Toute une série de facteurs géopolitiques ont, en 1995-1996, renforcé le rôle de région clé dans le trafic international des drogues que tient le Proche-Orient depuis les années 1920. La Turquie semble désormais le pôle où convergent trois évolutions importantes. La première concerne la nature même du trafic : ce pays n’est plus seulement un lieu de passage de l’héroïne produite dans le Croissant d’or mais elle s’implique de plus en plus dans la transformation de l’opium et de la morphine base en héroïne. La seconde concerne les voies du trafic. L’effondrement des économies caucasiennes et de l’Asie centrale a dynamisé le rôle de l’espace turcophone. Ce dernier permet aux filières turques de l’héroïne d’atteindre l’Europe via l’espace de l’ex-Union soviétique et la Mer noire. Ainsi, la route des Balkans pousse de plus en plus vers le nord, faisant du Caucase un lieu de transit par excellence. Cette route a tendance à devenir multidrogues et à fonctionner dans les deux sens : elle achemine en Europe, outre l’héroïne, de la cocaïne (transformée souvent au Liban) et dirige sur le Proche et Moyen-Orient des drogues de synthèse produites en Europe. La troisième évolution est politique : une série d’affaires ont publiquement démontré que des liens solides existent entre les protagonistes des conflits politiques et militaires du sud-est anatolien (Kurdistan), du Liban et du Caucase (Abkhazie, Adjarie, Ossétie, Haut-Karabakh, etc.) et le trafic des drogues. Aucun pays de la région n’est épargné par cette relation. En Syrie, au Liban, à Chypre et même en Israël, la drogue n’est plus seulement un produit mercantile ou un moyen de financement d’activités liées aux conflits divers. Elle devient surtout un outil politique et diplomatique utilisé par tous les protagonistes. Cette "spirale de la dénonciation" des trafics du camp adverse devient à son tour un révélateur de l’importance du trafic de drogues dans toute la région. La consommation, elle aussi, connaît une évolution remarquable. La cocaïne émerge sur les marchés moyens-orientaux (surtout en Turquie et au Liban) et les premières études épidémiologiques, certes encore discrètes et fragmentaires, indiquent un développement de la consommation d’héroïne et des drogues de synthèse dans toute la région.