Dès le début des années 1980, le Brésil été un pays de transit de la cocaïne produite dans les pays andins, principalement en Bolivie. Mais au cours des années, la puissance économique des trafiquants s’est accrue, principalement dans les Etats frontaliers du Mato Grosso do Sul et du Rondônia, et avec elle leur autonomie. Le chlorhydrate de cocaïne continue de transiter, payé en espèce, mais également troqué, en particulier contre des véhicules. Les saisies (5,224 tonnes en 1995 et 3 t en 1996) ne donnent qu’une faible idée des quantités de drogues qui transitent par le pays. En outre, des laboratoires de transformation de pâte base en chlorhydrate se sont multipliés, non seulement en Amazonie mais également dans des zones urbaines. Cette situation a un impact très important sur la consommation intérieure. Interpol estime que dans la seule ville de Rio de Janeiro, 3 t de cocaïne sont consommées annuellement sous forme de chlorhydrate sniffé et de base fumée. Le crack a également fait une importante percée, surtout à São Paulo. Les saisies y sont passées de 10 kilogrammes en 1995 à 18 kg durant les six premiers mois de 1996. Le marché interne et les exportations génèrent des profits considérables qui sont recyclés dans l’économie. En donnant une impulsion au développement de la criminalité dans les favelas, le trafic de drogues joue enfin un rôle important dans les conflits qui opposent, pour le contrôle du territoire urbain, l’Etat aux organisations criminelles et ces dernières entre elles. Mais surtout, le trafic de drogues sert de prétexte aux Etats-Unis pour engager de grandes manœuvres dont l’enjeu, considérable, est le contrôle du bassin amazonien.

La géopolitique de la cocaïne dans le bassin amazonien

L’Amazonie brésilienne est actuellement l’objet de l’un des plus importants projets du gouvernement fédéral, le Système de surveillance de l’Amazonie (SIVAM). Estimé à 1,4 milliard de dollars, il a pour but l’élaboration et l’implantation d’une base logistique s’appuyant sur les nouvelles technologies disponibles dans le monde, pour la détection, l’acquisition et la transmission d’informations sur la région amazonienne. Elaboré en 1990 à l’initiative du Secrétariat des études stratégiques (SAE) et des ministères de l’Aéronautique et de la Justice brésiliens, le SIVAM a été conçu comme un moyen, au service de l’Etat, pour mieux contrôler le territoire. Si cet objectif a été mis en avant, celui de la répression des activités illicites, fondamentalement le trafic des drogues, a été placé au second plan par le gouvernement brésilien. Cependant, une cartographie de l’Amazonie, non limitée à l’Amazonie brésilienne, mais englobant tout le bassin hydrographique du fleuve Amazone, replacerait dans sa véritable perspective géostratégique le complexe coca-cocaïne. L’ensemble de ce bassin représente 7 800 000 km2 dont 66 % appartiennent au Brésil, le reste incluant non seulement les zones amazoniennes mais également les régions montagneuses des pays andins. Dans les hautes vallées du Huallaga et de l’Ucayali, affluents de l’Amazone, se trouve la plus grande partie de la production de coca-cocaïne péruvienne. Les principales régions de production de coca bolivienne, le Chapare et les Yungas, sont reliées par voies fluviales aux rivières Guaporé et Madeira, qui traversent la partie centrale de l’Amazonie brésilienne. Des zones de production de coca et de cocaïne en Colombie sont situées dans les hautes vallées des rivières Apaporis et Caquetá, devenant le Japurá au Brésil, ainsi que dans les hautes vallées du Vaupés et du Putumayo, ce dernier appelé Iça au Brésil. En dehors des réseaux fluviaux et aériens, des voies de chemins de fer et des routes relient les zones de production de coca en Bolivie, non seulement au sud de l’Amazonie brésilienne, mais également aux Etats du Mato Grosso do Sul et de São Paulo au centre-sud du Brésil. Les vallées andines colombiennes sont, elles, reliées à Manaus la capitale de l’Amazonie brésilienne, à travers le Venezuela, par des routes dont la plupart sont asphaltées. Sur le plan de la logistique, le transport de drogues se caractérise par la multiplicité des routes et des plaques tournantes qui servent d’entrepôts : plates-formes d’exportations, lieux de vente ou simples points de transit. Certains des corridors amazoniens d’entrée au Brésil ont pu être identifiés :

1- Le corridor Colombie-Brésil, divisé en deux routes principales :

a- la route du Venezuela qui coupe la frontière brésilienne par le territoire du Roraima, passe par Manaus et s’articule au Guyana ;

b- la route du cours supérieur du Rio Negro qui passe par São Gabriel da Cachoeira et aboutit à Manaus.

2- Le corridor Pérou-Colombie-Brésil, par le cours supérieur de la rivière Solimões, qui permet d’articuler les basses vallées des rivières Huallaga, Ucayali et Maranõn au Pérou et la rivière Putumayo en Colombie, à Manaus, en passant par les villes d’Iquitos (Pérou), Leticia (Colombie) et Tabatinga (Brésil).

3- Le corridor Pérou-Brésil, sur lequel on relève l’Etat d’Acre comme principal point d’entrée des routes

a- Puerto Portillo (Pérou) à Cruzeiro do Sul (Brésil) ;

b- Puerto Maldonado (Pérou) - Cobija (Bolivie) - Nova Brasileia - Rio Branco (Brésil).

4- Le corridor Bolivie-Brésil, qui présente le plus de variantes :

a- Magdalena (Bolivie) - Costa Marques - Cacoal - Ji Parana (Brésil) par la route fédérale BR-364 ;

b- la route de l’Etat du Rondônia (Brésil), via Guayamerin (Bolivie) - Guajaramirim - Porto Velho (Brésil) qui relie la région des Yungas à Manaus par la haute vallée du Beni et au sud-est du Brésil par la route BR-364 ;

c- la route du Pantanal : au nord, via Cochabamba (Bolivie) - Cáceres - Cuiabá (Brésil), en passant par Barra do Garças en direction de Goiânia dans l’Etat de Goiás, ou en direction de Uberlândia et Ribeirão Preto au sud (Brésil), via Santa Cruz de la Sierra - Puerto Suárez (Bolivie) - Corumbá (Brésil), en direction de Campo Grande, dans l’Etat du Mato Grosso do Sul et, à l’ouest en direction de l’Etat de São Paulo.

5- Le corridor Bolivie-Paraguay-Brésil, avec les routes

a- Pedro Juan Caballero (Paraguay) - Ponta Porã - Londrina (Brésil) ;

b- Ciudad del Este (Paraguay) - Foz do Iguaçú (Brésil), en direction des ports de Paranaguá, Santos et Rio de Janeiro sur le littoral atlantique.

Trois aspects de la logistique du trafic des drogues peuvent être dégagés : d’abord, les routes utilisées sont à double sens, c’est-à-dire que la drogue voyage en direction de l’Atlantique, tandis que dans l’autre sens, les céréales, l’or, des bijoux, du matériel électronique, des produits chimiques et des véhicules volés sont acheminés en contrebande jusqu’à la côte du Pacifique. Ensuite, on note l’utilisation de différentes voies de transport : voies fluviales, aériennes, maritimes, chemins de fer ou pistes. Si le trafic délaisse la voie aérienne en dépit de l’absence d’un système de contrôle radar en Amazonie brésilienne, auquel le SIVAM se propose précisément de remédier, pour emprunter de plus en plus les voies fluviales et la route, c’est à cause de la multiplication de laboratoires alimentés par de la pâte base bolivienne, une matière première volumineuse et bon marché qu’il est plus pratique et moins onéreux de transporter par la route et par voie d’eau. Les Colombiens du cartel de Cali ont été les premiers à délocaliser une partie de leur transformation de pâte base en cocaïne au Brésil, jugé plus sûr, sans toutefois renoncer à y faire transiter des quantités importantes de chlorhydrate. Mais, simultanément, se développaient les activités des entrepreneurs locaux qui s’approvisionnaient en pâte base en Bolivie et ne dépendaient du cartel de Cali que pour des débouchés sur le marché international. Avec le repli du cartel de Cali, leurs possibilités se sont accrues, d’autant plus qu’ils disposaient d’une série de ports côtiers pour leurs exportations : Salvador da Bahia, Espirito Santo, Recife, Fortaleza, via l’Etat du Rondônia.

En dépit de l’absence de données sur le volume de drogues qui transite par chacune des routes, on peut estimer que les Etats de São Paulo (où 2,5 t de chlorhydrate de cocaïne ont été saisis le 22 février 1995) et de Parana, du fait de l’existence de grands ports sur leur littoral, sont les territoires principaux de transformation et donc ceux où aboutissent la plupart des routes de transit.

Les enjeux géostratégiques de la politique des Etats-Unis

La non prise en compte du contrôle du trafic des drogues dans le projet SIVAM n’a pu que favoriser les menées de certains pays, au premier rang desquels les Etats-Unis, pour faire obstacle à sa mise en place. La raison avancée a été que l’Amazonie, une des principales réserves de la biodiversité mondiale, appartenait au patrimoine de l’humanité toute entière. Cela s’est surtout traduit par des freins mis à l’accès aux crédits des organisations financières internationales comme le FMI. Les tentatives de sabotage du SIVAM paraissent donc être en contradiction avec le caractère prioritaire donné à la lutte antidrogues par les Etats-Unis. Mais en fait, ce que recherche Washington, en particulier à travers la dénonciation de liens réels, supposés, potentiels ou imaginaires du narcotrafic avec des groupes de guérilla, c’est une présence intermittente ou prolongée de troupes et de conseillers en Amazonie. Ils ont atteint cet objectif en Bolivie, au Pérou et même en Colombie, mais pas, jusqu’ici, au Brésil. C’est sans doute ce qui explique que les dénonciations provenant du gouvernement américain sur le rôle joué par le Brésil dans le trafic des drogues et le blanchiment de l’argent sale se soient multipliées en 1995. Cette ingérence dans les affaires du pays, aux yeux d’un certain nombre d’observateurs, a pour objectif géostratégique de s’opposer aux tentatives d’améliorer les liaisons entre l’Atlantique et le Pacifique au nord de l’Amérique du Sud, lesquelles risqueraient de mettre en cause le monopole des Etats-Unis sur le canal de Panama qu’ils ont tout fait pour conserver au-delà de sa remise formelle aux Panaméens en 1999. La construction de routes permettrait en effet l’acheminement de la production de céréales, de viande et de minerais du sud-est de l’Amazonie vers les marchés asiatiques. Cela renforcerait les liens commerciaux de l’Amérique du Sud atlantique avec l’Asie et particulièrement avec le Japon, principal acheteur de minerai de fer brésilien qui emprunte jusqu’ici le canal de Panama. Il est significatif que la proposition japonaise de financer au Brésil la construction d’une route reliant l’Atlantique au Pacifique a été freinée par les Etats-Unis lors de diverses réunions du FMI, alors que le projet de goudronnage d’une piste reliant Manaus à Georgetown, capitale du Guyana, n’a rencontré aucune opposition de leur part. Et cela malgré des rumeurs persistantes sur la participation de capitaux provenant du narcotrafic dans son financement. Les Etats-Unis, faute de pouvoir faire capoter le projet SIVAM, cherchent désormais à le contrôler. L’appel d’offres international pour son appareillage électronique a abouti au choix d’une firme nord-américaine, Raytheon, fournisseur habituel du Pentagone. Sa victoire sur son principal concurrent, le consortium français, Thomson-Alcatel, a été obtenue grâce aux prêts consentis à Raytheon par des banques internationales. Certains secteurs des forces armées brésiliennes, qui considèrent traditionnellement que le contrôle des frontières est de leur ressort exclusif, ainsi que des scientifiques et des techniciens, ont vivement contesté ce choix. Ils ont en particulier critiqué le probable renforcement des positions géostratégiques des Etats-Unis en Amazonie et les modalités de l’accord qui prévoient que 61,2 % des 1,4 milliard de dollars des prêts seront destinés à payer les services d’entreprises étrangères.

Le trafic dans les Etats du Mato Grosso et du Rondônia

C’est historiquement dans les Etats du Mato Grosso do Sul et du Rondônia que s’est développé le narcotrafic en Amazonie brésilienne. Ces deux Etats, frontaliers de la Bolivie, pays producteur de pâte base et de chlorhydrate de cocaïne, furent les premiers concernés lorsque le commerce illégal de la cocaïne a pris son véritable essor au début des années 1980. Au départ, des "commerçants" brésiliens échangeaient avec les transformateurs boliviens de l’éther et de l’acétone contre du chlorhydrate de cocaïne qu’ils réexportaient principalement aux Etats-Unis. Pendant toutes les années 1980, les villes frontalières de l’Amazonie connurent une explosion de leurs activités commerciales. Cet âge d’or fut bouleversé à partir du milieu des années 1980, lorsque des milliers de chercheurs d’or commencèrent à travailler sur le fleuve Mamoré qui forme la frontière entre la Brésil et la Bolivie. Les gisements (garimpos) devinrent le théâtre d’une intense activité de blanchiment de narco-revenus (en particulier par des achats d’or non déclarés au-dessus du prix officiel). C’est l’époque où beaucoup de garimpeiros s’engagèrent directement dans le commerce illégal et se mirent à consommer régulièrement de la pâte base fumée. On assista alors à une démultiplication des réseaux de commercialisation sur la frontière et, surtout, à une explosion de la consommation intérieure qui s’est répandue dans tous les grands centres urbains du pays. Sur les routes de la cocaïne, les trafiquants urbains étaient tous des receleurs autour desquels gravitaient des bandes de jeunes consommateurs-voleurs-distributeurs qui s’efforçaient de contrôler leurs territoires dans leurs quartiers respectifs. Parallèlement, sur la frontière, la drogue est de plus en plus souvent troquée contre des biens locaux soustraits au marché légal (production agricole, récolte de café, de riz, bétail, ou production minière : cassitérite), ou encore contre des richesses volées régionalement et, bientôt, à l’échelle du pays tout entier (automobiles, camions, bijoux, bétail, machines agricoles ou de chantier, antennes paraboliques, avions, etc.).

Aujourd’hui, l’activité légale des villes frontalières qui connurent un âge d’or dans les années 1980, est ruinée. Les Boliviens ne viennent plus y dépenser leurs narco-revenus et les trafiquants qui s’y sont installés jugent moins risqué d’investir dans leur ville d’origine ou dans les grandes villes pionnières situées sur la route fédérale (BR-364) qui longe la frontière à une distance de 50 à 300 kilomètres et dessert le reste du pays. La plupart des trafiquants opérant dans les villes frontières revendent simplement la cocaïne achetée en Bolivie aux acheteurs des grandes villes pionnières qui s’interposent entre eux et les grands marchés intérieurs ou internationaux. C’est donc dans ces dernières villes, sur la route fédérale (Ariquèmes, Cacoal, Ji Parana, etc.) que se trouvent les véritables centres de transit de drogues et d’accumulation des narco-capitaux dans la région. Le chlorhydrate de cocaïne qui s’achète 1 500 dollars le kilo à la frontière vaut le même prix, 3 000 dollars, dans toutes ces villes, quelle que soit la distance du point d’achat. De sorte que les trafiquants de la BR-364 n’ont d’autre issue marchande que les grandes villes du littoral ou du Centre-Sud (Fortaleza, Recife, Bahia, Espirito Santo, Rio de Janeiro, Brasilia-Goîania, São Paulo, etc.) où la cocaïne est vendue de 10 000 à 15 000 dollars le kilo, qui ouvrent elles-mêmes la voie à l’exportation. Depuis l’intensification de la répression en Bolivie où des pistes et des laboratoires ont été détruits, la police brésilienne observe une nette augmentation des importations de pâte base par rapport au chlorhydrate. Depuis deux ans environ, la poudre est de plus en plus fabriquée au Brésil, en forêt, dans de petits laboratoires mobiles, aisément démontables, qui travaillent à la commande. Le commerce illégal de produits chimiques tend à s’intensifier à l’intérieur même des frontières du Brésil.

Blanchiment de l’argent en Amazonie

Le marché intérieur des drogues au Brésil représente plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne et des centaines de tonnes de marijuana. Une étude sur la région amazonienne publiée en juin 1996 par le Département de géographie de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), a provoqué un débat national et amené le gouvernement à annoncer un renforcement de la lutte anti-blanchiment. Les auteurs de cette recherche font remarquer qu’il est toujours difficile d’isoler l’argent blanchi par les narco-trafiquants de celui qui résulte des autres activités illicites et que la plus grosse partie des narco-profits se recycle vraisemblablement dans les grands centres urbains du pays. L’étude fait apparaître des anomalies criantes. Prenant pour base des données fournies pour l’année 1995 par la Banque centrale du Brésil et par les principaux services de virements électroniques, elle montre que les mouvements de fonds qui passent par les agences de banques de certaines villes amazoniennes ne sont pas compatibles avec le volume des activités économiques locales, même si l’on prend en compte l’accumulation de capitaux immobiliers et fonciers. Ces villes sont proches des frontières avec la Bolivie, la Colombie et le Pérou et situées en outre sur les routes du trafic international de cocaïne. Si l’on considère la fragilité des économies locales et la proximité des zones frontalières, on peut raisonnablement déduire que les mouvements bancaires et les virements électroniques sont liés au blanchiment de l’argent de la drogue. On ne peut pour autant en conclure que l’Amazonie bénéficie de ce phénomène dans la mesure où il n’existe pas d’indice concret d’une croissance des investissements dans la région. Il est fort probable que la technique utilisée consiste à se servir des banques situées dans les villes proches des frontières pour faire entrer l’argent qui ensuite est envoyé électroniquement dans les maisons mères situées dans le sud-est du pays et, de là, vers des paradis fiscaux ou de grands centres bancaires mondiaux. Un cas exemplaire est la petite ville de Xapuri, située dans le sud de l’Etat d’Acre, en Amazonie occidentale, connue des médias internationaux depuis l’assassinat de Chico Mendes, défenseur des droits des petits exploitants de caoutchouc (seringueiros) dans la région. Xapuri compte moins de 6 000 habitants, elle est en pleine décadence et l’exploitation du latex est en crise. En dépit de cela, il y existe trois agences bancaires qui, en un seul mois de 1995, ont vu passer 257 099 chèques pour un montant total équivalent à 64 524 185 dollars au taux de change de l’époque. Pendant le même mois, à Cacoal, dans l’Etat de Rondônia, que la police fédérale classe comme l’une des plus anciennes zone de transit des drogues dans le pays, ce sont 157 447 626 dollars qui ont fait l’objet de transaction par chèques. L’économie formelle de cette petite ville de 44 000 habitants n’est fondée que sur la culture de café et l’élevage, dont le chiffre d’affaire annuel est l’équivalent d’un mois de ces transactions financières.


Trafic de drogues et criminalité urbaine à Rio

La plus grande partie du commerce de la drogue destinée au marché local est organisée par des bandes qui ont leurs bases logistiques dans un grand nombre des 630 quartiers d’urbanisation sauvage (favelas) de Rio. Les consommateurs de chlorhydrate et de base de cocaïne appartenant aux classes aisées viennent s’y approvisionner. Un des moyens pour les trafiquants d’élargir le marché des drogues (cocaïne, mais également marijuana cultivée dans le nord-est du pays sur de vastes superficies) est l’organisation de grands rassemblements funk ou rap qui connaissent une vogue extraordinaire dans les favelas et attirent, outre les jeunes du quartier, ceux des zones favorisées avides de sensations fortes. La sécurité de ces derniers est assurée, sauf si une bande venue d’une autre favela fait une descente pour régler des comptes. Les chefs du trafic dans les favelas, bien que présentés par la presse comme puissants, ne sont que les parents pauvres du business de la drogue par rapport aux commanditaires des exportations en gros qui ont des liens avec des politiciens, des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires.

Cependant, les revenus du trafic local de cocaïne ont considérablement stimulé les activités des bandes (quadrilhas) en leur permettant, par exemple, d’acquérir un armement sophistiqué (fusils d’assaut, bazookas, grenades). Selon des sources de l’armée et de la police, les narcos inciteraient également les jeunes des favelas à faire leur service militaire pour se familiariser avec les armes. Selon une étude de la police militaire de Rio publiée début janvier 1997, le nombre des enfants et adolescents recrutés par les gangs, qui ont perdu beaucoup de monde lors des grandes opérations militaro-policières de ces dernières années, s’élèverait à 2 000. Les enfants présentent de nombreux avantages : ils passent inaperçus, la justice est plus clémente et surtout ils coûtent moins chers en salaire et frais d’avocats. Appelés "kamikaze" par la police, ils ne sont pas moins redoutables que des adultes : ils sont entraînés pour tirer au fusil, lancer des grenades, attaquer des banques, enlever ou tuer des personnes.

Leurs armées privées permettent aux narcos d’exercer un contrôle sur les organisations de quartier (associações de moradores). Ils font régner l’ordre en réprimant les vols et les viols (ils auraient également interdit le crack qui rend l’usager incontrôlable) et en imposant la loi du silence. Il leur arrive de couper les lignes téléphoniques lorsque les habitants les utilisent pour les dénoncer anonymement à la police ou de supprimer l’éclairage lorsqu’il gène leurs activités. En contrepartie, ils financent les écoles de samba qui participent au carnaval. Les politiciens locaux ne peuvent faire campagne dans les favelas qu’avec leur permission. Lorsque les trafiquants de drogues rencontrent des résistances, ils n’hésitent pas à assassiner. Cette militarisation des bandes qui rivalisent entre elles pour le contrôle de territoires, entraîne une détérioration du climat social à l’échelle des villes, accompagnée d’un sentiment d’insécurité chez les classes moyennes et du renforcement de leurs préjugés à l’égard des habitants des favelas. La grande presse brésilienne tend à donner une image faussée de la criminalité urbaine. Ainsi, elle évoque, depuis le milieu de l’année 1995 un soi-disant "cartel de Rio" qui serait l’émanation des grands trafiquants liés à l’organisation criminelle appelée Comando Vermelho (Commando rouge), fondée à la fin des années 1970 et tenue pour la principale organisation de trafiquants de Rio de Janeiro. Bien qu’un halo de mystère entoure cette organisation, comme sa rivale, le Comando Terceiro (Troisième commando), la poursuite de violentes disputes pour le contrôle de territoires, impliquant parfois des chefs de bande de favelas censés être liés au Comando Vermelho, montre qu’il est certainement abusif de parler de "cartel". Certains observateurs estiment même que le Comando Vermelho, dont les chefs historiques sont morts ou sous les verrous, serait aujourd’hui essentiellement une association d’entraide dans et à l’extérieur des prisons. Alimenter le mythe, c’est pour les criminels en activité à la fois une façon de se valoriser et de se faire respecter par la police.