Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Général Jean Varret a d’abord précisé qu’il avait été volontaire pour prendre la tête de la Mission militaire de coopération en 1990. Il a ajouté qu’issu des troupes métropolitaines, il avait constitué une exception, ce poste étant traditionnellement confié à un général des troupes de marine. Il a précisé que, lors de sa nomination, il connaissait l’Afrique puisqu’après avoir été capitaine de troupes parachutistes au Gabon, il avait été, en tant que colonel, chef des éléments français en Afrique centrale au moment difficile des relations conflictuelles avec la Libye, et chargé du " démontage " de l’opération Manta au Tchad, puis des opérations d’aide à l’armée tchadienne et qu’à ce poste il avait été amené lors d’un déplacement du Président de la République à s’entretenir avec lui de la politique militaire française en Afrique. Il a indiqué qu’il avait ensuite exercé les fonctions de chef du cabinet militaire du Chef d’Etat-major des Armées, le Général Saulnier puis le Général Maurice Schmitt, puis celles de chef de la Mission militaire de coopération où il avait servi sous quatre ministres, M. Jacques Pelletier, Mme Edwige Avice, M. Marcel Debarge et, pendant quelques mois, M. Michel Roussin. Il a ajouté que le chef de la Mission militaire de coopération était aussi, jusqu’à l’arrivée de M. Michel Roussin, le conseiller militaire du Ministre de la Coopération et, à ce titre, membre du Cabinet.

Décrivant alors la Mission militaire de coopération, il a exposé que ses crédits, inscrits au chapitre 41-42 du budget du ministère de la Coopération, s’élevaient à l’époque à 900 millions de francs répartis en trois actions, l’aide directe, correspondant à l’achat par la France d’équipements et d’armements pour être donnés aux armées avec lesquelles nous avions des accords de coopération, la prise en charge et la formation de stagiaires africains en France et enfin la solde des personnels expatriés, soit environ 800 assistants militaires techniques (AMT) envoyés pour des périodes de deux ans avec leur famille, auxquels s’ajoutaient les personnels des détachements d’assistance militaire et d’instruction (DAMI), envoyés pour une mission de quatre mois sans leur famille. Il a ajouté que les personnels permanents de la coopération militaire étaient détachés du ministère de la Défense, payés par le ministère de la Coopération et placés sous le contrôle exclusif de celui-ci. Il a précisé que le Chef de la mission d’aide militaire locale constituait toutefois un cas particulier puisqu’il dépendait, en tant que tel, de la Mission militaire de coopération et, en tant qu’attaché de défense, du Ministre de la Défense. Il a indiqué que cette situation n’était pas sans poser des difficultés aux officiers titulaires de ce poste.

S’agissant du Chef de la Mission militaire de coopération, il a exposé qu’en cas de crise, celui-ci devait concilier les directives de son Ministre et des services du ministère des Affaires étrangères, celles du ministère de la Défense, et enfin celles de la cellule Afrique de l’Elysée. Il a exposé que la multiplicité d’interlocuteurs représentait une difficulté.

Le Général Jean Varret a indiqué qu’il avait pris ses fonctions en octobre 1990 au moment du déclenchement de la première offensive du FPR. Il a précisé qu’étant allé au Rwanda visiter les troupes qui y étaient affectées, il avait rencontré le chef de Mission d’assistance militaire et attaché de défense, le Lieutenant-Colonel René Galinié, l’un des quatre gendarmes à détenir un tel poste dans les pays dits " du champ ". Ce dernier lui était apparu avoir une bonne connaissance du pays, notamment grâce à l’application des méthodes traditionnelles de la Gendarmerie en matière d’entretien de réseaux, susceptibles de le renseigner, notamment pami les religieux. Il a ajouté que cet officier avait tout de suite attiré son attention sur la très grande différence entre la situation du Rwanda et celle des pays d’Afrique occidentale. Il a précisé qu’il avait été frappé par les différences des méthodes de raisonnement des chefs militaires rwandais par rapport à celles des officiers d’Afrique occidentale formés dans les écoles militaires françaises.

Le Général Jean Varret a ensuite expliqué que, pendant la période où il a exercé ses fonctions, le nombre de personnels AMT et membres du DAMI au Rwanda était passé de 30 à 100 en 1992 et l’armée rwandaise, exclusivement composée de Hutus, de 15 000 hommes à 40 000 hommes, dont 8 000 gendarmes. Il a ajouté qu’une demande du Président Habyarimana qui lui était apparue hors de propos, avait été faite en 1990 pour obtenir un appui-feu Jaguar. Il lui avait répondu que ce n’était pas là le but de l’action de la France, cette demande avait néanmoins été transmise à Paris.

Décrivant alors les procédures suivies en France, le Général Jean Varret a expliqué qu’à l’instar des 26 pays du champ de la coopération, des réunions de crise, réunissant les représentants des Affaires étrangères, de la Coopération, de la Défense et de la Présidence de la République, étaient organisées en tant que de besoin et que l’ensemble des problèmes y était exposé librement par chacun, de sorte que l’on aboutissait à une décision collégiale qui était ensuite formalisée pour être appliquée. Il a ajouté que lui-même était amené à se battre sur les questions de financement. En effet, les charges entraînées par l’action militaire au Rwanda étaient invariablement mises à la charge du ministère de la Coopération. Il lui semblait que cette pratique pénalisait d’autres pays dont les chefs d’Etat regrettaient amèrement des dotations jugées insuffisantes.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir pourquoi un gendarme avait été envoyé au Rwanda au poste d’attaché militaire de défense et si le Général Jean Varret ne pensait pas que l’accent mis sur la Gendarmerie, arme qu’on associe à la notion de maintien de l’ordre plus qu’à celle d’assistance militaire, pouvait avoir créé une difficulté pour répondre aux critiques relatives aux violations des droits de l’Homme au Rwanda. Soulignant ensuite que dans les organigrammes successifs, le DAMI était, selon les cas, rattaché à l’attaché de défense ou, pendant un assez bref délai, au chef de l’opération Noroît, lorsque les deux fonctions d’attaché de défense et de commandant de l’opération Noroît étaient confiées à des responsables distincts, il a demandé si les missions du DAMI différaient de l’aide militaire technique et s’il n’y avait pas eu un mélange des genres.

Le Général Jean Varret a apporté les précisions suivantes :

 M. Charles Hernu avait décidé que quatre postes d’attaché militaire de défense seraient confiés à des gendarmes ; en revanche, il n’était pas en situation de préciser les motifs du choix de ces postes (Rwanda, Burundi, Mali et Haïti) ;

 le Lieutenant-Colonel René Galinié avait été capitaine des troupes de marine avant d’être gendarme ; il n’y avait donc pas la volonté de marquer, par la création de ces postes, une rupture par rapport à la pratique ancienne ni de mettre l’accent exclusivement sur le développement de la gendarmerie ;

 au Rwanda, la Gendarmerie était une force comme une autre. La coopération française a essayé de lui donner des caractéristiques de force de maintien de l’ordre. Cette entreprise a échoué, contrairement à d’autres pays où la France a beaucoup travaillé au développement de la Gendarmerie de façon à ce que la diffusion de l’éthique de cette arme favorise le développement d’un maintien de l’ordre respectueux des Droits de l’Homme. De 1990 à 1993 le nombre des coopérants militaires gendarmes a triplé ;

 la différence entre DAMI et AMT est d’abord d’ordre budgétaire ; en effet, les séjours d’assistants militaires techniques coûtent très cher ; aussi, lorsqu’on veut accroître les effectifs de coopérants militaires, on a recours aux DAMI, moins coûteux. Au Rwanda les AMT, essentiellement chargés de l’entretien des matériels, étaient basés à Kigali et travaillaient dans les écoles militaires ou géraient des ateliers de réparation, d’hélicoptères par exemple. En revanche, les DAMI ont assuré la formation de bataillons complets de façon décentralisée en dehors de la capitale. En pratique, les personnels DAMI vivaient dans des camps d’instruction militaire avec leurs élèves ; ils étaient rattachés à la mission d’assistance militaire, elle-même relevant de la Mission militaire de coopération. Tel n’était pas le cas des compagnies Noroît indépendantes du Chef de la Mission militaire de coopération.

Relevant qu’en février-mars 1993 le DAMI était passé sous les ordres du Colonel Delors, chef de l’opération Noroît, le Président Paul Quilès a demandé quelles avaient été les conséquences de cette modification de la chaîne de commandement sur les relations du DAMI avec la Mission militaire de coopération.

Le Général Jean Varret a répondu que ses autorités l’avaient informé qu’il n’avait plus d’ordres à donner au DAMI.

Le Président Paul Quilès a souligné que cette période, qui fait suite à l’offensive du FPR de février 1993, fut somme toute assez brève et qu’on est revenu rapidement à une situation plus classique dès lors que le Colonel Cussac a eu autorité sur le DAMI et les AMT. Le Président Paul Quilès a demandé au Général s’il était encore présent à ce moment.

Le Général Jean Varret a expliqué qu’après qu’il eut donné des instructions au DAMI, on lui avait indiqué que ses instructions n’étaient pas les bonnes et que le commandement des DAMI lui avait été retiré.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir qui se cachait sous ce " on ".

Le Général Jean Varret a répondu que ce " on " signifiait son Ministre, par le truchement de personnes dont il ne se souvient plus.

M. Bernard Cazeneuve a demandé quelles instructions, considérées comme mauvaises, avait été données par le Général Varret, quelles furent les nouvelles instructions qui les ont remplacées, et qui les avait transmises.

Le Général Jean Varret a fait état de bruits qui circulaient, mais qu’il n’a pu vérifier, selon lesquels le rôle du DAMI PANDA dépassait sa mission d’instruction. Il a déclaré avoir rappelé au DAMI, lors d’une réunion à Kigali, sa détermination à sanctionner tout manquement à la stricte définition de la mission.

M. Michel Voisin a demandé si les armes réclamées en 1990 par le Colonel Serubuga avaient été livrées.

Le Général Jean Varret a répondu par la négative, en tout cas en ce qui concerne les livraisons effectuées par la France, par l’intermédiaire de la Mission militaire de coopération.

M. Bernard Cazeneuve a rappelé que l’accord d’assistance militaire de 1975 avait été amendé en 1992 afin de remplacer la référence à la " gendarmerie rwandaise " par celle de " forces armées rwandaises ". Il a demandé au Général s’il connaissait les raisons de cette modification et qui l’avait sollicitée.

M. Bernard Cazeneuve s’est ensuite inquiété de savoir si l’envoi d’un DAMI à Kigali avait été effectué dans le cadre de l’accord d’assistance militaire de 1975 ou dans celui de l’opération Noroît, et s’il y avait eu dans celle-ci une dimension de coopération militaire, qui aurait ainsi justifié le rattachement du DAMI au commandement des opérations (COMOPS) en février 1993.

Il a enfin demandé, en citant le rapport de fin de mission de l’ambassadeur Georges Martres, quels étaient le contenu et les modalités des missions de coopération et de formation à destination de la garde présidentielle, des jeunes officiers et des jeunes recrues, entraînées dans les centres d’entraînement de Mukamira et de Gabiro.

Le Général Jean Varret a souligné que l’ambassadeur souhaitait une redéfinition de la coopération militaire, notamment à l’égard de la gendarmerie rwandaise, qui se comportait en véritable armée, et la transformation de la garde présidentielle en garde républicaine, mais il a jugé que l’objectif souhaité par l’ambassadeur, d’en faire une gendarmerie à la française, n’avait pas été atteint.

Il a rappelé qu’à la suite de divers attentats, la gendarmerie rwandaise avait demandé, avec l’appui de l’ambassadeur, une formation d’officier de police judiciaire (OPJ), afin de pouvoir mener efficacement des enquêtes intérieures. Il a précisé qu’il n’avait envoyé que deux gendarmes car il s’était vite rendu compte que ces enquêtes consistaient à pourchasser les Tutsis, ceux que le Colonel Rwagafilita appelait " la cinquième colonne ". Cette action de formation a donc échoué.

M. Bernard Cazeneuve s’est demandé s’il fallait comprendre que le souhait du Gouvernement rwandais de former des officiers de police judiciaire était en fait motivé par le désir de ficher les Tutsis.

Le Général Jean Varret a confirmé que c’était effectivement son sentiment et qu’il avait tout fait pour freiner cette coopération avec la gendarmerie rwandaise, qui est demeurée superficielle.

M. Bernard Cazeneuve a demandé ce que la France avait fait concrètement dans ce domaine.

Le Général Jean Varret a précisé qu’on avait envoyé deux OPJ pour donner des cours qui n’avaient servi à rien mais qu’on avait refusé de fournir certains équipements réclamés d’écoute et de radio. Il a souligné que, contrairement à l’ambassadeur, il n’avait pas cru à la possibilité de transformer la gendarmerie rwandaise en une gendarmerie à la française, échaudé qu’il avait été par l’attitude du Colonel Rwagafilita.

M. Bernard Cazeneuve a à nouveau demandé si l’on avait donné suite à la demande de coopération au bénéfice de la gendarmerie.

Le Général Jean Varret a précisé que celle-ci s’était limitée aux cours dispensés par les deux OPJ.

Il est revenu ensuite sur la mission d’instruction du DAMI, qui se déroulait en dehors de la ville dans deux camps. Les instructeurs vivaient dans ces camps avec les jeunes officiers et les jeunes recrues. Ils contribuaient à la formation opérationnelle de bataillons complets, soit au niveau le plus élémentaire, soit en leur donnant un complément d’instruction s’ils avaient déjà une formation de base. Cette instruction était très efficace et les AMT n’auraient pu l’assurer. La liste des personnels formés n’était pas fournie.

M. Bernard Cazeneuve a demandé s’il existait des instructions écrites pour les missions du DAMI.

Le Général Jean Varret a répondu par l’affirmative, en précisant que ces instructions étaient signées du Chef d’état-major des armées.

M. Jacques Myard s’est étonné des propos du Général Jean Varret qui tendent à opposer gendarmes à militaires. Il a insisté sur le fait que, même en France, la gendarmerie est une armée à part entière et qu’elle avait mené des combats. Dans de nombreux pays d’Afrique, les gendarmes forment une armée opérationnelle stricto sensu, comme des forces d’infanterie. Le Rwanda n’est donc pas une exception. Ce serait plutôt la France qui en constituerait une en donnant à la gendarmerie, donc à des militaires, des missions de maintien de l’ordre et de police judiciaire.

M. Jacques Myard, après avoir fait remarquer qu’il était fréquent que l’arrivée d’un nouveau Gouvernement entraîne des modifications d’organigramme dans la fonction publique, a souhaité savoir si, après le départ du Général Jean Varret, les missions confiées au DAMI avaient changé.

Le Général Jean Varret a rappelé que le DAMI avait reçu des directives de l’état-major des armées et qu’il n’avait donc aucune raison de les modifier. Il est revenu sur les circonstances de son départ, en rappelant qu’il existait des points de vue différents sur la manière de gérer la coopération militaire au Rwanda, qui s’exprimaient dans les réunions de crise avant que les décisions finales ne soient prises.

M. Pierre Brana a demandé la date exacte du déplacement du Général Jean Varret à Kigali pour mettre les choses au point avec le DAMI et quelle était l’origine des bruits qui lui revenaient sur les comportements du DAMI.

Le Général Jean Varret a précisé que son déplacement avait eu lieu en mai 1992 et que les rumeurs existaient en France. Il a fait remarquer qu’il se trouvera toujours des personnes pour se vanter d’actions qu’ils auraient aimé réaliser mais qu’ils n’ont en réalité pas faites.

M. Jacques Myard a demandé si les instructions données par le Gouvernement précisaient bien clairement que nous n’intervenions que dans un cadre d’instruction et de formation sans engagement direct de nos forces.

Le Général Jean Varret a répondu que les directives n’étaient pas sujettes à interprétation, qu’elles étaient parfaitement claires, ne comportaient aucune consigne d’engagement direct et se limitaient à l’instruction et à la formation.

M. Michel Voisin a indiqué que, selon certains, les Rwandais ont stoppé l’offensive du FPR, en 1990, avec l’aide des troupes françaises, belges et zaïroises et a souhaité une confirmation de ces propos.

Le Général Jean Varret a confirmé que des instructeurs-pilotes se trouvaient à bord d’hélicoptères Gazelle envoyés sur place aux côtés des Rwandais mais qu’ils n’avaient pas été engagés. Ils n’étaient présents que pour faire de l’instruction de pilotage et de tir. Il a affirmé que les troupes françaises n’avaient pas arrêté l’offensive du FPR en octobre 1990.

Le Président Paul Quilès a demandé si les instructeurs se trouvaient aux commandes de l’hélicoptère pour tirer.

Le Général Jean Varret a précisé que, si les missions d’instruction se sont prolongées sur le terrain en octobre 1990, nos assistants techniques n’ont néanmoins pas effectué d’opérations de tir puisque les militaires rwandais étaient aux commandes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr