Il a paru opportun à la Mission de rendre public les informations portées à la connaissance de M. Abdelfattah Amor, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme sur la liberté de religion ou de conviction, consécutivement à une initiative de "diverses associations religieuses, spirituelles, philosophiques et thérapeutiques en France" prétendant subir certaines discriminations.

En effet, le lobbying sectaire cherche en permanence à déborder les législations nationales et tente de désinformer les institutions internationales.

Le relatif anonymat de cette initiative n’en a pas moins induit les autorités françaises, par le canal du ministère des Affaires étrangères, à répondre avec précision à la demande légitime d’information du Rapporteur spécial des Nations Unies. Le texte de cette réponse suit.

"Par courrier du 19 juin 2001, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction a bien voulu adresser au Gouvernement de la République française copie d’un rapport anonyme, à lui adressé par un "certain nombre d’organisations" qui représenteraient "diverses associations religieuses, spirituelles, philosophiques et thérapeutiques en France" et relatif à de prétendues discriminations contre des minorités, et solliciter des observations à ce sujet.

Le gouvernement de la République française a l’honneur de porter à la connaissance du rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction les éléments de réponse ci-après.

Le rapport précité fait état d’une prétendue volonté, manifestée par les autorités françaises, de se livrer à une discrimination à l’encontre des sectes, notamment à la suite de l’adoption de la loi du 12 juin 2001.

Après avoir rappelé l’état du droit en France en matière de protection de la liberté religieuse, le gouvernement français présentera le contexte de l’adoption de la loi et exposera le contenu de ses dispositions.

Éléments de droit interne : la protection de la liberté religieuse en France

Le droit français reposant sur une stricte séparation de l’Etat et des églises et ignorant la notion de secte, il ne saurait dès lors instituer de régime juridique spécifique créateur de discriminations à l’encontre des personnes membres de ces sectes.

La législation française proclame et protège le droit à la liberté de conscience et d’opinion, ce qui implique la possibilité, pour tout individu, d’avoir les opinions philosophiques, morales, politiques ou religieuses qu’il souhaite.
Ce droit est reconnu, en particulier, par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui dispose que "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi". De ce texte, il résulte que tout citoyen est libre d’adopter, dans n’importe quel domaine, l’attitude intellectuelle de son choix, la conception ou l’appréciation qui lui convient sur tout sujet ou toute question, qu’il s’agisse d’une pensée intime ou d’une prise de position publique.

Il convient de rappeler que la Déclaration de 1789 est incorporée au préambule de la Constitution de 1958 et qu’à ce titre, les droits qu’elle énonce ont acquis une valeur constitutionnelle, dont le Conseil constitutionnel assure la protection contre tout risque de limitation. En particulier, s’agissant de la liberté d’opinion, le Conseil constitutionnel a estimé dans une décision du 15 novembre 1976 que le principe de cette liberté interdisait de faire figurer dans le dossier des fonctionnaires toute référence à leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses.

Le droit à la liberté de conscience ou d’opinion induit en outre le droit pour tout individu d’exprimer ou de manifester ses convictions, notamment dans le domaine religieux, afin d’organiser sa vie conformément à ses opinions. En conséquence, la France garantit à chacun la liberté de religion. Ce droit a lui aussi une valeur constitutionnelle puisque, outre l’article 10 de la Déclaration de 1789, l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame solennellement que la République "respecte toutes les croyances".

Afin d’assurer à tous l’égal respect des croyances, a été consacré le principe de neutralité de l’Etat à l’égard de la religion. La France a en effet choisi, au début du vingtième siècle, de rompre tout lien officiel entre l’Etat et la religion, alors qu’elle avait vécu pendant plusieurs siècles sous un régime concordataire. Par la loi du 9 décembre 1905, portant séparation des Eglises et de l’Etat, elle a opté pour un strict régime de laïcité, en s’interdisant toute immixtion dans les affaires religieuses.

Cette loi a proclamé deux principes fondamentaux : "la République assure la liberté de conscience" (art.1), "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" (art2). Ainsi, le principe qui prévaut en France est celui de la neutralité de l’Etat à l’égard des opinions religieuses. En effet, l’Etat ne donne sa préférence à aucune religion, puisqu’il n’en aide aucune. Les religions se trouvent dès lors mises sur un pied d’égalité et toute distinction entre les cultes est refusée. Les mouvements religieux sont tous placés dans une situation objectivement identique et il ne peut, en droit, exister de discrimination entre religions.

Dans la conception française, la laïcité constitue un principe de tolérance et de respect. L’Etat s’impose non seulement de respecter lui-même la liberté de religion, mais il s’engage en outre à faire respecter par les autres la liberté de religion, puisqu’aux termes de l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, l’Etat "assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion".

L’Etat a donc pour mission de s’efforcer de prévenir toute violation de cette liberté par quiconque. A ce titre, l’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 prohibe toute sanction qui serait prise par un supérieur hiérarchique, à raison des convictions personnelles de son subordonné, dans la mesure où il prévoit que "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances".
En outre, l’atteinte à la liberté de conscience est instituée en infraction pénale. L’article 31 de la loi de 1905 crée en effet le délit d’atteinte à la liberté de conscience et punit "ceux qui, par voie de fait ou violence ou menace contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi, soit en exposant à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte".

Les tribunaux ont par ailleurs précisé le contenu de la liberté de religion. Ont ainsi été consacrés le droit d’avoir la religion de son choix et d’en garder le secret (Cons. d’Etat 9.7.1943 Ferand) ainsi que le droit de ne pas être défavorisé en raison de ses croyances (Cons. d’Etat 28.04.1938 Delle Weiss).

Il résulte du principe de neutralité de l’Etat à l’égard des religions qu’il n’existe pas dans la législation française de définition juridique de celles-ci. Le droit positif se borne uniquement à réglementer les structures juridiques et les pratiques sociales qui constituent le support des religions (associations cultuelles, congrégations religieuses), mais n’opère aucune distinction entre les divers cultes. Dès lors, aucune discrimination n’est effectuée, de manière positive ou négative, entre les différents églises.

La loi du 12 juin 2001

Le contexte de son adoption

A la suite de plusieurs tragédies survenues ces dernières années à travers le monde et au cours desquelles des membres de divers mouvements sectaires ont trouvé la mort, les parlementaires français ont pris l’initiative de procéder à une analyse plus complète de ce phénomène, afin d’apprécier les éventuels dangers que certains de ces mouvements sont susceptibles de faire courir aux individus et à la société.

a) Le 29 juin 1995, une Commission d’enquête parlementaire, composée de 30 membres appartenant à tous les grands courants d’expression politique en France, a été constituée afin "d’étudier le phénomène des sectes et de proposer, s’il y a lieu, l’adaptation des textes en vigueur".
Pour mener à bien la mission qui lui était ainsi confiée, cette Commission a pris connaissance des analyses et des informations émanant tant des diverses administrations que de personnes ayant, à des titres divers, une expérience approfondie du phénomène sectaire (responsables administratifs, médecins, juristes, hommes d’église, représentants d’associations d’aide aux victimes de sectes, anciens adeptes ou dirigeants actuels).
Le rapport, examiné par la Commission le 20 décembre 1995, a été adopté à l’unanimité et publié. Intitulé les sectes en France", il décrit l’ensemble des travaux menés par la Commission et formule diverses propositions.
Dans ce document, les parlementaires ont souhaité, à titre préalable, rappeler qu’il convenait de distinguer les groupements tout à fait respectables des mouvements dangereux. "La commission a donc bien pris garde de faire un amalgame entre tous les groupes spirituels existants. Elle a considéré qu’elle devait se cantonner à examiner les nuisances provoquées par les seules sectes dangereuses. Et ce, pour tenter de dégager les moyens de les combattre" (rapport p.66).
Les membres de la Commission ont ensuite répertorié les mouvements sectaires dangereux et brossé le tableau des infractions pénales que ces derniers ont pu commettre en France.
A l’issue de ses travaux la Commission a admis la pertinence du système juridique actuel et la nécessité de le maintenir en l’état. Elle a en effet considéré qu’il "n’apparaît pas souhaitable (...) de préconiser l’élaboration d’un régime juridique spécifique aux sectes. Une telle entreprise se heurterait d’abord à un problème de définition. On a vu en effet combien il était difficile de définir la notion de sectes et les limites que présentaient les différentes approches possibles. Or, la mise au point d’un régime juridique propre aux sectes obligerait nécessairement à faire un choix en faveur de l’une d’elles, ce qui ne manquerait de prêter le flanc à toutes les contestations. (...) En deuxième lieu, ce régime paraît peu compatible avec plusieurs de nos principes républicains. En effet, il conduirait à ne pas traiter de façon identique tous les mouvements spirituels, ce qui risquerait de porter atteinte, non seulement au principe d’égalité, mais aussi à celui de la neutralité de l’Etat vis-à-vis des cultes. D’autre part, dans la mesure où il aurait notamment pour but d’empêcher les "dérives" sectaires, il se traduirait probablement par un encadrement plus étroit des activités de sectes auquel il serait très difficile de parvenir sans toucher aux libertés de religion, de réunion ou d’association" (page 99).
La Commission a finalement estimé qu’il était essentiel d’"utiliser pleinement les dispositions existantes, leur application systématique et rigoureuse devant permettre de lutter efficacement contre les dérives sectaires" (page 126).
Les conclusions de la Commission d’enquête sur le danger du phénomène sectaire tant à l’égard des libertés individuelles que de la société et de l’Etat ont conduit le Gouvernement français à créer par décret du 9 mai 1996, sur les recommandations des parlementaires, l’Observatoire interministériel sur les sectes. Cette instance placée auprès du Premier ministre était chargée d’analyser le phénomène des sectes et de faire des propositions au Gouvernement afin d’améliorer les moyens de lutte contre les sectes.
Cet organisme a été remplacé le 7 octobre 1998 par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui peut dénoncer aux procureurs de la République les faits commis par les mouvements sectaires, lorsque ceux-ci sont susceptibles de recevoir une qualification pénale.

b) Le 15 décembre 1998, afin de prolonger le travail réalisé en 1995, l’Assemblée nationale a, à l’unanimité, adopté une résolution créant une commission d’enquête sur "la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers".
Cette Commission a adopté, à l’unanimité, son rapport sur Les sectes et l’argent, lequel à été rendu public le 17 juin 1999. Dans ses conclusions, elle relève notamment :
"(...) Le droit à la différence doit aussi être sauvegardé. Mais on ne saurait admettre que l’exercice de ce droit puisse menacer certains principes, et d’abord le droit à la protection des plus faibles. (...)La préservation de la liberté de conscience ne saurait, en effet, s’appuyer sur une méconnaissance des libertés individuelles essentielles : d’aller et venir, de posséder des biens et d’en jouir, d’entretenir son corps et sa santé, d’être protégé contre les abus de pouvoirs, de se défendre contre les atteintes à ses intérêts moraux et matériels..." (page 253 du rapport).
En annexe de ce rapport figurent des renseignements sur l’organisation, le poids financier et le réseau économique d’une trentaine d’associations "représentatives des mouvements sectaires", choisies par la Commission aux motifs qu’elles lui paraissaient "disposer d’une influence économique et d’un poids financier significatifs", et qu’elle a pu "rassembler des informations qu’elle (a jugé) utile de rendre publiques".
c) En 1999, M. Nicolas About, sénateur, a déposé une proposition de loi tendant à renforcer le dispositif pénal à l’encontre des associations ou groupements à caractère sectaire qui constituent, par leurs agissements délictueux, un trouble à l’ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l’Etat.
Cette proposition a été discutée et adoptée en première lecture par le Sénat le 16 décembre 1999. Puis, conformément aux règles applicables en la matière, cette proposition a été soumise à l’Assemblée nationale qui, après l’avoir modifiée, l’a adoptée en première lecture le 22 juin 2000.
Cette proposition ainsi modifiée a été ensuite soumise en deuxième lecture au Sénat, qui, à son tour, l’a amendée puis adoptée le 3 mai 2001. Elle a ensuite été présentée en deuxième et dernière lecture à l’Assemblée nationale le 30 mai. Le texte a été adopté à l’unanimité moins une voix.
Cette loi a été promulguée par le Président de la République le 12 juin 2001 et publiée au journal officiel de la République le 13 juin 2001.
Il ne saurait donc être soutenu, comme le mentionne à tort le rapport anonyme précité, que cette loi a été "votée à la hâte" et "par moins de trente députés".

Les objectifs de la loi

A titre liminaire, il convient de rappeler que le Parlement français, particulièrement sensibilisé par divers événements tragiques liés aux sectes qui avaient ému l’opinion publique internationale au cours des années 1990, a entendu jouer "un rôle moteur" dans la lutte contre les dérives sectaires. En effet, ainsi que l’a souligné le rapport de Mme Picard au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, enregistré le 14 juin 2000, les parlementaires français ont revendiqué avoir été "parmi les premiers à s’intéresser au phénomène sectaire" et "de nombreux élus, appartenant à la majorité comme à l’opposition parlementaire, réclament à l’encontre [des groupements sectaires dangereux] un renforcement de la prévention et de la répression."

Les parlementaires étaient parfaitement conscients des difficultés que ne manquerait pas de susciter une telle initiative. "Sans doute la démarche est-elle difficile. Comment lutter efficacement contre les dérives que connaissent certains mouvements sans heurter la liberté de croyance et la liberté d’association ?" Cette question formulée par M. Nicolas About, dès les premières lignes de son rapport est essentielle. (...) La réponse existe. "Toutes les croyances méritent d’être respectées, mais des groupes qui enfreignent régulièrement les lois de la République et commettent parfois des infractions très graves doivent pouvoir être dissous très rapidement si l’ordre public l’exige". Autrement dit, M. Nicolas About se réfère aux lois de la République pour distinguer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Cette réponse figurait déjà dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" (article 4) ; "nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi" (article 10) ; "tout citoyen peut parler écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi" (article 11) " (Rapport de Mme Picard au nom de la Commission des lois, enregistré le 14 juin 2000).

Si les parlementaires entendaient compléter le dispositif législatif français, afin de protéger les personnes victimes des dérives sectaires et de disposer d’instruments destinés à lutter plus efficacement contre leurs auteurs, ils ne souhaitaient pas pour autant bouleverser l’équilibre général acquis depuis 1789 dans le domaine des libertés publiques.

La méthode utilisée pour l’élaboration de la loi a ainsi pu être présentée comme suit : "Liberté de croyance et liberté d’association sont deux principes fondamentaux de la République. Mais ils ne doivent pas permettre de s’affranchir des lois et règlements en vigueur. La neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les croyances religieuses est elle aussi un principe fondamental (...) Tous ces principes clairement énoncés et auxquels chacun d’entre nous est viscéralement attaché a guidé nos travaux, pour aboutir à un texte équilibré." (M. René André, discours à l’Assemblée nationale du 30 mai 2001). En effet, "en l’élaborant, Assemblée et Sénat ont constamment veillé à ne pas porter atteinte à la liberté d’association et de conscience (...). Le souci constant de ne pas porter atteinte aux libertés nous a conduit à examiner très attentivement les implications de chaque disposition, préventive ou répressive" (rapport de Mme Picard précité).

Le souci manifesté par les auteurs de la proposition de loi que soit garanti le respect des droits de l’homme a été partagé par les représentants du gouvernement. Lors des débats publics au parlement, Mme la ministre de la Justice, Mme Lebranchu, a notamment relevé combien la question du phénomène sectaire était "douloureuse et complexe" :

"Douloureuse, parce que les dommages causés par les mouvements sectaires, essentiellement à l’encontre de personnes vulnérables et de leur famille, sont incontestables. Complexe, parce que la lutte légitime contre les dérives sectaires ne doit pas porter atteinte aux libertés individuelles et collectives que garantit un Etat démocratique soucieux de respecter les droits de l’homme".

La ministre a en outre souhaité consulter pour avis la Commission nationale consultative des droits de l’Homme et associer la Ligue des droits de l’Homme à la discussion. L’avis donné par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, remis par le gouvernement au parlement, a permis d’approfondir la réflexion et de parvenir à une solution consistant à ne pas créer une nouvelle incrimination de manipulation mentale, mais à aménager le délit d’abus frauduleux de l’état de faiblesse, qui existait déjà dans la législation pénale française.

Il est donc erroné d’indiquer, comme le fait le document anonyme précité, que la loi "est conçue de manière à punir des milliers de citoyens français innocents" et que "les intentions discriminatoires de cette loi (...) sont exprimées de manière flagrante dans le titre de la loi, selon lequel elle est destinée " à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires".

En effet, il n’y a aucune intention discriminatoire à l’égard des "nouvelles religions". D’ailleurs, il n’est pas inutile de relever que le titre de la loi n’est pas celui que mentionne le rapport anonyme précité. Son intitulé exact est "loi tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales". Ce texte ne vise donc pas toute association qui pourraient être qualifiée de "secte", mais tous les courants de pensée dès lors que ceux-ci portent atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales. L’ambition de cette loi est en réalité de préserver l’ordre public contre des actes délictueux lorsque ceux-ci ont été commis par des groupements qui violent les libertés fondamentales.

Une telle démarche s’inscrit dès lors tout à fait dans la marge d’appréciation reconnue aux Etats par les Conventions internationales pour adopter des mesures visant à limiter la liberté d’action de communautés de pensée qui troublent l’ordre public ou portent atteinte aux libertés individuelles (voir article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 - article 9 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme).

Le contenu de la loi

Cette loi comprend six chapitres, contenant à la fois des dispositions de nature pénale et de nature civile.

Sur le plan pénal, la loi prévoit essentiellement une incrimination spécifique, précise les règles en matière de responsabilité pénale et renforce les droits des victimes

* Le parlement a aménagé l’incrimination d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse prévu par l’article 313.4 du Code pénal, concernant "soit un mineur, soit une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur".
L’alinéa premier du nouvel article 223.15 du Code pénal reprend donc les premiers éléments du délit d’abus de faiblesse et insère un élément nouveau concernant "une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement".
La définition de l’infraction est centrée sur "l’action de faire pression" ou l’utilisation de techniques propres à altérer le jugement. A titre d’exemples, on peut citer les tests, les jeûnes prolongés, les cours d’initiation répétés, des conditions d’hygiène et d’hébergement rudimentaires...
L’infraction implique que soit constatée chez la victime, éventuellement par des expertises psychiatriques, une perte, au moins partielle, du contrôle, de la maîtrise ou de l’autonomie de penser et d’agir, résultant d’actions graves ou réitérées, ou de techniques propres à altérer le jugement.
Le fait d’abuser frauduleusement de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement "pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables" est sanctionné par une peine de trois ans d’emprisonnement et de 2.500.000 F d’amende.
Par ailleurs, une circonstance aggravante est prévue lorsque l’infraction est commise par le dirigeant d’un groupement dont l’objet est de créer ou de maintenir de telles sujétions. Les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 5.000.000 F d’amende.

* L’extension de la responsabilité pénale des personnes morales à certaines infractions a fait l’objet d’un consensus entre les deux assemblées.
Elle s’applique à des infractions qui sont généralement commises au sein de mouvements sectaires : l’exercice illégal de la médecine ; les délits de fraudes et de falsification (articles L 213.1 à L 213.4 du Code de la consommation) ; les menaces (par exemple des menaces commises par les dirigeants sur les membres ou plus fréquemment, sur les anciens membres qui ont quitté la secte et souhaitent engager des procédures judiciaires contre celle-ci) ; les infractions d’atteintes au respect dû aux morts (commises notamment au sein des sectes dites "sataniques") ; les infractions d’atteintes volontaires à la vie, comme le meurtre et l’empoisonnement (faits pouvant être commis dans les sectes dites "apocalyptiques") ; les tortures et actes de barbarie ; les viols et agressions sexuelles ; l’abandon de famille ; l’entrave aux mesures d’assistance et l’omission de porter secours.
Par ailleurs, la loi restreint la possibilité de diffuser des messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d’une personne morale se livrant à des activités sectaires, dès lors que celle-ci a fait l’objet, personnellement ou ses dirigeants de droit ou de fait, de condamnations définitives.

* Enfin, les droits des victimes se trouvent renforcés puisque toute association reconnue d’utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et proposant par ses statuts de défendre et d’assister l’individu ou de défendre les droits et libertés individuels et collectifs peut se constituer partie civile, en cas de commission de certaines infractions portant atteinte aux droits de l’Homme.

Sur le plan civil, la loi instaure une procédure de dissolution judiciaire de certaines personnes morales

Le tribunal de grande instance "pourra prononcer" la dissolution de toute personne morale "qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités", dans des conditions qui garantissent à la fois des droits de la défense et la liberté d’association.

En effet, la dissolution judiciaire suppose préalablement qu’ont été prononcées plusieurs condamnations pénales définitives contre la personne morale ou ses dirigeants, pour des infractions limitativement énumérées, notamment les infractions d’atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, de mise en danger de la personne, d’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, de publicité mensongère, de fraudes ou de falsifications, d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse...

La procédure de dissolution est portée devant le tribunal de grande instance "à la demande du ministère public agissant d’office ou à la requête de tout intéressé". La demande est formée, instruite et jugée conformément à la procédure à jour fixe. Le délai d’appel est de quinze jours. Les différentes personnes morales mises en cause doivent être parties à la procédure.

L’affaire est fixée à bref délai. Au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762 du nouveau code de procédure civile.

Une mesure judiciaire de dissolution a paru aux parlementaires préférable à celle de la dissolution administrative initialement envisagée car elle permet une procédure contradictoire et elle est, de ce fait, pleinement respectueuse des droits de l’Homme.

Ainsi, il apparaît que, contrairement à ce qu’indique le rapport anonyme précité, la loi du 12 juin 2001 ne "vise [pas] uniquement les minorités religieuses susceptibles d’être en butte à l’hostilité d’une communauté religieuse dominante". Celles-ci ne peuvent tomber sous le coup des dispositions pénales de cette loi du seul fait de leur existence en tant que personne morale. En effet, la possibilité de dissolution et les limitations de publicité ne sont pas attachées à l’existence d’une personne morale mais au prononcé de plusieurs condamnations pénales à son encontre.

En d’autres termes, l’éventuelle dissolution judiciaire d’une association à caractère sectaire est la conséquence, non de la seule existence de cette entité qui pourrait être qualifiée de "secte", mais de la commission de faits délictueux, qui ont été judiciairement constatés et sanctionnés. En outre, elle ne peut être prononcée que par un tribunal à l’issue d’une procédure pleinement contradictoire.

Par ailleurs, la solution finalement adoptée par le parlement de compléter le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, qui ne concernait jusqu’alors que les mineurs et les personnes particulièrement vulnérables en raison d’un déficience physique ou psychique, permet, comme l’a indiqué le rapporteur de la commission des lois, M. About, d’"[éviter] de créer un délit spécialement réservé aux sectes", si bien que la lutte contre certains groupements dangereux s’inscrit "dans un cadre juridique déjà connu du juge pénal".

A ce jour, les règles juridiques applicables aux mouvements religieux et aux cultes reconnus sont les mêmes que celles qui ont toujours régi leurs activités. En l’occurrence, depuis près d’un siècle, le droit français garantit à tous une égale liberté de religion, quelle que soit celle-ci, en refusant toute distinction. Les réflexions les plus récentes menées par les élus de la Nation ont confirmé la pertinence de cette conception française de la laïcité et conclu à la nécessité de pérenniser le système juridique en vigueur, justement parce qu’il interdit toute discrimination. Il n’existe donc en droit français aucun statut juridique spécifique pour les sectes.

La loi du 12 juin 2001 est simplement venue compléter le dispositif juridique déjà existant, afin de lutter contre les activités illégales de certains mouvements à caractère sectaire qui portent atteinte aux droits de l’homme et à la dignité de l’individu. Il s’agit donc d’un instrument de portée limitée, qui vise uniquement à protéger la société contre les exactions commises par des délinquants, personnes physiques ou morales, appartenant à ou constituant des groupements sectaires. Ainsi que l’a souligné Mme le Garde des Sceaux, cette loi constitue "un texte de régulation sociale et éthique, qui ne met en cause ni la liberté de conscience, ni la liberté de culte, ni la liberté d’expression, ni la liberté d’association, mais protégera les personnes susceptibles de devenir les victimes de mouvements sectaires".

Le gouvernement de la République française ne peut donc que conclure à l’inexistence de l’ensemble des allégations formulées par les auteurs du rapport transmis à M. le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction."

Notons enfin que le rapport américain n’a pas cru bon de rendre compte de l’appel gagné par un parlementaire français connu pour son action contre les menées sectaires, parlementaire dont la condamnation en première instance avait été présentée faussement par les rédacteurs du précédent rapport du Département d’Etat comme définitive.