Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a accueilli M. Henri Rethoré, Ambassadeur au Zaïre du 20 juin 1989 au 8 décembre 1992. Il a expliqué que la mission d’information sur le Rwanda souhaitait entendre les responsables diplomatiques en poste dans les pays voisins du Rwanda de 1990 à 1994, même si l’incidence des événements rwandais n’avait peut-être pas été la plus forte au Zaïre.

M. Henri Rethoré a d’abord souligné qu’il était un témoin lointain des événements qui faisaient l’objet des travaux de la mission d’information : lointain dans le temps, puisqu’il avait cessé ses fonctions au Zaïre en décembre 1992, alors que l’on n’en était encore qu’aux prémices du drame rwandais de 1994 ; lointain dans l’espace, Kinshasa étant, d’une part, séparée de Kigali par près de 2 000 kilomètres et par une immense forêt, et, d’autre part, située dans un environnement physique, humain, culturel et économique extrêmement différent ; lointain, enfin, en raison du contexte dans lequel il avait travaillé comme ambassadeur.

Il a rappelé à cet égard qu’il avait, tout au long de son séjour à Kinshasa, vécu la décomposition du Zaïre : la fin du monde bipolaire, la fin du soutien des occidentaux au régime en place dans ce pays, les tactiques catastrophiques du Maréchal Mobutu pour garder le pouvoir, son repli à Gbadolite -sa résidence personnelle à 1 000 kilomètres de la capitale-, le poids croissant de son entourage clanique, son effacement progressif de la scène internationale et sa perte de crédibilité en Afrique. M. Henri Rethoré a également rappelé que c’était dans cette débâcle qu’avait été assassiné, par la garde présidentielle, en janvier 1993, l’Ambassadeur de France au Zaïre, M. Philippe Bernard.

M. Henri Rethoré a fait observer qu’à cette époque et vu de Kinshasa, le Rwanda, dont on savait les problèmes ethniques et politiques, et dont on pensait bien qu’il connaîtrait un jour de nouvelles flambées de violence, apparaissait comme un exemple de développement, contrairement au Zaïre où tout était en ruine. Le Rwanda était ce que n’était pas le Zaïre : le pays des routes parfaites, des champs cultivés, de l’électricité et même du téléphone. Il a mentionné, à ce propos, le fait que lorsqu’il était à Goma, au Kivu il fallait aller de l’autre côté de la frontière, au Rwanda, à Gisenyi, pour téléphoner. Quant à l’image du Président Habyarimana, elle était plutôt bonne. Il a ajouté à ce sujet que ses collègues étrangers en poste à Kinshasa, revenaient toujours très impressionnés de leurs missions périodiques au Rwanda, pays dans lequel, à cette époque, comme ailleurs en Afrique, le processus de démocratisation semblait engagé, même si chacun était conscient qu’il y avait fort à faire en matière de respect des droits de l’homme, quoique, là encore, la comparaison entre le Rwanda et le Zaïre paraissait, à tort ou à raison, accablante pour ce dernier.

M. Henri Rethoré a évoqué les activités agressives du FPR, au sujet desquelles il avait eu des conversations avec son collègue rwandais, à Kinshasa, avec certains conseillers du Maréchal Mobutu ainsi qu’avec les représentants des institutions internationales, expliquant que les uns, dont il était lui-même, considéraient l’attaque d’octobre 1990 comme une agression à l’égard du Rwanda, tandis que les autres y voyaient le geste désespéré de jeunes gens auxquels le régime du Président Habyarimana refusait le retour dans leur pays. M. Henri Rethoré a précisé que les représentants des organisations internationales, notamment, voyaient dans la position du régime rwandais une attitude anti-Tutsi et anti-anglophone, mais que dans ces années-là et jusqu’en 1992, on croyait encore possible une réconciliation entre Rwandais, grâce à des changements institutionnels.

M. Henri Rethoré a expliqué que le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ne pesaient pas de façon prioritaire dans les préoccupations d’un diplomate en poste à Kinshasa. Il a précisé qu’il n’était informé que succinctement de la politique française à l’égard du Rwanda et que les télégrammes échangés entre Paris et Kigali n’étaient pas systématiquement communiqués à Kinshasa, pas plus que les notes et synthèses de la direction des affaires africaines et malgaches relatives à la crise rwandaise.

Il a déclaré avoir néanmoins eu à connaître de l’affaire rwandaise entre 1990 et 1992, plus ou moins directement, dans différentes occasions.

La première occasion survint en octobre 1990, lors de l’attaque du FPR. A la requête du Président Habyarimana, le Président Mobutu avait envoyé au Rwanda un corps d’environ 2 000 hommes, composé d’éléments de la division spéciale présidentielle, d’un bataillon de la 31ème brigade parachutiste et du service d’action et de renseignements militaires. En appui aux FAR, cette troupe progressa jusqu’à Gabiro, au nord du Rwanda, où elle perdit un homme et eut plusieurs blessés. Sur ordre du Maréchal, selon les uns, à la demande du Président Habyarimana, selon les autres, elle rentra au Zaïre après quinze jours, non sans d’être livrée à quelques pillages, notamment celui de l’hôtel de Gabiro.

La deuxième occasion intervint en juillet 1991. M. Henri Rethoré a expliqué qu’il avait participé, à cette date, à Kigali, à une conférence régionale d’ambassadeurs, organisée par le directeur des affaires africaines et malgaches, à l’époque M. Paul Dijoud. Celui-ci avait alors présenté, s’agissant du Rwanda, point majeur de l’ordre du jour, la ligne politique française : rétablissement par le dialogue des rapports entre l’Ouganda et le Rwanda grâce à la relance de la diplomatie française dans la région ; réouverture de la route Kigali-Kampala, axe majeur entre le Rwanda, le Burundi, le Zaïre et le port de Mombasa au Kenya, que l’on appelait le corridor et qui avait une extrême importance sur le plan économique ; réaffirmation, à l’attention des dirigeants rwandais, d’un lien fort entre l’aide française et le processus de démocratisation. M. Henri Rethoré a ajouté que les problèmes démographiques et fonciers avaient également été abordés, compte tenu de leur importance pour le Rwanda, de même que la question de la nécessaire suppression des mentions d’appartenance ethnique sur les cartes d’identité. En marge de la réunion, M. Paul Dijoud avait eu des contacts avec les différents partis politiques rwandais qui venaient d’être autorisés et avec les autorités en place. M. Henri Rethoré a précisé qu’il avait été reçu à cette occasion, avec M. Paul Dijoud, par le Président Habyarimana et son épouse, et qu’à l’issue de cette réunion, le Ministre des Affaires étrangères rwandais était parti, à bord d’un avion personnel, vers Gbadolite, sans doute pour " rendre compte " au maréchal Mobutu. M. Henri Rethoré a fait observer que, à l’aller, comme au retour, il avait fait le trajet par la route entre Goma et Kigali, en longeant la frontière nord du Rwanda, et que, si l’on voyait beaucoup de militaires, le pays paraissait alors calme et étonnamment civilisé par rapport au Zaïre.

M. Henri Rethoré a indiqué qu’il avait également eu à connaître de la question rwandaise lors de ses visites au Kivu, durant lesquelles il avait rencontré à Goma des personnes d’origine rwandaise qui y étaient installées depuis des générations, les Banyamulenge. Ces personnes avaient été transférées par les Belges, au moment de la colonisation, pour peupler le Kivu ou bien s’étaient réfugiées au Kivu au début des années soixante et en 1973. M. Henri Rethoré a expliqué que ces Rwandais se montraient très inquiets de l’attitude du gouvernement zaïrois qui manifestait la plus mauvaise volonté à leur reconnaître la nationalité zaïroise. Une loi de 1972 avait accordé cette nationalité à tous les Rwandais installés au Zaïre avant 1950, mais elle avait été abrogée dans les années quatre-vingts sous la pression des populations autochtones et de leurs représentants.

Dans la perspective d’élections au Zaïre, comme le prévoyait la démocratisation annoncée par le Président Mobutu en 1990, une procédure d’identification avait été décidée. Cette procédure traînait du fait de son rejet, non seulement par l’opinion locale, qui ne tenait pas du tout à voir tous ces Tutsis confirmés comme zaïrois, mais également par le Président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui réfugié en Tanzanie et qui avait mené un combat farouche contre les Banyamulenge. M. Henri Rethoré a ajouté que, dans la pratique, ceux qui étaient chargés de la mise en oeuvre de cette procédure d’identification rançonnaient ceux qui demandaient à être identifiés comme zaïrois. Il a précisé qu’il était évident, à cette époque, que le climat se détériorait au Kivu entre la population autochtone et les étrangers d’origine rwandaise, présents depuis des générations, le plus souvent Tutsis, actifs, entreprenants, plus riches que la moyenne et qui finançaient à la fois les autorités zaïroises et le FPR. Déjà, dans le nord du Kivu, plus ou moins bien contrôlé par l’armée zaïroise, les incursions du FPR étaient fréquentes et impunies. Il fut même dit, à cette époque, qu’il y avait des camps d’entraînement du FPR dans le nord du Kivu. La situation était aussi confuse dans la partie du Haut-Zaïre, située aux confins du Soudan.

M. Henri Rethoré a déclaré qu’à l’occasion d’un tête à tête avec le Président Mobutu en 1991, il lui avait fait part de ses inquiétudes s’agissant du Kivu, mais que ce dernier avait tenu des propos rassurants sur ses intentions, affirmant qu’il comprenait parfaitement le désir des populations d’origine rwandaise d’être stabilisées et reconnues comme zaïroises dès lors qu’elles travaillaient au Zaïre. Il avait, en outre, affirmé à M. Henri Rethoré que l’identification serait menée à bien, toujours dans la perspective des élections à venir. M. Henri Rethoré a indiqué à cet égard qu’en 1986, les élections législatives n’avaient pas pu être organisées dans le Kivu, parce que l’on ne savait pas distinguer les étrangers des populations locales.

Il a toutefois fait observer que, comme toujours, le Président Mobutu n’avait pas su s’abstraire du réseau d’influence qui l’enserrait de plus en plus et que, inquiet à l’égard de toute perspective de changement, peut-être déjà malade, ayant perdu une bonne partie de son autorité, il avait oublié ses projets et choisi l’immobilisme. M. Henri Rethoré a cependant insisté sur le fait que le Président Mobutu n’éprouvait aucune hostilité personnelle à l’égard des Tutsis, qu’il avait d’ailleurs eu, comme directeur de cabinet, un Tutsi de grande valeur, M. Barthélémy Bisengimana, mort de maladie en 1992, et qu’en fait, le Maréchal avait un mauvais souvenir des autochtones du Kivu qui avaient soutenu, à l’époque des rébellions de 1965, son adversaire Mulélé.

M. Henri Rethoré a expliqué que le Maréchal Mobutu avait néanmoins tenté d’apporter son concours au Président Habyarimana, en raison, tout d’abord, des liens personnels très forts qui les unissaient, ensuite parce que l’intégrité du territoire zaïrois, qui était la préoccupation de sa vie et le succès de son action depuis 1965, était menacée, et, enfin, en vue de sauvegarder son pouvoir personnel.

Il a ajouté qu’étant le doyen des Chefs d’Etat de la région et le chef du deuxième Etat francophone du monde, comme il le disait, le Président Mobutu avait toujours voulu jouer un rôle sur la scène internationale, qu’à cette époque où son pouvoir s’effritait, c’était, avec la défense, le seul domaine réservé que lui reconnaissaient les institutions de la transition démocratique, préparée notamment par la conférence nationale. C’est dans cette perspective que s’inscrivait, en 1990, dans le cadre de la Communauté économique des Grands Lacs (CEPGL), la création d’une commission chargée de superviser le retour des réfugiés au Rwanda. En octobre 1990, aussitôt après l’attaque du FPR, une réunion avait été organisée entre les Chefs d’Etat de la CEPGL. Le Président Mobutu avait été chargé d’une médiation, qui était déjà un peu entachée par le fait qu’il avait envoyé un corps expéditionnaire aux côtés des troupes du Président Habyarimana, ce qui le rendait suspect aux yeux du FPR et de la partie ougandaise. En mars 1991, cette médiation avait abouti à N’sele, dans la banlieue de Kinshasa, à la signature d’un accord de cessez-le-feu et à la décision de déployer un groupe d’observateurs neutres africains sous l’égide de l’OUA, décision qui ne fut pas suivie d’effet. En septembre 1991, au sommet de Gbadolite, les négociations se poursuivirent, en prélude aux réunions d’Arusha. La médiation du Maréchal Mobutu n’était cependant pas allée jusqu’à son terme et celui-ci avait alors cessé de jouer un rôle actif, ce qui témoignait de l’effacement du Zaïre confronté à des problèmes intérieurs majeurs sur lesquels se fixa l’attention des représentants français, américains et belges à Kinshasa.

M. Henri Rethoré a estimé qu’un Zaïre fort aurait pu donner un autre tour aux événements de 1994, mais que son effondrement, prévisible et inéluctable eu égard au système de gouvernement du Président Mobutu, avait été et restait dramatique pour la région des Grands Lacs. Citant pour conclure une phrase de Tocqueville qu’il avait mise en exergue dans son rapport de fin de mission en 1992 : " Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de soulager ses sujets après une oppression longue ", M. Henri Rethoré a jugé que, six ans plus tard, après ce qui s’était passé au Rwanda et au Zaïre, on appréciait singulièrement la pertinence de cette citation s’agissant des deux Chefs d’Etat zaïrois et rwandais de l’époque.

Le Président Paul Quilès a fait observer que le témoignage de M. Henri Rethoré recoupait celui des anciens ambassadeurs français en Ouganda, concernant notamment l’attitude des autorités politiques des pays limitrophes du Rwanda à l’égard des réfugiés. Il a noté que ces communautés déplacées, constituées en général de personnes actives, entreprenantes et disposant de moyens supérieurs à ceux de la majorité de la population locale, avaient, de ce fait, été rapidement rejetées par celle-ci. Le Président Paul Quilès a alors souhaité que M. Henri Rethoré précise son analyse de la communauté tutsie, en présentant notamment son organisation, ses rapports avec le FPR et sa volonté de revenir au Rwanda, sans doute exacerbée par le rejet dont elle était l’objet.

M. Bernard Cazeneuve a posé une question complémentaire relative à l’existence éventuelle, parmi ces réfugiés, d’une élite susceptible de dispenser un enseignement politique concernant l’avenir de leur nation et de leur communauté.

M. Henri Rethoré a rappelé qu’il y avait eu plusieurs vagues d’entrée de Tutsis au Zaïre et indiqué que ceux qui étaient au Zaïre de longue date n’avaient qu’une ambition, celle de devenir Zaïrois. Ces réfugiés vivaient en effet fort bien au Zaïre où ils possédaient des plantations, des élevages, des boucheries, des abattoirs, et étaient bien intégrés. Cette première vague de réfugiés s’était d’ailleurs si bien insérée dans la société zaïroise que l’un de ses représentants, M. Barthélémy Bisengimana, avait été directeur de cabinet du Président de la République pendant des années. Il s’agissait de personnes actives qui savaient parfaitement qu’elles ne retrouveraient pas au Rwanda la situation florissante qui était la leur dans le nord du Kivu.

M. Henri Rethoré a fait observer que le gouvernement zaïrois n’était cependant pas capable, à ce moment-là, alors qu’il n’était pourtant pas encore submergé par des vagues de réfugiés, de les assimiler et de les considérer comme Zaïrois. Il a alors évoqué les reproches qui avaient été faits au Premier Ministre M. Kengo Wa Dondo qu’on accusait d’être issu d’une mère étrangère -elle était rwandaise- et de nationalité " douteuse ".

Quant aux réfugiés arrivés plus récemment au Zaïre, M. Henri Rethoré a indiqué qu’ils connaissaient de grandes difficultés économiques et désiraient, sans aucun doute, rentrer chez eux, au Rwanda, mais qu’ils y étaient également rejetés.

M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir comment les Tutsis installés depuis longtemps au Zaïre percevaient ces nouveaux venus.

M. Henri Rethoré a répondu qu’à sa connaissance, il n’y avait aucun problème entre les Tutsis anciennement installés et les nouveaux arrivants et que la solidarité jouait entre eux, avec, comme objectif commun, l’idée qu’il fallait devenir zaïrois.

Au Président Paul Quilès qui lui demandait à combien de personnes pouvait être évalué le nombre de réfugiés, M. Henri Rethoré a indiqué, sans pouvoir donner un chiffre précis, qu’ils étaient très certainement plusieurs milliers, mais qu’ils n’étaient pas organisés en tant que communauté tutsie au Zaïre -le Maréchal aurait, de toute façon, veillé à l’empêcher-, qu’ils n’avaient aucune activité politique en tant que Tutsis, mais cotisaient fortement, notamment au FPR qui devait venir les taxer sachant qu’ils avaient de l’argent.

M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur les motifs qui conduisaient ces Tutsis à cotiser au FPR, alors qu’ils étaient intégrés dans la vie économique zaïroise.

M. Henri Rethoré a estimé qu’ils acceptaient d’être rackettés, ne sachant pas quel serait leur avenir et préférant donc prendre des garanties. Il a ajouté que ces personnes, allant très souvent à Kigali et n’étant pas du tout coupées du Rwanda, savaient ce qui s’y préparait et préféraient ménager l’avenir.

M. Pierre Brana a demandé à M. Henri Rethoré si ce n’était pas également par solidarité avec ces réfugiés en situation précaire que ceux qui étaient intégrés dans la vie zaïroise cotisaient au FPR de façon volontaire, afin de leur garantir le droit de revenir, un jour, au Rwanda, s’ils le souhaitaient.

M. Henri Rethoré a exprimé son accord avec ce raisonnement. Si d’un côté, les Tutsis du Kivu sentaient que la situation y était très instable et constataient une grande agressivité des populations locales à leur encontre, il existait également une solidarité tutsie et un sentiment de fierté très puissant au sein des Tutsis.

M. Bernard Cazeneuve a souhaité connaître la nature de leurs activités commerciales.

M. Henri Rethoré a répondu qu’ils étaient présents dans tous les domaines -l’essence, le pétrole, les commerces d’huile et d’alimentation- et qu’en outre, ils exerçaient des activités locales très appréciées, telles que l’exploitation des grandes plantations, des élevages et des abattoirs, toutes ces activités ayant été réduites à néant lorsque le désordre s’était installé dans la région.

M. Jean-Louis Bernard a voulu savoir sur quels éléments reposait l’intime conviction de M. Henri Rethoré que les réfugiés tutsis versaient leur obole au FPR.

M. Henri Rethoré a indiqué que cette information faisait partie des renseignements dont disposait l’ambassade, même si elle n’en avait pas la preuve formelle. Toutes les informations dont elle disposait se recoupaient cependant et montraient également que des membres du FPR venaient s’entraîner dans le nord du Kivu et commençaient à s’y installer.

Le Président Paul Quilès a demandé à M. Henri Rethoré comment il expliquait qu’en mars 1991, lors de la réunion qui avait donné lieu aux accords de N’sele, le Maréchal Mobutu avait amené avec lui une délégation du FPR conduite par MM. Bizimungu et Kagame. Il a également voulu connaître l’état des rapports entre le Président Mobutu et le FPR.

S’agissant de la première question, M. Henri Rethoré a estimé ce geste effectivement très surprenant sachant que le Maréchal s’était rangé du côté du Président Habyarimana dès l’agression du FPR. Le fait est cependant que le Maréchal Mobutu avait réussi à convaincre ces deux personnalités de venir à N’sele.

Quant aux rapports entre le Maréchal Mobutu, alors triomphant, et le FPR, M. Henri Rethoré a fait observer qu’il n’y avait entre eux aucune espèce de familiarité. Il a ajouté que le Maréchal Mobutu voulait jouer le rôle de grand médiateur de la région et qu’il s’était ensuite vanté d’avoir réussi à faire venir ces personnes, de la même manière qu’il s’était vanté, en 1989 d’avoir réuni MM. Dos Santos et Savimbi à Gbadolite, tout en regrettant que ces rencontres n’aient pas produit davantage de résultats.

M. Bernard Cazeneuve, évoquant les bonnes relations entre le Maréchal Mobutu et le Président Habyarimana, dont M. Henri Rethoré avait fait état, s’est demandé quel était, au-delà des tempéraments, le substrat philosophique de cette connivence politique.

M. Henri Rethoré a déclaré qu’il n’était pas aisé de saisir les ressorts de cette amitié, notant toutefois que les deux hommes étaient tous les deux des militaires, des Chefs d’Etat et qu’ils travaillaient dans la cadre de la Communauté des Grands Lacs. Il a ajouté que le Maréchal Mobutu considérait le Président Habyarimana comme son jeune frère et qu’il avait probablement le sentiment qu’il avait besoin de ses conseils.

A M. Bernard Cazeneuve qui lui demandait s’il n’y avait pas, dans cette amitié, une certaine condescendance de la part du Président Mobutu, M. Henri Rethoré a répondu que ce dernier était le doyen et qu’ayant de grandes difficultés avec le Kenya et l’Ouganda, il avait tendance à rallier autour de sa personne les dirigeants francophones.

M. Bernard Cazeneuve s’est alors interrogé sur la vision qu’avait le Maréchal Mobutu de la personnalité et des vues politiques du Président Museveni.

M. Henri Rethoré a déclaré que le Président Mobutu s’en méfiait énormément, ayant, peut-on supposer, conscience qu’il pouvait jouer un rôle important dans la région. En outre, le Président Museveni étant anglophone et le Maréchal ne parlant pas un mot d’anglais, ils n’avaient aucun contact. M. Henri Rethoré a ajouté que le Maréchal Mobutu avait été très agacé lorsque le Président Museveni, invité à Paris, en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, avait été reçu avec les honneurs et considéré comme un plus grand démocrate que lui.

M. Bernard Cazeneuve s’étant demandé, avec étonnement, si le Maréchal Mobutu avait le sentiment d’être un grand démocrate, M. Henri Rethoré a répondu par l’affirmative et indiqué qu’il affirmait avoir décidé lui-même le processus de démocratisation, en 1990, avant le discours de La Baule. Il a ajouté qu’aux yeux du Président zaïrois, le Président Museveni, comme d’ailleurs tous les dirigeants anglophones, n’était pas un démocrate, puisqu’il s’en tenait à un parti unique. C’est pourquoi il avait été meurtri que le Président Museveni soit mieux reçu en France que lui, Maréchal Mobutu, qui avait tant fait pour essayer de développer la démocratie dans son pays.

M. Antoine Carré, évoquant les propos de M. Henri Rethoré selon lesquels, dans ces années-là, on croyait encore possible une réconciliation entre Hutus et Tutsis, s’est demandé s’il s’agissait d’une analyse politique des Chefs d’Etat de la région ou d’une analyse des milieux étrangers et quels étaient ceux qui partageaient ce point de vue.

M. Henri Rethoré a rappelé le contexte de démocratisation qui avait suivi le discours de La Baule, faisant observer qu’on pensait alors que les problèmes des pays africains allaient être réglés grâce au multipartisme et à l’introduction des différentes tendances politiques dans les instances dirigeantes de l’Etat. Il a précisé que telle était, en tout cas, la vision des diplomates étrangers en poste à Kinshasa. Quant à savoir si le Président Mobutu pensait vraiment qu’une réconciliation fût possible, il a déclaré n’en être pas certain.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr