Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a accueilli le Médecin en chef des services de classe normale Robert de Resseguier, adjoint santé du COMFORCES Turquoise entre le 20 juin et le 22 août 1994, et le Médecin en chef François Pons, Chef de l’antenne chirurgicale parachutistes Turquoise entre le 22 juin et le 22 août 1994.

Il a souligné que l’action du service de santé était au coeur de la mission humanitaire que la France a entrepris quasiment seule pour porter secours aux populations victimes de la tragédie qu’a connue le Rwanda.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a précisé qu’il était en retraite depuis le 1er juillet dernier et qu’il avait participé à l’opération Turquoise du 20 juin au 22 août 1994, après avoir été pré-alerté le 17 juin. Il a relaté qu’il avait rejoint Lyon, où se trouvait la mise en alerte de l’Elément médical d’intervention rapide (EMIR), le 20 juin, puis Maisons-Laffitte, où se trouvait le Général Lafourcade, le 21 juin, avant de décoller le 25 avec escale à Libreville et d’arriver à Goma, le 26 juin, en fin d’après-midi. Il a rappelé qu’il était à l’époque Médecin en chef de la onzième division parachutiste stationnée à Toulouse et qu’il avait servi dans cette opération, en tant que conseiller santé du commandant de la force, et chef santé des différents éléments du service participant à l’opération Turquoise.

Il a décrit l’organisation du soutien santé comme assez classique avec une chefferie basée au poste de commandement interarmées de théâtre (le PCIAT). Il a précisé qu’il était assisté, en tant que chef santé, par trois adjoints : un vétérinaire pour tout ce qui était de l’hygiène alimentaire, un épidémiologiste pour l’hygiène en général et pour l’épidémiologie, en particulier l’épidémiologie des populations civiles, et un psychiatre pour l’hygiène mentale. Ce dernier les a rejoint le 27 juillet.

Un groupement médico-chirurgical (GMC) stationné sur l’aéroport de Goma était chargé au départ uniquement du soutien de la Force. Il était composé d’une antenne chirurgicale sous les ordres du médecin en chef Pons. Cette antenne a été opérationnelle dès le 25 juin.

Un poste de secours faisait fonction d’infirmerie de garnison pour les différents éléments militaire basés à Goma. Ce poste de secours a été armé à partir des éléments suivants : un poste d’embarquement par voie aérienne (ce qu’on appelle un PEVA), une petite cellule santé Armée de l’air chargée de la récupération des pilotes éjectés, une cellule Rapace SAR, et une cellule santé pour le soutien du détachement hélicoptères qui était présent sur place.

Un cabinet dentaire, un groupe de véhicules sanitaires, et une cellule de ravitaillement avec un pharmacien étaient également présents.

L’Elément médical militaire d’intervention rapide (EMIR), qui a été déployé à Cyangugu au Rwanda, a été opérationnel seulement à partir du 5 juillet en raison du temps nécessaire pour créer la zone humanitaire sûre.

La formation a été prévue dès le départ au profit des populations civiles avec une cellule chirurgicale, une cellule médicale, une cellule pédiatrique, un laboratoire et une cellule hospitalisation à 50 lits. Devaient être également pris en compte les postes de secours des unités élémentaires : cinq postes de secours au niveau du groupement nord et deux postes de secours au niveau du groupement sud. Le commandement des opérations spéciales avait son propre soutien. Un poste de secours était également installé sur la base aérienne de Kisangani.

A compter du 24 juillet, la Bioforce est venue s’ajouter au dispositif. Elle était composée d’un laboratoire extrêmement performant puisqu’il a servi de référence aux différents organismes internationaux présents à Goma, et de six équipes d’investigation. La Bioforce avait besoin du soutien logistique de Turquoise mais a travaillé uniquement au profit des populations civiles réfugiées en liaison avec les différents organismes internationaux présents.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a signalé également les éléments de renfort. A Bangui, se trouvaient un poste d’embarquement par voie aérienne et une section hospitalisation à 50 lits. L’antenne chirurgicale stationnée à N’Djamena était en alerte. La Mauritanie a envoyé une équipe médico-chirurgicale qui a été mise à la disposition de l’EMIR en raison de la qualification des personnels envoyés et du fait qu’ils n’avaient pas de matériels techniques. Elle était composée d’un chirurgien agrégé du Val-de-Grâce, d’un gastro-entérologue, d’un radiologue, d’un médecin généraliste et d’infirmiers. Le Sénégal a également envoyé une équipe médico-chirurgicale qui a été mise à la disposition du groupement nord et comme soutien du contingent sénégalais.

L’effectif santé a représenté 6 % de l’effectif total des militaires participant à Turquoise.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a mis en avant le fait que tous les problèmes rencontrés ont été dus à l’exode massif des populations rwandaises. L’EMIR avait une capacité initiale d’hospitalisation de 50 lits mais il a été nécessaire de monter jusqu’à 130 lits. L’EMIR a fonctionné à 99 % au profit des populations déplacées et pour 1 % au profit des militaires présents dans la zone.

L’antenne chirurgicale devant soutenir la force était équipée pour 2 000 hommes. Sa dotation était prévue pour 48 heures et elle comptait 12 lits, ce qui pouvait être considéré comme largement suffisant, d’autant qu’il n’était pas prévu d’affrontements. Mais au plus fort de l’exode, il y a eu jusqu’à 130 hospitalisés au groupement médico-chirurgical de Goma.

Il a fallu faire face à des problèmes quantitatifs d’approvisionnement, les réserves ayant été rapidement épuisées. Les délais d’acheminement étaient très longs puisque l’approvisionnement arrivait de façon partielle jusqu’au 22 juillet, mais après cette date, tout a semblé se débloquer. Entre le 22 juillet et le 12 août, 35 tonnes de matériels santé ont été livrés au profit du service lui-même, auxquelles il convient d’ajouter les approvisionnements que l’Armée de l’air a convoyés au profit des différentes ONG.

Il a fallu aussi faire face à une insuffisance de personnel pour s’occuper des hospitalisés. En Afrique, ce sont traditionnellement les familles qui font ce qu’on appelle le " nursing " des malades. Or les familles étaient complètement disloquées et les capacités d’accueil largement dépassées. Il a donc fallu faire appel à toutes les bonnes volontés : militaires présents sur place et bénévoles locaux qui sont venus prêter main-forte.

Il a également fallu libérer les lits occupés par manque d’évacuation secondaire des hospitalisés. Il n’était pas possible de faire sortir les hospitalisés des formations puisqu’il n’y avait pratiquement pas de possibilité d’accueil. Il a donc fallu faire appel aux orphelinats pour faire prendre en charge les enfants, et aux différents organismes caritatifs internationaux pour les adultes.

L’épidémie de choléra qui a été confirmée le 22 juillet a justifié la venue de la Bioforce. Cette épidémie a fait des milliers de morts et les forces françaises, devant la carence des réactions locales, ont été obligées d’effectuer elles-mêmes le ramassage et l’enfouissement des corps, et ce, petit à petit, dans tout le secteur de Goma.

Les risques de troubles psychologiques plus ou moins graves encourus par les personnels militaires, qui étaient confrontés à cette mission pour laquelle ils n’étaient pas préparés, ont justifié la venue du psychiatre.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a dressé le bilan des activités médicales de l’opération Turquoise, c’est-à-dire jusqu’au 22 août, en tenant compte des activités du groupement médico-chirurgical resté présent à Goma jusqu’au 30 septembre : 17 000 consultations, 1 100 interventions chirurgicales, 11 000 journées d’hospitalisation, 90 000 soins ambulatoires, 24 000 vaccinations, et 24 naissances. 98 % des interventions chirurgicales ont concerné la population civile de même que les 24 000 vaccinations et les 24 naissances.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a conclu en rappelant que l’action des forces françaises a d’abord été beaucoup décriée par les ONG qui ont toutefois fini par reconnaître unanimement leur professionnalisme et leur savoir-faire pour finalement déplorer leur départ. Ce fut une mission enrichissante, mais dure psychologiquement. Le service de santé a eu un rôle important dans cette opération, et il a prouvé, encore une fois, son efficacité. Le Médecin en chef Robert de Resseguier s’est déclaré généralement très fier de ce qu’a fait l’armée pendant l’opération Turquoise.

Le Médecin en chef François Pons a rappelé qu’il était chirurgien des hôpitaux des armées, professeur agrégé au Val-de-Grâce, et actuellement chirurgien dans le service de chirurgie viscérale et thoracique du nouvel hôpital Percy à Clamart.

Il a indiqué qu’il assurait en 1994, outre ses fonctions au Val-de-Grâce, celles de chirurgien chef de la 14ème antenne chirurgicale parachutiste. C’est avec cette antenne qu’il a servi deux mois dans le cadre de l’opération Turquoise, du 24 juin au 22 août.

Le Médecin en chef François Pons a commenté ensuite quelques diapositives qu’il avait préparées.

Il a présenté la première diapositive dont l’objet était d’expliquer ce que sont les antennes chirurgicales du service de santé des armées. Il s’agit de petites formations chirurgicales élémentaires qui ont pour mission de faire fonctionner un bloc opératoire efficace au plus près du combattant. Cette mission nécessite un matériel très performant qui permet de faire face à tous types d’urgence mais également une équipe très réduite et un matériel très compact de manière à faciliter leur mobilisation.

Le Médecin en chef François Pons a détaillé la constitution d’une antenne : trois médecins, deux chirurgiens, un réanimateur, neuf personnels para-médicaux ou auxiliaires sanitaires. L’ensemble travaille sous deux tentes : une pour le bloc opératoire et l’autre pour l’hospitalisation de douze blessés. Le matériel permet une autonomie de 48 heures. L’ensemble est conditionné de manière à pouvoir être acheminé très rapidement, soit par voie routière, soit par voie aérienne. Les antennes chirurgicales peuvent également être larguées et, une fois à terre, il faut une heure pour que le bloc opératoire soit en état de fonctionnement.

Dans le cadre de l’opération Turquoise, l’antenne chirurgicale était à Goma alors que l’EMIR était à Cyangugu. Le rôle initial de cette antenne était uniquement d’assurer le soutien des forces françaises mais, comme toujours dans les missions auxquelles le service santé des armées participe, il est toujours possible, dans le cadre de l’aide médicale gratuite, d’apporter des soins aux populations. En l’occurrence, les événements ont fait que cette action est devenue l’élément le plus important de l’intervention, au moins quantitativement, mais la mission première est toujours restée le soutien des forces.

Le Médecin en chef François Pons a expliqué que la diapositive suivante montrait l’installation de l’antenne avec les deux tentes et la suivante le bloc opératoire. Il a souligné que l’on pouvait disposer, même sous une tente, de matériels de réanimation très performants et effectuer une chirurgie d’urgence de qualité.

Les diapositives suivantes montraient le coin de la tente consacré au " déchocage ", avec possibilité de production d’oxygène, et le couloir situé entre le bloc opératoire et l’hospitalisation où étaient déposés les post-opérés, ce qui permettait de les avoir à proximité immédiate du chirurgien réanimateur et donc de faciliter leur surveillance.

Le Médecin en chef François Pons a souligné qu’il y avait eu trois temps forts pour l’antenne chirurgicale au cours de la mission : l’accueil de réfugiés tutsis qui avaient été rapatriés depuis la zone humanitaire sûre par les troupes françaises ; puis, à partir du 14 juillet, l’exode des réfugiés hutus à Goma, qui a été accompagné par un bombardement ayant entraîné un afflux de blessés ; et enfin, l’épidémie de choléra.

Les blessés tutsis sont arrivés de manière très massive puisqu’une centaine d’entre eux a été déposée en deux heures par une noria d’hélicoptères. Il s’agissait de Tutsis ayant été retrouvés dans les collines par les troupes françaises et errant pour certains depuis plusieurs semaines avec leurs blessures. Ils ont reçu les premiers soins des médecins des unités et ont été adressés ensuite à l’antenne médicale. 30 % d’entre eux étaient des enfants et la majorité des plaies étaient avaient été causées par des coups de machette.

D’un point de vue médical, les lésions les plus graves ayant malheureusement déjà entraîné la mort, le risque était moins celui de blessure vitale que d’infection majeure.

L’antenne de 12 lits a dû assurer l’organisation et l’accueil d’une centaine de patients arrivant très brutalement. Le triage s’est fait de nuit sous les projecteurs ainsi que sous les flashes de beaucoup de journalistes. Le problème essentiel a été d’organiser l’accueil et l’identification de ces blessés, d’autant que la plupart ne parlaient pas français et qu’un certain nombre de patients en bas âge ne se connaissaient pas entre eux. Il a été fait recours à ce système classique en chirurgie de guerre qui consiste à marquer les renseignements, soit sur le poignet, soit sur le front du blessé en indiquant soit le nom, soit la gravité de la pathologie.

La diapositive suivante montrait des réfugiés présentant une plaie de l’épaule par balle traitée par fixateur externe. Le Médecin en chef François Pons a souligné au passage l’état de maigreur, de cachexie des réfugiés en raison de la dénutrition mais peut-être aussi du sida et de la tuberculose, fréquents dans ces populations.

Le bloc opératoire a dû être dédoublé pour pouvoir traiter tous ces patients. Un des chirurgiens opérait avec un scialytique, l’autre avec une lampe frontale. Les lésions observées donnaient, de manière certainement très limitée, une idée de l’horreur des massacres auxquels les blessés avaient échappé.

La diapositive suivante montrait l’instrument qui a, selon le Médecin en chef François Pons, fait beaucoup plus de dégâts que les armes les plus sophistiquées : la machette du paysan rwandais.

Les diapositives suivantes présentaient des exemples de lésions : une tentative de décapitation qui n’avait pas abouti, une main tranchée. Le Médecin en chef François Pons a fait observer qu’il y avait beaucoup de mains tranchées car cette blessure était infligée dans un but de torture. Il a souligné également que nombre d’enfants étaient concernés ; ils représentaient un tiers des blessés et souffraient le plus souvent de fractures du crâne provoquées par les machettes. Les fractures étaient dans un état d’infection très avancé mais ne présentaient pas de lésion cérébrale puisque ceux qui en avaient eu étaient déjà morts.

Les enfants présentés sur la diapositive se trouvaient dans la tente d’hospitalisation de l’antenne, dont une dizaine avec des pansements sur la tête. Ils racontaient tous la même histoire : ils avaient été laissés pour mort après avoir perdu connaissance et avaient réussi par la suite à s’échapper.

Une autre diapositive a montré un enfant souffrant d’une plaie par balle du périnée et la suivante le même enfant au bout de deux mois. Sa guérison complète a pu être obtenue au prix de quatre interventions chirurgicales.

Le Médecin en chef François Pons a insisté sur la nécessité où il s’était trouvé de réorganiser l’antenne pour la transformer d’une structure de 12 lits en une structure d’un peu plus de 130 lits qui devait prendre également en charge, du fait de l’absence de famille et de structure sociale, le logement, la nourriture, etc. Une aide précieuse a été apportée à cet effet par le bataillon de soutien logistique du Commissariat de l’Armée de Terre et, ultérieurement, par des organisations caritatives ou non gouvernementales.

Il a fallu installer les blessés sous des tentes, assurer leur couchage sur des brancards ou des lits Picot, et les nourrir. Chaque blessé a reçu chaque jour la même chose que les militaires, c’est-à-dire une ration de combat, qui, tout en n’étant pas conforme à ses traditions culinaires, présentait l’avantage d’être constituée d’aliments hyper-caloriques, hyper-énergétiques, et donc susceptibles de favoriser la cicatrisation.

Lors de l’exode des réfugiés hutus, le 14 juillet, le spectacle était assez impressionnant : pendant quatre jours un million de réfugiés, devançant le FPR, a défilé pratiquement sans bruit devant l’aéroport et devant l’antenne. Ils avaient tous leurs bagages sur la tête. Ils étaient déjà vraisemblablement épuisés par 300 ou 400 kilomètres de marche. Ils se sont installés autour de Goma et de ses environs dans des camps improvisés.

Ils précédaient de très peu les forces FPR puisque, le 17 juillet, un bombardement au mortier a duré une dizaine d’heures. Il a eu lieu à proximité de l’antenne et de l’aéroport et, en raison de la densité de population, le Médecin en chef François Pons a estimé qu’il avait fait plusieurs centaines de morts. Ce bombardement a entraîné un afflux de blessés graves. Il a fallu s’organiser pour les recevoir en masse et les trier.

Une soixantaine de blessés a été accueillie, parmi lesquels un tiers d’enfants. Les lésions les plus courantes étaient causées par des éclats de mortier. En raison de l’impossibilité d’opérer plusieurs blessés en même temps, il a fallu déterminer un ordre de passage. Le Médecin en chef François Pons a souligné la difficulté de l’exercice, surtout quand les lésions sont graves, toute erreur peut en effet entraîner le décès d’un des blessés pendant que l’on procède à une opération sur un autre patient. Le plus grave de ces blessés était un officier français qui avait été atteint au coeur par une balle, mais qui a pu être opéré avec succès.

D’autres diapositives ont présenté une plaie thoraco-abdominale par obus de mortier et un fracas de membre, également par obus de mortier qui ne relevait que de l’amputation.

La mortalité parmi les blessés était de 20 %, ce qui est élevé, et montre bien toute la difficulté du triage, encore plus délicat à réaliser chez les enfants

Les diapositives suivantes ont présenté une petite fille qui avait subi un arrachement paroi lombaire par éclat de mortier et une autre victime d’un arrachement du bras et de plusieurs lésions : Le Médecin en chef François Pons a relevé qu’il s’agissait de patients opérés sans succès et qu’il aurait peut-être fallu ne pas opérer pour en opérer d’autres à leur place.

L’épidémie de choléra, qui a dû faire 20 000 à 50 000 morts en dix jours, a posé le problème, heureusement rare mais très difficile, de l’association du choléra et des blessures de guerre.

Le premier vibrion cholérique a été isolé chez un des patients de l’antenne chirurgicale et certains des opérés ont alors présenté des diarrhées cataclysmiques qui ont été le signe des premiers cas de choléra. Il a fallu à nouveau transformer l’antenne en aménageant certaines tentes en unités de soins aux cholériques ou en établissant des mesures d’isolement qui ne pouvaient avoir qu’un caractère symbolique.

Une diapositive a illustré le traitement du choléra dont le Médecin en chef François Pons a souligné la simplicité : il suffit de remplir les patients par deux voies veineuses, plus vite qu’ils ne se vident par leur diarrhée et de les poser sur des brancards dont le fond est découpé pour recueillir les selles. Tous les réfugiés n’ont malheureusement pas pu bénéficier de ces soins. Ont été traités les blessés atteints du choléra mais également un certain nombre de patients non chirurgicaux qui venaient à l’antenne et qui étaient soignés de la même manière.

Le Médecin en chef François Pons a montré une diapositive d’une jeune fille, probablement hutue, de 15 ans, qui avait été blessée par un éclat de mortier. Elle n’a pas été soignée immédiatement. Elle a été retrouvée trois ou quatre jours après avoir été blessée au milieu de soldats rwandais, dans un état très avancé de délabrement physique, avec un fracas de cuisse par éclat de mortier déjà arrivé à un stade de gangrène très évoluée. Il a fallu désarticuler la hanche et, peu de temps après, le choléra s’est déclaré.

Les difficultés de l’équipe soignante étaient extrêmes pour maintenir à peu près propre le moignon d’amputation d’un blessé atteint de surcroît de choléra. Il fallait faire et refaire les pansements plusieurs fois par jour.

Si la jeune fille présentée sur la diapositive a échappé à la gangrène et au choléra, elle est restée dans un état de prostration psychologique. L’équipe soignante a réussi à la verticaliser mais, lorsque les troupes françaises sont parties, elle était toujours dans cet état de prostration, que l’on retrouvait chez un certain nombre d’enfants.

La diapositive suivante présentait le camp de réfugiés de Kibumba où le choléra a fait des ravages compte tenu des conditions extrêmement précaires dans lesquelles vivaient les personnes qui s’y étaient installées. Il y a eu à ce moment-là une centaine de cadavres.

Le Médecin en chef François Pons a ensuite présenté l’hôpital militaire des forces armées rwandaises en déroute qui s’étaient installées sur le centre sportif de Goma où 1 000 à 1 500 blessés de guerre plus ou moins anciens étaient déjà décimés par le tétanos et la gangrène auxquels s’est rajouté le choléra. L’équipe française allait prendre régulièrement deux ou trois de ces soldats pour les traiter et elle était pratiquement la seule à accepter de le faire. Pendant que ces blessés étaient recueillis, les camions de l’armée française relevaient une centaine de cadavres de personnes décédées du choléra dans la journée. La diapositive montrait, derrière le brancard, un amoncellement de cadavres illustrant la gravité de cette épidémie.

Le Médecin en chef François Pons a indiqué qu’il avait coutume de travailler assez fréquemment avec les ONG qui sont arrivées à ce moment étant donné que c’était celles qu’il avait l’habitude de retrouver sur tous les théâtres d’intervention. S’il peut y avoir parfois des divergences dans les décisions, la préparation, au niveau des équipes soignantes, s’effectue généralement dans de bonnes conditions de coopération, d’autant qu’il existe une complémentarité : l’antenne militaire propose le traitement des patients relevant du geste chirurgical et, inversement, elle confie aux ONG un certain nombre de post-opérés.

La fin de la mission a été, selon le Médecin en chef François Pons, plus conforme à ce qu’il connaissait. Elle a consisté à accorder une aide aux populations, essentiellement par la chirurgie d’urgence, tout en continuant, bien sûr, à assurer le soutien des troupes françaises.

Le problème majeur était de savoir que faire des opérés qui commençaient à se recréer une petite vie sociale à l’antenne. Il fallait les placer. Or, il n’existait aucune structure d’accueil. Certains ont pu repartir au Rwanda grâce à l’aide des affaires civiles, d’autres ont dû être placés dans les camps de réfugiés. L’antenne chirurgicale s’occupait d’eux en collaboration avec les ONG ou le Haut commissariat aux réfugiés.

Un autre problème grave était celui des enfants blessés. Certains ont été réclamés par leurs parents, d’autres ont été adoptés par des femmes de l’antenne mais la majorité d’entre eux a été placée dans un des nombreux orphelinats qui pullulaient autour de Goma. Ils y vivaient encore il y a peu de temps.

Pour conclure, le Médecin en chef François Pons a précisé que plus de 500 personnes avaient été hospitalisées et que 315 interventions chirurgicales avaient été réalisées : 7 soldats français dont 2 gravement blessés par balle, 21 soldats zaïrois, 32 soldats rwandais en avaient bénéficié, mais l’essentiel de l’activité -80 %- a concerné les réfugiés rwandais parmi lesquels aucune différence n’a été faite entre Hutus et Tutsis. Le chiffre le plus impressionnant demeure celui des enfants opérés, qui représente un tiers du total des interventions, ce qui n’est pas classique en chirurgie de guerre.

Le Médecin en chef François Pons a souligné que l’action chirurgicale qu’il a menée était, comme toujours, ponctuelle. Elle a apporté certainement quelques soulagements à l’échelon individuel mais, dans l’océan de désespoir des victimes, elle a sans doute représenté très peu de chose.

Le Président Paul Quilès s’est déclaré personnellement ému par la présentation à laquelle il avait assisté et par les indications qui avaient été données.

Il a demandé des précisions sur les relations entretenues sur place par le Service de santé des armées avec les ONG humanitaires comme MSF. Il a demandé aux officiers leur sentiment sur la critique selon laquelle il revenait aux ONG humanitaires de faire ce travail de soins et d’assistance aux populations en difficultés sanitaires, alors que c’était aux militaires d’intervenir pour neutraliser les criminels et les responsables de crimes contre l’humanité.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a souligné que les ONG étaient relativement peu présentes au départ. Elles ont eu des états d’âme, par exemple à l’égard des militaires rwandais des FAR. La Croix Rouge ne souhaitait pas s’en occuper, au motif qu’ils n’étaient pas prisonniers, comme le Haut Commissariat aux réfugiés parce que c’étaient des militaires.

Les relations avec les ONG se sont ensuite considérablement améliorées quand elles ont vu en particulier l’efficacité de la Bioforce qui a essayé d’organiser et de contrôler tout ce qui était de l’ordre du soutien. C’est bien la France, et non d’autres pays, qui a fourni les vaccins des 24 000 vaccinations.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a signalé par ailleurs que les ONG ne peuvent manifestement intervenir que lorsque la zone est pacifiée.

Mais certaines organisations refusent d’intervenir en présence des militaires. Dans la zone humanitaire sûre, il est arrivé plusieurs fois que des organismes souhaitent faire transiter des convois en sécurité. Il leur a été proposé de se joindre aux convois militaires mais cette offre était le plus souvent rejetée. Il leur a été précisé que les militaires ne pouvaient pas assurer leur sécurité s’ils n’étaient pas présents. La zone humanitaire sûre était aussi sûre que possible, mais il y avait quand même encore des milices et des convois d’organismes humanitaires ont été pillés.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a jugé que les ONG ont finalement apprécié le travail effectué par l’antenne chirurgicale et elles en ont tout naturellement pris la suite.

Le Président Paul Quilès a voulu savoir aussi si des reproches avaient été adressés sur place au Service de santé.

Le Médecin en chef François Pons a répondu qu’une seule ONG était déjà présente avant leur arrivée, à savoir MSF Zaïre qui s’occupait de la lutte contre la peste. Les membres des ONG étaient manifestement assez réticents pour travailler avec les militaires sans d’ailleurs faire preuve d’hostilité à leur égard. Quand toutes les autres ONG sont arrivées par la suite, les relations ont toujours été bonnes entre les équipes soignantes. Les ONG n’ont alors pas adressé de reproches au Service de santé. Peut-être leurs décideurs éprouvaient-ils une certaine réticence vis-à-vis de l’armée, mais le Médecin en chef François Pons a déclaré ne pas en avoir ressenti parmi les médecins avec lesquels il a été amené à travailler.

Le Médecin en chef François Pons a estimé qu’il était du devoir des troupes françaises de faire de l’action humanitaire. C’est une tradition ancienne puisque, depuis très longtemps en Afrique, sous forme d’aide médicale gratuite ou, même avant, avec le service de santé des troupes coloniales, l’armée s’est toujours occupé des populations, même si elle le faisait avec moins de publicité que certaines ONG.

M. Pierre Brana a noté que le médecin psychiatre était arrivé sur place le 27 juillet, ce qu’il a jugé un peu tardif. Il a demandé s’il n’aurait pas été bon d’avoir une équipe psychiatrique dès le départ auprès des troupes françaises. Il a, par ailleurs, souhaité savoir si les traumatismes psychiques des enfants rwandais avaient été soignés.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a répondu qu’il aurait sans doute été souhaitable que le psychiatre participe à l’opération dès le départ, comme cela se pratique aux Etats-Unis. Mais quand une opération est montée, l’effectif est malheureusement toujours restreint au minimum, en particulier au niveau du soutien. C’est pour cette raison que le psychiatre n’a pas fait partie de l’équipe médicale mise en place au départ, contrairement à l’épidémiologiste. Il a été fait appel au psychiatre pour les personnels qui encadraient les opérations d’enfouissement des cadavres. Ce n’étaient pas les militaires français qui effectuaient le ramassage mais c’étaient eux qui conduisaient les camions et qui dirigeaient les équipes, c’était le Génie de l’air qui creusait les fosses avec les engins dont il était le seul à disposer. Le psychiatre est arrivé quand on s’est aperçu que les personnels qui accomplissaient ces tâches commençaient à connaître des difficultés d’ordre psychique.

Le Médecin en chef François Pons a précisé que le psychiatre s’était également occupé des enfants rwandais même si le traitement psychiatrique d’une personne qui n’est pas de même culture et qui ne parle pas la même langue reste difficile. Toutefois, quelques résultats assez satisfaisants ont été obtenus.

Le Président Paul Quilès a demandé aux deux officiers leur opinion sur la critique selon laquelle la création de la zone humanitaire sûre aurait entraîné une augmentation du risque épidémique du fait de la concentration des populations.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a rappelé que les populations s’étaient, de toute façon, déjà en partie regroupées dans cette zone.

Il a souligné qu’il n’y avait pratiquement pas eu de cas de choléra dans la zone humanitaire sûre. Le choléra est apparu dans la région de Goma en raison de l’épuisement des réfugiés et de leur exode massif. Dans la zone humanitaire sûre, au contraire, les réfugiés ont pu commencer à reconstituer leurs forces. Il y a donc eu moins de phénomènes épidémiologiques mais il n’en demeure pas moins que les risques épidémiologiques sont de toute façon aggravés par la concentration des populations.

Le Président Paul Quilès a demandé si l’équilibre entre le déploiement des moyens humanitaires et militaires était satisfaisant.

Le Médecin en chef Robert de Resseguier a jugé que cet équilibre était satisfaisant dans sa conception mais que dans la réalisation, l’antenne médicale a été débordée par la masse de réfugiés, comme tous les organismes présents.

Le Médecin en chef François Pons a souligné que l’opération Turquoise a été la première mission où une telle importance a été donnée au volet médical et humanitaire. L’équilibre entre moyens militaires et humanitaires a été bon mais l’importance de l’épidémie était telle que toute structure ne pouvait être que dépassée.

Le Président Paul Quilès a demandé s’ils s’attendaient trouver une situation de cette nature.

Le Médecin en chef François Pons a répondu que la mission ressemblait un peu à celle que les militaires français avaient l’habitude de mener au Tchad, en tout cas pour l’antenne chirurgicale, dans la mesure où elle consistait à soutenir les troupes et à traiter les réfugiés. Il a toutefois précisé qu’il n’avait pas prévu que les problèmes auxquels il allait devoir faire face prendraient une telle dimension.

Le Président Paul Quilès a félicité les deux officiers pour le travail qu’ils ont accompli dans des conditions particulièrement difficiles.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr