Prise en charge par le Centre Georges Devereux de personnes sortant de sectes, Note d’étape

Le centre Georges Devereux, association constituée selon la loi de 1901, est installé au sein de l’UFR de psychologie de la faculté de lettres de l’université Paris VIII. Il a été créé en 1993, avec pour vocation première, l’aide psychologique aux familles de migrants. Ses missions se sont progressivement diversifiées pour proposer une aide aux personnes touchées par le sida, l’obésité, la boulimie, l’infertilité, la transsexualité, ou encore, aux femmes violées, aux enfants des survivants juifs de l’holocauste nazi, aux victimes de tortures ou de traumatismes de guerre... Des villes, dont Saint-Denis, Aubervilliers, d’autres organismes, subventionnent ces différents domaines d’activité. La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Seine Saint- Denis accorde une subvention pour le travail mené auprès des Tsiganes.

Ce centre universitaire n’a pas de lien avec le dispositif de sectorisation psychiatrique, construit en France dans les années 1970 (La psychiatrie de service public est organisée en secteurs, par découpage géographique du territoire régional). La situation universitaire du centre Georges Devereux induit les caractéristiques suivantes : gratuité de l’aide psychologique pour l’usager, travail conduit dans un contexte de recherche. La revendication même de centre de recherche confère une dimension expérimentale au travail, que conduisent en partie des chercheurs rémunérés par le ministère de l’Education nationale et de la Recherche (linguistes, anthropologues, psychologues, notamment), des étudiants n’ayant pas encore soutenu leur thèse ou des étudiants stagiaires. En outre, l’équipe de psychologues du centre Georges Devereux n’est pas habilitée à traiter les troubles psychopathologiques ni à diriger les traitements médicamenteux éventuellement requis par l’état d’un patient. Dans cette occurrence, les personnes sont orientées vers les services de psychiatrie.

Cette expérimentation est à rapprocher des réflexions de fond conduites dès le début des années 1980 sur le phénomène des sectes. A cet égard, le rapport remis en 1983 au Premier ministre par un parlementaire en mission proposait d’ores et déjà un dispositif de médiation qui répondait à la nécessité de contribuer globalement à la réinsertion sociale et professionnelle des victimes du sectarisme. La création de groupes régionaux de médiatisation et le versement d’une allocation transitoire49 étaient suggérés.

En 1999, le Ministère de l’emploi et de la solidarité a partiellement mis en œuvre les orientations de cette proposition et conclu une convention avec le centre Georges Devereux pour :

"mettre en place et faire fonctionner un dispositif d’aide psychologique aux sortants de sectes",
"aider à la professionnalisation des associations spécifiquement concernées par la prise en compte des phénomènes sectaires",
mener "un travail d’étude propre à dégager des réflexions cliniques sur les relations entre adeptes et sectes".

L’action publique ou plus exactement semi-publique a été conduite par le Centre Georges Devereux en liaison avec l’Union nationale des associations de défense de la famille et de l’individu.

Postulat de l’activité clinique

Le Centre Georges Devereux a initialement bâti les postulats de son activité clinique pour répondre aux besoins des migrants en souffrance. Dans le contexte de recherche qui est le sien, le centre met en avant le principe selon lequel les dispositifs ne précèdent pas les populations accueillies, mais sont construits en fonction des besoins exprimés. Il y a lieu de décrire, dans un premier temps, les postulats et d’examiner ensuite la spécificité du dispositif conçu pour les personnes sorties de sectes.

Les postulats et modalités de prise en charge

Les séances de travail se présentent sous la forme de travail d’ethnopsychiatrie : une dizaine de personnes de différents horizons -psychologues, linguistes, ou anthropologues- se réunissent autour d’un patient ou autour d’une famille. La durée des séances est d’environ trois heures toutes les trois à quatre semaines. L’une des personnes est le référent institutionnel (assistante sociale, ou psychologue) à l’origine de la prise en charge ; elle pilote la séance. Une autre personne est proche de l’environnement culturel et linguistique des victimes consultantes. Elle connaît "les habitudes thérapeutiques ayant cours dans l’environnement habituel de la famille". Par ailleurs, "tous les membres sont sensibilisés à l’importance des traditions thérapeutiques locales".

La diversité des personnes présentes à chaque séance vise à faire émerger des interprétations diverses du mal des patients, amenés ainsi à participer activement à leur thérapie en rebondissant eux-mêmes sur l’une ou l’autre des propositions qui leur sont faites. L’objet de la thérapie est de retrouver ce qui, dans l’univers culturel du groupe d’origine du patient, fait pression sur lui. Cela conduit à s’arrêter sur la langue, les lieux, les objets, mais aussi sur les mythes, et bien sûr sur les récits qu’en donnent le patient lui même, son entourage ou les médiateurs. Bref, il s’agit avant tout de replacer la personne dans le contexte pour comprendre à la fois sa souffrance et la façon dont elle aurait été traitée dans cet environnement culturel précis. C’est dire l’importance accordée à la dimension anthropologique -dialectique entre le groupe et l’individu- du travail effectué avec le patient : celui-ci n’est pas seul face à un problème psychologique personnel. Il évolue à l’intérieur de codes à identifier et à décrypter, dans un réseau dont le sens est à déterminer, ce qui peut ensuite permettre éventuellement de déconstruire ce réseau ou de trouver de nouvelles modalités d’articulation avec lui.

Les postulats propres à la prise en charge des personnes sorties de sectes

S’agissant des personnes sorties de secte, des associations de lutte contre les sectes sont posées comme référentes, l’objet déclaré par ces associations permettant à la personne de se situer comme "victime" de la secte. Le postulat spécifique est que les personnes sorties de secte sont victimes de la manière dont les autres les ont "pensées" et mises sous influence.

Le travail effectué par le centre Georges Devereux avec les "sortants de secte" est également basé sur l’implication d’un groupe de soignants autour de l’usager permettant d’introduire une parole multiple voire contradictoire, en opposition au discours univoque tenu dans la secte. Le travail tente de remonter en amont de l’entrée du patient dans la secte et reconstitue son trajet : il peut avoir connu un cheminement passant par des prêtres exorcistes, des guérisseurs, la perte d’un emploi, l’isolement, la précarisation... Retracer ce chemin en amont restitue ce qui a construit le patient comme membre de secte, en fonction des particularités intrinsèques du groupe sectaire ou indépendamment de celles-ci. Il s’agit de décomposer, avec les personnes, le processus qui les a conduites à devenir adeptes d’une secte, ainsi que de déconstruire la logique du groupe sectaire. C’est souvent la contradiction entre les intérêts du groupe et les intérêts personnels qui conduit à la sortie de secte. Ainsi, de jeunes Témoins de Jéhovah n’acceptant pas que le choix d’un partenaire soit limité à l’intérieur du groupe et pouvant quitter le groupe pour ce motif. Les entretiens montrent que si les ex-adeptes sont sortis de la secte, en revanche, la secte "n’est pas sortie de leur tête" : souvent, bien que sorties du groupe sectaire, les personnes demeurent en recherche et en quête du sens qu’elles croyaient pouvoir trouver au sein de la secte. Ce sont cette quête et cette déception qui doivent être traitées.

Le travail porte également en aval sur les conséquences financières et relationnelles qu’entraîne le départ du patient hors du groupe sectaire : gestion des dettes, reprise de contact avec la famille.

Les "sortants de sectes" ne sont pas seuls à demander l’aide du centre. Les familles d’adeptes se sentent souvent démunies et peuvent utiliser le dispositif. Les préoccupations sont alors différentes. A titre d’exemple, des parents d’adeptes d’un mouvement sectaire (Moon) implanté en France dans les années 1960 sont suivis par le centre. Leurs enfants sont aujourd’hui mariés et chefs de familles fondées au sein du groupe sectaire. Ils s’interrogent sur ce qu’il adviendra si leurs enfants et petits-enfants quittent le groupe sectaire et ont à s’intégrer dans la société ordinaire, dont le mode de fonctionnement leur est totalement inconnu. Ce scénario, qui n’est pas improbable, génère une forte angoisse.

Les limites du dispositif

Deux réserves doivent être énoncées à ce stade.

 1. Les associations de lutte contre les sectes repèrent plus ou moins aisément la problématique du langage utilisé par le "sortant de secte", car les particularités du langage utilisé par le groupe, son univers symbolique leur sont plus ou moins familiers. Elles apportent les informations données par des ex-adeptes. Elles peuvent constater les points communs et les divergences entre les témoignages de ces ex-adeptes et celui du patient. La documentation dont elles disposent cerne des logiques implicites du groupe, mais n’en révèle pas toujours la structure. La reconstitution du "réseau" d’influence qui agit au sein du groupe sectaire s’avère donc difficile.
Il est par ailleurs à noter que l’appellation "sortant de secte" rejette explicitement le groupe que le patient a quitté. Or, le travail conduit auprès des populations de migrants comporte explicitement le respect de la culture d’origine des personnes.

 2. Peut parfois se développer une vision manichéenne du groupe sectaire, ce qui a pour conséquence de le "diaboliser" et de compliquer, de facto, la prise en charge. Cela peut être le cas lorsqu’un ancien membre de secte, entré enfant dans le groupe auquel participe encore l’essentiel de sa famille, se pose en s’opposant aux interdits du groupe qu’il a quitté. Par exemple, il consomme de l’alcool, du tabac ou vit une sexualité "libérée" au regard des normes du mouvement sectaire. Le bénévole d’association qui l’accompagne ne sera pas nécessairement conscient que ces nouvelles conduites révèlent un lien rebelle de l’ex-adepte au groupe et non pas un détachement vis-à-vis du groupe. Dans ce cas, la prise en charge nécessite un cheminement psychologique ne rejetant pas le groupe en bloc et sachant ménager des appuis nécessaires pour que la personne puisse se reconstruire.

Le Centre apparaît donc comme un dispositif, parmi d’autres initiatives, utile et débouchant à terme sur un nécessaire élargissement des réflexions en la matière. Il apporte une réponse aux demandes de familles, d’associations, de personnes directement ou indirectement touchées par le phénomène sectaire. Outre le traitement des patients, le travail de recherche sur des questions touchant aux sectes se concrétise par un séminaire mensuel au département d’ethnologie de l’Institut Charles V (Paris VIII).

Le caractère récent du dispositif (moins de trois ans d’existence), son aspect expérimental, l’absence de spécialisation sur la question des sectes ne permettent pas aujourd’hui d’en faire un référent exclusif pour la prise en charge d’ex-adeptes, ce que le centre ne revendique d’ailleurs pas.

A des fins de discrétion et de protection des personnes, le Centre Georges Devereux n’a pas encore fait de communication publique. Cette expérimentation n’a pas pu, en conséquence, être ouverte aux controverses techniques indispensables au progrès de la réflexion.

Par ailleurs, le Centre ne saurait prendre en charge toutes les personnes concernées. D’autres structures, établissements de soins psychiatriques, réseaux de santé mentale ville-hôpital, associations de réinsertion sociale accueillent ainsi des ex-adeptes de secte. Tenant compte des disponibilités existantes et de la nécessaire liberté de choix des personnes concernées, l’essentiel est de disposer de lieux d’accueil divers et de porter leur existence à la connaissance du public.

Une piste de réflexions portant à la fois sur les méthodes, le parcours des "sortants" et leur réinsertion pourrait utilement s’inspirer des orientations d’un rapport de Mme Marie-Noëlle Lienemann, alors députée européenne (Pour une nouvelle politique publique d’aide aux victimes, la Documentation française, juillet 1999) dont les recommandations peuvent s’appliquer aux victimes de dérives sectaires.