Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la Défense de mai 1988 à janvier 1991, et M. Jacques Pelletier, Ministre de la Coopération de mai 1988 à juin 1991.

Il a rappelé qu’à cette époque, le Rwanda connaissait une crise économique extrêmement sérieuse : le cours du café venait de s’effondrer ; sécheresse et famines se succédaient dans certaines régions. Sur le plan politique, l’assassinat en avril 1988 de Stanislas Mayuya, successeur potentiel du Président Habyarimana, avait déclenché des tensions politiques fortes et considérablement affaibli le régime. Dans le prolongement du sommet de La Baule la mise en oeuvre des réformes démocratiques constituait un défi supplémentaire. Le régime d’Habyarimana se trouvait dans une situation difficile lorsque, en octobre 1990, l’attaque du FPR a marqué le début de la crise qui a culminé avec le génocide.

M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré craindre de décevoir quelque peu la mission. En effet, de l’intervention française au Rwanda dans la période où il occupait encore les fonctions de Ministre de la Défense, il n’avait gardé qu’un seul souvenir, celui de son déclenchement : une matinée, dans le Golfe, à bord de la frégate Dupleix, avec le Président de la République et l’Amiral Lanxade, son chef d’Etat-major particulier à l’Elysée, assez tôt, en compagnie du commandant de bord. A ce moment-là, a été apporté au Président de la République un message chiffré qui, une fois décodé, faisait apparaître que le Président Habyarimana demandait l’intervention militaire de la France pour l’aider à faire face à l’attaque du FPR. Le Président s’est alors tourné vers l’Amiral Lanxade et lui a demandé de répondre favorablement à cette demande. L’Amiral s’est éloigné et a envoyé, au commandement opérationnel des armées des directives qui ont conduit à l’envoi d’une compagnie, dont la mission était d’assurer avant tout la protection de nos ressortissants.

La scène a été extrêmement brève. Ses protagonistes avaient alors d’autres soucis en tête car 1990 était une année de profonds bouleversements géopolitiques. C’était au lendemain de l’unité allemande, peu de temps avant la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe des 20 et 22 novembre et M. Jean-Pierre Chevènement était fort occupé par la question du désarmement et de l’équilibre de forces. De lourds nuages apparaissaient dans le ciel avec la perspective d’une guerre dans le Golfe dont peu de gens pensaient qu’elle était encore évitable.

M. Jean-Pierre Chevènement a ainsi rappelé que les forces françaises avaient débarqué en Arabie Saoudite le 15 septembre, après l’occupation de l’ambassade de France au Koweït par les troupes irakiennes et que le Président de la République avait prononcé au sujet de la crise du Golfe un discours à l’ONU le 24 septembre. Le mois d’octobre fut un mois de relative accalmie avec la libération d’un certain nombre d’otages. On pouvait espérer que les choses évolueraient dans la bonne direction. A titre personnel, M. Jean-Pierre Chevènement s’efforçait de faire entendre cette voix auprès du Président de la République. Mais le discours du Président de la République à l’ONU avait laissé apercevoir que d’autres options étaient possibles.

A la fin du mois de novembre, le Conseil de sécurité a autorisé, non pas l’emploi de la force mais, à la demande de M. Chevarnadze, le recours aux " moyens nécessaires " à la libération du Koweït, ce qui signifiait assez clairement la guerre.

M. Jean-Pierre Chevènement a indiqué qu’il avait alors envoyé la lettre dans laquelle il demandait au Président de la République d’être relevé de ses fonctions.

Remontant plus loin dans le passé, M. Jean-Pierre Chevènement a évoqué des échanges assez vifs au sein du Gouvernement sur la politique qu’il convenait de conduire en Afrique. Ces échanges avaient eu lieu en mai et avaient porté leurs fruits dans le discours de La Baule du Président Mitterrand, dans lequel ce dernier avait exposé des orientations sur lesquelles M. Jean-Pierre Chevènement se trouvait en plein accord.

Le Ministre a souligné que, lors de la scène à laquelle il avait assisté sur la frégate Dupleix, il n’avait pas été consulté.

M. Jacques Pelletier a exposé que son témoignage ne porterait que sur la période où il avait exercé, avec un grand intérêt et une authentique passion, la charge de Ministre de la Coopération et du Développement, à savoir de mai 1988 à mai 1991.

Avant de parler de la région des Grands Lacs, il a rappelé quelques éléments importants pour la compréhension du contexte de cette époque. Le Gouvernement de Michel Rocard entendait suivre une politique dynamique en faveur des pays pauvres. Conformément aux voeux du Président de la République, la France voulait maintenir des liens étroits et une solidarité forte avec les pays d’Afrique. En matière d’aide au développement, la France consentait de gros efforts. Au cours des trois années où il avait exercé les fonctions de Ministre de la Coopération, les crédits budgétaires avaient beaucoup augmenté, pour se rapprocher du fameux seuil des 0,7 % du PIB. Le Gouvernement français était le principal, pour ne pas dire le seul, avocat de l’Afrique au sein des instances internationales. Que cela soit pour la réduction des dettes ou la renégociation des accords de Lomé, la France a dû montrer l’exemple et peser de tout son poids pour éviter que l’Afrique soit abandonnée à elle-même.

De même, le ministère de la Coopération avait des discussions quasi quotidiennes avec les experts du FMI et de la Banque mondiale, pour que les nécessaires plans d’ajustement structurel n’imposent pas des contraintes incohérentes ou insupportables aux Etats africains. La situation économique était très défavorable : les prix des matières premières, en particulier celui du thé et du café, étaient à leur cours le plus bas, le franc CFA était cher, les investissements privés peu nombreux.

Pour terminer de brosser à grands traits l’environnement de l’époque, M. Jacques Pelletier a évoqué une rupture majeure : la chute du mur de Berlin à la fin de l’année 1989. Cet heureux événement a entraîné une mobilisation de toutes les chancelleries pour maîtriser les conséquences de l’effondrement rapide de l’Europe de l’Est. Dans ce contexte, l’Afrique n’apparaissait plus prioritaire aux yeux de beaucoup et certains Africains estimaient que l’Europe allait les abandonner.

M. Jacques Pelletier répétait souvent à cette époque " le vent qui souffle de l’Est ne peut pas s’arrêter aux portes de l’Afrique ". Le sommet de La Baule allait clairement fixer l’objectif d’une marche des pays d’Afrique, chacun à son rythme et à sa manière, vers la démocratie et l’Etat de droit. En 1988, à son arrivée au ministère, seuls deux pays sur un peu plus de trente du champ de la coopération pouvaient être qualifiés de démocratiques : le Sénégal et l’Ile Maurice. Au début des années 1990, l’Afrique francophone ne connaissait pas une situation très brillante, ni économiquement ni politiquement. Le désintérêt pour ce continent est sans doute en partie responsable des drames qu’a connus l’Afrique centrale.

S’agissant plus précisément du Rwanda, M. Jacques Pelletier a fait valoir qu’il avait découvert ce pays dans les années 1984-1988 en tant que Président du Groupe d’amitié France-Afrique centrale du Sénat. Il s’est demandé si l’on aurait pu prévoir et, donc, empêcher le génocide qui s’y est déroulé.

M. Jacques Pelletier a exposé qu’à son arrivée rue Monsieur, le Rwanda n’était pas une priorité pour le ministère et que sa " réputation " était assez bonne. Ce pays était présenté comme la " Suisse de l’Afrique ". Son " Président-paysan " au pouvoir depuis quinze ans était issu de l’ethnie hutue, largement majoritaire (85 %), et soutenu par l’Eglise catholique qui avait une énorme influence. Le Président semblait faire quelques efforts d’ouverture envers la minorité tutsie, à qui il laissait prendre des responsabilités dans le domaine économique, mais pas dans le domaine politique. Par ailleurs, en comparaison avec le Burundi, où l’ethnie tutsie, au pouvoir bien que très minoritaire, avait provoqué des massacres en août 1988, le Rwanda apparaissait comme un pays plus apaisé.

Cela ne voulait pas dire que la situation était bonne, loin de là. Dès son premier voyage, il avait été impressionné par le travail des populations locales qui cultivaient le moindre mètre carré, y compris dans les villes. Le Rwanda était un jardin. Mais, en même temps, il avait été effrayé par la densité de la population (plus de 300 habitants/km²) et par la pression que cette densité entraînait sur le foncier. En dehors même des problèmes ethniques, cette situation était très lourde de risques et M. Pelletier s’est rappelé qu’il employait souvent l’expression : " il y a là un baril de poudre ".

Dès son arrivée au ministère, il a fait accélérer les projets de développement rural. Il a également essayé de favoriser une politique de contrôle des naissances afin d’éviter que les difficultés continuent de s’aggraver. Lors de ses entretiens avec le Président Habyarimana, en France ou au Rwanda, M. Jacques Pelletier a toujours beaucoup insisté sur la nécessité d’ouvrir le Gouvernement rwandais à l’opposition et à la minorité, bref de démocratiser son régime. Dans leurs conversations privées, le Président ne se montrait pas hostile à cette évolution. Il expliquait cependant qu’il ne pouvait pas aller trop vite, sinon il ne serait pas suivi ; la suite des événements a prouvé qu’il n’avait pas tort. Grâce à la coopération décentralisée, qui marchait bien, la France espérait aussi montrer par l’exemple ses vertus de ses principes politiques.

La question des réfugiés était également une préoccupation. Pendant l’été 1988, après les massacres au Burundi, beaucoup de réfugiés hutus étaient arrivés au sud du Rwanda. Très rapidement, M. Jacques Pelletier a déployé des moyens importants pour qu’ils rentrent dans leur pays, car il estimait que le Rwanda était incapable de supporter un afflux de population supplémentaire.

En revanche, il y avait un autre problème de réfugiés auquel M. Jacques Pelletier a reconnu qu’il n’avait sans doute pas assez porté attention, même s’il n’entrait pas dans son champ de compétences -l’Ouganda n’étant pas dans le " champ "-, c’était celui des réfugiés tutsis, nombreux en Ouganda, qui semblaient relativement intégrés dans leur nouveau pays, mais qui allaient être à l’origine des difficultés les plus graves.

Le 1er octobre 1990, quelques milliers de réfugiés rwandais d’Ouganda ont envahi le Rwanda, provoquant des massacres et une fuite de la population. Le Gouvernement français a très rapidement réagi en envoyant, à la demande du Gouvernement de Kigali, des munitions et une compagnie de parachutistes. Ce fut l’opération Noroît.

M. Jacques Pelletier a estimé que la logique de cette opération était parfaitement claire.

Tout d’abord, il était nécessaire de protéger et d’évacuer nos compatriotes qui pouvaient être menacés. Ensuite, il ne semblait pas possible de laisser renverser un Gouvernement par une minorité menant une action armée et violente en provenance et avec le soutien d’un pays étranger.

Il faut en effet se rappeler que les rebelles du FPR étaient très peu nombreux. Tous les rapports indiquaient, et l’exode de la population prouvait, qu’ils n’étaient absolument pas accueillis en libérateurs. Le caractère " étranger " de cette invasion provenait également du fait que ses chefs Fred Rwigyema et Paul Kagame étaient respectivement chef d’état-major adjoint et chef de la sûreté dans l’armée ougandaise. II semblait normal d’assurer la sécurité d’un pays avec lequel des accords de coopération nous liaient. Si la France n’avait pas réagi, elle aurait perdu la confiance de la plupart des pays d’Afrique. C’est ce qui avait été décidé également lors des différentes interventions au Tchad. Le principe de l’intangibilité des frontières proclamé régulièrement par l’OUA semblait aussi menacé, la victoire du FPR pouvant conduire à des réactions en chaîne dans toute la région.

Assurer la sécurité du Rwanda n’était pas le seul but du Gouvernement. Il voulait également faire évoluer le régime afin d’éviter la répétition de tels événements. C’est avec ce double objectif que M. Jacques Pelletier a conduit, à la demande du Président Mitterrand, au début du mois de novembre 1990, une mission de bons offices au Rwanda et dans les pays limitrophes où il a pu s’entretenir avec tous les responsables, notamment tous les présidents.

De ce voyage, il est ressorti que les protagonistes étaient d’accord sur trois points : la nécessité d’un cessez-le-feu et de la mise en place d’observateurs ; la tenue d’une conférence régionale pour traiter l’ensemble des problèmes et notamment celui des réfugiés ; l’ouverture politique à l’intérieur du Rwanda.

La négociation entre les parties au conflit fut difficile à mener en particulier pour deux raisons. La position exacte des pays limitrophes du Rwanda n’était pas toujours très claire et certains chefs d’Etat, comme les Présidents Mobutu et Museveni, par exemple, faisaient preuve d’une grande susceptibilité dans leurs relations mutuelles. Par ailleurs, il était difficile de mobiliser rapidement le système des Nations Unies ou nos amis occidentaux pour envoyer des observateurs ou pour accorder des contributions financières destinées à aider le pays à panser ses plaies le plus vite possible. Ces deux difficultés se sont accentuées lors des crises ultérieures.

M. Jacques Pelletier a souligné que le Gouvernement français avait eu deux objectifs dès le début du conflit : un objectif très visible, à savoir, aider un pays à assurer sa sécurité contre une agression extérieure, et un objectif dont on a moins parlé mais qui était tout aussi important, faire évoluer le régime en place. M. Pelletier a déclaré avoir personnellement exercé des pressions très vigoureuses auprès du Président Habyarimana. Le Président Mitterrand l’a rencontré également et lui a écrit pour l’inciter fortement à ouvrir son gouvernement.

Cet engagement de la France a eu des résultats tangibles qui allaient dans le bon sens. M. Jacques Pelletier a précisé que, quelques jours après son voyage dans la région, en octobre 1990, des milliers de Tutsis qui avaient été arrêtés au début de l’invasion ont été libérés. A la fin de l’année 1990, un avant-projet de charte nationale a été publié et un poste de Premier Ministre créé. Un cessez-le-feu a été signé en mars 1991 et une Constitution promulguée au mois de juin 1991.

A son départ du ministère en mai 1991, M. Jacques Pelletier n’estimait pas que le problème était résolu, mais il pensait, très honnêtement, que le plus grave avait été évité et qu’il fallait continuer à accompagner le Rwanda dans son évolution. La voie était ouverte vers l’accord d’Arusha, signé en août 1993. Malheureusement, les extrémistes des deux bords ne se sont pas réellement engagés dans cette logique de paix et c’est ce qui conduira au drame de 1994.

Le Président Paul Quilès a observé, à propos de l’attaque qui s’est déroulée à Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre, que certains témoins ou analystes l’ont présentée comme une simulation mise en scène par les autorités rwandaises pour faire pression sur la France et la décider à renforcer sa présence et son intervention.

Il a demandé à M. Jean-Pierre Chevènement et à M. Jacques Pelletier s’ils se souvenaient d’informations de cette nature. En effet, si les différents documents, témoignages et opinions concernant cet incident sont contradictoires, il semblerait néanmoins qu’une forte présomption conduise à penser que les autorités rwandaises avaient pu grossir le danger pour pousser les Français à renforcer leur présence.

Le Président Paul Quilès a également demandé si les ministres avaient disposé d’informations particulières concernant le FPR et s’ils avaient des contacts avec ce mouvement avant, pendant ou après l’opération Noroît.

M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré qu’il n’avait disposé d’aucun élément d’appréciation lui permettant de savoir si l’attaque des forces anti-gouvernementales étaient feinte ou réelle. La décision de la France a été instantanée. Il n’avait pas d’informations particulières sur le Rwanda.

Il a rappelé qu’il avait eu à connaître de troubles en Afrique, notamment au Tchad, aux Comores et au Gabon, mais qu’à l’époque, ce qui dominait avant tout, c’était l’effondrement de l’Union soviétique et du monde bipolaire. Ce qui se passait au Rwanda faisait l’objet d’une communication directe entre l’état-major particulier du Président de la République et l’état-major des armées, le centre opérationnel interarmées et les forces présentes sur le terrain.

M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué qu’il ne savait pas davantage si la Mission militaire de coopération et le ministère de la Coopération étaient associés à la gestion de la crise rwandaise. Il n’a pas le souvenir d’un seul conseil restreint où cette question ait été inscrite à l’ordre du jour, ni qu’elle ait été jamais évoquée dans les quelques mois qui ont suivi. C’était une affaire où le ministère de la Défense, en tout cas, n’a jamais été amené à intervenir. La seule procédure par laquelle il était informé était celle des comptes rendus que le ministre de la Défense a l’habitude de trouver sur son bureau.

A propos de l’engagement de l’opération Noroît, M. Bernard Cazeneuve a rapporté que des témoins politiques et militaires, ainsi qu’un certain nombre de documents transmis à la mission indiquaient qu’au moment des événements d’octobre 1990, une cellule de crise avait réuni l’ensemble des administrations concernées des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de la Coopération. Cette cellule a pris la décision de mettre en oeuvre un dispositif destiné avant tout à évacuer les ressortissants français en cas de dégradation de la situation, l’évacuation militaire étant placée sous la responsabilité du Chef d’état-major des Armées et non de l’état-major particulier du Président de la République.

Il a demandé si le Président de la République, lors de la réception de la dépêche sur la frégate Dupleix, avait donné immédiatement les instructions à cet effet ou si un dialogue s’était engagé entre l’amiral Lanxade, M. Jean-Pierre Chevènement et le président de la République sur l’opportunité de l’intervention.

Il a souhaité savoir si, une fois rentré à Paris, M. Jean-Pierre Chevènement avait été amené à donner des instructions au Chef d’état-major des Armées concernant les objectifs assignés à l’opération Noroît et lesquelles.

M. Jean-Pierre Chevènement a précisé qu’il n’y avait eu aucun dialogue. Le Président de la République a donné une directive ; elle a été exécutée immédiatement. Si une réunion s’est tenue, ce fut hors de sa présence et il n’en a pas eu connaissance.

M. Jacques Pelletier a estimé que l’attaque du mois d’octobre 1990 était bien réelle mais que le gouvernement et le président rwandais en avaient probablement exagéré l’ampleur. La seconde attaque, début janvier, a été plus forte.

Quant aux relations avec le FPR, il a rencontré en Tanzanie des représentants de ce mouvement au cours de sa mission de novembre 1990, pour vérifier s’ils étaient d’accord avec les trois points de convergence qu’il a mentionnés dans son exposé introductif.

Quant aux modalités d’association des différents ministres à la décision d’intervention, M. Jacques Pelletier a confirmé le témoignage de M. Jean-Pierre Chevènement : la décision a été prise par le Président de la République hors de France de la façon qui a été décrite suite à une demande transmise par la cellule africaine de l’Elysée.

Une cellule de crise a été mise en place, par la suite, pour veiller notamment à la bonne évacuation des ressortissants français et des ressortissants étrangers qui le souhaitaient. Elle fonctionnait normalement, avec l’ensemble des partenaires habituels. Mais au départ, les ministres n’ont pas été associés, ni le celui de la Défense ni le celui de la Coopération.

Le Président Paul Quilès a rappelé que, selon la Constitution, le Président de la République est le chef des armées. Lorsqu’il s’agit d’opérations, il a donc un rôle particulier à jouer. Ce n’est pas en tant que Président de la République qu’il agissait, mais en tant que chef des armées. Savoir si la Constitution est pertinente ou pas sur ce point est un autre débat, mais c’est ainsi qu’elle fonctionne.

M. François Lamy a relevé les termes employés par MM. Chevènement et Pelletier à propos du FPR : " réfugiés ", puis, " invasion étrangère " et enfin " forces antigouvernementales ".

Il a demandé si une réflexion a été menée à partir de 1990, lorsque le problème s’est posé réellement, pour analyser la nature de ce mouvement et des problèmes, surtout politiques, que soulevait son action.

Par ailleurs, si la Constitution confère au Président de la République des pouvoirs nettement définis en tant que chef des armées, les termes sont moins clairs en matière de politique étrangère, même si l’on a été amené à parler à ce sujet de " domaine réservé ". M. François Lamy a donc demandé des précisions sur la gestion d’une crise comme celle du Rwanda entre 1988 et 1991 : comment les différents acteurs -le ministre de la coopération, le premier Ministre, le ministre des Affaires étrangères, le Président de la République, l’équipe africaine de la Présidence de la République- définissaient leur rôle les uns par rapport aux autres. Il a souhaité savoir qui donnait les orientations et qui gérait au quotidien.

M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué que le ministère de la Défense n’intervenait que dans le domaine strictement militaire. Il a eu, par exemple, à connaître des conséquences de l’assassinat du Président Abdallah aux Comores. C’est l’armée française qui, à l’époque, a permis une transition pacifique, sans qu’une goutte de sang n’ait été versée. Ce succès a été dû à la remarquable qualité et à l’efficacité des troupes et des officiers français qui ont su, en quelque sorte, prendre en main la garde prétorienne constituée par Bob Denard.

Inversement à la même époque, au moment où Idriss Déby envahissait le Tchad par l’Est, les troupes françaises ont reçu la consigne de ne pas s’interposer. La crise s’est terminée par la démission d’Hissène Habré.

Au Gabon, lorsque des émeutes et des troubles ont éclaté à Port-Gentil et à Libreville même, les forces françaises ont été dépêchées avec mission d’assurer la protection des ressortissants français. Elles se sont très bien acquitté de cette mission, puisqu’il aurait pu y avoir mort d’hommes dans des conditions particulièrement atroces ; certains de nos compatriotes aspergés d’essence sont passés très près de la mort. La présence de l’armée française a été un moyen de contenir une crise qui aurait pu dégénérer en affrontements graves.

Le problème des conditions dans lesquelles la France était amenée à soutenir un certain nombre de régimes, alors qu’aucun mécanisme d’évolution démocratique du pouvoir n’était perceptible, a été évoqué. Cette situation a entraîné un débat assez vif au sein du Gouvernement qui s’est traduit quelques semaines plus tard, fin juin, par le discours de La Baule, lequel a marqué une réorientation de la politique africaine française.

M. Jacques Pelletier a estimé qu’il n’était pas commode de définir les " réfugiés ", que l’on a appelés ensuite " éléments extérieurs ". Ils s’agissait de personnes réfugiées depuis longtemps, une trentaine d’années. On pensait qu’elles étaient complètement intégrées en Ouganda. Le Président Museveni à qui l’on demandait de réduire l’aide qu’il apportait à ces " réfugiés " ou ces " éléments extérieurs ", était embarrassé car les Tutsis rwandais avaient contribué largement à son arrivée au pouvoir. Il avait une dette de reconnaissance vis-à-vis de ces hommes qu’il n’a pas empêchés de s’armer et de s’équiper avec, probablement, des appuis extérieurs.

Ils étaient réfugiés, mais on pensait qu’ils étaient mieux intégrés en Ouganda qu’ils ne l’étaient en réalité. Ils avaient toujours comme but de revenir chez eux, ce qui finalement paraît assez logique.

Quant à la gestion de la politique africaine, M. Jacques Pelletier a déclaré qu’il ne s’était jamais trop posé de questions à ce sujet car la coordination jouait à plein. Aujourd’hui le ministère de la Coopération est passé sous l’égide du ministère des Affaires étrangères mais, à l’époque, il était relativement indépendant. Il fallait que l’entente soit parfaite entre le ministre de la Coopération et celui des Affaires étrangères mais surtout entre celui de la Coopération et celui des Finances qui gérait plus des deux tiers de l’aide publique au développement. La véritable difficulté résidait dans la coordination des actions des ministères des Finances et de la Coopération, mais s’y attaquer était une partie très difficile, que tous les ministres de la Coopération et des Affaires étrangères ont perdue.

Lors de son arrivée au ministère de la coopération en 1988, M. Pelletier a demandé et obtenu qu’une concertation soit organisée régulièrement entre les différents partenaires. Tous les quinze jours, une réunion se tenait à cet effet à l’Elysée sous l’égide de l’ambassadeur Arnaud, qui s’occupait de la cellule africaine. Elle réunissait le directeur ou le directeur-adjoint du cabinet du ministre des Affaires étrangères, le directeur de cabinet du ministre de la Coopération, un représentant de la Caisse française de développement, un représentant du Trésor et souvent un responsable du cabinet de Matignon. De sorte que tous les quinze jours l’ensemble des problèmes qui touchaient à l’Afrique était examiné. Chacun faisait part de ses informations des quinze jours précédents et les décisions étaient prises dans le cadre de cette réunion. De sorte que pendant les trois ans où il a exercé les fonctions de ministre de la coopération, M. Jacques Pelletier n’a pas constaté de dysfonctionnement.

Au moment des faits que rappelait M. Jean-Pierre Chevènement, concernant le Tchad, le Gabon, les Comores, le ministère de la Coopération était un peu en retrait et celui de la Défense exerçait une influence prépondérante. Toutefois, même dans ces périodes de tensions militaires, une cellule de crise se réunissait fréquemment pour essayer de bien cerner l’ensemble des problèmes et de définir une position commune.

M. Pierre Brana a noté que le déclenchement de l’opération Noroît a été décidée par le Président de la République, chef des armées. Il a cité à ce propos une déclaration du Premier ministre de l’époque, M. Michel Rocard, qui, le 6 octobre 1990, déclarait sur TF1 : "Nous avons envoyé des troupes pour protéger les ressortissants français, rien de plus. C’est une mission de haute sécurité et un devoir républicain mais, en quelques jours, les ressortissants qui le désiraient ont pu être évacués." A ce moment la mission initiale était terminée ; or, les soldats sont restés. Il a demandé s’il y avait eu débat sur ce maintien des troupes et ce qui avait motivé à ce moment-là le changement de perspectives de l’intervention militaire.

Il a estimé que la différenciation sémantique entre " rebelles étrangers " et " réfugiés " voulant revenir par la force dans leur pays n’était pas neutre. Dans un cas, on est en présence d’une invasion étrangère, ce qui peut justifier une assistance ; dans l’autre, c’est une guerre civile et un conflit " rwando-rwandais ".

M. Pierre Brana a relevé que, contrairement à ce qui s’était passé au Burundi après les événements d’août 1988, la guerre d’octobre 1990 au Rwanda n’avait pas abouti à un débat sur la réconciliation nationale. Le Ministre Jacques Pelletier a beaucoup insisté sur ses démarches auprès des différents protagonistes lors de sa mission de novembre 1990. M. Brana lui a demandé à ce propos s’il avait eu la possibilité de dire un peu brutalement au Président Habyarimana qu’il lui fallait faire un effort en vue de la réconciliation nationale sans quoi la France serait amenée à retirer ses troupes ou s’il avait jugé préférable de chercher à gagner du temps.

M. Jacques Pelletier a indiqué que l’on avait envoyé au Rwanda d’abord 150 hommes, puis 300, enfin 600 en 1992-1993.

Le Président Habyarimana appelait le Président Mitterrand toutes les semaines en lui demandant de ne surtout pas retirer les forces françaises. Ces troupes n’ont pas participé à des assauts contre les rebelles qui entraient au Rwanda, mais il est certain que leur présence, à côté des forces belges ou autres, a été dissuasive. On l’a vu un peu partout, notamment au Gabon. Il est vraisemblable que le Président Habyarimana tenait beaucoup à cet effet de dissuasion et souhaitait pour cette raison garder au moins quelques soldats français sur son territoire. A cette époque, les assistants militaires techniques étaient très peu nombreux : dix-sept environ.

Dans l’hypothèse d’une invasion étrangère, la position de la France était justifiée. Il faut rappeler que les deux principaux chefs des rebelles de l’époque étaient chefs d’état-major adjoint et chef de la sûreté de l’armée ougandaise. On pouvait difficilement dire qu’il s’agissait de Rwandais qui revenaient chez eux étant donné les fonctions très importantes qu’ils occupaient dans l’armée d’un pays voisin.

M. Jean-Pierre Chevènement a ajouté que l’on ne pouvait pas parler de changement d’orientations puisque le Président de la République n’avait pas donné d’orientations mais simplement l’instruction de répondre positivement à la demande du Président Habyarimana.

Quant au problème de savoir s’il s’agissait d’une guerre étrangère ou d’une guerre civile, cela ne changeait rien du point de vue de la sécurité des ressortissants français.

M. Jacques Pelletier a expliqué que le Rwanda était le pays d’Afrique où il s’était rendu le plus souvent : sept ou huit fois avant d’être au gouvernement et après. Il a connu beaucoup de Tutsis, de Hutus, de dirigeants et de Français qui y ont travaillé. Il pouvait dire que, dans ses contacts personnels, aussi bien en France qu’à Kigali, il avait été très ferme vis-à-vis du Président Habyarimana, évidemment pas dans une conférence de presse, mais en privé. Le président Habyarimana était un faible et un timide, qui était très vite repris en main par son cercle familial et son entourage immédiat hostiles à toute renonciation à des postes de pouvoir.

M. Bernard Cazeneuve a cité des extraits des télégrammes relatifs à la visite à Kigali de M. Jacques Pelletier au mois de novembre 1990, et notamment le passage suivant : "Nous avons évité le pire, à savoir la guerre tribale, en aidant le Président Habyarimana à reprendre son pays en main... Ainsi s’explique également qu’il nous demande d’intégrer directement notre assistance militaire dans les états-majors."

Ce même télégramme rendait compte d’un entretien avec le président Habyarimana au cours duquel effectivement M. Jacques Pelletier avait exercé des pressions très fortes pour que le Rwanda démocratise son régime. Evoquant la coopération militaire, l’ambassadeur notait : " M. Habyarimana a demandé que celle-ci soit renforcée tant sur le plan matériel que sur celui de l’assistance technique. Il voudrait qu’un conseiller de haut niveau soit placé auprès de son armée pour en diriger la réorganisation, notamment en ce qui concerne l’escadrille, les blindés et les parachutistes. M. Pelletier donne un agrément de principe sur ce point."

M. Bernard Cazeneuve a demandé quelles étaient les raisons qui avaient présidé à cet accord, quel était le rôle qui avait été assigné à l’officier français participant aux réunions de l’état-major rwandais et s’il avait été opportun d’accéder à cette demande.

M. Jacques Pelletier a indiqué qu’à chaque fois qu’il rencontrait le Président Habyarimana, celui-ci demandait des munitions et des équipements supplémentaires. Il y avait en 1990 et 1991, dix-sept coopérants techniques militaires. Certains de ces coopérants pouvaient être dans des états-majors, d’autres sur le terrain, mais c’était peu par rapport aux 5 000 militaires de l’armée rwandaise dont le nombre est passé par la suite à 20 000, puis à 30 000 ou 40 000.

M. Jacques Pelletier a souligné que les autorités françaises n’avaient pas fait, au Président du Rwanda, le promesse formelle de lui accorder une coopération militaire aussi renforcée qu’il le souhaitait.

M. Bernard Cazeneuve a précisé que les témoignages recueillis par la mission et le télégramme qu’il venait de lire, confirmaient qu’un officier français avait participé aux réunions de l’état-major rwandais jusqu’à la fin de l’année 1993.

A propos de la politique d’aide au développement, il a évoqué le rapport de fin de mission de l’Ambassadeur Martres qui soulignait l’augmentation très sensible des décaissements de la France au Rwanda entre 1989 et 1991. Ceux-ci sont passés d’un montant d’environ 120 millions de francs en 1989 à près de 192 millions de francs en 1991.

Il a demandé quelles étaient les raisons de l’accroissement de cette aide et s’il se justifiait par la nécessité d’accompagner la politique d’ajustement structurel afin de faciliter les réformes démocratiques demandées au Président Habyarimana.

Dans son rapport de fin de mission, l’Ambassadeur Martres notait également que deux concours exceptionnels de nature budgétaire ont été octroyés au Rwanda en 1990 et 1991 : un premier de 70 millions de francs en 1990 pour l’achat de l’avion présidentiel et un second, également de 70 millions de francs, en 1991 pour participer au programme d’ajustement structurel.

M. Cazeneuve a souhaité savoir qui avait pris la décision d’affecter cette aide de 70 millions de francs à l’achat de l’avion présidentiel, s’il était judicieux de consacrer une telle somme à cet achat alors que le Rwanda devait précisément conduire une politique d’ajustement structurel.

Il a rappelé qu’il avait été dit à plusieurs reprises devant la mission d’information qu’en novembre 1990, M. Jacques Pelletier, en présence de Jean-Christophe Mitterrand, avait fait pression sur le Président Habyarimana pour que soient supprimées les cartes d’identité qui mentionnaient l’appartenance ethnique des Rwandais. Il a été dit également, mais sans que les choses ne soient vraiment précisées, que le ministère de la Coopération s’était engagé à assurer le suivi de cette affaire pour aider à l’établissement des nouvelles cartes.

M. Cazeneuve a demandé si cette question avait été effectivement évoquée devant le Président Habyarimana, quelle avait été sa réaction et quel suivi de l’application d’une éventuelle décision en ce domaine avait été assuré par l’administration de la Coopération.

M. Jacques Pelletier a apporté des précisions à propos de l’aide accordée au Rwanda. Il y avait dans ce pays à peu près 115 coopérants qui faisaient partie du personnel de la Coopération. Les projets concernaient essentiellement le domaine de la formation qui absorbait 40 % de l’aide, puis le domaine rural qui en représentait 25 % et celui de la santé pour 10 %, le reste était consacré aux routes, aux communications.

Tous les ans, en raison des difficultés économiques dues à la baisse des prix des matières premières dans les différents pays, une mission étudiait, de manière approfondie, le budget de chacun d’eux. Cette mission était composée de représentants du Trésor, de la Caisse française de coopération et du ministère de la Coopération. A leur retour de mission, ces trois personnes formulaient leurs conclusions sur la procédure d’ajustement structurel et précisaient le montant de l’aide qu’il fallait attribuer à tel ou tel pays. Pour le Rwanda, ce montant a représenté à peu près 70 millions de francs.

La décision concernant l’avion a été prise par l’Elysée. Le Président Habyarimana disposait d’une vieille Caravelle qui avait dû être donnée du temps du général de Gaulle et qui avait fait largement son temps. L’enclavement du pays nécessitait pour les déplacements de son président l’octroi d’un avion. La décision a été prise par l’Elysée et un " bleu " de Matignon a accordé à cet effet un budget de 60 millions de francs, imputable sur l’aide budgétaire, pour l’achat d’un Falcon 50 d’occasion et des pièces détachées correspondantes. La décision prévoyait également la mise à disposition d’un pilote, d’un copilote et d’un mécanicien -qui ont été tués dans l’attentat de 1994.

L’affaire a été confiée au ministère de la Coopération, car les autres ministères ne souhaitaient pas s’en charger. Celui-ci a donc acheté, après pas mal d’appels d’offres, un Falcon 50, qui a été payé 57 millions de francs, les 3 millions de francs restants étant consacrés aux pièces détachées.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si le contrat qui liait les membres de l’équipage au ministère de la Coopération, via la Satif, avait été signé dès 1990.

M. Jacques Pelletier a déclaré, qu’à son avis, tous les contrats avaient été signés en 1990. La décision de donner un nouvel avion au Président Habyarimana a été prise au début de 1990, alors qu’il fallait le livrer avant le sommet de la Baule, ce qui ne laissait que trois mois pour procéder à son achat, à sa révision et à son envoi. Tous les contrats ont donc dû être signés à cette époque.

A propos des cartes d’identité, M. Pelletier a confirmé avoir dit au Président Habyarimana en novembre 1990 que le fait qu’elles portent une mention ethnique lui paraissait ahurissant. Le président Habyarimana trouvait cette indication normale car il en avait toujours été ainsi. La pratique en avait été établie du temps des Belges et l’on avait continué. Le président Habyarimana lui avait toutefois dit qu’il pensait que cette mention pouvait être supprimée. A la connaissance de M. Jacques Pelletier, il n’y a pas eu de demandes d’aide du gouvernement rwandais pour la fabrication de cartes d’identité sans mention ethnique. On ne peut donc dire que le ministère de la Coopération ait renâclé. M. Jacques Pelletier a précisé qu’il n’avait pas revu le Président Habyarimana après la réunion où il a eu l’occasion d’évoquer l’indication de l’appartenance ethnique sur les cartes d’identité et qu’on ne lui a plus parlé de cette question.

M. François Lamy a évoqué le témoignage de M. Jean-Christophe Mitterrand selon lequel la principale fonction de la cellule africaine à l’Elysée était une fonction d’information et de conseil. Or, on a pu lire aussi bien dans la presse que dans différentes publications qu’elle pouvait avoir un rôle plus important.

M. François Lamy a également souhaité savoir comment se passait la gestion d’un dossier comme celui du Rwanda au quotidien, qui était amené à prendre des décisions, que ce soit pour des détails ou pour des affaires plus importantes, et si l’on pouvait estimer qu’apparaissaient dans l’appareil d’État certains dysfonctionnements.

Il a également rapporté que la presse estimait que le Président Mitterrand portait une attention très particulière au problème rwandais. Il a demandé à M Jacques Pelletier, qui a indiqué que le Président Habyarimana appelait chaque semaine le Président Mitterrand, ce qui pouvait expliquer cette attention du président Mitterrand et quelles relations directes il entretenait avec le président du Rwanda.

M. Jacques Pelletier a confirmé que l’équipe africaine de l’Elysée était surtout chargée d’informer le Président et de prendre des contacts à sa demande. En général, ces contacts étaient toujours répercutés au niveau du ministère de la Coopération. Il n’y a eu aucun dysfonctionnement pendant les trois ans où il occupait ses fonctions. Il s’est toujours efforcé de coordonner les actions du ministère avec celles des autres acteurs sur le plan national, mais aussi sur le plan international. Avant de partir en novembre pour sa mission d’information, par exemple, M. Jacques Pelletier a rencontré le ministre belge des Affaires étrangères pour s’assurer qu’ils étaient bien sur la même ligne. A chaque voyage dans un pays africain, il rencontrait toujours les chargés de mission des différents pays de l’Union européenne.

En période de crise, la cellule de crise se réunissait parfois tous les jours et même plusieurs fois par jour, surtout quand il s’agissait de l’évacuation de Français. Ce fut le cas, comme le rapportait M. Jean-Pierre Chevènement, à propos du Gabon, du Tchad et du Rwanda à deux reprises. Pour le reste, la mission Noroît échappait au ministre de la Coopération ; elle relevait du domaine militaire, c’est à dire du Président de la République et du ministère de la Défense. Pour ce qui est de la coordination de l’aide, budgétaire notamment, accordée au Rwanda comme aux autres pays, il y avait bien sûr des procédures régulières, qui ont bien fonctionné.

Quant à l’attention particulière accordée au Rwanda par M. François Mitterrand, M. Jacques Pelletier a estimé que les deux présidents s’entendaient bien. Lui-même s’entendait également bien avec le Président Habyarimana, alors qu’il n’en allait pas de même avec le Président Mobutu.

Le président Habyarimana lui a toujours paru être un homme de bonne volonté. Par comparaison avec le Burundi où il y avait eu, en 1988 notamment, des massacres de dizaines de milliers de personnes, le Rwanda apparaissait plus calme et l’on avait l’impression que le Président rwandais s’efforçait sincèrement de marier plus harmonieusement les deux ethnies.

Selon M. Jacques Pelletier, le drame du Burundi et du Rwanda tenait à ce qu’il n’y avait que deux ethnies. Dans la plupart des autres pays d’Afrique, il y en a au moins trois ou quatre. La situation est plus facile à gérer parce qu’il y en a toujours une qui peut s’interposer en cas de conflit entre les autres.

M. Pierre Brana a rappelé que M. Jean-Christophe Mitterrand a rédigé le 19 octobre 1990 une note au Président de la République qui comportait deux parties. La première visait à demander une concertation générale dans la région, ce à quoi M. François Mitterrand a répondu positivement. Dans la seconde partie, il était demandé si une présence militaire française devait être maintenue aussi longtemps qu’une solution n’aurait pas été trouvée. La réponse de François Mitterrand dans la marge fut " non ".

M. Brana a alors demandé si le Président Habyarimana avait été mis en demeure de trouver rapidement une solution, faute de quoi la présence militaire française ne serait pas maintenue.

M. Brana a demandé également si M. Jacques Pelletier avait eu l’occasion d’évoquer à nouveau, après son entretien de novembre 1990, la question des cartes d’identités avec le Président Habyarimana et si notre ambassadeur lui a rappelé la position de la France sur cette question.

M. Jacques Pelletier a déclaré qu’il pensait qu’aucune demande d’aide pour la fabrication de nouvelles cartes d’identité n’avait été faite, mais que cette circonstance n’était pas, en soi, étonnante. La modification des cartes d’identité ne représentait pas une dépense considérable et le Rwanda pouvait la prendre en charge sur son budget ou s’adresser à un autre pays parce que, heureusement, la France n’était pas la seule à avoir une coopération avec le Rwanda. Il est vrai que le ministère aurait probablement dû relancer l’affaire, mais cela n’a pas été fait. M. Pelletier n’a pas su si l’ambassadeur avait renouvelé la demande de suppression de la mention ethnique sur les cartes d’identité. On peut supposer que le Président Habyarimana était de bonne foi mais que son entourage et son équipe rapprochée de Hutus très durs se sont opposés à ce changement.

Il est certain que le Président de la République voulait qu’une concertation s’engage dans la région. En ce qui concerne sa présence militaire, la France a exercé un peu de chantage sur le Président Habyarimana en lui disant qu’elle voulait bien assurer la sécurité du Rwanda mais qu’une ouverture démocratique de son régime était nécessaire. M. Habyarimana a accepté cette demande. Des efforts ont été faits : il a libéré des Tutsis, il a nommé un premier Ministre et promulgué une Constitution. On ne peut pas dire qu’aucune mesure n’ait été prise, mais les changements n’ont pas été conduits assez rapidement. De plus, il est probable qu’une entreprise de sabotage freinait toutes les décisions d’ouverture qui étaient prises et dont certaines auraient pu aller plus loin.

M. Bernard Cazeneuve a demandé à M. Jacques Pelletier s’il avait participé à l’entretien entre le Président Mitterrand et le Président Habyarimana à Paris le 18 octobre et quels en avaient été le contenu et l’ambiance.

M. Jacques Pelletier a répondu qu’il avait assisté à cette rencontre, comme c’était l’usage. L’ambiance était bonne mais le président Mitterrand a été très ferme vis-à-vis du Président Habyarimana à cette occasion, comme dans les lettres qu’il lui a envoyées par la suite. Il le sommait pratiquement de constituer un gouvernement aussi bien avec l’opposition intérieure hutue qu’avec les Tutsis de l’intérieur et les rebelles de l’extérieur qui ne demandaient pas mieux.

Dans l’ultime gouvernement, sur vingt ministres, seuls cinq appartenaient à l’ancien parti unique du Président Habyarimana. Les efforts déployés pour la démocratisation du Rwanda avaient malgré tout payé, peut-être trop tard. Il est certain que le Président Habyarimana, à la fin de l’exercice, était très " dévalué ". Il avait beaucoup moins d’autorité, ce qui a peut-être contribué aux événements de 1994.

M. François Lamy a demandé des précisions concrètes sur la création en mars 1991 d’un détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) qui dépendait administrativement du ministère de la Coopération.

M. Jacques Pelletier a répondu que la création de ce détachement a été décidée dans le bureau de l’Ambassadeur Arnaud et qu’ensuite, la consigne a été donnée au ministre de la Défense de le mettre en place puisque ces personnels sont pris sur ses effectifs militaires.

M. François Lamy a demandé s’ils étaient gérés administrativement par le ministère de la Coopération.

M. Jacques Pelletier a précisé qu’ils étaient payés par le ministère de la Coopération. Il a expliqué qu’en février 1991, l’envoi d’un DAMI de trente hommes a été décidé pour renforcer les dix-sept assistants techniques. Ces militaires étaient en principe envoyés au Rwanda pour une période très courte, de quatre ou cinq mois, alors que les personnels d’assistance technique l’étaient pour plusieurs années.

M. François Lamy a observé que cette situation posait un problème : les instructions initiales sont données par le chef d’état-major des armées et l’on passe ensuite à une gestion administrative par le ministère de la Coopération. Il a demandé quel était le rôle des militaires de la rue Monsieur et leurs relations avec les militaires en coopération.

M. Jacques Pelletier a indiqué que le colonel Galinié était chargé, à l’époque, de diriger à Kigali l’ensemble des personnels militaires, aussi bien assistants techniques que membres du DAMI. Le général qui commandait la mission militaire de la coopération à Paris et le colonel qui commandait sur place correspondaient entre eux et étaient également en liaison avec l’état-major des armées, bien évidemment.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr