Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Patrick RITTER : Nous aurons tout d’abord une présentation faite par M. Christian Näscher, collaborateur juridique auprès du service juridique du Gouvernement. M. Norbert Marxer, le chef de ce service, nous rejoindra, pour sa part, à midi, où nous aurons une réunion avec le président de notre parlement, M. Peter Wolff, ainsi qu’avec le directeur de l’autorité de surveillance financière (AFDL), M. Roland Müller et M. Uwe Langenbahn, chef de l’état-major de la police nationale.

D’ici là, nous disposons d’une heure pour vous faire une présentation, qui nous permettra d’être précis dans la discussion, le but étant de vous donner les informations de base à partir desquelles vous pourrez poser des questions à nos experts.

M. Christian NÄSCHER : J’ai l’honneur de vous présenter la situation actuelle dans la principauté du Liechtenstein concernant le blanchiment d’argent ainsi que toutes les mesures de contrôle qui ont été prises. Je ferai tout d’abord quelques remarques générales décrivant la place financière du Liechtenstein. Je présenterai ensuite les mesures et les dispositions légales existant en la matière. Je vous parlerai enfin des mesures d’organisation dans la lutte contre le blanchiment d’argent et de toutes les institutions impliquées dans ce contrôle.

La place financière du Liechtenstein, en application du Traité monétaire de 1980, est étroitement liée à la place suisse puisque toutes les dispositions suisses concernant la politique monétaire sont également applicables au Liechtenstein. La banque nationale suisse a les mêmes compétences envers les banques du Liechtenstein qu’envers les banques suisses, et n’établit aucune différence dans sa façon de les traiter. Les banques du Liechtenstein sont membres de l’Association des banques suisses et ont signé pour la plupart des conventions de l’Association des banques suisses.

Les trois principales banques, à savoir la Liechtensteinische Landesbank AG, la Verwaltungs und Privat-Bank AG, dont les actions et les titres de participation sont cotés à la banque de Zurich, ainsi que la LGT Bank in Liechtenstein AG comptent parmi les vingt plus grosses banques de Suisse et sont des banques universelles modernes, alors que la Neue Bank AG et la Centrum Bank AG sont de petites banques, essentiellement spécialisées en conseil de clientèle privée.

Au cours de la période 1997-1999, huit autres banques ont obtenu une licence en application du droit du Liechtenstein. Ces nouvelles banques travaillent aussi essentiellement dans le domaine du private banking. Il n’existe au Liechtenstein aucune filiale de banques étrangères, simplement huit succursales autonomes d’un point de vue légal, avec un actionnariat étranger.

Le Liechtenstein n’a pas sa propre bourse des valeurs. Par conséquent, une part importante du chiffre d’affaires boursier est réalisée sur les places suisses par l’intermédiaire de banques suisses.

Les banques, les sociétés financières et les entreprises d’investissement doivent, pour exercer leur activité, obtenir une licence du Gouvernement. Cette licence n’est accordée que si certaines conditions préalables sont satisfaites concernant notamment la forme juridique, le capital, une bonne activité de gestion de la part de la direction, du conseil de surveillance et des actionnaires ainsi que l’organisation de la révision comptable.

En raison de la petite taille du pays, on ne trouve pas au Liechtenstein les formes habituelles de criminalité organisée comme le trafic de drogue organisé, la prostitution, le trafic d’armes ou le terrorisme. Le blanchiment d’argent, s’il existe, se fait uniquement sous la forme de tentatives de placement au Liechtenstein de sommes provenant d’actes criminels commis à l’étranger. Les fonds illégaux proviennent essentiellement du trafic de drogue et de divers délits patrimoniaux, en particulier l’escroquerie de placements. L’analyse des cas de blanchiment supposés montre que les comptes au Liechtenstein sont essentiellement utilisés comme comptes de passage, au stade du camouflage. Dans quelques cas seulement, on essaie d’éliminer toute trace écrite en déposant de l’argent liquide au guichet.

En tant que membre de l’Espace économique européen, le Liechtenstein a transposé dans sa législation les dispositions de la directive communautaire de 1991 relative au blanchiment d’argent. Le 4 novembre 1998, l’ESA, l’autorité de surveillance de l’AELE a, conformément à cet accord, publié un rapport relatif à la transposition de cette directive dans les législations de l’Islande, du Liechtenstein et de la Norvège. Dans ses conclusions L’ESA estime : " En général, l’autorité considère que la mise en _uvre de cette directive est très satisfaisante dans ces trois pays de l’AELE. Dans certains cas, les mesures nationales visant à mettre en _uvre cette directive assurent un régime plus exhaustif que celui prévu par la directive. " Les détails de ces mesures de transposition au Liechtenstein sont décrits ci-après.

La politique actuelle du Gouvernement du Liechtenstein dans ce domaine répond aux objectifs suivants : la mise en place d’une unité spéciale, la Financial Intelligence Unit, chargée de s’occuper des délits économiques en général et du blanchiment d’argent en particulier ; des programmes de formation pour les membres des instances devant s’occuper de cas de blanchiment ; la prévention contre l’utilisation délictueuse des banques du Liechtenstein et de son économie à des fins de blanchiment.

En outre, le Gouvernement prépare la ratification de la Convention de Strasbourg de 1990 relative au blanchiment d’argent ainsi que la détection, la saisie et la confiscation des produits provenant d’actes criminels.

M. Patrick RITTER : Le Gouvernement vient de soumettre cette semaine au Parlement le ppojet de loi qui permet la ratification de cette Convention.

M. Christian NÄSCHER : Le code pénal liechtensteinois reprend dans son ensemble le code pénal autrichien. Ainsi, l’incrimination de blanchiment, introduite en 1996, à l’article 165 du code pénal du Liechtenstein reprend la formulation du code pénal autrichien.

Avant l’introduction de l’incrimination spécifique de blanchiment d’argent dans le code pénal, les infractions à l’origine du blanchiment étaient celles liés au trafic de drogue et pour lesquelles l’auteur du blanchiment pouvait être aussi l’auteur du délit de drogue - articles 20 et 20 A de la loi sur les stupéfiants.

Cette approche différente vient de ce que la loi sur les stupéfiants a été élaborée sur la base de la loi suisse correspondante parce que l’union douanière et l’ouverture des frontières avec la Suisse exige une collaboration étroite en matière de politique anti-drogue.

Peu après l’introduction de l’incrimination de blanchiment dans le code pénal, la loi concernant l’obligation de diligence accrue pour l’acceptation de fonds est entrée en vigueur. Cette loi sur le devoir de diligence a remplacé le 1er janvier 1997 la Convention sur l’obligation de diligence conclue entre le Gouvernement et les banques, étendant cette obligation de diligence à d’autres professions, qui sont également liées par le secret professionnel, tels les banquiers, les sociétés financières, les avocats, les personnes physiques et morales, les personnes ayant une licence d’agent fiduciaire, les gérants et représentants de sociétés fiduciaires, de sociétés d’investissements, de compagnies d’assurance proposant des assurances vies directes, de filiales de banques étrangères, de sociétés chargées de valeurs, les agents juridiques ainsi que la Poste du Liechtenstein.

De plus, des dispositions pénales plus sévères ont été intégrées dans la loi. Les personnes soumises à cette loi sont tenues à une plus grande diligence lors de l’acceptation de titres de valeur. En cas de soupçon de blanchiment, elles doivent en avertir l’Office des services financiers, l’AFDL, et peuvent en avertir le Procureur général. En cas de doute sur le respect des dispositions de la loi, cet office chargé de la surveillance financière peut ordonner des contrôles et des vérifications relatifs à la qualité de l’identification, etc.

La possibilité de blanchiment est donc très fortement restreinte. L’introduction de ces dispositions a demandé aux personnes soumises à cette loi des changements et des adaptations relativement importants. Entre-temps, de nombreuses questions de détail et d’interprétation furent élucidées. En collaboration avec plusieurs associations économiques, une checklist, un programme de contrôle ainsi que le contenu minimal des rapports furent élaborés afin d’assurer l’application d’un minimum de règles " standard " et de prévenir toute violation de la loi.

Nous en venons aux mesures organisationnelles de la lutte contre le blanchiment.

Le Gouvernement est l’organe de surveillance majeur pour assurer le respect de toutes ces lois. Le Gouvernement accorde et retire les autorisations conformément à la loi sur les banques, la loi sur les sociétés d’investissements et la loi sur les assurances. L’octroi de ces autorisations, concernant les avocats, les administrateurs de biens, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, relève également du Gouvernement, mais cette compétence a été déléguée par ordonnance à l’Office des services financiers, l’AFDL.

Celui-ci contrôle la bonne exécution des lois concernant la place financière. Il bénéficie de compétences élargies. Normalement, les banques, les sociétés financières et les sociétés d’investissement sont contrôlées par des services de révision spécifiques. Cela signifie que l’AFDL n’entreprend aucun contrôle direct mais exerce son activité de surveillance sur la base des rapports de révision très détaillés. Mais l’AFDL peut également demander des contrôles exceptionnels, les effectuer lui-même et exiger tous les renseignements et éclaircissements nécessaires. Cet office a également la possibilité d’effectuer des contrôles aux termes de la loi sur l’obligation de diligence auprès des avocats, des personnes physiques et morales ayant la licence d’agent fiduciaire ainsi que des agents juridiques.

Puis, l’autorité, dite de l’économie nationale, surveille en tant qu’autorité compétente, le respect de la loi dans le domaine de la surveillance des assurances.

Le Procureur général et le parquet participent, notamment à toutes les enquêtes et audiences qui sont tenues en raison des crimes, délits et infractions et tous les actes pénaux portés à la connaissance du parquet sont poursuivis d’office et transmis pour examen et sanctions aux tribunaux compétents.

La police nationale est l’autorité compétente chargée des enquêtes au pénal. Elle entreprend, par exemple, des perquisitions à domicile sur mandat des autorités d’enquête. Le tribunal est chargé de la conduite des enquêtes, des procédures et des jugements. Il est en outre compétent, dans le domaine de l’entraide judiciaire, pour l’examen et l’acceptation des commissions rogatoires.

M. Patrick RITTER : Pour les commissions rogatoires, il y a aussi une procédure administrative. Cela sera développé ultérieurement.

M. Christian NÄSCHER : Nous en venons aux différents services de révision et de contrôle.

Les services de révision, conformément aux lois sur les banques, sur les sociétés d’investissement et sur les assurances, contrôlent les entreprises qui y sont soumises pour ce qui est du respect des dispositions de la loi sur l’obligation de diligence. Pour effectuer ces contrôles et ces examens, il faut être expert-comptable ou commissaire aux comptes et disposer d’une autorisation conforme à la loi du 9 décembre 1992 sur les experts-comptables et les commissaires aux comptes.

Toutes les personnes soumises à la loi sur l’obligation de diligence sont tenues de relever l’identité de leur client sur la base d’un document probant. De plus, il leur faut identifier l’ayant droit, lorsqu’elles doutent que la partie contractante soit l’ayant droit, lorsque le montant de l’opération est supérieur à 25 000 francs suisses ou lorsque la relation commerciale a été établie uniquement par correspondance. Si au cours d’une relation commerciale, il y a un soupçon de blanchiment d’argent, il leur faut entreprendre une recherche d’explication approfondie. Si le soupçon n’est pas levé, il y a obligation de déclaration à l’Office des services financiers et droit de déclaration au parquet général.

En outre, il leur faut tenir une documentation sur les relations avec le client pour qu’une tierce personne experte puisse constater le respect des dispositions de la loi. Toutes les pièces et documents comptables doivent être établis et conservés pour permettre une information des tribunaux ou pour permettre également des ordonnances de saisie dans un délai approprié.

Les chambres syndicales économiques remplissent également des fonctions importantes, notamment en ce qui concerne la transmission d’informations et l’élaboration et la mise en _uvre de règles déontologiques. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’obligation de diligence, ces différentes chambres ont organisé des conférences et des forums de discussion. Au cours de la première année de l’entrée en vigueur de la loi sur l’obligation de diligence, les unions d’agents fiduciaires et d’avocats ont établi, en collaboration avec l’Office des services financiers, une checklist pour l’établissement de la documentation concernant les relations avec le client, un programme de contrôle et le contenu minimum du rapport de révision des commissaires aux comptes. L’objectif premier visait à assurer une certaine qualité et à introduire des normes minimales.

L’association des banques comprend actuellement les cinq grandes banques. Les autres n’ont été fondées que récemment, mais les autorités souhaitent que ces nouvelles banques adhèrent également à cette association. Des entretiens dans ce sens sont en cours. Un groupe de travail permanent de l’association des banques, composé des chefs des services juridiques des banques membres s’occupe actuellement de l’élaboration de lignes directrices déontologiques visant, entre autres, à empêcher le blanchiment d’argent.

La chambre des avocats compte, pour sa part, tous les avocats inscrits sur la liste du Gouvernement. L’inscription sur cette liste est obligatoire pour pouvoir exercer la profession d’avocat au Liechtenstein. Cette inscription ne se fait que lorsque différents critères, concernant la capacité d’exercice, la fiabilité, la nationalité, le domicile, les études, l’activité pratique ainsi que l’examen d’avocat, sont satisfaits. La chambre des avocats a l’obligation de veiller à l’honneur, à la réputation et au droit, mais aussi au respect des devoirs des avocats. Cette chambre est soumise au contrôle du Gouvernement. Le pouvoir disciplinaire sur les avocats est exercé par le tribunal de grande instance.

La même chose vaut pour l’association des agents fiduciaires qui sont organisés comme la chambre des avocats, soumis également au contrôle du Gouvernement et au pouvoir disciplinaire du tribunal de grande instance.

L’office central est l’Office des services financiers. Il fixe la coordination entre les différentes instances. Du fait de la petitesse du pays et de la proximité géographique des différentes autorités chargées de la lutte contre le blanchiment, une coordination supplémentaire n’est pas nécessaire. Les contacts formels se doublent de nombreux contacts informels. Les distances entre les différentes instances sont courtes et peu de services sont impliqués. De plus, des rencontres régulières se tiennent entre les différentes associations économiques, les diverses autorités et le Procureur général au niveau gouvernemental.

Les collaborateurs des services compétents participent régulièrement à des cours et des conférences dans notre pays et à l’étranger. Ils se réfèrent aussi, bien évidemment, à des ouvrages techniques sur la question. Du fait de leur participation à des réunions internationales, par exemple au Contact Committee On Money Laundering de l’Union européenne ou encore au Banking Advisory Committee de l’Union européenne, et de la collaboration entre les autorités européennes de surveillance bancaire, l’échange d’expériences est garanti au plan international. Un échange régulier d’informations a également lieu avec les personnes soumises à la loi sur l’obligation de diligence. En outre, les contacts bilatéraux avec la Suisse, en particulier entre les services suisses de déclaration de soupçon de blanchiment et l’Office des services financiers sont soigneusement entretenus.

Quant à la collaboration internationale, le Liechtenstein est depuis le 26 janvier 1970 membre de la Convention européenne sur l’entraide judiciaire en matière pénale. Avec la loi sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale, cette convention constituait jusqu’alors la base juridique de toutes les procédures d’assistance judiciaire. Le principal avantage lié à l’introduction du délit pour fait de blanchiment réside principalement dans le fait que, depuis l’entrée en vigueur de cette disposition, il existe maintenant une réciprocité. Les tribunaux du Liechtenstein peuvent accorder leur aide judiciaire conformément à la Convention européenne sur l’entraide judiciaire aux tribunaux étrangers en matière pénale et peuvent également bloquer des comptes et saisir des fonds dans le cadre de l’enquête judiciaire.

L’article 20 de la loi sur l’entraide judiciaire prévoit en plus la recevabilité et les conditions préalables des mesures préventives. De telles mesures peuvent être prises lorsqu’elles sont recevables aux termes du droit national du Liechtenstein et que l’entraide judiciaire n’apparaît pas, de toute évidence, inutile ou non recevable. En cas de mise en demeure, de telles mesures peuvent être présentées sur demande du Gouvernement, sans audition préalable des personnes concernées, dès lors que des indications sont suffisantes pour pouvoir juger des conditions préalables.

L’exécution de l’entraide judiciaire est soumise à plusieurs étapes.

La première étape est une procédure administrative qui décide de la recevabilité de la commission rogatoire. C’est donc un contrôle politique et juridique formel. La deuxième comprend la saisie des tribunaux qui procèdent à un contrôle matériel et juridique. Les tribunaux appliquent le droit national, c’est-à-dire que, pour les saisies, les blocages de comptes, etc., le code de procédure pénale du 18 octobre 1988 s’applique. La troisième étape comprend l’exécution de la commission rogatoire, exécutée dans le cadre d’une procédure administrative.

Par l’introduction du paragraphe 97a du code de procédure pénale, on a crée la possibilité d’ordonner et de prendre des mesures de sécurité et d’avoir une disposition efficace permettant le blocage de comptes.

Le Liechtenstein n’a ni signé ni ratifié la Convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. En raison de l’union douanière et de l’ouverture des frontières avec la Suisse, une éventuelle adhésion du Liechtenstein à cette Convention ne peut se faire qu’en parallèle avec la Suisse. Les dispositions de cette Convention consacrée à la lutte contre le blanchiment d’argent dans le contexte de délits de drogue sont toutefois prises en compte dans la législation du Liechtenstein.

Le Liechtenstein a signé la Convention de Strasbourg du 29 juin 1990. Les travaux préparatoires internes visant à la ratification sont très avancés. Le Gouvernement a tout récemment, le 11 janvier, donné son accord. Il est prévu de soumettre au Parlement, au cours du premier semestre de cette année, un projet de loi de ratification de cette Convention, et prévoyant les adaptations nécessaires du droit interne du Liechtenstein. Les travaux préparatoires en vue de la ratification ont été rendus difficiles par le fait que les dispositions législatives en vigueur du code de procédure pénale et l’entraide judiciaire internationale reposent sur des systèmes différents, autrichien et suisse.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr