La Mission a acquis, depuis sa création il y a trois ans, une capacité d’expertise fondée à la fois sur une ample documentation dont les éléments ont été recoupés et sur des informations régulières remontant en particulier des travaux des cellules départementales et régionales de vigilance. De leur côté, les mouvements sectaires sont de grands éditeurs. Même leurs publications étrangères sont de plus en plus connues en France. Quant aux "instructions" prétendument confidentielles qu’elles dispensent à leurs cadres, il est fréquent que ceux-ci, lorsqu’ils commencent à douter du rôle qu’on leur a fait jouer, n’hésitent guère à les rendre publiques en utilisant, le cas échéant, l’anonymat d’un envoi postal ou d’une mise sur un site internet.

Victimes enfin du complexe obsidional de tous les mouvements totalitaires, qu’ils soient politiques ou pseudoreligieux, les sectes "découvrent" involontairement leurs alliés. Lorsqu’on lit, par exemple, dans le dernier rapport du Congrès américain sur la liberté religieuse dans le monde combien il est déplorable que la France n’ait pas reconnu la qualité de minorité religieuse à la Scientologie, au mouvement raëlien non plus qu’au Mandarom et à l’Ordre du Temple Solaire, il n’est sans doute pas excessif de penser que, parmi les rédacteurs de ce patchwork baptisé rapport, figurent quelques adeptes infiltrés.

Il en va de même de certaines imprudences sans doute involontaires mais non moins éclairantes. Tel article d’information emploie les termes du jargon interne à une secte3, adopte consciemment ou inconsciemment les formulations rédactionnelles des écrits qu’elle publie et ne récuse pas le dévoiement des sources, système de délation commun à beaucoup de mouvements sectaires : partir d’un fait réel, lui donner par extension une tournure délictuelle et masquer le tout par l’usage du conditionnel, prudence qui permet de contourner le risque d’une action en diffamation.

Les mouvements sectaires qui trahissent ainsi leur nature et leurs objectifs sont condamnés à rechercher des concours extérieurs et à profiter des circonstances pour rompre le cercle de vigilance civique qu’ils ont contribué involontairement à bâtir et dans lequel ils se sentent fâcheusement circonscrits.

Avant d’en éclairer certains aspects, il n’est pas paru inutile à la Mission de faire le point sur l’état du sectarisme en France, tel qu’il apparaît en cette première année du XXIes.

Statistiquement, les mouvements sectaires sont de mieux en mieux cernables (il ne peut s’agir, à l’évidence, lorsqu’on évalue leur nombre et celui de leurs adeptes, que d’un dénombrement). En effet, les adeptes apparaissent dans un grand nombre d’occasions et les manifestations auxquelles ils participent les rendent visibles. Mais il serait vain de limiter l’évaluation quantitative des adeptes aux seuls prosélytes. Il convient de prendre en compte ceux qu’ils influencent ou ceux qui en sont ou en ont été les victimes.

Ainsi les personnes concernées par les différents mouvements sectaires sont approximativement 500.000 en France. Ce chiffre n’a pas sensiblement évolué depuis vingt ans et traduit donc une stagnation globale du prosélytisme, voire une certaine régression. Le plus grand nombre d’affaires de sectarisme, dont la Justice a actuellement à connaître, ne doit pas induire à une erreur d’appréciation. En réalité, c’est la plus grande vigilance de l’opinion et l’attention plus soutenue de l’autorité judiciaire qui explique que pendant le même laps de temps, les délits sectaires poursuivis en justice soient passés de quelques dizaines dans les années 1980 à plusieurs centaines au début de ce siècle.

Parmi les personnes concernées, il faut naturellement distinguer les victimes, anciens adeptes ou non, des prosélytes actifs. Ces derniers constituent un bataillon d’environ 400.000 personnes, adultes dans leur immense majorité -mais il y a des exceptions, en particulier dans les mouvements qui exploitent l’autorité parentale au détriment des droits de l’enfant-. Femmes et hommes en secte sont à peu près en nombre égal, bien qu’on puisse noter une plus grande prégnance du sectarisme pseudothérapeutique auprès du sexe féminin tandis que les adeptes masculins semblent plus nombreux dans l’univers des pseudoformations.

Les 400.000 adeptes ne sauraient être listés sans nuance. La MILS, dès son premier rapport en 1999 précisait le champ de sa mission en définissant le sens du mot secte. Il n’est pas inutile de le rappeler ici : un groupement ou une association, de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux droits de l’Homme et à l’équilibre social. C’est donc, très clairement, le comportement qui fait l’objet d’une observation et non le contenu doctrinal de tel ou tel mouvement. Bien entendu, la Mission ne néglige pas l’étude des prises de position, philosophiques ou religieuses de ces mouvements4 : on ne peut comprendre les causes d’un comportement si l’on ignore les instructions découlant directement de la pensée du gourou fondateur et de ses successeurs. A titre d’exemple, les écrits de Ron Hubbard suffisent largement pour expliquer les méthodes pratiquées au sein des entreprises et des institutions par la secte et les pressions qu’elle cherche à exercer pour réduire au silence tous ceux qui éclairent publiquement son comportement social. On en a trouvé des exemples dans le rapport précité.

L’étude des comportements a conduit la Mission à classer les mouvements en cause dans trois catégories principales. Rappelons-les, elles aussi :

 les sectes absolues, mouvements qui visent à substituer aux valeurs universelles des contre-valeurs qui remettent en cause les principes fondateurs de toute démocratie et les droits de la personne consacrés par l’ensemble des Déclarations (française de 1789, universelle, européenne) et Conventions (telle la Convention internationale des droits de l’enfant).
Les sectes absolues sont peu nombreuses et rassemblent un assez petit nombre de militants, contrairement aux déclarations de leurs porte-parole. Leur puissance de nuisance réside beaucoup plus dans les méthodes qu’elles emploient, notamment en ce qui concerne la pénétration discrète du tissu social, que dans le volume démographique de leurs prosélytes. La Scientologie a fait la démonstration involontaire de cette réalité en organisant à Paris, en octobre 2000, une manifestation qui se voulait massive et internationale. Réunissant à peine 1500 participants, pour la plupart venant d’Amérique du nord (Etats-Unis et Canada) et des pays nordiques (Danemark, où la Scientologie a son siège social pour l’Europe, et Suède), la manifestation scientologue n’a finalement rassemblé qu’environ 400 nationaux, venant de l’ensemble des régions françaises. Or, la Scientologie prétend avoir 20.000 membres dans la seule religion parisienne (certains organes de presse reprennent naïvement cette "statistique" d’année en année).
De même, en novembre 2001, une manifestation d’environ 200 protestataires contre la Scientologie a eu lieu devant l’un de ses locaux du XVIIe arrondissement de Paris. A peine quelques dizaines de prosélytes avaient pu être rassemblés en hâte par la secte pour tenter de faire nombre face aux manifestants.

 La deuxième catégorie de mouvements regroupe, aux yeux de la MILS, des groupements à fondements idéologiques très divers (confessionnels ou philosophiques, thérapeutiques ou commerciaux) qui ne peuvent être assimilés à des sectes absolues mais dont certains aspects du comportement sont inacceptables dans la mesure où ils remettent en cause des droits fondamentaux de la personne humaine.
Autant avec les sectes absolues le dialogue est impossible puisqu’il ne consisterait qu’en une acceptation par l’autorité publique de la globalité de leurs contre-valeurs, autant avec cet ensemble de mouvements il paraît acceptable : discerner ce qui est contestable dans leur comportement, le leur faire savoir et ne cesser de réclamer le respect de la loi commune, c’est une tâche ardue à laquelle la Mission, depuis son institution, n’a jamais renoncé. Elle a pu ainsi obtenir plusieurs avancées touchant aussi bien au respect de la loi n° 97-10195 pour ce qui est des Témoins de Jéhovah que l’arrêt du prosélytisme dans les établissements scolaires en ce qui concerne un mouvement ambigu d’origine asiatique, qui reste néanmoins l’objet d’autres formes de vigilance.
C’est dans cette catégorie que se situent les Témoins de Jéhovah qui, à eux seuls forment près des deux-tiers des adeptes dénombrés en France métropolitaine et outre-mer (environ 250.000 adeptes recrutés souvent dans des milieux socialement très modestes par une politique systématique de visites domiciliaires).
On trouvera, dans le chapitre consacré aux questions de santé, des éléments d’information concernant en particulier la diversité des instructions données par ce mouvement à ses prosélytes en matière de transfusion sanguine. De même, la Mission continue à suivre de près les atteintes au respect dû à toute personne qui souhaite quitter une confession particulière6 et ne saurait être en conséquence considérée comme un apostat, ni subir de ce fait diverses formes de harcèlements que la loi pénale sanctionne.

 La troisième catégorie rassemble non pas le plus grand nombre d’adeptes mais la plupart des mouvements d’origine et d’orientation très diverses que l’opinion ou certaines organisations de victimes réputent sectaires mais qui n’ont jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude universitaire ou dont l’étude n’a été entreprise que par des adeptes ou des sympathisants du mouvement lui-même.
A l’égard de ces mouvements, la Mission recommandait -et recommande- l’application du principe de précaution : l’abstention sans stigmatisation prématurée. Les recherches progressant, grâce aux travaux académiques, un éclairage peut être aujourd’hui donné sur quelques mouvements locaux et de faible ampleur aussi bien que sur de plus vastes ensembles. Ainsi de la "galaxie" anthroposophique -objet de recherches à elle récemment consacrées par l’anthropologue Paul Ariès7.
Il est évident que c’est dans cette dernière catégorie que le défrichage sera à la fois le plus long à réaliser. Il serait opportun que des études conduites actuellement sur les problèmes sectaires s’orientent prioritairement dans cette direction. La constitution progressive d’une documentation transversale et pluridisciplinaire paraît, en effet, indispensable. De telles recherches seraient d’un intérêt considérablement plus assuré que certains travaux à la validité scientifique incertaine ou marqué d’une singulière complaisance.

Les sectes, à la différence des mouvements philosophiques et confessionnels qui proposent une interprétation du monde ou des voies à proprement parler religieuse -reliant les hommes entre eux ou reliant les hommes au sacré-, ne s’embarrassent guère de métaphysique. L’autoproclamation religieuse, si souvent avancée par la plupart des sectes absolues, ne conduit pas à l’exercice d’un culte. Certes, des cadres du mouvements n’hésitent pas à porter des titres empruntés au vocabulaire religieux : "révérend" ou "évêque". Mais il est rare que des cérémonies soient organisées (sauf pour les besoins de la cause, lorsque la secte a besoin de publier la photographie d’un service). Lorsqu’elles le sont, elles restent inaccessibles à tout un chacun.

Parmi les mouvements ayant certains comportements sectaires, il existe bien des édifices déclarés cultuels, parfois réalisés en quelques jours avant même que les permis de construire soient délivrés (cas du Mandarom). Mais les cultes qui sont pratiqués en ces lieux ne sont accessibles qu’en certaines occasions (journées portes-ouvertes) ou dans le cadre d’une surveillance attentive des visiteurs qui s’apparente à celle qu’on observe dans certaines églises intégristes. Et que penser des rites de la "religion raëlienne", mouvement délibérément athée ?

En réalité, l’activité sectaire se situe bien en deçà du masque commode de la religiosité. L’examen des affaires dont la Mission a eu à connaître confirme son impression première. A 80%, les activités des mouvements sectaires se situent dans deux domaines encore insuffisamment encadrés par la loi ou la réglementation : la formation continue et les pseudothérapies (notamment les activités de pseudopsychothérapie).

Dans le premier cas, c’est la masse de crédits, renouvelés chaque année par les institutions et les entreprises, qui est visée. Et avec elle, des enjeux marchands considérables : connaissance de l’entreprise, de ses salariés sur lesquels des fiches individuelles, parfaitement illégales, sont souvent constituées discrètement, informations saisies indirectement sur le projet industriel de l’entreprise, sur ses réseaux de chalandise, voire sur les recherches qu’elle entreprend.

Des salariés et des directeurs des ressources humaines ont relevé à plusieurs reprises le caractère bizarre, voire franchement grotesque, de certaines formations proposées par des entreprise de formation qui peuvent être qualifiées de véritables filiales8.

Il semble bien, en outre, que dans certains cas, des pratiques aberrantes de formation répondent à une stratégie de connaissance de l’entreprise par les réactions mêmes de ceux qui les subissent et protestent contre leur emploi (capacité de résistance à l’infiltration ; degré de solidarité des protestataires ; relevé des non-protestataires ; arguments avancés pour contester les méthodes proposées).

Lorsque, en plus des formations proposées, la secte réussit à pénétrer l’entreprise par d’autres moyens, son profit est immense. Plusieurs mouvements sectaires transnationaux ont ainsi suscité la création d’entreprises d’informatique dirigés par des cadres sectaires compétents et sans relation directe avec le mouvement qui inspire leur activité. La chasse aux marchés commence alors. Dans la mesure où les salariés supérieurs de la filiale trouvent leurs ressources personnelles au sein même de la secte, il n’est pas trop difficile de proposer des dossiers de candidature moins-disante et finalement d’être retenu. La pénétration de l’entreprise est alors totale. Elle conduit dans quelques cas paroxystiques à sa ruine et à sa liquidation. Plus généralement à l’utilisation de ses capacités et de ses moyens pour en tirer à terme de substantiels profits tant en termes d’influence que de moyens financiers (lorsque la secte dispose d’un siège social à l’étranger, les fondamentaux de l’entreprise y sont communiqués et stockés en vue d’utilisation ultérieure).

La vigilance qui s’exerce de plus en plus en matière de mouvements financiers, la lutte sans cesse renforcée contre le blanchiment de l’argent, la levée progressive du secret bancaire, toutes ces heureuses évolutions incitent désormais les grandes sectes à créer elles-mêmes leurs propres réseaux en fédérant à des organismes financiers, non suspects, de nouvelles entités masquées parfois sous des appellations humanitaires ou à vocation de nouvelles responsabilités sociales.

Ces novations paraissent à la Mission particulièrement dangereuses car elles visent à camoufler des activités contestables sous la respectabilité de coopérants de bonne foi. Comment un déposant modeste soupçonnerait-il que ses fonds contribuent à l’attribution de prêts à des personnes physiques qui empruntent pour des objets apparemment anodins mais qui sont -aussi- des adeptes de mouvements sectaires particulièrement actifs et, à ce titre, fortement suspectés d’utiliser l’ensemble de leurs ressources à d’autres fins que celle du contrat ?

L’autre secteur d’activité où se concentre l’activisme sectaire est celui des thérapies, sans que cette orientation soit exclusive : la Scientologie propose aussi bien du développement personnel que des techniques -bien entendu non validées- de lutte contre l’usage des stupéfiants...

Le terme de thérapie est, en effet, particulièrement ambigu : au sens propre, il signifie aussi bien soin que traitement médical. Ne faisant l’objet en France d’aucun encadrement législatif ni réglementaire, il est à la merci de ce que chacun veut bien en faire. Autant un médecin, un psychologue, peuvent se dire légitimement thérapeutes ou psychothérapeutes, autant il n’est pas interdit à n’importe quel charlatan de revendiquer de son propre chef cette appellation qui perd ainsi toute validité dans la mesure où elle recouvre aussi bien des soins conçus par une vraie compétence scientifique que des placebos, voir des médications nuisibles dissimulées tantôt sous le refus d’une médecine réputée conventionnelle à l’excès, tantôt sur la prescription d’actes illusoires à caractère magique comme les "harmonisations" en faveur dans la secte Invitation à la Vie (IVI).

Aussi se trouve mis en exploitation un autre gisement de ressources et d’influence non moins durable que le précédent mais d’une tout autre nature : la souffrance humaine, notamment dans ce qu’elle a souvent de plus insupportable, celle d’un enfant ou d’une personne aux prises avec une maladie encore incurable. L’instinctothérapie, qui recrute notamment dans des pays où la culture est plus empreinte d’irrationalisme que la française, prétend ainsi venir en aide à des malades victimes de graves affections comme le cancer. Nombreux sont ses "clients" proches d’une fin de vie, ce qui rend plus déplorable encore cette forme d’escroquerie.

En dehors de ces deux "zones d’activité prioritaire" les sectes n’hésitent pas à profiter des malheurs du monde pour tenter d’imposer leurs solutions miracles.

Les difficultés économiques d’un pays, les catastrophes naturelles, les guerres civiles et étrangères, les attentats plus encore, constituent pour beaucoup de mouvements sectaires des opportunités à ne pas négliger dans une perspective de prosélytisme. Les victimes en l’occurrence forment un ensemble concentré de cibles potentielles. Elles font l’objet d’une attention immédiate : les adeptes, immédiatement mobilisés, cherchent à les aborder, leur tiennent un discours compassionnel, les abreuvent de considérations importunes recourant parfois aux "explications" venant de la nuit des temps telle que la vengeance de Dieu châtiant les vices supposés d’une société désobéissante. Le cas de plusieurs mouvements américains pseudoévangélistes mérite d’être cité. Ces groupes n’ont pas hésité à voir "dans les événements du 11 septembre et dans ceux qui ont suivi, le déclencheur d’un processus à l’issue inéluctable, l’Apocalypse"9.

A la différence des organisations humanitaires qui distribuent immédiatement les secours dont elles peuvent disposer, les sectes limitent rapidement leurs concours matériel. La victime souffrante, adepte potentiel, est plutôt incitée à concourir qu’à recevoir.

Par ailleurs, l’intervention pseudohumanitaire des sectes a pour objet de conférer à ces organisations douteuses un masque de respectabilité qu’elles tentent immédiatement de monnayer en faisant appel aux fonds publics de solidarité et à la générosité de l’opinion.

L’intérêt porté par les sectes aux malheurs du temps n’est pas une nouveauté : le fondateur de la secte scientologue, Ron Hubbard, avait exposé son point de vue sur le sujet dans un message datant des années 1960, repris par un des responsables de la secte après les événements du 11septembre (Solutions for a dangerous environment). Dans ce texte, il développe notamment la théorie des "marchands de chaos" qui engendreraient un univers dangereux que seules des méthodes spécifiques à la Scientologie pourraient, bien évidemment, apaiser.

Sur son site internet10, Raël réagit en insistant sur les dangers du monothéisme qui, selon lui, pousse au fanatisme et de "l’éducation religieuse qui (fait des enfants) les terroristes de demain". Il n’hésite pas à fustiger "les délires mystico-religieux qui ne donnent pas le droit de ne pas respecter les lois des pays démocratiques et des droits de l’Homme". L’ardent défenseur de la "religion athée" propose de "remplacer le monothéisme par la science qui devrait devenir (notre) seule religion".

Depuis la création de la MILS, des signalements sont parvenus qui témoignent de la présence fort active d’organisations sectaires sur les lieux de drame, notamment en Afrique et au Kosovo mais aussi sur le territoire français (inondations dans le Sud de la France à l’automne 1999, dégâts en région parisienne après la tempête du 26 décembre 1999 et l’explosion de l’usine AZF de Toulouse à la fin du mois de septembre 200111).

Des informations récentes en provenance des Etats-Unis d’Amérique à la suite des attentats terroristes du World Trade Center confirment la thèse de l’entrisme sectaire sur le terrain.

La presse américaine rapporte notamment que la Scientologie, dès le 11 septembre, a déployé de grands moyens : appel de fonds pour imprimer des millions d’exemplaires de sa publication The way to happiness, mise à disposition de volontaires pour assister pompiers et policiers sur le site du World Trade Center, publicité pour ses éditions et ateliers "gratuits", mise en place d’un site internet spécifique12 par la Citizens commission on human rights International (CCHR) connue en France sous l’appellation Commission des citoyens pour les droits de l’homme (CCDH) et active sur le terrain de la lutte contre les méthodes de la psychiatrie. On notera qu’ une association d’assistance psychologique ayant pignon sur rue aux Etats-Unis, la National Mental Health association s’est indignée par voie de presse après que la Scientologie eût elle-même mis en place une officine de circonstance nommée National mental assistance, entretenant ainsi par cette appellation la confusion avec une organisation respectable13.

La secte multinationale a d’ailleurs réagi avec autant de célérité en France, après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse. Des tracts ont été distribués proposant un service d’assistance téléphonique pour "(vous) aider gracieusement et efficacement à soulager l’angoisse accumulée à la suite de ces terribles catastrophes (New York et Toulouse)".

Consécutivement aux attentats de New York, la Méditation transcendantale américaine a lancé un appel de fonds à grand renfort de publicité dans la presse via son officine The endowment fund for world peace14. Différents types de contribution ont été proposés (financement direct ou inscription à des activités de méditation de groupe) avec pour objectif d’engager des milliers de méditants afin de soulager la société de tout ce qu’il y aurait de négatif en elle. Une émanation de la secte, le Natural law party15, connu en France pour avoir présenté des candidats aux élections législatives (1993 et 1997) et européenne (1999) sous l’appellation Parti de la loi naturelle, s’est également associé à cette campagne.

Il convient de désormais d’aborder un autre aspect des activités sectaires, celui qui vise à faire taire ceux qui en dénoncent la nocivité. Ces mouvements, toujours prêts à revendiquer hautement les principes de liberté sont aussi les premiers à n’en pas tenir compte dès lors qu’un projecteur est braqué sur leurs comportements.

Les sectes usent ainsi sans vergogne de la diffamation, recourent à l’intimidation, exploitent le cas échéant les vides juridiques. Elles n’hésitent pas non plus à tenter d’instrumentaliser l’autorité judiciaire.

S’agissant de la diffamation, celle-ci vise souvent les personnes elles-mêmes. Selon les méthodes en honneur dans tous les mouvements totalitaires, le débat, toujours revendiqué mais jamais engagé, ne porte pas sur le fonds de la question mais sur une technique de dénigrement des personnes physiques elles-mêmes. Ainsi, le président de la dernière commission d’enquête de l’Assemblée nationale a-t-il été présenté dans plusieurs écrits (et jusque dans le rapport américain de l’année 2000) comme ayant été condamné par la Justice française alors que ses accusateurs ont été déboutés à la suite de l’appel qu’il avait interjeté.

Les sectes n’hésitent pas non plus à utiliser de pures calomnies : le rapport d’enquête de l’Assemblée nationale paru en 1996 a été présenté comme classant parmi les 173 sectes recensées en France "les mormons et les baptistes, religions du président et du vice-président des Etats-Unis". Un simple regard sur le rapport suffit à réduire à néant ces fausses informations. Mais qui lit dans le détail les rapports parlementaires ? De bonne foi, des organes de presse ont repris ces allégations sans les avoir vérifiées.

L’intimidation, quant à elle, prend des formes très diverses. Elles commencent presque toujours par l’envoi d’appels téléphoniques anonymes et menaçant les personnes qui les reçoivent. Fréquemment, l’appelant se présente comme un journaliste d’investigation. Si l’appelé a la prudence de demander le nom de l’organe de presse afin de le rappeler, l’appelant raccroche aussitôt. Mais si la conversation s’engage, la calomnie se répand ("il en restera toujours quelque chose"). Les mêmes procédés sont employés à l’égard de l’entourage de la personne considérée comme suppressive, c’est-à-dire, adversaire du sectarisme : mari, femme, enfants, amis, relations personnelles, tous sont l’objet de ces anonymes campagnes de déstabilisation. Il n’est pas jusqu’à certains magistrats instructeurs qui en aient été victimes. On peut, par analogie, imaginer ce que doivent supporter les militants des associations qui luttent contre le sectarisme et, plus encore, les victimes qui, une fois sorties de secte, ont le courage d’en dénoncer les méthodes.

Au-delà des attaques individuelles, les menaces peuvent en certain cas porter sur la société elle-même. Ainsi, en février 2000, un dirigeant international de la secte de Scientologie rendait public un "Appel aux armes" contre la France. Dans le prolongement de cette proclamation, une manifestation internationale était prévue à Paris. L’appel aux armes était diffusé sur l’un des sites internet d’une association proche de la Scientologie, installée dans des locaux commerciaux lui appartenant. La mobilisation des manifestants ne pouvant pas manquer d’être rapprochée des agissements de la Sea Org16 dont on connaît les troupes en uniforme de marine, décorés d’insignes ressemblant à des ordres nationaux connus.

Il n’est pas jusqu’à l’autorité judiciaire qui fasse l’objet de démarcages abusifs tendant à créer dans l’opinion une confusion entre des initiatives sectaires et la fonction de justice.

Ainsi, à l’automne 2000 (à peu près dans le temps où l’Appel aux armes était diffusé), une "commission d’enquête" prétendit instruire un procès contre différentes personnalités sommées de comparaître publiquement devant un "tribunal".

Dans l’un et l’autre cas, la constitution d’un faux tribunal et les propos diffamatoires qui l’accompagnaient ont induit la Mission à signaler cette initiative à l’autorité judiciaire, en application de l’article 40 du nouveau code de procédure pénale ainsi que de l’article 411.10 du code pénal et de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse et des articles 433.12 et 433-13 du même code.

L’affaire a cependant été classée sans suite, au motif que la "Foundation for Religious Tolerance" avait son siège aux Etats Unis. Or, cette fondation existe en France sous l’appellation " Fondation pour la tolérance religieuse " et a son siège dans l’un des locaux parisiens utilisés par le mouvement de la Scientologie. L’appel aux armes contre la France avait été diffusé par la branche française de la " Foundation for Religious Tolerance ". Il s’agissait donc bien d’une infraction commise sur le territoire français.

Des tentatives de pressions sont fréquemment exercées par les sectes ou des mouvements à dérive sectaire sur des responsables gouvernementaux et des cadres administratifs.

Ainsi, un avocat des Témoins de Jéhovah est-il intervenu auprès du Premier ministre pour que celui-ci fasse retirer une lettre circulaire de signalement du 21 mars 2000, adressée par la Mission aux préfets et relative à la participation de fonctionnaires aux rencontres organisées par l’Association médico-scientifique d’information et d’assistance aux malades17. (cette demande de retrait n’a reçu aucune suite).

L’accès légitime de tous les citoyens à la plupart des documents administratifs, lui non plus, ne pouvait manquer d’intéresser les sectes.

La Scientologie a ainsi utilisé la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’améliorations des relations entre l’administration et les citoyens et celle du 12 avril 2000 -relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations - pour demander de manière systématique la communication de pièces la concernant ou concernant certains secteurs. Cette stratégie développée par la Scientologie et quelques organismes analogues vise probablement à tenter de déstabiliser les administrations d’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et à les réduire au silence.

Elle a ainsi interrogé :

 au moins un service d’inspection générale (IGAS) en vue de se faire communiquer tout document ou support documentaire énuméré dans la loi, qui serait relatif à la Scientologie ;
 le ministère des Affaires étrangères et plusieurs ambassades, afin d’obtenir des informations sur diverses réunions de travail tenues en France ou à l’étranger ;
 les ministères de l’Economie et des Finances, de la Justice, de l’Intérieur, de l’Emploi et de la Solidarité, des Affaires étrangères, sur les dossiers administratifs éventuellement adressés à la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale en 1995 ;
 différentes préfectures pour communication générale des documents concernant la Scientologie.

Les services et établissements chargés de la santé mentale sont également une cible de choix pour la Scientologie. Ainsi, la Commission des citoyens pour les droits de l’Homme18, qui émane de l’église de scientologie, mais aussi l’église de scientologie d’Ile de France, ont-elles interrogé en 2001, par lettre recommandée avec accusé de réception, la majeure partie des services et établissements français gestionnaires de services de santé mentale. Les demandes invitaient ces établissements à transmettre l’arrêté préfectoral les habilitant à recevoir des malades mentaux hospitalisés sans leur consentement, leur règlement intérieur, leurs budgets et leurs comptes administratifs. Les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques étaient par ailleurs sommées de communiquer tous leurs rapports d’activité et bilans annuels depuis 1990.

Dans le cas d’espèce, la Commission des citoyens pour les droits de l’Homme se présente comme un organisme international de surveillance contre les atteintes aux droits de l’Homme dans le domaine de la santé mentale et diffuse largement par voie postale une publication intitulée " Psychiatrie - Une violation des droits de l’homme ". La psychiatrie y est présentée comme un danger majeur pour la société. Quant aux sources bibliographiques utilisées, elles proviennent largement des ouvrages du gourou fondateur de la secte...

Face à cette stratégie de débordement, la MILS a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). La nécessaire évolution de la réflexion sur ce sujet montre qu’il incombe aux services et administrations concernés de faire valoir les arguments tenant à la sécurité des personnes, notamment les personnes fragiles du fait de leur âge (enfants, personnes âgées), d’un handicap ou d’une maladie (majeurs sous tutelle, sous curatelle, sous décision de sauvegarde de justice), ce qui peut justifier la non communication de documents. De même, la protection de l’intérêt supérieur des enfants, posé comme une considération primordiale par la Convention internationale des droits de l’enfant, celui des personnes en état de faiblesse, le risque réel pour la sécurité des personnes et des biens, le trouble à l’ordre public, peuvent motiver la non communication garantissant ainsi la légitime protection que requiert l’intimité et la liberté des personnes.

Les demandes abusives, nombreuses et répétées , révèlent par ailleurs une stratégie de harcèlement des services publics, lesquels ne sont pas tenus de faire droit à de telles demandes (article 7.3 de la loi du 12 avril 2000) : dans le cas contraire, les administrations s’exposeraient à une paralysie de leur fonctionnement, voire à une forme de contrôle de la part des organismes à caractère sectaire qui ne sont nullement habilités à l’exercer si elles traitaient sans les précautions requises de telles demandes.

Certains services de l’Etat ont d’ailleurs organisé aussitôt une réponse aux offensives de la Scientologie.

Les ministères concernés, certaines préfectures ont ainsi sensibilisé les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’Etat, les associations participant au service public, et les ont informés sur d’éventuelles demandes de documents de la part de la secte.

Il est en effet indispensable que les agents des trois fonctions publiques d’Etat, collectivités territoriales et fonction publique hospitalière, aient une bonne connaissance non seulement des objectifs poursuivis par les sectes mais aussi des méthodes qu’elles emploient. A cet égard, un document émanant de Ron Hubbard lui-même éclaire suffisamment cet aspect des choses :

Le Manuel de justice, document à usage interne publié en 1959, reproduit en annexe au présent rapport19, contient ainsi les recommandations suivantes :

" Si l’on enquête sur vous ou sur l’Organisation Centrale, restez muet. Ne coopérez pas. Pour commencer, respectez les lois du pays, ensuite, jetez les enquêteurs et journalistes au bas des escaliers.

Les enquêteurs déforment ce qu’ils entendent. Quel que soit le demandeur, répondez constamment : "Nous sommes ici dans une institution qui dispose d’un rang élevé et reconnu dans le monde entier. Pourquoi ne vous adressez-vous pas à notre avocat ?". Cela tue aussi bien la presse que les flics...
...Donc, ne coopérez pas. Si vous n’avez pas peur et si vous ne rampez pas, la menace disparaît. "

Il existe aujourd’hui d’autres techniques de plus en plus répandues dans les mouvements sectaires, pour limiter au maximum "la menace". La plus récente consiste à rendre difficile la publication de documents élaborés au sein de la secte et qui peuvent être considérés comme dangereux pour elle. Cette technique se caractérise par l’extension quasi indéfinie du copyright. Dès lors que sont protégés des mots, des expressions, des textes entiers par une disposition légale initialement destinée au domaine économique ou commercial, ces derniers ne peuvent être reproduits - sauf autorisation délivrée par l’association ou regroupement sectaire lui-même-. Comment alors rendre compte de la réalité d’un comportement si l’observateur doit retrancher de son analyse les éléments déterminants des instructions qui ont pu conduire à des faits délictueux ?

La question des copyrights a été agitée dans plusieurs pays, notamment en Suède. Nul ne s’étonnera que cela soit à la requête indirecte de la Scientologie. A la date de la rédaction du rapport, le gouvernement suédois n’avait pas modifié sa position bien que celui des Etats-Unis ait signalé qu’il s’apprêtait à "éliminer la contradiction" entre la communication de documents et la protection des copyrights20.

Un document interne de la kinésiologie21, intitulé La place du kinésiologue en France, et face aux administrations, aux organismes officiels et au public22 illustre également l’habileté que peuvent développer les organismes à caractère sectaire pour expertiser les réglementations et bâtir les solutions permettant de contourner les règles applicables.

Un stage intitulé " Le kinésiologue face à l’administration " n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’un acquis préalable de 273 heures de formation. Ce stage comporte différents jeux de rôle, dont il convient d’expliciter les visées.

Le kinésiologue a une situation en marge des règles d’exercice habituelles des professions de santé. Aussi faut-il lui inculquer la manière appropriée de réagir face à de possibles enquêtes susceptibles d’être conduites par la police, les représentants de diverses administrations, le contrôleur des impôts, l’inspecteur d’académie, et d’autres interlocuteurs éventuels : directeur de journal, contrôleur du bureau de vérification de la publicité, Ordre des médecin.

La kinésiologie, qui recrute en majeure partie auprès des professionnels de santé, est en effet présente dans le domaine des médecines parallèles, du soutien scolaire, du handicap, des psychothérapies, de la gestion du stress. Ses membres peuvent être d’anciens personnels hospitaliers, des ostéopathes, des professionnels de santé libéraux. La kinésiologie s’intègre également à une pratique de chiropracteur, de naturopathe, de masseur, si l’on se réfère aux publications kinésiologues. Les masseurs kinésithérapeutes, très sollicités et cible de nombreuses publicités de la part du mouvement kinésiologue pendant les années 1990, ne semblent pas être plus nombreux que les autres professions de santé parmi les kinésiologues.

Les personnes ayant acheté et suivi le nombre exigé de stages de formation en kinésiologie peuvent alors bénéficier d’une aide à la création d’un cabinet et à la constitution de clientèle. Elles sont invitées à pratiquer d’abord auprès d’une clientèle d’enfants. Il leur est indiqué qu’avec l’expérience, elles pourront ensuite prendre en charge des adultes. L’attention de la Défenseure des enfants a été attirée par la Mission sur ces initiatives particulièrement inquiétantes.

Usant de moyens indirects, certains mouvements présentant des aspects de comportement sectaire cherchent à s’approcher du statut d’association cultuelle qui leur est refusé et qui leur conférerait une honorabilité analogue à celle des confessions qui respectent les droits de l’Homme et ne remettent pas en cause l’ordre public. Ainsi, deux associations de Témoins de Jéhovah ont-elles récemment saisi la Commission consultative des cultes en vue de l’affiliation de certains de leurs adeptes à la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAMIVAC)23.

Sans valoir reconnaissance du caractère cultuel du mouvement, l’affiliation à la CAVIMAC irait néanmoins dans ce sens et constituerait un symbole fort. L’association nationale des Témoins de Jéhovah a demandé l’affiliation à ce régime de prosélytes appelés respectivement "pionniers spéciaux" et "surveillants itinérants", c’est-à-dire de membres permanents du mouvement jéhoviste.

Afin qu’ils ne commettent aucune réponse inappropriée, le Consistoire national des Témoins de Jéhovah aurait adressé en mars 2000, une instruction24 à ces "pionniers spéciaux" et "surveillants itinérants", comportant des "informations techniques". Ces informations, destinées à régir les contacts des membres avec les administrations et les organismes de sécurité sociale, font état d’une activité "exclusivement pastorale [...], désintéressée". Les ministres du culte itinérants sont incités à bien spécifier :
 qu’ils n’ont "pas de contrat de travail avec l’association nationale des Témoins de Jéhovah",
 qu’ils "visitent bénévolement les églises locales des témoins" ...
 qu’ils sont "logés et nourris gratuitement par leurs coreligionnaires ou fidèles"...
 que les "frais de déplacement leur sont remboursés par l’association nationale, laquelle leur verse un petit pécule pour leur permettre de faire face à certains frais personnels engagés dans le cadre de leur activité"
 que "certains disposent en outre d’une épargne personnelle, du fait de leur activité professionnelle passée, ce qui leur permet d’accomplir cette activité professionnelle non rémunérée".

Le sens de cette "instruction" s’éclaire quand on le rapproche de documents relatifs aux conditions d’exercice des membres du mouvement. Ainsi, les " pionniers spéciaux " font du porte à porte à raison de 140 heures par mois, pour 1 280 F25 mensuels, sans couverture sociale, les " pionniers permanents " effectuent 90 heures par mois, sans rémunération ni couverture sociale, les " pionniers de vacances " effectuent 60 heures par mois, sans rémunération ni couverture sociale. Quant aux "serviteurs ministériels", placés au-dessus des "pionniers spéciaux" dans l’organisation, ils semblent bénéficier de privilèges, dont la nature est mal connue.

La Commission consultative des cultes a émis un avis favorable à l’affiliation, quoiqu’assorti de réserves sans portée juridique ni pratique. L’examen en droit pur de cette demande ne permettait pas, selon 5 membres sur 9 de la commission, de faire la distinction entre un trouble avéré à l’ordre public et un risque potentiel pour la santé publique. Ainsi, de manière totalement mécanique, un groupement dont on s’accorde à reconnaître qu’il présente certains aspects de comportement sectaire et dont, par ailleurs, on sait les aptitudes au lobbying auprès des pouvoirs publics pourrait ainsi obtenir un début de reconnaissance, sauf intervention du ministère compétent.

L’argumentation juridique pure ne met pas toujours les services de l’Etat en capacité d’exercer la vigilance requise et de faire obstacle aux avancées sectaires par une approche préventive. Une conception statique du droit paraît inadéquate face aux méthodes des organismes sectaires, qui usent de stratégies dormantes. La lutte contre ce risque requiert un pilotage prévisionnel et stratégique. Faut-il traduire en termes juridiques et expliciter en droit le principe de précaution pour que des institutions publiques, des commissions appelées à éclairer la décision publique, en découvrent le bien-fondé et l’intérêt qu’il présente pour garantir l’intérêt général ?

Dernier aspect de l’activité sectaire, et non des moindres, celui qui tend à utiliser la justice comme un instrument. La technique employée est toujours la même. Elle repose sur deux observations simples : le droit des nations démocratiques comporte une échelle de recours ; d’autre part, les décisions de justice se prennent lentement.

A partir de ce constat, les sectes n’hésitent pas à porter devant les tribunaux les moindres affaires qu’elles estiment les concerner, ni à attaquer en justice leurs adversaires, parfois sous les prétextes les plus futiles, en visant en priorité les plus notables d’entre eux. Le dépôt de plainte s’accompagne aussitôt d’une avalanche de déclarations calculées pour être médiatiques, sur le thème inépuisable des atteintes aux libertés et des menaces supposées qui pèseraient sur "une minorité spirituelle".

Les magistrats répugnant à prendre en considération des plaintes manifestement abusives, les sectes et leurs avocats n’hésitent pas alors à utiliser la "citation directe" qui, en l’état actuel du droit, oblige à statuer.

L’essentiel pour la secte est de faire parler d’elle et, simultanément, en profitant du degré de notoriété de soi ou de ses adversaires, d’accroître son audience en poussant à la polémique. La manipulation de l’opinion publique est alors engagée, au-delà des procès eux-mêmes dont l’intérêt devient à tout prendre, secondaire.

En cas d’échec en première instance, la secte ne manque pas d’interjeter appel pour les mêmes raisons. En attendant que l’affaire vienne à son rôle, la campagne publique de dénigrement se poursuit. Et si l’appel confirme la décision de première instance, reste encore la Cassation. L’origine de l’affaire est généralement oubliée lorsque le procès vient enfin à son terme. Dans l’intervalle, la secte a engagé d’autres procédures...

Par ailleurs, les procédures trop longues, étirées parfois sur une décennie, favorisent aussi les contre-offensives sectaires. Elles permettent aux mouvements mis en cause non seulement d’épuiser les moyens que permet légitimement le code de procédure pénale mais aussi de détruire peu à peu les témoignages de certaines victimes soucieuses surtout au terme de longues années de souffrance, d’oublier les épreuves subies. Des sectes ayant fait l’objet de graves accusations ont tenté, par ailleurs, de desserrer l’étau judiciaire en cherchant à obtenir, par des voies inconnues mais que l’on peut raisonnablement suspecter, le retrait de certaines plaintes ou de certains témoignages.

Ainsi, le temps qui passe peut-il jouer au détriment des victimes qui ont le courage de persister, sachant que le combat qu’elles mènent ne vaut pas seulement pour leur cas particulier mais qu’il contribue à prévenir le retour d’événements similaires.

Le coût éventuel des longues procédures n’arrête pas les sectes. La plupart d’entre elles savent qu’elles peuvent compter sur les moyens financiers d’une organisation transnationale. La liberté de circulation des capitaux, notamment en Europe, entrave l’action des pouvoirs publics dès lors qu’ils suspecteraient l’origine douteuse de fonds transférés au bénéfice d’une secte d’un Etat à un autre, à moins de pouvoir démontrer qu’il s’agit d’argent sale ce qui n’est guère aisé en l’absence d’espace judiciaire.

La secte est donc assurée de pouvoir soutenir sa cause sans inquiétude particulière, même si le magistrat qui la déboute décide l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à son encontre.

Ces procédés qui dénaturent la fonction de justice mériteraient sans doute un examen de nature législative afin que cesse une instrumentalisation à laquelle poussent, parallèlement, les intérêts privés de quelques cabinets d’avocat qui semblent se spécialiser dans le conseil des mouvements sectaires en raison des substantiels revenus qu’ils en tirent.

La Mission tient à la disposition du législateur maints exemples de ses instrumentalisations importunes. Elle contribuerait volontiers à une réflexion approfondie sur ce plan.

Les aspects du prosélytisme sectaire qui viennent d’être décrits de façon non exhaustive, ne sauraient toutefois faire oublier qu’en ce domaine, la force de résistance de la France s’est muée en peu d’années, en capacité de refoulement.

A l’exception des connections qui peuvent exister entre des associations de type sectaire et des groupements adeptes du fondamentalisme religieux qui confinent au terrorisme,26 phénomènes qu’il est sans doute encore trop tôt pour éclairer, les dérives sectaires paraissent moins prégnantes que par le passé.

La solidarité internationale qui s’affiche en la matière, notamment au plan européen, laisse présager que le temps de l’impunité est révolu. La preuve en est parfois donnée -a contrario- par des regains ponctuels d’activisme et des changements de stratégie observés ici ou là. A Paris où la Scientologie, pour prendre cet exemple, connaît une crise durable de recrutement, il semble que la secte cherche à masquer ses difficultés en concentrant ses activités dans un arrondissement particulier considéré comme une base de repli. La réaction déterminée des élus et de la population constitue sans doute la réponse appropriée la plus efficiente pour alerter l’opinion et démasquer des agissements contestables.

Dans les collectivités locales où la pression sectaire est moindre, comme dans les grandes agglomérations, le temps n’est pas venu de relâcher la vigilance. Il convient plutôt d’accentuer les mesures de prévention en multipliant les réunions d’information à tous niveaux ainsi que les séances de formation au bénéfice de ceux qui, dans leur milieu professionnel, peuvent un jour rencontrer une infiltration sectaire.

Pour sa part, la Mission continuera à s’y employer activement, tout en gardant présent à l’esprit qu’à tout moment une récurrence sectaire peut se manifester. De la promptitude à la combattre et à en limiter immédiatement les premiers effets dépend pour une large part la sécurité des personnes et l’équilibre social.