Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a accueilli M. Herman Cohen, sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires africaines du gouvernement américain entre avril 1989 et avril 1993. Il a précisé que M. Herman Cohen avait participé, à plusieurs reprises, en tant qu’observateur, aux négociations entre les représentants du gouvernement rwandais et ceux du FPR.

M. Herman Cohen a souligné tout d’abord que la France n’était pas le seul gouvernement à avoir soutenu le président Habyarimana qui a reçu en son temps l’appui des Etats-Unis, de l’Allemagne, des Nations unies, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international. Tous considéraient le gouvernement du Rwanda comme légitime et méritant une aide. A Washington, l’Agence pour le développement international (USAID) notamment était très satisfaite du Rwanda, en raison du succès de son programme d’ajustement structurel.

M. Herman Cohen a affirmé que l’invasion du 1er octobre 1990 avait surpris les Etats-Unis qui n’en avaient pas été avertis, malgré leurs excellentes relations bilatérales et leur programme de coopération militaire avec l’Ouganda, et le fait que M. Kagame ait étudié dans une école militaire américaine. M. Herman Cohen a déclaré qu’il avait reproché à l’époque à l’ambassade américaine à Kampala et aux services de renseignements de ne pas avoir été à même de prévoir cette attaque.

M. Herman Cohen a relaté que, le 1er octobre 1990, il était à New York, avec le président Bush et le secrétaire d’Etat Baker, pour une réception offerte aux chefs d’Etat africains qui participaient au sommet de l’Enfant. A l’annonce de l’attaque du FPR, les présidents Habyarimana et Museveni qui étaient présents se sont retirés pour en discuter, le président Museveni affirmant qu’il n’était au courant de rien.

Les Etats-Unis n’avaient pas lieu d’être satisfaits de cette invasion. Le FPR n’était pas accueilli à bras ouverts par la population rwandaise, ce qui mettait à bas la thèse d’une armée de libération. Cette attaque était même critiquée par certains Tutsis qui disaient que, si le FPR gagnait la guerre, les Tutsis rwandais en feraient les frais et qu’ils seraient tous tués. La première conséquence de cette invasion a d’abord été une catastrophe humanitaire qui a jeté sur les routes 250 000 réfugiés. L’invasion, qui survenait en outre à la fin du programme d’ajustement structurel, contraignait le Rwanda à accroître ses dépenses budgétaires pour acheter des armes et pour augmenter les effectifs de l’armée, qui passaient de 5 000 à 50 000 hommes. Il n’est donc pas étonnant que les Etats-Unis se soient réjouis de l’arrivée des soldats français. Cette intervention permettait de stabiliser le front, d’atténuer la catastrophe humanitaire et d’ouvrir un espace pour les négociations.

Entre octobre 1990 et avril 1992, la politique des Etats-Unis a été volontairement peu active au Rwanda. Il faut rappeler qu’ils étaient alors très occupés par leur rôle de médiateur en Angola, au Mozambique, au Soudan et en Éthiopie. Le Rwanda était moins prioritaire. La France et la Belgique y étaient en revanche présentes et l’OUA avait décidé de prendre en mains les négociations.

M. Herman Cohen a relaté qu’il s’était rendu à Kampala le 8 et 9 mai 1992 pour y rencontrer le président Museveni. L’ambassadeur américain au Rwanda estimait alors que les Etats-Unis pouvaient faciliter les négociations. M. Herman Cohen a donc demandé au président Museveni de faire pression sur le FPR pour qu’il accepte de négocier de bonne foi. Le président Museveni a donné son accord, à la condition que l’on fasse également pression sur le président Habyarimana car il estimait que l’origine du conflit était rwandaise et non ougandaise. Lors de son séjour au Rwanda les 10 et 11 mai, M. Herman Cohen a déclaré avoir découvert que l’ancien système de parti unique avait disparu, remplacé par un système multipartite, à l’occasion notamment d’une grande manifestation organisée en son honneur, par l’opposition, dans les rues de Kigali. Il a rencontré le président Habyarimana qui lui a fait observer que le problème était, pour lui, d’abord ougandais et non rwandais.

M. Herman Cohen a relaté qu’il avait passé beaucoup de temps avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères rwandais qui étaient des responsables de l’opposition. Il a été étonné de constater qu’eux aussi étaient opposés à la perspective de négociations avec le FPR car ils en avaient peur. M. Herman Cohen a dû les persuader d’accepter ces négociations. Finalement, le ministre des Affaires étrangères rwandais s’est rendu dans cet esprit à Kampala le 24 mai.

Le 6 juin 1992, les discussions préliminaires ont commencé à Paris. Le samedi 20 juin, une réunion s’est tenue dans cette ville entre M. Dijoud, directeur des Affaires africaines et malgaches, M. Ssemogerere, ministre des Affaires étrangères de l’Ouganda et M. Herman Cohen. Cette réunion avait été suscitée par M. Dijoud qui avait demandé à M. Herman Cohen de l’appuyer auprès du ministre ougandais afin que ce dernier obtienne du FPR qu’il renonce aux conditions inadmissibles qu’il avait posées en préalable à toute négociation, notamment la démission du gouvernement Habyarimana. Au cours de cet entretien, M. Ssemogerere s’est défendu de toute aide au FPR mais M. Herman Cohen lui a précisé que les Etats-Unis dépensaient des millions de dollars en aide humanitaire au Rwanda et que si cette situation se prolongeait, ils seraient obligés de réduire, par mesure d’économie, leur contribution en faveur de l’Ouganda. M. Ssemogerere en a pris acte et est rentré à Kampala. Le 12 juillet suivant, les négociations d’Arusha commençaient. Indéniablement, c’était le résultat des pressions conjointes de la France et des Etats-Unis sur les gouvernements rwandais et ougandais.

Les Etats-Unis avaient envoyé un observateur aux négociations d’Arusha, l’ambassadeur David Rawson. Ses instructions étaient d’encourager les discussions susceptibles de conduire à un système démocratique au Rwanda. L’OUA a joué un grand rôle dans les négociations, en particulier le ministre des Affaires étrangères de la Tanzanie.

M. Herman Cohen a indiqué qu’il n’avait pas personnellement suivi les négociations d’Arusha de très près. Mais fin 1992 et début 1993, il a commencé à recevoir des signaux indiquant que la situation évoluait de manière défavorable. La CIA a fait une analyse, fin 1992, selon laquelle, il serait impossible d’appliquer les accords. A Arusha, un siège restait vide, celui du président Habyarimana qui n’était pas présent. Le ministre des Affaires étrangères du Rwanda négociait de fait sans l’appui du président Habyarimana et il semblait impossible d’envisager la mise en oeuvre d’accords obtenus dans ces conditions.

M. Herman Cohen s’est déclaré avoir été un peu choqué de constater que les accords d’Arusha attribuaient au FPR 50 % des officiers et 40 % des effectifs de l’armée, et qu’il permettaient à six cents de ses soldats de stationner au Rwanda pendant la période de transition. Il s’est souvenu avoir dit que cette concession provoquerait des réactions hystériques parmi la population hutue. Il était donc très pessimiste lorsqu’il a quitté ses fonctions en avril 1993. M. Herman Cohen a, au reste, souligné le rôle positif qu’avait joué la France tant par la présence de ses soldats que par son action diplomatique.

M. Herman Cohen a déclaré qu’après le déclenchement du génocide, il avait été très fâché de l’attitude du gouvernement des Etats-Unis qui avait empêché une intervention de l’ONU. Il l’a même écrit dans un article paru dans le Washington Post du 4 juin. Il a estimé que l’opération Turquoise avait été le seul effort entrepris pour sauver la vie des Tutsis et il a chiffré entre 20.000 ou 40.000 le nombre de Tutsis ainsi épargnés grâce à la France.

Le Président Paul Quilès a demandé M. Herman Cohen s’il avait été informé des rencontres entre des représentants du FPR et du gouvernement rwandais, organisées à Paris entre octobre 1991 et janvier 1992.

M. Herman Cohen a répondu qu’il en était tenu informé par l’ambassade des Etats-Unis à Paris, même s’il n’avait pas beaucoup de détails.

Le Président Paul Quilès a interrogé M. Herman Cohen sur la politique africaine des Etats-Unis dans la région des Grands Lacs et s’il était vrai qu’ils considéraient l’Ouganda et le président Museveni comme un point d’appui contre toute tentative de déstabilisation de la région en provenance notamment du Soudan.

M. Herman Cohen a confirmé que les Etats-Unis étaient très favorables à l’Ouganda et au président Museveni pour plusieurs raisons. Ce dernier était considéré comme une personnalité nouvelle aux idées modernes, qui cherchait à bâtir une économie de marché. Il est vrai que les Etats-Unis craignaient une déstabilisation en provenance du Soudan mais ils ont toujours refusé, du moins lorsque M. Herman Cohen était aux affaires, de vendre des armes à l’Ouganda bien que M. Museveni disait craindre une invasion des forces soudanaises. Cette crainte paraissait non fondée à M. Herman Cohen qui faisait observer que la principale menace consistait surtout dans l’appui que le Soudan accordait aux rebelles de l’Ouganda.

M. Herman Cohen a démenti à ce propos que les Etats-Unis aient fourni des armes à M. Museveni pour qu’il les partage avec le FPR. Certes, l’administration Clinton a décidé de fournir des matériels militaires à l’Ouganda mais il ne s’agissait pas d’armes, mais simplement de camions et d’uniformes.

Le Président Paul Quilès a demandé si M. Herman Cohen possédait des informations sur les sources d’approvisionnement en armes et munitions du FPR.

M. Herman Cohen a précisé qu’elles avaient été prélevées sur les stocks de l’Ouganda. Les responsables du FPR faisant partie de l’armée ougandaise, ils avaient accès aux armes qui se trouvaient dans ses stocks. Des armes ont également été prises à l’armée rwandaise.

M. Pierre Brana a demandé si, au sein de l’ONU, les interventions des Etats-Unis allaient dans le même sens que celles de la France qui tendaient à éviter toute solution militaire risquant de déboucher sur des massacres.

M. Herman Cohen a expliqué que, lorsqu’il était aux affaires, l’ONU n’était pas encore partie prenante aux discussions qui demeuraient bilatérales entre l’Ouganda et le Rwanda. Les Etats-Unis ont toujours soutenu des négociations qui amèneraient une transition démocratique au Rwanda. Ils encourageaient à l’époque les efforts de l’OUA qui leur semblait devoir être privilégié par rapport à l’ONU.

M. Pierre Brana a demandé si, avec le recul du temps, M. Herman Cohen avait le sentiment que M. Museveni s’était servi davantage des Etats-Unis que les Etats-Unis de lui et s’il en était de même pour M. Habyarimana avec la France.

M. Herman Cohen a rapporté que le président Museveni pensait, avec raison, que les Etats-Unis seraient réticents à critiquer publiquement l’Ouganda pour l’invasion du Rwanda par le FPR. Ce fut sans doute une erreur de Washington de ne pas demander qu’il soit mis fin à l’invasion et que les envahisseurs se retirent en Ouganda. Les Etats-Unis ont surtout pensé à utiliser cette invasion comme un moyen d’encourager des négociations entre Rwandais pour une transition démocratique.

M. Herman Cohen a estimé que la France avait eu tort d’accorder trop sa confiance à M. Habyarimana et de dire à l’avance, qu’elle serait à ses côtés quelle que soit la situation, et quoi qu’il fasse sur le plan militaire et politique. C’était, au demeurant, la même situation des deux côtés. La France et les Etats-Unis étaient tous les deux trop gentils avec leur "client" respectif.

M. Pierre Brana a demandé quelle était l’attitude de Mobutu à l’égard d’Habyarimana et de Museveni et si la déstabilisation du Rwanda a été la cause de la chute du régime zaïrois.

M. Herman Cohen a déclaré que Mobutu haïssait Museveni. Il le regardait comme un jeune arriviste moderne tout en sachant que Museveni le considérait comme un représentant des dictateurs de l’ancien style, et le détestait en retour. Mobutu, qui était très ami avec Habyarimana était, par ailleurs, convaincu que l’armée ougandaise appuyait Kabila.

Mobutu croyait, après le déclenchement du génocide, que les Hutus allaient gagner. Il fondait son jugement sur l’idée qu’il était impossible que les Tutsis tuent tous les Hutus. Il soutenait les Hutus, également pour des raisons intérieures, car au Zaïre même il y avait une minorité tutsie qui n’était pas bien vue par le reste de la population.

M. Pierre Brana a demandé quels étaient les intérêts géopolitiques des Etats-Unis dans la région des Grands lacs.

M. Herman Cohen a estimé que, si l’on mettait à part le problème du Soudan, il n’y avait pas de réelle stratégie géopolitique des Etats-Unis dans cette région, du fait notamment de l’absence de ressources naturelles. Ils considéraient toutefois l’Ouganda comme un pays ayant de grandes chances de se développer, avec une bonne politique économique.

M. Pierre Brana a demandé si M. Herman Cohen pensait que les Etats-Unis avaient tout fait pour retarder le moment où les Nations unies auraient utilisé le terme de génocide, afin d’échapper à l’obligation d’intervention.

M. Herman Cohen a répondu par l’affirmative. Après l’épisode somalien, les Etats-Unis étaient devenus allergiques à toute intervention militaire de l’ONU dans les pays sous-développés. M. Lake, qui était chargé de la sécurité nationale à la Maison Blanche, a donné en 1997 une interview où il reconnaissait n’avoir pas voulu, à l’époque, envoyer au Rwanda des soldats qui risquaient de subir le même sort qu’en Somalie. Mais il n’était pas prêt non plus à permettre l’envoi d’une force africaine qui aurait été disponible et que le Secrétaire général de l’OUA avait promise si on lui avait fourni la logistique.

Les américains, qui ont longtemps refusé de reconnaître le génocide, pour échapper aux conséquences juridiques d’une telle reconnaissance, n’ont pas voulu non plus approuver une action du Conseil de sécurité.

M. Herman Cohen a estimé que la défaite de Mobutu a été d’abord provoquée par sa propre attitude. Il n’a rien fait, dans les camps, pour séparer les réfugiés de ceux qui avaient perpétré le génocide. Il a voulu, au contraire, aider les responsables du génocide à attaquer le Rwanda. De ce fait, le nouveau gouvernement rwandais a décidé de détruire les camps, alors même que la communauté internationale ne faisait rien. A cette occasion, le Rwanda s’est aperçu que l’armée du Zaïre n’était pas une vraie armée, et le résultat a été l’arrivée de Kabila au pouvoir. L’effet domino a donc joué mais de manière indirecte.

M. François Loncle a rappelé que M. Roland Dumas s’était plaint devant la Mission de l’attitude de M. Herman Cohen. Il a demandé si, dans les moments décisifs, il y avait eu des différences d’appréciation très nettes entre la France et les Etats-Unis.

M. Herman Cohen s’est déclaré très étonné du sentiment de M. Roland Dumas étant donné qu’il passait très souvent à Paris où il avait de nombreux entretiens avec MM. Dijoud, de la Sablière, Jean-Christophe Mitterrand ou Delaye. Aucune demande d’entretien, à sa connaissance, ne lui a été adressée par M. Dumas, sinon M. Herman Cohen aurait considéré comme un honneur de rencontrer le ministre.

M. François Loncle a demandé quelle était la nature exacte de l’aide américaine au FPR et ce qu’il pensait des thèses selon lesquelles les Etats-Unis auraient pris une part dans l’attentat du 6 avril 1994.

M. Herman Cohen a affirmé que les Etats-Unis n’apportaient aucune aide au FPR. Une douzaine d’officiers du FPR avait suivi des cours aux Etats-Unis, mais c’était dans le cadre de la coopération militaire américaine avec l’Ouganda. Ils avaient reçu cette formation en tant que militaires ougandais. Il a souligné par ailleurs que les Etats-Unis avaient toujours refusé les propositions d’achat d’armes du Président Museveni, et que le FPR ne pouvait donc en bénéficier par cet intermédiaire.

M. Herman Cohen s’est déclaré très étonné de la théorie d’un complot anglo-saxon contre les intérêts de la France qui ne correspondait à aucune réalité. Si les Etats-Unis avaient voulu entreprendre une action contre les intérêts français en Afrique, ils n’auraient pas commencé par le Rwanda, car c’est un pays de très petite importance. Les Etats-Unis ont toujours reconnu le " pré carré français " en Afrique comme un élément positif, qui n’était pas contraire aux intérêts américains dans la mesure où il se traduisait par une aide substantielle en faveur des pays concernés.

Cette crainte d’un complot anglo-saxon a empêché un réel dialogue entre la France et les Etats-Unis pendant la crise, à l’exception de la période où M. Dijoud dirigeait le service des Affaires africaines et au cours de laquelle la coopération entre les deux pays a donné de très bons résultats. M. Herman Cohen a, du reste, déclaré qu’il parlait très peu du Rwanda avec ses interlocuteurs parisiens.

Quant à l’attentat contre le président Habyarimana, M. Herman Cohen a pris acte de la thèse selon laquelle les missiles soviétiques tirés contre l’avion venaient du golfe persique, qu’ils avaient été récupérés en Irak par les Etats-Unis et donnés à l’Ouganda qui les aurait, à son tour, livrés au FPR. Mais M. Herman Cohen n’a pas pu faire de commentaires à ce sujet, l’attentat ayant eu lieu après qu’il eut quitté ses fonctions. Il a toutefois estimé que la famille d’Habyarimana avait organisé cet attentat, en tout cas c’est ce qu’il avait entendu dire par des membres de l’ambassade des Etats-Unis à Kigali. Sa famille reprochait à Habyarimana d’être trop mou et de vouloir des compromis avec le FPR. M. Herman Cohen a cependant déclaré ne détenir toutefois aucune preuve de cette supposition.

Le Président Paul Quilès a souligné que la mission était avide d’éléments factuels.

M. Bernard Cazeneuve a fait valoir que lorsqu’on examine les textes philosophiques qui ont inspiré le FPR et l’action de Museveni, on s’aperçoit qu’ils sont d’inspiration fortement marxiste avec beaucoup de concepts idéologiques empruntés à la pensée de Marx. Les Etats-Unis n’ayant pas d’intérêt particulier à aider l’Ouganda, mais entretenant seulement des relations amicales avec ce pays et ne manifestant pas vraiment de tropisme marxiste, il a demandé sur quelles bases étaient fondées ces relations.

M. Herman Cohen a considéré que Museveni était effectivement marxiste quand il était étudiant à l’Université de Dar Es Salam mais que ce n’était déjà plus le cas lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Il était, parmi les dirigeants africains, le plus favorable à l’économie de marché. L’Ouganda est le pays où il est le plus facile d’investir, alors que ce n’est pas toujours le cas dans les pays africains.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si beaucoup d’Américains ont investi en Ouganda.

M. Herman Cohen a répondu par la négative. Il a souligné que les entrepreneurs américains s’intéressent peu à l’Afrique, sauf dans certains secteurs comme l’énergie, le pétrole et les télécommunications.

M. Bernard Cazeneuve a souhaité obtenir des précisions sur le comportement des Etats-Unis à l’égard de la négociation des accords d’Arusha à partir de 1992, dès lors qu’ils avaient acquis la certitude, exprimée dans une note de la CIA, qu’ils ne seraient pas appliqués.

M. Herman Cohen a rappelé qu’à cette époque, il se préparait à quitter ses fonctions, du fait de l’élection de M. Clinton. Il a toutefois indiqué que les Etats-Unis avaient continué à encourager les deux parties au dialogue, sans être véritablement actifs.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si M. Herman Cohen considérait que la France avait mené une bonne politique vis-à-vis du gouvernement d’Habyarimana.

M. Herman Cohen a répondu par l’affirmative. Il a rappelé que tout le monde était content du régime d’Habyarimana entre 1985 et 1990. Contrairement à ce que M. Michel Rocard a mentionné, lors d’une audition précédente, ce n’était pas un régime qui devenait de plus en plus odieux. Tout le monde l’appuyait et il était normal que la France ait une coopération militaire avec lui.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si les Etats-Unis avaient prévu le génocide.

M. Herman Cohen a répondu par la négative mais il a reconnu qu’il y avait, à l’époque, des signes inquiétants qui auraient dû être mieux interprétés, comme les assassinats où la création de la Radio Mille Collines. Personne n’a imaginé la possibilité d’un génocide alors même qu’il y en avait eu un au Burundi en 1972.

M. Bernard Cazeneuve a rappelé que Romeo Dallaire avait envoyé une dépêche à New-York pour indiquer que quelque chose de terrible se préparait.

M. Herman Cohen a répondu que cet épisode se situait après son départ des affaires.

M. Jacques Myard a demandé si M. Herman Cohen n’avait pas eu le sentiment que certains intérêts américains, qu’il a distingués du Gouvernement, avaient avantage à une victoire du FPR, qui aurait pu avoir des répercussions jusqu’à Kinshasa.

Il a également souhaité savoir si M. Herman Cohen pensait qu’essayer de plaquer sur la sociologie africaine un processus démocratique tel que celui que prévoyaient les accords d’Arusha, n’était pas voué à l’échec du fait des clivages ethniques.

M. Herman Cohen a fait part de ses doutes quant à l’existence d’une vision stratégique de l’administration Clinton à l’égard de la zone des Grands lacs. Même après la prise de Kisangani par Kabila, les Etats-Unis cherchaient encore une solution avec Mobutu. Il n’ont jamais eu l’idée que le FPR serait l’instrument du changement au Zaïre.

Quand s’est posé le problème de l’action des extrémistes dans les camps, où ils prenaient les réfugiés en otage, M. Kagame a demandé aux Etats-Unis d’agir et averti qu’il interviendrait s’ils ne le faisaient pas. Il a attendu douze mois et a détruit les camps. Mais les Etats-Unis n’ont pas réfléchi aux conséquences ultérieures de cette action. Même M. Kagame n’a pas pensé qu’elle allait mener à la défaite de Mobutu.

M. Herman Cohen a jugé que les accords d’Arusha n’étaient pas mauvais, à l’exception des clauses sur le partage de l’armée qui avantageaient trop le FPR. En outre, le Président Habyarimana n’avait pas participé à la négociation mais laissé agir son ministre des Affaires étrangères.

Il a regretté que la communauté internationale ait été obsédée par la signature de ces accords, ce qui a conduit à négliger d’analyser précisément leur contenu pour savoir s’ils pouvaient être appliqués. L’alerte de la CIA est venue un peu tard. Cette obsession de faire signer à tout prix des accords quel que soit leur contenu avait déjà créé des difficultés en Angola. Les Etats-Unis en avaient tiré les leçons au Mozambique, où ils ont refusé des accords qui ne leur semblaient pas applicables.

Le Président Paul Quilès a évoqué la directive présidentielle n° 25 du 5 mai 1994, qui prévoit que les Etats-Unis ne soutiendront militairement ou financièrement des opérations des Nations Unies que si elles sont utiles aux intérêts nationaux américains. Il semble bien que cette directive ait été appliquée pour la première fois dans l’affaire rwandaise. Il a demandé à M. Herman Cohen s’il pensait que le contenu de cette directive était de nature à donner une impulsion nouvelle au rôle de la communauté internationale, et plus exactement du Conseil de sécurité.

M. Herman Cohen s’est déclaré atterré par la directive présidentielle n° 25. Après le voyage du président Clinton en Afrique, son administration a demandé des avis d’experts, n’appartenant pas au gouvernement, pour savoir ce qu’il fallait faire en Afrique. Le conseil de M. Herman Cohen a été d’abroger cette directive. Certes, il est très difficile, pour des raisons de politique intérieure, d’envoyer des soldats américains dans des missions de l’ONU après ce qui s’est passé en Somalie. Mais il est ridicule de refuser d’envoyer des soldats d’autres pays, sous l’autorité des Nations unies. Si on avait envoyé le détachement de 5 000 soldats africains que l’OUA proposait, leur seule présence aurait rendu le génocide plus difficile. Un paysan qui a un soldat étranger à côté de lui ne va pas couper la tête de son voisin à la machette. Une simple présence de l’ONU aurait pu sauver de nombreuses vies.

M. Herman Cohen a estimé que l’attitude des Etats-Unis s’expliquait aussi par une question d’argent. Les Etats-Unis ont un gros arriéré de contributions au budget des Nations unies, surtout au titre des opérations de maintien de la paix. Ils ne veulent donc pas autoriser des opérations qui augmenteraient ces arriérés. La crise centrafricaine a récemment soulevé la même difficulté. Il a été difficile d’obtenir l’accord des Etats-Unis pour une action de maintien de la paix. Après avoir finalement voté positivement en faveur de cette action, le gouvernement américain a eu des difficultés avec le Congrès. La révision de la directive présidentielle n° 25 apparaît dans ces conditions nécessaire.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si une mission d’information pourrait être créée aux Etats-Unis sur les événements du Congo Kinshasa.

M. Herman Cohen a rappelé que les enquêtes faisaient partie de l’activité quotidienne des commissions du Congrès, même si elles ne sont pas aussi longues qu’en France.

M. Bernard Cazeneuve a demandé si ces enquêtes concernaient des sujets sur lesquels la responsabilité américaine est très fortement mise en cause par la presse.

M. Herman Cohen a remarqué que le Congrès enquête surtout sur les sujets qui passionnent le public américain, comme l’affaire " Iran-Contras " dans laquelle les Etats-Unis ont fourni des armes à l’Iran pour de l’argent destiné à financer les Contras au Nicaragua. Cette affaire a passionné tout le monde et le Congrès a mené sur ce sujet une très grande enquête. Mais tous les jours, il y a de petites enquêtes qui ennuient beaucoup les responsables de l’exécutif obligés de témoigner devant le Congrès.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr