisme, les recours dilatoires à la justice et l’incapacité chronique des administrations à faire exécuter les décisions des tribunaux.

Dans cette liste, on note par exemple :

 dans la commune du Poggio-Mezzana (lieu-dit Alba Serena) : un promoteur, M. Paul Semidei, a obtenu un permis de construire en 1981 pour la construction d’un complexe touristique au bord de la mer ; en 1986 et en 1988, les services de la direction départementale de l’équipement dressent une série de procès-verbaux pour non-respect du plan de masse, pour construction au-delà du permis de plusieurs logements ainsi que pour des constructions dans la bande des 100 mètres ; en février 1993, M. Semidei est condamné par le tribunal de grande instance de Bastia à démolir sous astreinte les bâtiments implantés dans la bande des 100 mètres (40 pavillons, deux chapiteaux, une aire de jeux et une tribune avec gradins), ainsi qu’à une amende de 200 francs par mètres carrés réalisés en infraction (soit 13.913 m_) ; ce jugement est annulé en janvier 1994 par la Cour d’appel de Bastia en tant justement qu’elle imposait la démolition des ouvrages édifiés sans permis (l’amende est en outre ramenée à 30 francs par m_) ; après que l’arrêt eût été cassé par la Cour de cassation en mars 1995, justement parce qu’il n’imposait pas la destruction, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Montpellier qui, en juin 1996, ordonne sous astreinte la démolition des ouvrages exécutés sans permis de construire en vue de mise en conformité des lieux avec le permis de construire initial, arrêt confirmé par la Cour de cassation en octobre 1997 ; la date limite d’exécution fixée par le jugement (3 mois après qu’il soit devenu définitif) était donc le 16 janvier 1998 ; après plusieurs mises en demeure et constatant qu’aucune démolition n’avait été entamée, le préfet de Haute-Corse a fait procéder à la démolition partielle des chapiteaux par des moyens militaires en mai 1998 ; M. Semidei, présent lors de l’intervention du génie, a alors pris l’engagement de poursuivre lui même la destruction des constructions illégales ;

 dans la commune d’Aléria : un établissement, construit sur le domaine public maritime avec protection en enrochements, est toujours debout malgré une condamnation à démolir (par un jugement de décembre 1995) et une autorisation d’exécuter d’office (par jugement d’octobre 1996) ; il est à noter que l’enrochement est vraisemblablement à l’origine d’une forte érosion qui a fait tomber dans le domaine public les dépendances de trois autres établissements voisins ;

 dans la commune de Belgodère : deux restaurants de plage occupent sans autorisation le domaine public maritime et leurs propriétaires ont été condamnés par le tribunal administratif à remettre les lieux en l’état (jugements respectivement de juin et novembre 1995, confirmés en appel respectivement en février1996 et septembre 1996) ;

 dans la commune de Lucciana : un terrain de camping déclassé en 1989 et fermé pour motif d’hygiène en 1993 (fermeture confirmée par le tribunal administratif en décembre 1997) accueille 173 constructions édifiées en toute illégalité, dont des habitations mobiles progressivement transformées ;

 dans la commune de Linguizetta : un village-vacances pour naturistes reste ouvert malgré une mise en demeure depuis août 1995, dans l’attente d’une décision de justice ;

 dans la commune de Ghisonaccia : un restaurant a été construit sur un terrain soumis à la loi " littoral " sur la base d’un permis de construire non exécutoire car non transmis au contrôle de légalité et, qui plus est, signé par le maire de la commune alors qu’il était incompétent pour le faire puisqu’il est propriétaire du terrain ; détruit par un attentat en 1997, le restaurant a été reconstruit et continue à être exploité ; une procédure judiciaire est en cours ;

 dans la commune de Costa : deux bâtiments ont été construits sans permis en 1994 et un jugement de juillet 1996 a prononçé la démolition sous astreinte de 500 francs par jour de retard ; une lettre du préfet de juin 1998 mettant en demeure d’exécuter le jugement sans délai est revenue en préfecture avec la mention " n’habite plus à l’adresse indiquée " ;

 dans la commune de Corte : une construction en bois à usage commercial a été construite sans permis dans un site classé ; un jugement de décembre 1996 a ordonné la destruction sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard, jugement confirmé en appel en juillet 1997, le contrevenant se pourvoyant en cassation ; il s’agit d’ailleurs d’un récidiviste puisqu’à l’occasion d’un contentieux précédent et de même nature, il avait pu jouir d’une construction illégale jusqu’à la confirmation rendue par la Cour de cassation d’avoir à démolir et à payer l’astreinte, qui n’a d’ailleurs pas été encore recouvrée ;

 dans les communes de Furiani et Biguglia : les terrains d’un lotissement ont été vendus alors que les prescriptions de l’autorisation de lotir n’ont pas été respectées ; d’abord relaxé en première instance en février 1992, le lotisseur a été condamné en appel à une amende de 8.000 francs et à remettre le lotissement en conformité dans un délai de 18 mois sous astreinte de 500 francs par jour de retard, jugement confirmé en cassation en septembre 1993 ; le préfet n’a saisi qu’en juin 1998 le maire pour qu’il fasse effectuer les travaux d’office aux frais et risques du lotisseur et le comptable public pour qu’il recouvre l’astreinte.

De tels exemples pourraient encore être multipliés. Mais, il n’est pas inutile de terminer sur le dossier dit des " bergeries de Calvi " qui constitue un scandaleux feuilleton urbanistique et judiciaire.

En 1985, un ensemble immobilier (7 bâtiments d’une surface habitable totale de 1.300 m_) a été construit en 1985 dans une zone non constructible du plan d’occupation des sols et, évidemment, sans permis. Ces constructions ont fait l’objet de verbalisations par les services de l’urbanisme et la gendarmerie, d’un arrêté interruptif des travaux signé par le maire de Calvi et d’un refus d’un permis de régularisation.

Le contrevenant, M. Mathieu Costa, locataire du terrain, a été condamné à 20.000 francs d’amende et à démolir les constructions en juin 1990, jugement confirmé en appel en mars 1991. Une mise en demeure d’avoir à exécuter le jugement étant restée sans résultat, le préfet a engagé la mise en œuvre de la procédure de démolition d’office. Mais, ayant appris que le bail avait été résilié depuis juin 1988 (le jugement n’ayant été publié à la conservation des hypothèques qu’en septembre 1991), le préfet s’est retourné vers les propriétaires du terrain - M. et Mme Antoine Donsimoni, huissier de justice et son épouse, résidant à Paris - en les informant, en novembre 1991, de son intention de procéder à la destruction des constructions. Devant la résistance des intéressés et les difficultés d’exécution (certains des bâtiments sont occupés), l’État a saisi le juge des référés, qui a fait droit à sa requête. La décision du juge des référés a naturellement fait l’objet d’un appel. Mais, la procédure a été hypothéquée par l’existence d’un pourvoi en cassation de M. Costa contre l’arrêt de la cour d’appel de mars 1991. Ce pourvoi avait d’ailleurs mis en échec une deuxième tentative de démolition engagée par le préfet. La Cour de cassation a, en novembre 1992, retenu le vice de forme invoqué par M. Costa, cassé l’arrêt de la cour d’appel de mars 1991 et renvoyé à la cour d’appel d’Aix en Provence.

Dès réception de la décision de cassation, le parquet général d’Aix a été saisi pour inscrire l’affaire dans les plus brefs délais. Trois arrêts successifs - en juin 1993, janvier 1994 et février 1995 - ont été nécessaires pour mettre un terme à l’action pénale. Les divers rebondissements ont tenu à l’attitude du propriétaire qui a multiplié les procédures dans le but de retarder les décisions de démolition prononcées par les juges : les pourvois en cassation formés contre les deux derniers arrêts de la cour d’appel d’Aix en Provence ont été rejetés en mai 1996.

Mais en marge de ces diverses actions, M. Donsimoni a saisi le tribunal administratif pour faire annuler la lettre du préfet de novembre 1991. En mai 1997, le tribunal administratif annule la lettre préfectorale. L’État fait appel.

En résumé :

 il apparaît que le contentieux pénal est terminé : l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence de février 1995 est devenu définitif en mai 1996 après le rejet du pourvoi en cassation : il condamne M. Costa à une amende (3,5 millions de francs, dont 2 avec sursis) et à démolir les bâtiments illégalement construits dans les six mois qui suivent la date à laquelle le jugement est devenu définitif, soit avant la fin novembre 1996 ;

 par contre, la contentieux civil reste pendant puisque l’arrêt de la cour d’appel de Bastia de novembre 1996, confirmant l’ordonnance de référé de janvier 1992 et constatant le caractère définitif de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence, a fait l’objet d’un pourvoi en cassation ;

 il en va de même pour le contentieux administratif en raison de l’appel formé par l’État contre l’arrêt du tribunal administratif de Bastia de mai 1997.

Les services de l’équipement recommandent dès lors d’attendre les décisions de la Cour de cassation et de la Cour administrative d’appel.

En ce domaine particulièrement sensible de l’urbanisme, la commission d’enquête a ainsi pu constater que le comportement des contrevenants, procéduriers particulièrement expérimentés et imaginatifs, aboutissait à retarder l’application pleine et entière de règles protectrices de l’environnement. L’effet sur l’opinion publique est désastreux puisque les constructions illégales sont toujours debout et apparaissent ainsi comme de véritables provocations.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr