Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a rappelé brièvement les fonctions successives occupées par M. Claver Kanyarushoki. De 1991 à 1992, il a participé, en tant que chef de la délégation du gouvernement rwandais, aux négociations de paix entre le Rwanda et le FPR, puis à celles d’Arusha de juillet 1992 à août 1993, en tant qu’adjoint au chef de la délégation du gouvernement rwandais. Il s’est ensuite trouvé aux Nations unies, après août 1993, pour négocier le déploiement d’une force de maintien de la paix et les discussions auxquelles il a participé ont débouché, le 5 octobre 1993, sur la création de la MINUAR. Il est arrivé en France le 1er septembre 1994 après avoir participé aux efforts de relance des négociations de paix à Kampala, en avril 1994, et à Arusha en mai 1994. Il a alors refusé le poste de ministre du Plan que lui proposait le premier gouvernement du FPR parce qu’il considérait que celui-ci ne voulait plus mettre en oeuvre les accords de paix d’Arusha.

M. Claver Kanyarushoki a indiqué qu’il avait eu à traiter, lors des discussions de paix, du problème de la présence des forces étrangères au Rwanda. Il a souligné que le FPR avait toujours demandé que le retrait de ces forces soit une partie intégrante des différents accords de cessez-le-feu et en avait toujours fait un préalable à la poursuite de toute négociation.

Il a précisé que tous les efforts menés pour prévenir la guerre avaient porté sur la résolution du problème des réfugiés qui a mal été géré du côté rwandais. En 1990, on avait toutefois sérieusement commencé à s’en occuper. Une commission mixte ministérielle rwando-ougandaise à laquelle ont participé l’OUA et le HCR avait poursuivi ses travaux jusqu’à un stade très avancé et avait élaboré un plan d’action pour résoudre la question des réfugiés rwandais. La dernière réunion de cette commission s’est tenue du 27 au 30 juillet 1990 à Kigali.

Le plan qu’elle avait élaboré n’a pu aboutir car le FPR craignait de perdre la légitimité de son mouvement et celle d’une attaque armée contre le Rwanda une fois que le problème des réfugiés aurait été résolu. Il serait intéressant de comparer toutes les causes présentées par le FPR pour justifier la guerre et les tentatives de résolution de ce problème des réfugiés.

Après le déclenchement de la guerre, des efforts ont été entrepris pour essayer de résoudre le conflit par les négociations. Il y a eu des négociations secrètes et des négociations officielles, côté politique et côté politico-militaire. Il y en a même eu à Paris, qui ont impliqué le FPR et le gouvernement rwandais, et d’autres impliquant directement le gouvernement rwandais et le gouvernement ougandais. M. Claver Kanyarushoki a évoqué une réunion tripartite qui a eu lieu à Paris, le 14 août 1991, entre les ministres des Affaires étrangères rwandais et ougandais et le directeur du département Afrique au Quai d’Orsay. Lors de cette réunion, l’aide de la France a été sollicitée pour départager les deux pays qui s’accusaient mutuellement d’agression. Suite à cette réunion, la France a envoyé la Mission d’observation française (MOF) à la frontière rwando-ougandaise, entre novembre 1991 et mars 1992.

Des représentants du Rwanda et de l’Ouganda, se sont à nouveau retrouvés, le 20 juin 1992, à Paris, pour recevoir les conclusions de cette mission. Il avait été demandé que la France utilise éventuellement des moyens technologiques pour vérifier si des troupes et des matériels de guerre franchissaient la frontière en provenance de l’Ouganda.

Il y a eu ensuite les négociations d’Arusha mais aussi des négociations bilatérales à Paris, au Quai d’Orsay, entre le FPR et le gouvernement rwandais, en octobre 1991 et en janvier 1992.

En juin 1992, s’est tenue une réunion entre le gouvernement rwandais et le FPR au Centre Kléber de Paris pour déterminer le nouveau programme des négociations. C’était après la mise en place, en avril 1992, du gouvernement de coalition à Kigali. C’est à partir de cette réunion de juin 1992, à Paris, que l’on a décidé d’aller à Arusha afin d’y poursuivre les négociations et de relancer les discussions en vue d’un accord de cessez-le-feu. Cet accord de cessez-le-feu a été finalement conclu à Arusha du 10 au 12 juillet 1992 et a été suivi de négociations politiques pendant plus de douze mois.

La participation des troupes ougandaises au conflit a surtout consisté à accorder un appui logistique plus qu’à intervenir directement, même si on a assisté, à des moments critiques, notamment en février 1993, à des entrées sur le territoire rwandais de quelques bataillons ougandais qui se sont rapidement repliés en Ouganda pour laisser le FPR occuper les positions qu’ils avaient aidé à conquérir.

M. Claver Kanyarushoki a souligné que les efforts de la France ont beaucoup contribué à l’apaisement du conflit et ont poussé le gouvernement rwandais au compromis. La France a joué un grand rôle dans toutes les négociations, notamment avec la participation d’observateurs à Arusha. Elle a contribué à l’adoption des résolutions des Nations unies concernant le Rwanda relatives notamment à la MONUOR, à la MINUAR, et à l’Opération Turquoise.

Le Président Paul Quilès a demandé qui composait la délégation rwandaise aux accords d’Arusha et selon quelles modalités le président Habyarimana participait à ses décisions. Il a souhaité obtenir des précisions sur l’organisation des discussions avec le FPR.

Le Président Paul Quilès s’est également préoccupé de connaître les positions des principaux pays membres du Conseil de sécurité lors du vote sur le déploiement d’une force de maintien de la paix au Rwanda ainsi que celles du Secrétaire général de l’ONU et de son adjoint responsable des opérations de maintien de la paix.

M. Claver Kanyarushoki a précisé que la délégation du gouvernement rwandais aux négociations d’Arusha était dirigée par le ministre des Affaires étrangères, issu du parti MDR (Mouvement démocratique républicain). Le gouvernement de coalition constitué en avril 1992 comprenait en effet des représentants de quatre ou cinq partis politiques, dont le principal parti d’opposition, le MDR, qui avait obtenu les postes de Premier ministre et de ministre des Affaires étrangères.

Le gouvernement a décidé de changer le chef de délégation au moment où allait s’engager, en février 1993, une série de discussions sur l’intégration des forces armées des deux parties au conflit. Le ministre des Affaires étrangères a alors été remplacé par le ministre de la Défense. La série de discussions n’a pas débuté officiellement, puisque le FPR a bloqué les négociations en exigeant que le gouvernement rwandais démette plusieurs responsables des préfectures où s’étaient déroulés des massacres. Il a lancé, le 8 février 1993, une offensive généralisée qui a mis fin, temporairement, aux négociations.

Les négociations ont repris en mars 1993, avec à nouveau le ministre des Affaires étrangères comme chef de délégation. M. Claver Kanyarushoki était alors son adjoint.

Au début des négociations d’Arusha, les partis autres que le MDR ou le MRND, ont demandé à être représentés dans la délégation du gouvernement rwandais. Cette demande a été formulée après le premier " round " des négociations d’Arusha, qui avait traité de l’Etat de droit. A partir du mois d’octobre 1992, quand le protocole sur le partage du pouvoir a commencé à être négocié, participaient également aux discussions des représentants du parti libéral, du parti social-démocrate et du parti démocrate chrétien. La délégation rwandaise était alors censée comprendre des représentants de tous les partis représentés au gouvernement.

Les négociations s’organisaient autour du médiateur, que l’on appelait " facilitateur ". Ce rôle de médiateur revenait à la république de Tanzanie, dont la délégation était dirigée au début par des ministres puis par le directeur des Affaires africaines du ministère des Affaires étrangères. Etaient également présents plusieurs observateurs dont la France, l’Allemagne, la Belgique et les Etats-Unis. L’OUA a été très active dans ce processus de négociation ainsi que les Nations unies. La plupart du temps, l’ordre du jour était fixé à l’avance. Des négociations bilatérales s’engageaient directement entre le FPR et la délégation du gouvernement rwandais, sous la présidence du représentant du médiateur. Parfois, il y avait des huis clos. Avant d’entamer la discussion d’un point de l’ordre du jour, chacun exposait son point de vue. En cas de blocage, on recourait au facilitateur et aux observateurs lors des réunions en séance plénière.

S’agissant du processus de décision au sein la délégation rwandaise, M. Claver Kanyarushoki a précisé que le ministre chef de la délégation était en permanence en relation avec le Premier ministre. Il a indiqué qu’il avait beaucoup plus de facilité à communiquer avec le Premier ministre, qui était de son parti, qu’avec le Président. Le conseil des ministres se réunissait à Kigali en cas de blocage ou pour chaque décision sur des points importants. Il y a eu de nombreux blocages concernant l’intégration des forces armées. Il y avait déjà eu des problèmes sur le partage du pouvoir dans les ministères. La délégation préparait à Arusha les propositions de compromis ou les positions que le gouvernement adoptait par la suite et qu’il lui transmettait.

Lors de la négociation relative à la création de la MINUAR, le point de vue de la délégation rwandaise n’a pas varié. Compte tenu de l’incapacité de l’OUA à gérer l’intervention des observateurs chargés de surveiller le cessez-le-feu, le gouvernement rwandais avait demandé que les Nations unies prennent en charge le contrôle de l’application des accords de paix lorsqu’ils seraient conclus. Le FPR y était totalement opposé ; il ne voulait pas entendre parler des Nations unies et préférait rester dans le cadre de l’OUA. De toute évidence, le FPR ne voulait pas d’un processus de paix sérieusement surveillé et d’une force qui aurait pu s’imposer en cas de besoin. La délégation du gouvernement rwandais a toutefois continué de soutenir la proposition d’une force de maintien de la paix des Nations unies et le FPR s’y est finalement rallié.

S’agissant de la position des pays membres du Conseil de sécurité, M. Claver Kanyarushoki a souligné que la France avait pratiquement piloté, de bout en bout, les négociations sur la résolution créant la MINUAR, adoptée le 5 octobre 1993. Les autres pays, en règle générale y étaient favorables. Le problème concernait plutôt le niveau des effectifs de cette force et sa mission. Une certaine résistance provenait des Etats-Unis et une visite à Washington d’une délégation conjointe du gouvernement rwandais et du FPR a été nécessaire pour que les Etats-Unis lèvent leur réserve. C’était peu après la débâcle de la Somalie et les Etats-Unis ne voulaient pas être impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans d’autres opérations de maintien de la paix.

Chacun était conscient toutefois de la nécessité d’obtenir une force pour la mise en oeuvre des accords d’Arusha, qui avaient été très longs à négocier. Les Etats-Unis ont finalement accepté que cette force soit créée à la condition de réduire de façon drastique ses effectifs et sa mission. Le Secrétaire-général des Nations unies et son adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, soutenaient pour leur part sa création.

Le Président Paul Quilès a rappelé pour leur part que le représentant de la France aux négociations d’Arusha a fait part devant la Mission de dissensions qui se manifestaient de manière quasi-publique entre les membres de la délégation rwandaise.

M. Claver Kanyarushoki a précisé que la délégation du gouvernement rwandais, comme celle du FPR, était composée de membres issus des partis politiques, de l’administration, mais aussi des forces armées. Parmi ces derniers, il y avait le Colonel Bagosora. Il y a eu effectivement des dissensions et quelques éclats au sein de la délégation. Ayant dû s’absenter pour apporter un message au président ougandais, M. Claver Kanyarushoki a précisé qu’il n’était pas présent à Arusha entre les 4 et 12 décembre 1992, mais qu’il avait appris qu’il y avait eu alors un très grave incident qui ne provenait pas du colonel Bagosora ou des membres des forces armées, mais d’un des militants du MRND qui faisait partie de la délégation. Ce dernier avait pratiquement désavoué le ministre des Affaires étrangères, qui était chef de la délégation.

A partir d’octobre 1992, les désaccords au sein du gouvernement de coalition à Kigali se transposaient au sein de la délégation, qui était devenue une mosaïque des représentants de différents partis, qui provoquaient parfois quelques incidents. Il y a eu cet éclat où un membre du MRND, suivi par les autres membres de son parti, a claqué la porte. Ces manifestations de désaccord avaient toutefois lieu lors des séances de discussions internes à la délégation qui précédaient les rencontres avec le FPR ou les séances plénières en présence des observateurs.

Lorsque des concessions ont été faites dans la négociation du protocole sur l’intégration des forces armées, il y a eu aussi des éclats de voix entre le colonel Bagosora et le ministre des Affaires étrangères à propos de questions sur lesquelles ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord. Bagosora étant pratiquement le plus gradé des militaires, il assumait de fait le leadership des membres de la délégation appartenant aux forces armées.

M. Pierre Brana a supposé que le président Habyarimana avait dû demander au président Museveni de cesser ou de diminuer son aide au FPR. Il a souhaité connaître l’attitude du président de l’Ouganda lorsqu’il recevait ces demandes.

Il a demandé également si le président Museveni n’aurait pas été mécontent de voir les réfugiés rwandais quitter l’Ouganda comme peut le laisser supposer le vote -si cette information est exacte-, en octobre 1990, d’une loi interdisant aux étrangers d’acheter des terres dans ce pays. Il a voulu savoir si cet élément avait pesé dans l’esprit des dirigeants du FPR, lors du déclenchement de l’offensive d’octobre 1990 .

Il a voulu connaître également l’attitude du président Museveni au moment des négociations d’Arusha, notamment à l’égard du FPR.

Il s’est enfin interrogé sur la politique des Etats-Unis à l’égard de l’Ouganda et sur l’aide qu’ils ont pu apporter à ce pays.

M. Claver Kanyarushoki a souligné que le président Museveni avait un ascendant, qu’il a dû conserver, sur le FPR. Chaque fois qu’il y avait dans les négociations des blocages, de la part du FPR, sur des questions que le président Museveni considérait comme secondaires, voire puériles, il intervenait souvent pour les lever.

L’influence qu’il avait sur le FPR était déterminante. En témoignent les diverses démarches des délégations de différents pays, y compris de la France et des Etats-Unis, ainsi que du médiateur tanzanien. Lorsqu’il y avait un blocage provenant du FPR, tout le monde allait à Kampala. Généralement, le président ougandais, très attentif, parvenait à lever ces blocages.

La présence des réfugiés en Ouganda et les difficultés qu’elle créait pour le gouvernement et même le président ougandais qui était traité de Rwandais par l’opposition, ont certainement joué dans le sens du laissez-faire. Ce n’était un secret pour personne que les réfugiés rwandais, de 1986 à 1990, ont procédé à la formation d’une armée distincte au sein de l’armée ougandaise. Leur action était facilitée par la position des officiers d’origine rwandaise au sein de la NRA, l’un d’entre eux, le général-major Rwigyema, occupant même le poste de vice-ministre de la Défense et de commandant en second des forces armées ougandaises. De nombreux autres officiers d’origine rwandaise, y compris Paul Kagame, occupaient également des positions stratégiques au sein de l’armée ougandaise.

Le souci de résoudre le problème des réfugiés qui gênait beaucoup le président ougandais et son parti, les a certainement incités à laisser le FPR agir à sa guise. Le président ougandais et ses proches craignaient, en cas d’échec, de revoir " tout ce petit monde " revenir en Ouganda. Les militaires d’origine rwandaise étaient cependant partis avec armes et bagages. D’ailleurs, dans la foulée de la première offensive, un grand nombre de réfugiés civils excités avaient suivi le mouvement.

M. Claver Kanyarushoki a jugé que, globalement, le président Museveni avait joué un rôle modérateur lors des négociations d’Arusha même si, lorsqu’il n’était pas d’accord avec certaines positions du gouvernement, il confortait le FPR dans l’intransigeance.

M. Claver Kanyarushoki a déclaré qu’il avait toujours entretenu de très bonnes relations avec les trois ou quatre ambassadeurs américains qui se sont succédés en Ouganda, tout au long de son séjour. En 1987, le président rwandais avait demandé au Département d’Etat américain, lors d’une visite à Kigali du sous-secrétaire d’Etat chargé des Affaires africaines, de vérifier si une invasion était préparée par le FPR au sein de l’armée ougandaise. L’ambassadeur des Etats-Unis à Kampala avait été chargé d’effectuer cette vérification. Il avait cru obtenir l’assurance que les réfugiés rwandais, au sein de l’armée ougandaise, n’étaient pas du tout intéressés par leur retour au Rwanda et préféraient être intégrés en Ouganda. L’ambassadeur américain avait, de fait, posé la question au vice-premier ministre ougandais qui était un proche du FPR.

Au fur et à mesure des péripéties, des négociations, des offensives et des violations de cessez-le-feu, l’ambassadeur des Etats-Unis à Kampala, comme l’ambassadeur de France, ont incité le président ougandais, au cours de leurs fréquents entretiens avec lui, à interrompre son aide au FPR ou à agir sur lui pour favoriser les négociations.

Les Etats-Unis ont toujours refusé d’aider à établir que des troupes et des camions chargés de matériels militaires passaient régulièrement la frontière ougandaise à destination du Rwanda. Ils affirmaient qu’ils n’observaient pas de mouvement de ce type et qu’ils n’allaient pas mobiliser leurs moyens satellitaires pour surveiller la frontière rwando-ougandaise. M. Claver Kanyarushoki s’est pourtant déclaré convaincu que les moyens d’observation des Etats-Unis avaient permis de voir des mouvements dont les autorités américaines ne voulaient pas faire état.

Le président Museveni a avoué lui-même que le FPR bénéficiait de l’aide des renseignements militaires ougandais, étant donné que M. Kagame n’avait pas coupé le cordon ombilical avec ce service. M. Claver Kanyarushoki a relaté que l’ambassadeur des Etats-Unis lui avait confié être persuadé que l’Ouganda apportait son aide au FPR. Sa divergence avec lui portait uniquement sur l’importance supposée de l’aide accordée.

M. Claver Kanyarushoki a fait part d’informations selon lesquelles du matériel militaire américain a été acheminé à travers l’Ouganda à destination de la guérilla soudanaise, la SPLA, de John Garang. Il n’a pas pu vérifier ces informations mais il a déclaré posséder de fortes présomptions qu’il y avait des prélèvements sur ces lots en faveur du FPR. Il n’avait toutefois pas de certitudes à ce sujet et s’interrogeait sur les éventuelles réactions américaines face à de telles pratiques, dans l’hypothèse où elles auraient été constatées.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr