L’Italie est, en 1996, un pays en pleine mutation, placé sous le signe de la redistribution des cartes. La situation du trafic de drogues y est, et y sera dans les années à venir, déterminée par l’évolution de la criminalité organisée. Cette dernière connaît des bouleversements sans précédent avec la fin des parrains historiques de la Camorra napolitaine qui coïncide avec l’émergence de nouvelles bandes encore plus impitoyables, tandis qu’en Sicile les Corléonais, - à la tête de la Cosa Nostra depuis le début des années 1980 -, connaissent une crise sans précédent, aggravée par le retour de leurs ennemis exilés en Espagne ou aux Etats Unis. Le caractère décentralisé du trafic de drogues et l’apparition de nouveaux acteurs ne fait que traduire les nouvelles formes prises par les organisations criminelles pour faire face à la répression. On assiste également à un redéploiement du narcotrafic, en particulier dans les anciens pays communistes et en Afrique. Les différentes organisations criminelles sont en effet menacées en Italie par le nombre croissant de repentis (un par jour en moyenne). Pourtant, la guerre contre le crime organisé est loin d’être gagnée, la multiplication des repentis entraînant des dérapages qui suscitent un débat virulent au sein de la classe politique. En outre, les juges, éléments moteur d’un bouleversement politique qui a entrainé la disparition du premier parti politique de la péninsule (la Démocratie chrétienne - DC) et l’écrasement du Parti socialiste, sont déchirés par une impitoyable guerre interne. Ce bouleversement dévore ainsi ses acteurs pour le plus grand bonheur de la criminalité organisée.

Restructuration des alliances mafieuses et pusillanimité des hommes politiques

La disparition de la Démocratie chrétienne de l’échiquier politique et la remise en cause de l’alliance traditionnelle avec le courant Andreotti lorsqu’il n’a plus été capable de la protéger de la justice, ont incité la criminalité organisée à chercher de nouvelles alliances politiques. Après avoir tenté en vain de lancer son propre parti indépendantiste en Sicile et avoir financé des ligues en Calabre, elle a finalement trouvé localement des accords avec le parti de Silvio Berlusconi (Forza Italia - FI) et les anciens néofascistes d’Alleanza nazionale. C’est en tout cas la conviction des juges de Palerme qui, après avoir fait arrêter le président de la région, l’avocat Francesco Mussoto, ancien socialiste passé dans les rangs de Silvio Berlusconi, ont demandé le renvoi devant les tribunaux de Marcello dell’Utri (député de FI et président de Publitalia, la régie publicitaire du groupe Berlusconi qui détient 50 % du marché italien) pour complicité avec la mafia.

L’arrivée au pouvoir d’une coalition de centre gauche (qui va de l’aile gauche de l’ex-DC aux verts en passant par les anciens communistes du Parti démocratique de gauche (PDS) et avec l’appui extérieur des communistes orthodoxes de Rifondazione Communiste) aurait de quoi inquiéter la criminalité organisée n’était sa prodigieuse capacité à s’adapter. Déjà, on signale des cas de "recyclage" comme celui de l’avocat de la famille mafieuse Piromalli, un des groupes les plus puissants de la Calabre des années 1970, élu sur les listes de centre gauche. La mafia est loin d’être le premier souci du gouvernement. Englué dans une vaste réforme constitutionnelle, et soucieux de donner une image rassurante de lui-même, le PDS semble frappé d’une sorte de complexe du "compromis historique" à l’envers, recherchant à tout prix des alliances avec Silvio Berlusconi. Les grandes enquêtes sur les massacres de la stratégie de la tension des années 1970 sont vouées aux oubliettes par les politiques pour ne pas heurter l’OTAN, une institution dans le collimateur des enquêteurs. Le fer de lance de la lutte contre la criminalité organisée, la division anti-mafia du Reparto Operativo Speciale (ROS) a été réduit à sa plus simple expression et l’on s’attend à sa dissolution pure et simple en 1997. Quant au capitaine Ultimo, chef de la section anti-mafia des ROS responsable de l’arrestation du parrain des parrains Toto Riina il a, pour protester contre le manque de volonté politique du gouvernement de lutter contre la mafia, demandé sa mutation à la division cynophile des carabiniers. Même signe de faiblesse sur le front judiciaire en général et celui de la lutte contre la criminalité organisée en particulier. L’attribution de la présidence de la commission parlementaire d’enquête sur la mafia à Ottaviano del Turco, ancien responsable du syndicat UIL (socialiste) dont les compétences en la matière sont loin de faire l’unanimité, laisse entrevoir le pire. De même, le désir du PDS de supprimer la "complicité externe" dans le cadre de la loi sur l’association mafieuse, n’est pas pour rassurer. Cet article de loi a permis le renvoi devant les tribunaux de citoyens au dessus de tout soupçon, Marcello Dell’Utri, le bras droit de Silvio Berlusconi et surtout Bruno Contrada, l’ancien responsable du contre-espionnage à Palerme condamné à 10 ans de prison le 5 avril 1996. Même accusation pour Giacomo Mancini, ancien dirigeant socialiste condamné à 3 ans et demi de prison le 23 mars 1996.

Les enquêtes sur le monde politique et le blanchiment

Les procès les plus suivis sont ceux intentés à Giulio Andreotti (parrain Démocrate chrétien, sénateur à vie, sept fois président du conseil) : à Palerme, il doit répondre du délit d’association mafieuse tandis qu’à Pérouse, il est accusé d’avoir commandité l’assassinat du journaliste marron Mimo Pecorelli. L’ancien procureur de New York, Dick Martin, a confirmé pour la première fois que Tommaso Buscetta, "le prince des repentis", avait parlé d’Andreotti dès 1985. De son côté, l’ancien président du conseil affirme toujours être victime d’un complot orchestré par les Américains et ses avocats exhibent un document de la DEA qui établirait que Tommaso Buscetta, son principal accusateur, était un agent de la CIA depuis 1969. Une odeur de soufre entoure les deux procès. A Pérouse, il a été longuement question des liens entre Andreotti, la loge P2 et la "bande de la Magliana" (une structure criminelle au service de Cosa Nostra et des services secrets italiens). A Palerme, on a beaucoup évoqué le général Carlo Alberto dalla Chiesa, assassiné pour empêcher la divulgation d’un mémoire sur Andreotti rédigé par l’ancien président de la démocratie chrétienne Aldo Moro lors de son enlèvement par les Brigades Rouges au printemps 1978. Parmi les autres grands procès en cours (massacres de 1992 par exemple), celui concernant l’assassinat du juge Falcone, de son épouse et de leurs cinq gardes du corps brûle les étapes : après que cinq membres du commando responsables du massacre se soient repentis, le Ministère public, sûr de son dossier, renonce à l’audition de 350 témoins.

Deux grandes enquêtes concernant d’importantes organisations de blanchiment d’argent sont en cours. La première, Phoney Money, conduite par le substitut au procureur d’Aoste a vu, le 26 avril, l’arrestation de 18 personnes accusées d’avoir recyclé des millions de dollars sur les marchés internationaux avec la complicité de banquiers et d’agents secrets. Parmi les personnes inculpées, Gianmario Ferramonti, ancien conseiller de la Pontidafim, la société financière de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi et Enzo Di Chiara, un financier italo-américain qui se vante d’être un intime de Bill Clinton. Après avoir dénoncé l’existence d’une nouvelle loge P2 qui gangrène les institutions italiennes, David Monti, le substitut au procureur d’Aoste, s’est vu retirer la responsabilité de l’enquête. L’enquête "Check to Check", menée par des substituts au procureur de Torre Anunziata près de Naples, est tout aussi inquiétante. En plus de blanchiment d’argent, il est question de trafic d’armes de guerre et de matériel nucléaire (les juges ont saisi une faible quantité de matière fissile dans le coffre d’une banque de Campanie). Un trafic qui impliquerait le dirigeant ultranationaliste russe Vladimir Zhirinovsky, l’archevêque de Barcelone Ricard Maria Carles (garant d’une opération de recyclage de 500 milliards de lires italiennes auprès de l’IOR, la banque du Vatican), le trafiquant d’armes Nicholas Oman et un industriel somalien soupçonné d’avoir commandité.

"Super-mafia" et nouvelles drogues

La crise structurelle de la criminalité organisée semble s’approfondir. En Sicile, l’arrestation des principaux chefs corleonais et le repentir de certains d’entres eux ont mis fin au règne de terreur de Toto Riina, même si selon les enquêteurs, la direction de Cosa Nostra était entre les mains de deux de ses fidèles : Pietro Aglieri (dit u signurino, un jeune et fringant boss palermitain arrêté en 1997) et le vieux parrain corleonais Bernado Provenzano, tous deux clandestins. On assiste en revanche au retour sur la scène palermitaine des anciens ennemis des Corleonais (les perdants de la grande guerre des mafias qui fit rage entre 1981 et 1984) et à l’apparition de nouvelles bandes qui viennent rejoindre la Stidda, organisation qui est née de dissidences de Cosa Nostra dans la province d’Agrigente et les clans en guerre pour le contrôle de Catane. Pour répondre à ces différents assauts, en particulier aux effets dévastateurs des confessions des repentis, Cosa Nostra a bouleversé son organisation en renforçant la compartimentation de ses cellules. Cela a eu pour effet immédiat de rendre beaucoup plus difficile l’infiltration de la police et même l’obtention de renseignements. En outre, le démantèlement d’une cellule n’entraîne que sa disparition et ne met pas en péril, comme auraparavant, tout l’édifice. C’est la raison pour laquelle les magistrats utilisent, pour désigner la nouvelle forme d’organisation de la mafia sicilienne, l’expression de "super mafia".

En Campanie, l’implosion de la Camorra coïncide avec l’apparition de petites bandes toujours plus sanguinaires. Ces dernières, au cours d’affrontements avec les bandes de dealers kenyans et tanzaniens qui contrôlent des quartiers entiers de Naples dont ils ont chassé les napolitains, se sont livrées à de véritables massacres. En Calabre, la ’Ndrangheta renforce sa puissance, entre autre grâce à ses liens avec les trafiquants d’Albanie, du Montenegro et des anciens pays de l’Est. Enfin, on signale l’arrivée massive en Italie de gangs albanais qui cherchent à contrôler la prostitution par des méthodes barbares. En 1995, les assassinats imputés à la criminalité organisée étaient en augmentation de 14,8 % par rapport à l’année précédente.

Le trafic des drogues continue d’être une des activités importantes de la criminalité organisée. Ses modalités reflètent le nouveau type de structure des organisations criminelles : il est d’une part beaucoup plus décentralisé et d’autre part délocalisé sur le territoire de pays de plus en plus lointains ; il implique ensuite de nouveaux acteurs qui ne sont pas nécessairement liés aux mafias ; enfin, on assiste à une diversification des produits : les "nouvelles drogues" (type ecstasy) font leur percée, sans que l’héroïne et et la cocaïne ne cèdent pour autant du terrain. Quelques affaires illustrent cette permanence de l’implication des organisations criminelles et leur nouveau modus operandi. La première concerne la Camorra napolitaine.

Ce que la police suisse a appelé "l’opération Tonga" commence avec l’arrestation à partir du mois de juillet 1995, en Suisse et dans d’autres pays européens, d’une vingtaine de passeurs de cocaïne d’origine nigériane ou d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, munis de passeport des Etats-Unis. Ils étaient en possession de 2 à 4 kg de cocaïne, rarement plus. Leur point de départ était l’Italie où ils vivaient clandestinement. Ils se rendaient ensuite au Brésil où ils prenaient possession de la drogue, avant de rentrer en Italie via un autre pays européen. Le trafic, qui a porté sur 500 kg en deux ans, était destiné soit au marché italien, soit à celui des Etats-Unis via la base OTAN de l’U.S Navy de Naples, grâce à la complicité d’un officier d’origine colombienne. Les policiers italiens sont persuadés que la partie du trafic destinée à alimenter le marché local n’a pu que faire l’objet d’un accord avec la Camorra, et ils poursuivent leur enquête dans cette direction. La seconde affaire concerne une famille de la mafia. Une autre affaire importante a été l’arrestation, le 12 décembre 1997 à Douala (Cameroun), de Vito Bigione, originaire de Trapani et devenu propriétaire d’une société de pêche locale. Selon un juge de Palerme, il avait acheté aux Pays-Bas un navire, le M/P Eva Prima, pour transporter 320 kg de cocaïne du Brésil en Italie. Il travaillait pour le compte d’une famille sicilienne. Début février 1997, la police italienne a découvert 200 kg de cocaïne dans le port de Livourne tandis que 366 kg appartenant au même réseau étaient saisis dans le New Jersey par la police américaine. Les commanditaires du trafic étaient des membres de trois des grandes organisations italiennes - Sacra Corona unita (Pouilles), la ’Ndrangheta (Calabre) et Cosa Nostra (Sicile), qui avaient passé des accords avec des Colombiens.

En ce qui concerne l’héroïne, une des plus importantes affaires de ces dernières années porte sur 120 kg d’origine turque, saisis le 30 novembre 1996 à Milan, sur un réseau dirigé par Pasquale Gallo, un membre de la Camorra. Un Tchèque et un Allemand ont également été interpellés. A la mi octobre 1996, 36 personnes accusées d’avoir organisé, dans le nord de l’Italie, un important réseau de distribution d’ecstasy ont été arrêtées et 9 000 pilules saisies. La drogue, achetée aux Pays-Bas, était stockée à Bologne avant d’être revendue dans une dizaine de discothèques de la région. Le marché intérieur de toutes les drogues continue d’être porteur avec 250 000 consommateurs d’héroïne, de morphine et de codéine ; 200 000 à 400 000 de cocaïne ; 1,5 à 3 millions de dérivés de cannabis, etc. On a compté 1 097 morts par surdose en 1995 (contre 867 en 1994 et 1 300 en 1991). Une vague a frappé Palerme avec l’arrivée sur le marché d’une "héroïne-killer" (trop pure ou coupée avec des produits dangereux). Enfin, 30 % des détenus de la péninsule le sont dans le cadre d’affaires liées à la drogue.

Les effets ambigus de la politique à l’égard des repentis

Le nombre des repentis est en augmentation. En janvier 1997, le ministère de l’Intérieur revendiquait plus de 1 300 "collaborateurs de justice". Près de 5 000 de leurs parents bénéficient de la protection de l’Etat. Le budget alloué aux repentis et à la structure chargée de leur protection est d’environ 5 650 000 dollars.

Parmi les repentis les plus importants figure Calogero Ganci, fils du parrain Raffaele Ganci, membre du "groupe de feu" des Corleonais et responsable des grands assassinats politico-militaires des années 1980 (Dalla Chiesa, Chinnici, etc.) et de l’exécution du juge Falcone. Les procureurs de Rome et de Palerme attendent aussi beaucoup des confessions de Franscesco Di Carlo, ambassadeur de la Cosa Nostra en Grande- Bretagne, au cœur d’un vaste trafic d’héroïne et de cocaïne organisé par la famille Cuntrera, assassin présumé de Roberto Calvi, le banquier de la mafia et du Vatican responsable d’un crack de plus d’un milliard de dollars au début des années 1980. Extradé du Royaume-Uni où il purgeait une peine de 25 ans pour trafic de drogues, Franscesco Di Carlo a débuté ses confessions en accusant Silvio Berlusconi d’avoir hébergé, à la fin des années 1970, dans sa villa d’Arcore, le défunt chef de la famille mafieuse de Santa Maria di Gesu, Stefano Bontate. Des accusations qui confirment celles de Filipo Alberto Rapisarda, un financier sicilien en odeur de mafia proche de Marcello dell’Utri.

La gestion des repentis pose d’épineux problèmes. Une infime minorité continue ses trafics en dépit d’un contrat signé avec l’Etat. Ainsi, Giuseppe Ferrone, de la famille des Cursotti de Catane, alors qu’il bénéficiait du programme de protection réservé aux collaborateurs de la justice, a fait assassiner trois personnes (dont l’épouse de Nitto Santapaola, le boss de la ville, un des chefs corleonais les plus en vue). Le train de vie élevé de Felice Maniero, ancien boss qui contrôlait la Venetie, lui vaut un rappel à l’ordre. Quelques mois auparavant, Tommaso Buscetta avait dû interrompre une croisière à bord d’un navire de luxe après avoir été reconnu par des passagers. Au début 1997, le débat rebondit avec l’arrestation de Salvatore Contorno, repenti historique du calibre de Tommaso Buscetta. Contorno est accusé de trafic de drogues. Il se défend en parlant d’histoire ancienne et affirme qu’au début des années 1990 il a dû, l’Etat ne subvenant pas encore à ses besoins, vendre de la drogue à des prostituées et à des travestis pour survivre. L’important dédommagement (500 millions de lires) concédé à Balduccio Di Maggio (principal accusateur de Giulio Andreotti mais aussi l’homme qui fit arrêter Toto Riina) a suscité également de nombreuses controverses. L’indignation de la veuve du chef de l’escorte de Giovanni Falcone, qui survit grace à une maigre pension, entraîne des hommes politiques à demander le dédommagement des victimes par la saisie des biens des repentis.

Le débat sur les repentis est également nourri par les doutes des enquêteurs sur la crédibilité de certains d’entre eux. Le cas le plus délicat est celui de Giovanni Brusca, le boss qui appuya sur le détonateur au passage de la voiture de Falcone. Les enquêteurs doutent de la sincérité de ses propos et se demandent s’il ne s’agit pas d’un "faux repenti" implanté par Cosa Nostra pour fourvoyer les enquêtes et discréditer les autres collaborateurs. Les doutes se basent sur la partialité des aveux mais surtout sur le fait que Giovanni Brusca ait été au cœur d’un complot visant à discréditer Luciano Violante, le président de la chambre des députés. Tout en revendiquant son statut de repenti, Giovanni Brusca ne fait rien pour lever l’ambiguïté. Alors que son frère Enzo confirme l’épisode du baiser d’Andreotti à Toto Riina lors d’une réunion clandestine, Giovanni Brusca hésite à parler des rapports avec l’ancien président du conseil.

Les guerres intestines de la magistrature

Un sujet de satisfaction pour la criminalité organisée est la sourde guerre qui oppose différents parquets et qui a été marquée, entre autre, par l’incarcération du procureur de Milan, Renato Squillante, et l’accusation de corruption portée contre un juge romain pour les enquêtes préliminaires, suivie de la mise à l’écart d’un de ses amis, Francesco Misiani, ancien responsable du Haut commissariat à la lutte anti-mafia. La découverte d’un vaste réseau de corruption dans le cadre de l’opération mani Pulite 2 a vu certaines des méthodes du parquet de Milan fortement critiquées. Cible principale des critiques : Antonio Di Pietro, ancien substitut au procureur de Milan, figure de proue de l’opération main propre, devenu ministre des Travaux publics. Les juges de La Spezia reprochent, notamment, à Antonio Di Pietro de n’avoir pas fait toute la lumière sur les agissements d’un des hommes les plus puissant de l’Italie des années 1990, le banquier Francesco Pacini Battaglia. Di Pietro est accusé d’avoir ménagé Pacini Battaglia dans le cadre de l’enquête sur l’ENI contre des renseignements ou pis encore (dans une conversation téléphonique, le banquier aurait déclaré "Di Pietro m’a dévalisé"). Sous la direction des magistrats de La Spezia, des officiers du groupement d’enquêtes économiques, dépendant des douanes (GICO) de Florence vont même jusqu’à enquêter sur Di Pietro. Le choix du GICO de Florence est loin d’être innocent : depuis plusieurs années, ce corps d’élite accuse d’éminents membres du parquet de Milan d’avoir partie liée avec la mafia dans le cadre de l’affaire dite de "l’autoparc de Milan" dans laquelle l’écoute d’un parking situé en banlieue de Milan a mis en évidence d’inquiétantes collusions entre la criminalité organisée et des représentants de l’Etat italien. Après avoir crié au complot, Antonio Di Pietro a démissionné de son poste de ministre le 14 novembre 1996. Depuis, les attaques redoublent et ses bureaux et domiciles sont perquisitionnés. Les ennemis de Di Pietro, Bettino Craxi en particulier, jubilent. De son refuge de Hammamet en Tunisie, Craxi, ancien président du conseil et ex-secrétaire du parti socialiste, estime qu’il s’agit d’un juste retour des choses. La campagne contre Di Pietro bat son plein quand son ancien supérieur, le procureur Borrelli, parle de "désertion et de trahison", en évoquant son départ de la magistrature en novembre 1994, à la suite d’une tentative de chantage à son encontre. Le héros de "Opération main propre" avait des amitiés douteuses et ses méthodes d’investigation étaient loin d’être exemplaires.

Depuis deux ans, la criminalité organisée a subit des revers éclatants. Pourtant, les procureurs anti mafia s’inquiètent et craignent une démobilisation des juges et de l’opinion. Les batailles ont lieu désormais sur le terrain législatif. Les lois sur la criminalité organisée ont, jusqu’à présent, été adoptées dans la hâte sous la pression de l’opinion publique indignée par les actions d’éclats de la criminalité organisée. Elles ne sont pas unifiées et leur application se fait en fonction de l’actualité.

Après l’assassinat de Paolo Borsellino en 1992, le procureur en second de Palerme a durci les conditions de détention des parrains qui sont placés à l’isolement total, sans journaux ni télévision. La pression se relâchant, les conditions de détention se sont depuis singulièrement améliorées, conduisant le substitut au procureur de Palerme, Guido Lo Forte, a pousser un cri d’alarme : "Nous avons la preuve que les boss les plus dangereux, soumis à l’Article 41-bis, sont en contact permanent avec l’extérieur." De son côté, le procureur de Palerme, Giancarlo Caselli, demande l’instauration d’un "Plan Marshall" pour la justice en Sicile. En dépit des succès remportés par l’Etat, la magistrature connaît dans l’île une crise très grave. Aucun juge de l’extérieur ne veut remplacer les douze substituts manquants au parquet de Palerme. Plus grave encore, les enquêtes soulignent l’effrayante capacité d’adaptation de Cosa Nostra.