L’attentat d’Oklahoma City

The Resister n’est publié qu’à quelques milliers d’exemplaires. La dangerosité de ses imprécations ne se mesure pas à son tirage, mais à son influence. La revue cimente le " mouvement patriote " et de nombreuses milices d’extrême droite. L’opinion publique américaine en apprit l’existence après qu’on eut arrêté un lecteur assidu : Timothy McVeigh [1] .

Le 19 avril 1995 à 9h02 du matin, l’immeuble fédéral Alfred P. Murrah, siège du FBI à Oklahoma City, était soufflé par une violente explosion, tuant cent soixante-huit personnes. Une bombe, confectionnée classiquement avec un mélange d’engrais et de fuel, avait été placée dans une voiture garée à proximité. Immédiatement les commentateurs politiques établissaient un rapprochement avec l’attentat commandité, en 1993, par cheik Oussama Ben Laden contre le World Trade Center de New York et dénonçaient le terrorisme moyen-oriental. Ils s’inquiétaient de voir le sol américain si exposé.
L’enquête allait contredire cette interprétation et montrer que l’attentat avait été commis par deux ressortissants américains, Timothy McVeigh et son complice Terry Nichols. Elle ne devait pas aller plus loin. Malgré les indices laissant penser que les deux hommes n’avaient pu agir seuls et avaient disposé de l’appui d’une organisation, les enquêteurs arrêtèrent leurs recherches. Au cours du procès, Timothy McVeigh s’appliqua à endosser toute la responsabilité et à dédouaner son complice qui aurait fourni une aide logistique sans en connaître la finalité.

McVeigh justifia son geste avec sang-froid. Il dressa un réquisitoire contre le dévoiement du gouvernement fédéral et précisément du FBI. D’abord, il entendait venger la famille du suprémaciste blanc Randy Weaver, abattue par le FBI lors de son interpellation à Rudy Bridge (1992). Ensuite, il voulait combattre la loi limitant la vente et la détention d’armes adoptée en 1993 à l’initiative de James Brady, l’attaché de presse de Ronald Reagan, blessé lors d’un attentat contre le président et paralysé à vie ; il interprétait la loi Brady comme une manière pour le gouvernement fédéral de désarmer les citoyens américains et les priver des moyens de se révolter contre sa tyrannie. Enfin, il voulait venger les soixante-seize membres de la secte des Davidiens assassinés par le FBI à l’issue de cinquante et un jours de siège à Waco (1993). Il interprétait ce drame comme une volonté du gouvernement fédéral de limiter la liberté de culte avant d’imposer l’athéisme.

Timothy McVeigh fut reconnu coupable et condamné à mort. Pendant sa détention, il échangea une importante correspondance avec l’écrivain Gore Vidal, qui fut impressionné par sa détermination et sur lequel il exerça une profonde fascination. Son avocat demanda la révision de son procès, après qu’il se soit rétracté et ait décidé de révéler les complicités dont il avait bénéficié. Mais les 4000 pages de documents sur ce sujet furent soustraites par le FBI. La sentence fut néanmoins confirmée et McVeigh exécuté.

Timothy McVeigh à Fort Benning

McVeigh était un brillant soldat. Pendant la guerre du Golfe, il fit preuve de courage au combat et assura la sécurité rapprochée du général Norman Schwarzkopf. Ces faits d’armes lui valurent d’être décoré de la l’Étoile de bronze. Revenu aux États-Unis, il échoua à entrer dans les Bérets verts en raison d’une condition physique insuffisante, mais il fut sélectionné par le stay-behind au vu de son mental exceptionnel. Il suivit une formation à Fort Bragg, puis à Fort Benning, où il se lia d’amitié avec Terry Nichols [Photographie ci-contre : Timothy McVeigh à Fort Benning]. Les deux hommes furent enrôlés dans une organisation secrète interne au stay-behind : les Forces spéciales clandestines (Special Forces Underground).

Nichols, quant à lui, s’enrôla tardivement dans l’US Army. Après un divorce difficile, il se remaria avec une Asiatique, connue par l’entremise d’une agence matrimoniale. Alors qu’il se rendait aux Philippines pour faire sa connaissance, il établit un contact avec le Kumander Abou Sayyaf.

Abou Sayyaf, mi-bandit, mi-guérillero, a constitué en 1990 un groupe armé islamiste et revendique l’indépendance de la région de Mindanao. Il a successivement bénéficié de l’appui logistique et financier de la Libye, d’Oussama Ben Laden et de la CIA. En effet, les États-Unis ne voyaient pas d’un mauvais œil l’armée des Philippines s’embourber dans une lutte anti-guérilla plutôt que de remettre en cause la présence de bases militaires US dans le pays. Abou Sayyaf fut tué, en 1998. Son groupe retint des otages occidentaux sur l’île de Jolo, en 2000, avant d’enlever un ressortissant américain et d’exiger en rançon la libération de Ramzi Youssef, un des auteurs de l’attentat contre le World Trade Center le 26 février 1993.

Les Special Forces Underground (SFU)

L’inquiétude provoquée en haut lieu par ces informations sur les biographies de Mc Veigh et de Nichols, ainsi qu’une série de crimes [2] racistes commis par des GI’s aux alentours de Fort Bragg, conduisirent le président Bill Clinton à diligenter une enquête sur les " groupes de la haine " dans les armées. Cette inspection fut placée par le sous-secrétaire à l’Armée de terre, Togo West, sous le commandement du major général Larry Jordan. Le rapport final [3] de cette enquête conclut que l’Amérique peut avoir confiance dans son armée et que les problèmes qui y existent sont marginaux. Au-delà de cette langue de bois, il confirme que la revue trimestrielle des milices, The Resister, et le supplément bimensuel, Periodic Intelligence Report permettant aux Special Forces Underground d’encadrer secrètement diverses milices d’extrême droite sont imprimés à Fort Bragg. Il confirme aussi le goût prononcé des officiers de Fort Bragg pour décorer leurs locaux avec des drapeaux sudistes, des KKK et des swastikas [4] . La seule conséquence de l’inspection semble avoir été le renvoi des Bérets verts du rédacteur en chef du Resister, le sergent Steven Barry.

L’affaire a rebondi avec la mise en cause de commandos canadiens, formés à Fort Bragg, accusés de crimes alors qu’ils servaient sous mandant de l’ONU en Somalie. À cette occasion, la presse a révélé que les problèmes " marginaux " de Fort Bragg avaient également influencé des commandos allemands, anglais, australiens, français, et ukrainiens venus se former sur place.

Malgré le rapport Jordan, le rôle des Special Forces Underground reste difficile à apprécier tant il renvoie aux contradictions internes de l’appareil d’État américain.

En 1994, alors que les États-Unis déployaient leurs troupes en Haïti (Operation Restore Democracy), le président Jean-Baptiste Aristide accusait des membres des forces US de mener une opération secrète visant à réarmer en sous-main les escadrons de la mort du FRAPH qu’ils étaient pourtant officiellement chargés de neutraliser. Pour la première fois apparaissait le nom du sergent Stephen Barry. Un démenti formel fut opposé à ces allégations.
En 1995, après la vague de crimes racistes aux alentours de Fort Bragg, le Congrès procéda à des auditions. Un témoin affirma que les crimes avaient été commis par des membres des Special Forces Underground qui jouissaient de protections haut placées en raison des services secrets qu’ils avaient rendus lors de l’opération en Haïti. Mais il ne cita aucun nom.

En 1999, la presse haïtienne [5] publiait le témoignage d’un ancien responsable de l’Operation Restore Democracy, Stan Goff. Celui-ci indiquait avoir été relevé de ses fonctions alors qu’il avait mis en évidence l’existence d’une opération secrète pro-FRAPH de la CIA à laquelle participait Stephen Barry en totale contradiction avec la politique officielle des États-Unis. Il indiquait aussi que l’étouffement des affaires impliquant les Special Forces Underground était, selon lui, devenu indispensable à certains dirigeants politiques après que le FBI eut découvert l’appartenance de Timothy McVeigh à ce réseau.

En 1999, les Special Forces Underground ont créé une vitrine légale, la Major General Edwin A. Walker Society qui est devenue l’éditrice des revues destinées aux milices [6].

Le Major Général Edwin Walker

Cette association prend son nom du général Edwin Walker [7], figure emblématique de l’extrême droite militaire US [8]. Né en 1909, il commanda le 1st Special Service Force, une unité américano-canadienne, lors de la campagne d’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette unité devait ultérieurement donner naissance aux Bérets verts. Animé par un anticommunisme obsessionnel, Walker considérait que, après la rupture du pacte germano-soviétique, les USA auraient dû s’allier avec le Reich pour combattre l’URSS et non l’inverse. À la Libération, Walker organisa l’élimination des résistants communistes grecs et fonda la Toison Rouge, branche locale du réseau stay-behind. Pendant la guerre de Corée, Walker commanda une unité d’artillerie et soutint le projet de MacArthur d’utiliser la bombe atomique. Face au refus du gouvernement et au rappel de MacArthur, Walker développa une analyse selon laquelle le gouvernement américain se serait lancé dans une politique d’abandon sous la pression de l’ONU et d’un puissant club, le Council for Foreign Relations.

De retour aux États-Unis, Walker fut affecté comme commandant du district de Little Rock (Arkansas). C’est précisément le moment où l’université locale devint le théâtre de célèbres affrontements relatifs à l’intégration des élèves de couleur. Walker fut déplacé en Allemagne où il se vit confier le commandement de la 24ème division d’infanterie. Mais la presse révéla qu’il dispensait un training anticommuniste et raciste à ses soldats et diffusait la propagande de la John Birch Society. Devant le scandale, il fut relevé de ses fonctions par le secrétaire à la Défense, Robert McNamara, le 17 avril 1961, et reçut un blâme. Le président John F. Kennedy adopta alors le Fullbright Memorandum pour limiter le droit d’expression des officiers.

Walker devint le lobyiste des milieux militaro-industriels les plus belliqueux. Il organisa une émeute à l’Université du Mississipi pour protester contre l’engagement d’un professeur noir. Il fut alors poursuivi par l’Attorney général, Robert Kennedy, et arrêté pour conspiration séditieuse, insurrection et rébellion. Bénéficiant du soutien de la presse conservatrice qui le désignait comme " le prisonnier politique des Kennedy ", il fut remis en liberté après avoir acquitté 100 000 $ de caution. Des documents déclassifiés du FBI semblent indiquer qu’il était alors à la fois membre de la John Birch Society et des Authentiques Chevaliers du Klu Klux Klan.
Proche de MacArthur, Walker bénéficia du soutien financier inconditionnel du milliardaire Haroldson L. Hunt [9], alors considéré comme " l’homme le plus riche du monde ". Walker finança l’OAS, avec qui il était en contact par l’entremise du mercenaire Jean-René Souêtre [10], par le biais du Centro Mondiale Comerciale et de la Permindex. Il commandita au moins un attentat raté contre le général De Gaulle, qu’il accusait aussi de conduire une politique d’abandon face à la poussée communiste en Afrique du Nord. En 1963, Walker anima le " Comité 8F " [11], dont firent partie une dizaine de personnes incluant le vice-président Lyndon Johnson. Le 8F militait pour l’intensification de la guerre au Vietnam et contre les atermoiements du président John F. Kennedy.
En novembre 1963, peu après un ultime entretien entre le général Edwin Walker et Lee Harvey Oswald, Kennedy était assassiné et Oswald inculpé. Pour se dédouaner, Walker prétendit avoir lui-même fait l’objet d’une tentative d’assassinat par Oswald.

Le général Edwin Walker est décédé à Dallas, le 31 octobre 1993. Ses frères d’armes continuent son combat.

[1Sur l’attentat d’Oklahoma City et le rôle de Timothy McVeigh, on consultera la première partie de The Secret Life of Bill Clinton : The Unreported Stories, Evans-Pritchard, Ambrose, Regnery Publishing, 1997.

[2Sur ces crimes, on se reportera au traitement qui en est fait par le Fayetteville Observer-Times.

[3Defending American Values, Secretary of the Army’s task Force on Extremist Activities, Department of Defense, 21 mars 1996.

[4A Real Threat to National Security, Racism in the Ranks, Tod Ensign, Covert Action Quaterly, Summer 1996.

[5The Racist Underbelly of the US Occupation of Haiti, Haïti Progres, 13 octobre 1999.

[6A Force upon the Plain : the American Militia Movement and the Politics of Hate, Kenneth Stern, Simon & Schuster ed., 1996.

[7Edwin A. Walker and the Right Wing in Dallas, Chris Cravens, South Texas State University, 1993.

[8Radical Right : Report on the John Birch Society and Its Allies, Arnold Fister and Benjamin Epstein, Vintage Books ed., 1967. Power on the Right, William Turner, Ramparts Press ed., 1971.

[9Texas Big Rich, Sandy Sheehy, St.Martin’s Press ed., 1992.

[10Coup d’État à Brazzaville, Jacques Depret, 1976.

[11 JFK, Autopsie d’un crime d’État, William Reymond, Flammarion, 1998).