Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a tout d’abord rappelé que M. Jean-Christophe Mitterrand, ancien Conseiller à la Présidence de la République de 1986 à 1992, avait rencontré à diverses reprises le Président Habyarimana et d’autres personnalités rwandaises, en particulier au cours des années 1990 et 1992, marquées à la fois par le déclenchement de la guerre entre les autorités régulières et le FPR et par l’instauration du multipartisme.

Précisant qu’il avait occupé ses fonctions à la présidence de la République jusqu’en septembre 1992 et qu’il ne pourrait parler que de la période 1990-1992, M. Jean-Christophe Mitterrand a ensuite remercié la mission pour l’occasion qui lui était offerte de démentir les allégations mensongères, voire diffamantes, dont il a été l’objet et a déploré que ces contrevérités n’aient fait que rendre plus difficile une saine compréhension des événements du Rwanda. Il a souligné que les conseillers chargés des affaires africaines à la présidence de la République avaient pour seul rôle d’informer le Président de la République, d’effectuer les missions qu’il jugeait utiles, de répondre à ses questions et de nourrir ses réflexions. Il a démenti la rumeur selon laquelle il connaissait le fils du Président Habyarimana et celle encore plus insensée qui le disait propriétaire d’hectares de haschich.

Après avoir affirmé que la situation des populations tutsies réfugiées en Ouganda avait constitué la " mèche retard " du déclenchement de ce dramatique conflit, il a indiqué qu’à la suite des combats politiques et interethniques survenus au Rwanda comme au Burundi, avant et après l’indépendance de ces deux pays, des centaines de milliers de réfugiés tutsis s’étaient retrouvés dans une situation très précaire et que les jeunes de la seconde génération, qui s’étaient engagés dans les troupes de Yoweri Museveni, avaient facilité sa prise du pouvoir à Kampala contre le Président Obote. Les principaux compagnons d’armes du Président Museveni, comme le Général Fred Rwigyema ou M. Paul Kagame occupaient des postes importants dans l’armée ougandaise. Parallèlement, un petit groupe de réfugiés, qui constituera le FPR, ne renonce pas à l’idée d’un retour au Rwanda, même par la force s’il le faut. Lorsque le Président Museveni, pour des raisons de politique intérieure, est obligé d’écarter de l’armée les Tutsis d’origine rwandaise, ces derniers, ayant toujours vécu en Ouganda, ont désormais le sentiment d’être des apatrides et vont rejoindre le parti FPR, né dans les camps de réfugiés, en lui donnant une capacité militaire inattendue qui permettra l’attaque d’octobre 1990.

Présentant la situation intérieure du Rwanda au même moment, M. Jean-Christophe Mitterrand a alors fait part de deux paradoxes. D’une part, les Tutsis du Rwanda paraissent mieux traités par le Général Habyarimana que par les régimes hutus précédents, malgré une forte discrimination dans l’armée, la politique ou l’administration, ce que confirme M. Gérard Prunier qui, dans son ouvrage Rwanda, histoire d’un génocide, souligne que le Président Habyarimana préfère des Tutsis prospères à des hommes d’affaires hutus corrompus. D’autre part, l’opposition démocrate intérieure hutue qui s’oppose au régime du Général Habyarimana ne s’est pas alliée au FPR, démontrant à nouveau la complexité de la situation politique au Rwanda. Le FPR est d’ailleurs décrit par le MDR comme " une branche armée de réfugiés rwandais féodaux revanchards ".

Abordant la chronologie de l’action de la France en 1990, M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué que le Président Habyarimana s’était rendu à Paris en avril et qu’après le discours de La Baule, il avait été le seul Président africain à réagir positivement, en proclamant, le 5 juillet 1990, la nécessité de réformes constitutionnelles, fondées sur l’instauration du multipartisme. Le 1er octobre 1990, les troupes du FPR avaient attaqué le Rwanda en franchissant la frontière à partir du sud de l’Ouganda. A leur tête se trouvait le Général Fred Rwigyema, ancien Chef d’état-major et Ministre de la Défense du Président ougandais. Le 4 octobre 1990, l’arrivée, dans le cadre de l’opération Noroît, du premier détachement de 150 soldats français chargés d’assurer la sécurité de nos ressortissants, avait permis d’en évacuer un certain nombre, la majorité d’entre eux ayant cependant refusé de partir. L’offensive du FPR avait été arrêtée en octobre par les FAR soutenues par environ 1 500 soldats zaïrois, dont le comportement répréhensible avait d’ailleurs provoqué le mécontentement des populations et leur départ rapide du Rwanda. De nombreuses arrestations avaient concerné à cette époque près de 5 000 personnes et s’étaient réalisées dans la plus grande confusion.

M. Jean-Christophe Mitterrand a alors fait état d’une note qu’il avait rédigée à l’attention du Président de la République, le 16 octobre 1990, pour présenter les demandes militaires que formulait le Président rwandais, attendu le 18 octobre à Paris. Après avoir lu un passage de cette note ainsi rédigé : " des livraisons minimum permettraient à l’armée rwandaise de garder un statu quo sur le terrain avec un risque d’effondrement si la guerre dure trop longtemps. Un flux logistique sérieux permettrait au Président Habyarimana de marquer des points militaires décisifs afin qu’il puisse négocier en position confortable ", il a rappelé qu’à ce moment là, le FPR contrôlait une partie du nord-est du Rwanda et que, pour la communauté internationale, il s’agissait d’une invasion étrangère, car soutenue par l’armée ougandaise. Puis, il a repris sa lecture en lisant l’extrait suivant : " cette aide autoriserait la France à demander avec plus de force le respect des droits de l’homme et une ouverture démocratique rapide une fois le calme revenu. "

Il a indiqué que cette note traitait de la situation sur le terrain, de l’échec de la tentative de médiation du Premier Ministre belge, ainsi que d’informations, confirmées par la DGSE, relatives à la présence d’agents libyens aux côtés du FPR.

M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que, le 18 octobre 1990, dans la note d’entretien avec le Président Habyarimana, rédigée à partir des contributions du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Défense, l’Ambassadeur Claude Arnaud, qui en est le signataire, estime qu’il est bon de rappeler que la mission exclusive de Noroît a été d’assurer la sécurité et la protection de nos ressortissants mais qu’il n’est pas douteux que la seule présence de ce contingent ait fortement consolidé, à ce moment critique, la position du Président Habyarimana. M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé qu’une deuxième compagnie de 150 hommes avait été envoyée à Kigali par la suite. S’agissant de munitions, la France avait répondu favorablement et immédiatement, en livrant notamment des roquettes pour les hélicoptères Gazelle le 18 octobre, les demandes de matériels considérées comme moins urgentes ayant été examinées en fonction de la situation militaire et des disponibilités. Il est à noter que le Rwanda disposait de cinq hélicoptères Gazelle armés dont la maintenance était effectuée par nos coopérants militaires. Toujours d’après la même note d’entretien, M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué que " d’après des informations de source ougandaise, le Président Habyarimana avait accepté hier (17 octobre 1990), lors d’une rencontre en Tanzanie, avec ses collègues tanzaniens et ougandais la proclamation d’un cessez-le-feu, une rencontre avec les représentants du Front patriotique rwandais et le principe du droit au retour des réfugiés. Si ces informations étaient exactes, un grand pas serait fait dans la voie d’une solution du problème ". En post-scriptum, il était suggéré le retrait d’une de nos deux compagnies, après l’acceptation du cessez-le-feu par les deux parties le 19 octobre. M. Jean-Christophe Mitterrand a déclaré qu’il avait établi à l’attention du Président de la République une note indiquant que la situation au Rwanda était influencée par la position dans ce conflit des pays voisins et qu’une concertation régionale entre les différents pays de la zone constituait le seul moyen de stabiliser la situation. Il ajoutait dans sa note : " notre présence militaire au Rwanda risque donc de perdurer aussi longtemps qu’une solution politique n’aura pu être trouvée. " M. Jean-Christophe Mitterrand a alors précisé que le Président de la République avait, en marge, commenté négativement cette solution mais qu’il avait en revanche approuvé le principe d’une mission, qui sera effectuée par le Ministre de la Coopération, M. Jacques Pelletier, du 6 au 8 novembre 1990 au Rwanda, en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, au Burundi et au Zaïre, afin de marquer notre appui à l’ouverture d’un dialogue régional, permettant de dégager une solution au conflit acceptable par tous et qui était déjà réclamé par les Présidents Museveni et Habyarimana. Les rencontres avaient eu lieu avec tous les Chefs d’Etat et les Ministres des Affaires étrangères et des contacts avaient même été pris avec des membres du FPR à Kampala. L’accent avait été mis sur l’arrêt du conflit armé, le règlement de la question des réfugiés et l’engagement de certains pays à ne pas favoriser la guerre. Il a souligné que tous les participants avaient donné leur accord pour une conférence sous l’égide de l’OUA et du HCR, avec soutien technique et financier de l’Union européenne, de la France et de la Belgique. Au Rwanda en outre, l’engagement portait sur la fin des arrestations, la libération des personnes arbitrairement arrêtées et la mise en place de la modernisation institutionnelle annoncée en juillet 1990 : multipartisme, respect des droits de l’homme, organisation d’élections. La France avait également insisté sur la nécessité de rayer la mention ethnique sur les cartes d’identité et sur le problème des réfugiés. Suite aux pressions diplomatiques, 3 500 prisonniers avaient été libérés le 15 novembre 1990, soit environ deux tiers des personnes arrêtées lors des attaques du mois d’octobre. M. Jean-Christophe Mitterrand a fait alors état de l’analyse de l’Ambassadeur de France, M. Georges Martres, qui estimait, en novembre 1990, que le Président Habyarimana n’était plus guère menacé par le FPR, dont l’action s’essoufflait, mais par l’opposition d’une partie de son propre entourage hutu violemment hostile à la démocratisation du système politique réclamée par la France et les occidentaux. L’Ambassadeur considérait alors que, dans l’intérêt du pays, il était souhaitable que le Président Habyarimana arrive à trouver un juste équilibre entre ces forces contraires.

M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que le 28 décembre 1990 avait vu la publication au Rwanda de l’avant-projet de charte politique nationale recommandant le multipartisme et la création d’un poste de Premier Ministre et que la France semblait alors récolter le fruit de ses efforts, six mois après le discours de La Baule.

Décrivant la situation diplomatique en décembre 1990-janvier 1991 dans la région, il a indiqué que plusieurs motifs étaient venus freiner, dès décembre 1990, l’amorce des négociations : la rivalité zaïro-tanzanienne pour avoir le rôle de chef de file des négociations dans la région, les demandes préalables exorbitantes du FPR exigeant sa reconnaissance officielle comme mouvement armé, son intégration dans les forces armées rwandaises, la proclamation d’une amnistie et le partage immédiat du pouvoir, l’impossibilité par conséquent pour le Président Habyarimana d’engager un dialogue direct entre les parties, le penchant malheureux du Gouvernement de Kigali de se reposer sur ses voisins pour régler la question des réfugiés, le peu d’empressement du Président Museveni à rencontrer ses voisins en raison de l’engagement des Ougandais auprès du FPR et enfin la crainte du Président de la Tanzanie, hôte de la conférence, de ne pouvoir faire aboutir les négociations.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé qu’il avait reçu, le 6 janvier 1991 à Paris, à leur demande et très confidentiellement, une délégation du FPR, conduite par Pasteur Bizimungu, actuel Président du Rwanda, qui sollicitait de la France une action diplomatique pour tenter d’infléchir l’attitude jugée trop dure du Gouvernement rwandais à l’égard de son mouvement dans le cadre des négociations qui viennent d’être évoquées.

Au nord-ouest, le raid du FPR sur Ruhengeri le 23 janvier 1991 et l’occupation pendant vingt-quatre heures de cette capitale des dirigeants hutus au pouvoir et du Président avait créé un choc psychologique et marqué un infléchissement important dans la tactique du FPR puisqu’à des attaques frontales se substituaient des actions de guérilla bien préparées militairement et caractérisées notamment par leurs aspects psychologiques. Cette nouvelle stratégie avait eu pour effet de favoriser l’émergence des tendances extrémistes hutues exploitant les rumeurs de coup d’Etat et trouvant dans ce climat de guerre un terrain propice à la propagation de leurs thèses et aux dénonciations sans preuve. Ces extrémistes effectuaient un travail de sape du régime en place en s’attaquant ouvertement, par l’intermédiaire de leur journal Kangura, aux proches du Président avant de s’en prendre au Président lui-même. Lors de l’attaque de Ruhengeri, une partie du dispositif Noroît avait été mobilisée pour protéger et rapatrier les nationaux français présents dans cette région ; cette opération s’était déroulée de façon exemplaire, sans difficultés particulières et sans qu’aucun coup de feu n’ait été échangé.

Le 30 janvier 1991, le Président de la République s’était adressé par écrit au Président Habyarimana pour lui faire part de ses préoccupations quant à l’avenir de la paix dans la région des Grands Lacs, menacée par la poursuite d’actions militaires, et pour l’assurer du soutien de la France pour trouver une solution pacifique. Dans ce courrier, le Président de la République rappelait également les objectifs de la mission effectuée par M. Jacques Pelletier, exprimant la nécessité de trouver une solution durable, dans le cadre d’une négociation menée dans un esprit d’ouverture et de dialogue. Trois conditions lui paraissaient indispensables : la non-ingérence directe ou indirecte, y compris militaire, des pays voisins dans la politique intérieure rwandaise, l’ouverture d’un dialogue national pour favoriser tant la réconciliation nationale que l’avènement d’un Etat de droit respectueux des droits de l’homme, et le règlement de la question des réfugiés avec, sous les auspices de l’OUA, du HCR et des Etats concernés, la tenue d’une conférence régionale sur le sujet. Il informait enfin le Président Habyarimana de sa décision de maintenir, pour une durée limitée au développement de la situation, la compagnie militaire française envoyée en octobre 1990 et chargée d’assurer la sécurité et la protection des ressortissants français. En février 1991, la déclaration officielle adoptée au sommet de Dar Es-Salam prévoyait une solution durable du problème des réfugiés rwandais.

Dans le courant du mois de mars 1991, la coopération française mettait en place un détachement d’assistance militaire et d’instruction, le DAMI, dans le cadre de l’accord de coopération de 1975.

Le Président de la République devait rencontrer à nouveau le Président Habyarimana le 3 avril 1991. Dans la note d’entretien élaborée à cet effet par M. Gilles Vidal, chargé de mission à la présidence de la République, il était précisé que cette visite intervenait à un moment crucial pour l’évolution intérieure du Rwanda et que désormais, soit la logique de paix prévalait et, parallèlement le processus de démocratisation annoncé le 4 août 1990 par le Président rwandais s’engageait, soit la région risquait de s’installer dans une logique de guerre civile. Cette note précisait par ailleurs que de nombreux motifs d’inquiétude subsistaient : les réticences du Gouvernement rwandais à accepter la logique du cessez-le-feu, les autorités de Kigali redoutant que l’on fasse du FPR un interlocuteur privilégié, l’attentisme du FPR qui, campant sur ses positions maximalistes -création d’un gouvernement d’union nationale et intégration de ses troupes dans l’armée rwandaise- rendait inacceptables ses demandes par les autorités de Kigali, les retards dans la mise en place du groupe d’observateurs de l’OUA, le manque de marge de manoeuvre du Président Habyarimana qui devait composer avec les milieux extrémistes hutus très représentés dans l’armée et dans son entourage. M. Gilles Vidal indiquait également que le Président rwandais ne manquerait vraisemblablement pas de solliciter de nouvelles aides militaires. Il conviendrait alors de rappeler la présence active de nos coopérants militaires et la fourniture régulière de munitions tout en précisant que notre soutien ne saurait, en tout état de cause, aller contre les engagements réciproques pris par les deux parties lors de la signature, sous l’égide du Président Mobutu, de l’accord de cessez-le-feu du 29 mars 1991. Il était aussi indiqué que le Président Habyarimana devait être encouragé à la modération et informé, compte tenu de l’avantage certain des troupes rwandaises sur le terrain, d’un retrait prochain du détachement Noroît, suggéré par le Ministre de la Défense, M. Pierre Joxe, et l’état-major particulier du Président, la mission de ce détachement devenant caduque avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Le Président Habyarimana devait être incité à améliorer les rapports du Rwanda avec ses voisins en abordant notamment la question du nécessaire retour au pays des réfugiés qui le souhaiteraient, ce qui rendrait plus efficaces les efforts déjà déployés par la France.

Par ailleurs, le Rwanda, confronté à une grave crise économique, avait signé, en 1991, des accords d’ajustements structurels avec le FMI, la Banque Mondiale et les pays donateurs. Il était prévu qu’il recevrait dans ce cadre les aides suivantes au cours de l’année de la signature des accords : Allemagne (120 millions de francs), Belgique (64 millions de francs), Caisse française de coopération (70 millions de francs), Etats-Unis (120 millions de francs), FMI (200 millions de francs en plusieurs versements), soit, pour l’année 1991, plus de 570 millions de francs d’aides civiles malgré la guerre.

Sur le plan politique, l’adoption d’une nouvelle constitution rwandaise, le 10 juin 1991, avait instauré le multipartisme et permis la création d’un poste de Premier Ministre.

Les 18 et 19 juillet 1991, M. Paul Dijoud, Directeur des Affaires africaines et malgaches, se rendait à Kigali pour une réunion des ambassadeurs de France des pays concernés et y rencontrait le Président Habyarimana. Dans une note qu’il avait établie à cette occasion, il reprenait les thèmes déjà mentionnés à plusieurs reprises : les modalités d’une action en faveur des réfugiés, la nécessité d’encourager la libéralisation politique au Rwanda, le soutien de la France à la réconciliation nationale, la relance de l’action diplomatique de la France dans cette région.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que, le 14 août 1991, des rencontres avaient été organisées à Paris entre les Ministres des Affaires étrangères rwandais et ougandais et que, le 21 septembre 1991, avait eu lieu une réunion entre M. Paul Dijoud et M. Paul Kagame à laquelle il avait participé. Le compte rendu adressé aux ambassadeurs français des pays concernés précisait qu’il convenait d’associer le FPR à la recherche d’une solution négociée, de lui faire partager la vision réconciliatrice de la France et de dissiper tout malentendu concernant la mission des soldats français stationnés au Rwanda. Il était également indiqué que le Major Kagame n’avait pas caché sa satisfaction d’être reçu par les autorités françaises, dans la mesure où il estimait jusqu’alors que la politique française au Rwanda se caractérisait pas un certain déséquilibre et qu’il se félicitait de l’occasion qui lui était donnée d’apporter un éclairage différent sur la crise rwandaise, tout en déplorant certains aspects de notre coopération avec Kigali qui pourraient laisser penser au Président Habyarimana qu’une solution militaire était possible. Il s’était enfin déclaré ouvert à toute initiative de notre part pour mettre en oeuvre un processus de règlement négocié. En conclusion, il était demandé aux ambassadeurs à Kigali et Kampala de prendre contact avec les Ministres des Affaires étrangères rwandais et les responsables du FPR en vue d’organiser à Paris des rencontres confidentielles, dont la tenue paraissait souhaitable.

Ces rencontres avaient eu lieu les 23 et 25 octobre 1991 et 14 et 15 janvier 1992. M. Jean-Christophe Mitterrand, qui n’était pas présent, a indiqué, sous réserve de confirmation, que l’une d’entre elles avait dû être présidée par M. Herman Cohen, sous-secrétaire d’Etat américain, chargé des affaires africaines.

Le 31 décembre 1991 était formé un " gouvernement de coalition " qui ne comprenait, du fait du refus de participation des trois principaux partis d’opposition, qu’un seul Ministre n’appartenant pas au MRND du Président Habyarimana.

La création de la Coalition pour la défense de la République (CDR) en mars 1992, au moment des massacres de Tutsis dans le Bugesera, traduisait la radicalisation affichée du sentiment anti-Tutsi.

Enfin, la signature, le 13 mars 1992, du " protocole d’entente entre les partis politiques " appelés à participer au gouvernement de transition avait permis la nomination de M. Dismas Nsengiyaremye, membre du MDR, principal mouvement d’opposition, comme Premier Ministre.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé qu’à partir du mois de mars 1992, il s’apprêtait à quitter ses fonctions à la présidence de la République et qu’il n’était donc pas en mesure de donner des informations utiles sur la suite des événements. Il a toutefois fait observer que, si l’on voulait mesurer objectivement l’action de la France, force était de constater que le Président de la République n’avait pas ménagé ses efforts pour faire évoluer le régime du Président Habyarimana vers le multipartisme et la démocratie, faire respecter les droits de l’homme et oeuvrer pour la paix. Il a estimé que peu d’autres pays pouvaient faire état d’un tel bilan.

Le Président Paul Quilès a remercié M. Jean-Christophe Mitterrand pour son exposé très minutieux et lui a demandé son opinion sur l’offensive menée par le FPR en octobre 1990 à partir de l’Ouganda. La menace du FPR, selon lui, avait-elle été surestimée ? Y avait-t-il eu une politique d’intoxication sur l’importance de cette attaque afin d’obtenir plus facilement l’aide de la France ?

M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu qu’il n’en savait rien mais que la rapidité et la profondeur de la percée des troupes du FPR tendaient à montrer que celles-ci étaient suffisamment nombreuses, même s’il fallait prendre en compte la faiblesse traditionnelle de l’armée rwandaise. Il a demandé au Président Paul Quilès qui était visé par l’accusation d’intoxication, Kigali ou Paris.

Le Président Paul Quilès a précisé que ces accusations d’intoxication avaient été portées à la fois contre le Gouvernement de Kigali et certains milieux tutsis, qui pouvaient trouver un intérêt à surestimer les moyens d’intervention du FPR.

M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que le FPR bénéficiait du soutien logistique de l’armée ougandaise, dont étaient issus ses chefs. Il a déclaré ne rien savoir de l’implication éventuelle du Président Museveni dans la préparation de l’attaque du FPR, ajoutant que l’attitude de celui-ci avait varié selon les périodes.

M. Jean-Christophe Mitterrand a fait remarquer que, intoxication ou pas, seul avait été envoyé un détachement de 150 hommes qui n’était pas au demeurant une unité destinée à combattre le FPR mais à protéger les Français.

Le Président Paul Quilès a rappelé que le Président Habyarimana avait pourtant demandé que la France s’engage plus avant dans les combats.

M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la France avait toujours refusé de donner suite à cette demande et a répété qu’elle n’avait cédé à aucune intoxication.

M. Jean-Bernard Raimond a souhaité savoir si, dans le cadre des missions qui lui étaient confiées par le Président de la République, M. Jean-Christophe Mitterrand recevait des instructions élaborées en liaison avec les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération, et si un compte rendu de ces missions était adressé à l’ensemble des acteurs de la politique extérieure française.

M. Jean-Bernard Raimond a également exprimé sa surprise que le nom du Ministre des Affaires étrangères n’ait jamais été cité par M. Jean-Christophe Mitterrand.

M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu qu’il n’avait pratiquement aucune relation directe avec le Ministre des Affaires étrangères et que son interlocuteur habituel au Quai d’Orsay, son alter ego, était M. Paul Dijoud, Directeur des Affaires africaines et malgaches. Il a précisé qu’il avait de nombreux contacts, en revanche, avec le ministère de la Coopération.

En ce qui concerne les missions qui lui ont été confiées de 1982 à 1992, M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que toutes, sauf une, qui ne concernait d’ailleurs pas le Rwanda, avaient été préparées avec la collaboration des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération. Il a expliqué que ces missions, qui consistaient le plus souvent à remettre un message du Président de la République ou à expliquer une situation, n’étaient en rien secrètes : il logeait à la résidence de l’ambassadeur et ce dernier, sauf exceptions, assistait aux entretiens.

Le Président Paul Quilès a indiqué que la mission d’information auditionnerait les Ministres des Affaires étrangères et de la Coopération de cette période.

M. Bernard Cazeneuve a demandé qui donnait l’impulsion, de l’Elysée, du Quai d’Orsay ou de la Rue Monsieur, en matière de politique africaine, et, plus précisément, en ce qui concerne les relations diplomatiques, la politique de développement et la coopération militaire et qui, du Président de la République, du Ministre des Affaires étrangères ou du Ministre de la Coopération, prenait la décision de débloquer des fonds, en cas de crise, pour rendre plus supportable une politique d’ajustement structurel.

Il a souhaité connaître le sentiment de M. Jean-Christophe Mitterrand sur le jugement exprimé par M. Edouard Balladur, selon lequel il y aurait eu un infléchissement de la politique suivie par la France au Rwanda en mars 1993, matérialisé par le retrait du dispositif militaire français. La note de M. Georges Vidal au Président de la République en date d’avril 1991 semblerait montrer au contraire que ce retrait avait été prévu dès cette époque, ce qui plaide plus pour une logique de continuité que de rupture.

M. Bernard Cazeneuve a également souhaité savoir si M. Jean-Christophe Mitterrand estimait que l’ensemble des aides apportées au Rwanda avait satisfait en tous points aux principes posés par le Président de la République lors de son discours de La Baule en 1990.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que le retrait des troupes françaises avait été la conséquence des accords d’Arusha et qu’auparavant la politique constante du Gouvernement français avait été de retirer une partie des troupes dès lors qu’il y avait accord de cessez-le-feu ou début de négociations. Les troupes françaises n’étaient pas au Rwanda pour y rester. L’objectif était de faire pression sur le Président Habyarimana pour qu’il s’engage dans la voie des négociations et ne cède en rien aux extrémistes, malgré les menaces dont il pouvait être l’objet.

M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé la politique de la France, constamment réaffirmée pendant la période considérée, qui voulait que les troupes françaises ne soient pas présentes de façon durable et a fortiori encore moins présentes pour participer directement aux combats.

La détermination de notre politique africaine ne dépendait pas de l’équipe de l’Elysée qui, d’ailleurs, n’a pas d’existence juridique mais qui est chargée de représenter le Président de la République et, dans certains cas, de faire passer des messages. S’agissant de l’augmentation de l’aide au développement accordée par la France au Rwanda, cette décision se conformait au souci de respecter, comme le Président s’y était engagé au cours de sa campagne, l’objectif fixé par l’ONU d’une aide représentant, hors DOM-TOM, 0,7 % de notre PNB. En 1988, la France consacrait 0,6 % de son PNB à l’aide au développement, ce résultat s’étant un peu dégradé par la suite. De façon générale, l’impulsion politique venait du fonctionnement normal de nos institutions : Conseil des Ministres, réunions de travail entre représentants des ministères et de la présidence de la République...

L’équipe de l’Elysée ne participait pas aux rencontres régulières entre le Président, le Premier Ministre et les Ministres des Affaires étrangères et de la Coopération mais était informée de leurs conclusions. Quant au budget de la Coopération, celui-ci constitue un instrument d’intervention classique. Il est soumis, comme tout budget ministériel, aux règles démocratiques d’adoption et de contrôle par le Parlement et l’Elysée n’intervient en rien dans cette procédure.

M. René Galy-Dejean a souhaité des précisions sur la présence mentionnée par M. Jean-Christophe Mitterrand d’un sous-secrétaire d’Etat américain aux rencontres d’octobre 1991 et de janvier 1992 entre responsables du gouvernement rwandais et du FPR. L’importance politique d’une telle participation ne pouvant, par définition, échapper aux observateurs, comment celle-ci a-t-elle été interprétée par la Présidence de la République, y a-t-il eu d’autres interventions américaines, et quelle en a été la nature ?

M. François Loncle, rappellant l’information selon laquelle les Etats-Unis auraient assuré la formation des soldats du FPR, a demandé à M. Jean-Christophe Mitterrand s’il disposait d’éléments en ce sens et si, s’agissant de l’attentat contre le Président Habyarimana, il avait pu se forger une conviction, ou s’il disposait d’un ou de plusieurs éléments de preuve.

Concernant l’attentat, M. Jean-Christophe Mitterrand a déclaré qu’il n’avait connaissance que des informations fournies par la presse qui ne faisaient que formuler des hypothèses et a précisé qu’à cette époque il travaillait dans une société intervenant en Asie, ce qui l’avait éloigné du théâtre des événements africains. A propos des réunions qui avaient eu lieu entre les représentants du FPR et du gouvernement rwandais, il n’a pas pu affirmer avec certitude la participation américaine mais souligné qu’elle pourrait être confirmée par ceux qui étaient présents. Quant à dire que les Etats-Unis sont intervenus activement dans le conflit entre 1990 et 1992, en Ouganda ou auprès du FPR, cela lui est apparu très peu probable et il a déclaré n’en avoir jamais entendu parler. En revanche, il est très vraisemblable que les Etats-Unis ont eu une action ou une influence indirectes, sous la forme d’une coopération économique. A cet égard, il a rappellé que les Etats-Unis avaient apporté leur aide au Rwanda et que l’Ouganda, qui se relevait d’une guerre civile, en avait eu aussi grandement besoin, comme l’attestait la dégradation, par exemple, de ses chemins de fer.

M. Jacques Myard s’est félicité de la continuité de la politique africaine de la France, indépendamment des changements de majorité politique, et s’est demandé pourquoi François Mitterrand avait manifesté autant d’intérêt à l’égard du Rwanda qui pourtant ne faisait pas partie de ce que l’on a coutume d’appeler " les pays habituels du champ ". Il s’est donc interrogé sur la vision géopolitique du Président dans cette région et les raisons qui l’avaient conduit, à juste titre, à y mener une politique de coopération active. Il a demandé à M. Jean-Christophe Mitterrand comment il jugeait l’ampleur des critiques formulées à l’égard de la France et l’enjeu stratégique des manipulations dont ce dossier faisait l’objet.

M. Jean-Christophe Mitterrand a fait état de multiples manipulations médiatiques et d’amalgames dont il continuait d’être victime. Ainsi, alors qu’il ne connaît pas les fils du Président Habyarimana, continue-t-il d’être présenté comme l’ami d’un d’entre eux. A ces procédés se sont ajoutées les manipulations qui ont eu lieu sur le terrain -il a fait allusion à la distribution d’un tract dont le verso représentait la photo du Président François Mitterrand " meilleur ami du pays "-, la manipulation ougandaise et vraisemblablement celle de certains de nos alliés. Les objectifs de ces manipulations sont divers et l’on ne peut que les rapprocher de l’instabilité que connaît l’ensemble de la région depuis la survenance du génocide rwandais, qu’il s’agisse de la chute du régime zaïrois, de la guerre civile au Burundi, des affrontements au Soudan ou des rebellions dans le nord de l’Ouganda et plus à l’ouest encore de l’Angola convoité comme " éponge à pétrole ". Au Rwanda lui-même, la situation n’est pas stabilisée.

Le Président de la République, quant à lui, n’a jamais exprimé la volonté de traiter le Rwanda de façon différente ou privilégiée et n’a jamais fait de commentaires plus particulièrement élogieux à propos du Président Habyarimana.

M. Pierre Brana s’est demandé, d’une part s’il n’était pas inquiétant, l’armée rwandaise étant exclusivement composée de Hutus, que les militaires français aillent y assurer la formation des jeunes recrues et des officiers, d’autre part si l’Elysée, via notre ambassade à Kigali, avait disposé d’éléments l’informant du risque de génocide.

Il a souhaité confirmation de la présence, en 1992, lors des premières négociations d’Arusha, d’un représentant personnel de M. Jean-Christophe Mitterrand dans la délégation du Président Habyarimana.

Il s’est également interrogé sur l’information selon laquelle le Crédit Lyonnais aurait garanti le contrat de livraison d’armes passé par l’Egypte avec le Rwanda, le 30 mars 1992. Enfin, il a demandé si la cellule de l’Elysée savait que des officiers français assistaient à des interrogatoires de soldats du FPR faits prisonniers.

M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé qu’en application des quotas et des traditions, il n’y avait pas de Tutsis dans l’armée rwandaise mais que cette situation monolithique ne représentait pas de risque particulier dans un contexte où le danger ethnique n’existait pas. Il a souligné que tout pays africain qui n’a pas procédé à la démocratisation de son régime politique connaît peu ou prou un régime ethnique. Au Rwanda, les extrémistes hutus se sont trouvés doublement extrémistes à l’égard de la démocratisation et à l’égard des Tutsis. Quoi qu’il en soit, il a fait observer qu’en application des accords d’Arusha, le gouvernement de transition, constitué par des représentants du FPR, de l’opposition intérieure et de l’ancien parti unique du MRND, aurait été inévitablement un gouvernement à majorité ethnique hutue mais représentant cette fois une majorité démocratique.

En 1990, il s’agissait d’une guerre de retour des exilés et les négociations tendant à la démocratisation du régime avaient également pour but de permettre l’intégration des réfugiés tutsis. Le FPR avait peu de chances de prendre le pouvoir de manière démocratique car il ne représentait pas une force politique très importante dans le pays. D’ailleurs le FPR évoquait à cette époque la prise du pouvoir par les armes. Ce sont les accords d’Arusha qui ont mis en place une solution pacifique.

Mentionnant un article du Figaro, selon lequel M. Jeanny Lorgeoux aurait représenté la présidence de la République française dans la délégation du Président Habyarimana lors de la négociation des accords d’Arusha, M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué qu’il l’avait contacté, rappelant qu’il était ancien député membre de la Commission des Affaires étrangères. Il a précisé que M. Jeanny Lorgeoux lui avait répondu n’être allé au Rwanda qu’une seule fois en 1984 au cours du voyage officiel du Président de la République dans ce pays et s’être rendu en Tanzanie avec une délégation parlementaire à l’époque de la négociation des accords d’Arusha. Il a souligné qu’il s’agissait encore d’un amalgame fournissant la matière d’articles qui ne sont pas faits pour informer mais pour polémiquer.

M. Pierre Brana a indiqué qu’il avait participé en juillet 1992 à une délégation parlementaire qui s’était rendue en Tanzanie et dont M. Jeanny Lorgeoux était le Président.

M. Jean-Christophe Mitterrand a ensuite affirmé que les informations relatives aux contrats d’armement, par exemple ceux entre le Rwanda et l’Egypte, ne remontaient pas au niveau de son bureau et qu’il n’avait eu aucun contact, en dix ans de présence à l’Elysée, avec la CIEEMG dont il ne recevait aucune note, ni information. Enfin, il a espéré qu’aucun officier français n’avait participé à des interrogatoires de prisonniers tutsis par les forces armées rwandaises.

Le Président Paul Quilès a indiqué que la question serait posée aux militaires car elle les concernait.

Après avoir relevé que la position de la France lui paraissait empreinte d’ambiguïtés, et qu’il pouvait y avoir contradiction entre la recherche de la démocratisation et d’une solution négociée et le soutien de la France au régime officiel d’Habyarimana, M. François Lamy s’est interrogé sur l’intérêt politique, stratégique ou économique de la présence française dans un pays qui n’est pas une de nos anciennes colonies. Il a souhaité avoir confirmation de l’arrestation à Paris, pendant une journée, du Général Kagame en janvier 1992 après sa rencontre avec M. Paul Dijoud et s’est demandé si celle-ci n’était pas contradictoire avec la volonté de la France de favoriser les négociations entre les parties. Il a également souhaité des précisions sur les modalités pratiques de l’approvisionnement des FAR en munitions. Enfin, il s’est enquis des véritables missions confiées au détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) en 1991 et aux vingt-deux coopérants militaires encore présents au Rwanda de janvier à avril 1994.

M. Jean-Christophe Mitterrand a affirmé qu’à l’époque il n’avait pas été mis au courant de l’arrestation du Général Kagame à Paris mais qu’il s’était immédiatement renseigné auprès du quai d’Orsay, dès qu’il en avait eu connaissance, il y a une semaine seulement. Il lui a été répondu qu’il s’agissait d’un incident survenu à l’hôtel où résidait M. Paul Kagame, le directeur soupçonnant un trafic de drogue et ayant alors appelé la police. Le quai d’Orsay est alors intervenu immédiatement pour faire libérer M. Paul Kagame.

Il a indiqué qu’il ignorait comment les livraisons d’armes au Rwanda se passaient sur le plan technique mais précisé que les demandes étaient transmises à la suite de rencontres politiques ou par les ambassadeurs, puis traitées au niveau des services sous la responsabilité des Ministres de la Coopération et des Affaires étrangères, du Premier Ministre et du Président de la République. Il a souligné qu’il n’était pas impliqué dans les décisions relatives aux contrats d’armement et qu’il n’avait jamais participé au cours de la crise rwandaise aux réunions où ces décisions étaient prises, mais qu’il en était informé. La décision d’envoyer le DAMI n’a été prise ni par les services, ni par les conseillers pour les affaires africaines, mais au niveau des plus hautes autorités de l’Etat.

Relevant qu’il ne voyait pas d’ambiguïtés dans la politique française à l’égard du Rwanda, il a rappelé que ce pays était entré plus tardivement, en 1975, dans le champ de notre coopération avec nos anciennes colonies mais que cela avait été aussi le cas pour le Mozambique ou l’Angola, et qu’il croyait se souvenir qu’un des premiers sommets franco-africains avait eu lieu à Kigali.

A une question complémentaire de M. François Lamy sur la présence de soldats français au Rwanda et non au Mozambique, qui paraissait témoigner d’un traitement particulier réservé à ce pays, M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la France n’avait pas envoyé de soldats au Mozambique car le Gouvernement de ce pays ne l’avait pas demandé.

M. Bernard Cazeneuve a alors émis le souhait que la mission auditionne M. Robert Galley, alors Ministre de la Coopération, sur les motivations de l’accord de 1975.

M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la signature d’un accord de coopération militaire entrait dans le cadre normal des relations de coopération de la France avec un pays africain et que notre pays avait ainsi répondu à une demande exprimée par le Rwanda. On ne peut pas dire que la France recherchait à cette occasion des richesses en cuivre ou en pétrole.

Evoquant l’attaque du FPR à partir du sud de l’Ouganda en octobre 1990 et la présence dans ses rangs d’agents libyens attestée par certains témoignages, M. Michel Voisin a souhaité savoir si des soldats d’autres nationalités encadraient les forces du FPR. Puis il a demandé à M. Jean-Christophe Mitterrand son sentiment sur le reproche, fait au Gouvernement français par une des personnes entendues par la mission, de ne pas s’être acquitté de ses engagements relatifs à la fabrication de nouvelles cartes d’identité sans mention ethnique.

M. Guy-Michel Chauveau s’est étonné que la décision de supprimer la mention ethnique, prise en novembre 1990, n’ait pas pu être exécutée avant avril 1994.

M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé que la France avait insisté pour la suppression de la mention ethnique sur les cartes d’identité afin de manifester aux populations rwandaises le souci de réconciliation nationale et déclaré qu’il avait également lu que le ministère de la Coopération aurait dû s’occuper de ce sujet. Il a indiqué qu’ayant évoqué le sujet avec le Président Habyarimana, il avait été surpris de constater que, pour ce dernier, le problème ne se posait pas puisque la mention ethnique figurait sur les cartes d’identité depuis la colonisation belge et qu’elle ne semblait pas soulever d’interrogations philosophiques. Enfin, il a supposé que les difficultés propres à un pays en guerre civile pouvaient expliquer l’absence de modifications des cartes d’identité.

Le Président Paul Quilès a mis en avant les conséquences du maintien de la mention ethnique qui favorisait la mise en oeuvre de mesures de discrimination et aurait pu, selon certains, faciliter le génocide.

M. Jean-Christophe Mitterrand a fait observer que de nombreux Hutus modérés avaient été également victimes du génocide, que la mention de leur appartenance ethnique sur leur carte d’identité ne les avait donc pas protégés et qu’ils avaient subi des violences sans que leurs papiers ne mentionnent leur orientation politique. Le changement de carte d’identité dans un pays en guerre civile où n’existe pas d’état civil est une opération lourde pour laquelle le temps a manqué. Des agents libyens ont été aperçus pendant l’offensive d’octobre 1990 et la DGSE a confirmé leur présence. Mais aucune information ne permet de conclure à la participation de soldats d’autres nationalités. Les forces du FPR étaient composées de jeunes Tutsis rwandais nés en Ouganda et qui avaient fait partie de l’armée ougandaise, il est donc vraisemblable que cette dernière a également participé à l’offensive d’octobre 1990.

M. Yves Dauge constatant a posteriori le décalage entre l’engagement officiellement exprimé par le Président Habyarimana de mener un processus de démocratisation soutenu et encouragé par la France et de conduire des négociations qui ont débouché sur les accords d’Arusha d’une part, et la radicalisation dans le même temps du conflit ethnique d’autre part, s’est demandé si la France avait correctement perçu les dangers des évolutions internes au Rwanda qui avaient conduit à l’affaiblissement du Président et de son régime.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que la création de la CDR, fer de lance des massacres, dont des groupes précurseurs existaient dans l’entourage du Gouvernement et dans l’armée, avait constitué un élément de pression visant à empêcher le processus de démocratisation ainsi qu’un catalyseur favorisant l’exacerbation de la haine ethnique. Une fois structurée en force politique, la CDR avait eu une importance et une influence croissantes. Ses membres avaient très probablement organisé des provocations et pris une part active dans les massacres de Tutsis intervenus en avril 1992, mais aussi dans la campagne de propagande et de désinformation de la population lors des attaques du FPR. M. Jean-Christophe Mitterrand a noté à ce propos que ces attaques avaient provoqué un exode massif alors que le FPR se présentait en libérateur. L’assassinat du Président Habyarimana et de son chef d’état-major a sans aucun doute achevé de libérer les passions, dans la mesure où, avec leur disparition, le pouvoir s’effondrait et tout était possible.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr