Présidence de M. Vincent PEILLON, président
(Présentation des personnes présentes :
M. Jean-Louis CAMPORA, Parlementaire, Président du Conseil national
Et M. Michel BOERI, Parlementaire, Président de la Commission des relations extérieures)

M. Jean-Louis CAMPORA : Notre personnel, au Conseil national, est relativement restreint. Nous n’avons pas d’attachés parlementaires. Nous sommes des députés bénévoles, recevant une indemnité de fonctionnement.

Le Conseil national comporte quatre commissions permanentes : commission des finances et économie nationale, commission de la législation, commission des relations extérieures et commission des affaires sociales. Parallèlement à cela, nous avons nous-mêmes créé deux commissions spéciales : commission de la jeunesse et commission du logement.

Nous siégeons dans trois organismes internationaux parlementaires : l’UIT, l’Association des parlementaires de langue française et l’OSCE. Nous avons un groupe d’amitié France-Monaco et nous sommes en train de créer le groupe d’amitié Italie-Monaco.

Nos contacts avec l’Assemblée nationale passent par le canal des services administratifs. Lorsque nous requérons des informations sur les lois préparées ou les interventions sur tel ou tel projet de loi en France, nous nous adressons à M. Pierre Hontebeyrie, notre interlocuteur, avec lequel nous entretenons de très bonnes relations.

Dans nos commissions, composées de huit membres, nous manquons parfois d’éléments d’information. Nous essayons de nous débrouiller au mieux, par rapport à l’exécutif. Dans le système monégasque, le Prince désigne un ministre d’Etat auquel il délègue une partie de ses pouvoirs. Ce dernier est français et il est proposé par le président de la République. Cette dualité entraîne souvent des confusions entre députés monégasques car nous avons le sentiment d’être toujours sous protectorat, ce qui nous gêne un peu. Les Français détachés, qui viennent en poste à Monaco, prêtent serment au Prince.

M. le Président : Nous comprenons vos réticences, mais notre idée est que Monaco est un Etat souverain à part entière.

M. Jean-Louis CAMPORA : Nous considérons nos rapports avec la France tout à fait normaux, et gardons à l’esprit les conventions qui nous lient et qu’une amitié et une histoire ont fortifié. Toutefois la seule discordance pourrait être liée à l’après des traités franco-monégasques de 1918 et de 1930. Autant ces derniers se justifiaient en 1918 et en 1930, autant ils mériteraient d’être rénovés.

M. le Président : A quoi pensez-vous en particulier ?

M. Jean-Louis CAMPORA : A Monaco, par exemple, un certain nombre de nos postes sont réservés à des détachés français, sans même évoquer les plus hauts postes tels que celui du ministre d’Etat, du directeur du port ou de magistrat. En 1918, les Monégasques qui faisaient des études pouvaient se compter sur les doigts d’une main, alors qu’ils sont de plus en plus nombreux aujourd’hui.

La France, à l’époque, nous détachait des personnes compétentes qui formaient les Monégasques dans différents domaines. Aujourd’hui, ce traité de 1930 bloque l’accession des Monégasques à des postes de haute responsabilité. Les Monégasques font des études et obtiennent des diplômes et les compétences adéquates pour assumer ces postes. Monaco a une souveraineté, et l’amitié franco-monégasque est consacrée. Il conviendrait donc de revoir, entre amis, un certain nombre de choses.

M. le Président : Cette discussion évolue-t-elle ?

M. Jean-Louis CAMPORA : Pour le moment, elle est au point mort.

M. Michel BOERI : Il faut aussi la resituer dans son contexte. En 1916, le gouvernement français craint, dans le cas de la disparition des Princes légitimes, que les Allemands nous revendiquent. C’est dans cet esprit que s’est appliqué le dispositif de 1916, maintenant totalement obsolète mais reconfirmé en 1930. A l’époque, nos élites n’étaient pas encore formées. Puis les choses ont évolué. La meilleure illustration en est M. Mitterrand venant à Monaco et amenant, dans la corbeille de mariée, les eaux territoriales. C’est à partir même de la partie française que les choses ont commencé à évoluer.

Aujourd’hui, il n’y a aucun esprit de rébellion, mais nous pensons que certains monégasques sont à même de réoccuper certains postes car eux aussi doivent se créer une carrière, un système de vie...

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Est-ce la position de la majorité du Conseil national ?

M. Michel BOERI : Ce n’est pas une position politique, mais de bon sens.

M. le Président : Notre rencontre a pour but de discuter différentes idées d’évolution car il n’est pas bon que les choses restent figées. Notre mission d’information est composée de députés, toutes tendances confondues, qui se donnent un objet de réflexion sur lequel ils travaillent de façon thématique, pendant un temps donné, en vue de produire des axes d’orientation. Une telle disposition existe-t-elle à Monaco ?

M. Jean-Louis CAMPORA : Nous avons la possibilité soit de créer une commission spéciale en tant que telle à laquelle chacun peut adhérer, soit de mixer les commissions sur un sujet particulier. Sans que cela apparaisse dans nos textes aussi clairement que dans les vôtres, la possibilité nous est également offerte de faire un certain nombre de choses.

M. Michel BOERI : Votre chance est d’avoir un prolongement exécutif avec un gouvernement en phase. Pour notre part, nous faisons savoir, haut, fort et bien, ce que nous avons à dire, mais cela s’arrête au Prince.

M. le Président : Il m’a été rapporté que c’était entendu. Je me suis même interrogé si, dans ce système de fonctionnement, vous n’auriez pas plus de pouvoirs que nous, qui sommes obligés de suivre toute une procédure.

M. Jean-Louis CAMPORA : Nous avons l’avantage de ne pas être bridés dans ce que l’on veut dire et la façon de le dire. Comme il n’existe pas, de par notre système, de prolongement au niveau de l’exécutif, nous sommes plus effrontés et nous ne sommes en rien gênés pour émettre nos propres avis. Toutefois, nous menons, à Monaco, une politique de proximité en raison de sa superficie. Nous sommes parfois informés d’un certain nombre de choses avant même l’exécutif.

Cette politique de proximité, au sens noble du terme, tout en nous apportant beaucoup d’informations, nous permet de poser, au Gouvernement, un certain nombre de questions et d’éviter les frictions. Il est évident que même si nous avons une vision unitaire des choses, pour le gouvernement de la Principauté et le bien-être de la population, nous sommes beaucoup plus " nationalistes ", parce qu’étant une minorité dans un pays qui est la résidence d’une majorité.

M. le Président : Pour en venir à nos sujets et en restant dans le cadre de nos relations parlementaires, depuis hier matin, nous avons le sentiment que la place de Monaco se développe, au niveau économique, sur les atouts et les compétences qui s’y trouvent. De toute évidence, elle souhaite continuer à le faire avec un certain particularisme. Dans le même temps, en raison des affaires judiciaires qui se sont déroulées ici il y a quelques années, nous avons le sentiment que Monaco a peur qu’on lui renvoie une image qui ne soit pas positive et qui ne correspondrait pas, d’ailleurs, à la réalité.

Nous sommes là face à deux attitudes : ceux qui ne veulent rien dire et se méfient d’un certain nombre d’évolutions, et ceux, au contraire, qui estiment qu’il faut s’en saisir pour bien marquer que l’on peut relever ce défi. Je vous donne un exemple, celui du blanchiment. Nous avons rencontré les représentants de l’Association monégasque de banque avec lesquels nous avons eu un entretien très intéressant.

Ce n’est pas propre à Monaco, nous rencontrons le même phénomène partout ailleurs, que ce soit en France, en Suisse... Les banquiers sont parvenus à nous convaincre que les législations anti-blanchiment, les déclarations de soupçons et le SICCFIN fonctionnent bien, qu’il n’y a plus de problème.

A la suite de cette réunion avec les banquiers de laquelle nous sortons tout à fait convaincus, nous rencontrons des magistrats. Sans même les avoir sollicités sur la question, ils nous disent qu’ils rencontrent des problèmes et qu’il se passe des choses pas claires à Monaco. Ils s’accordent pour dire que Monaco a fait d’énormes progrès, mais que, comme en France, en Suisse ou en Italie, les mailles du filet ne sont pas encore totalement efficaces.

L’attitude de renfermement sur les affaires, en termes de communication, est désastreuse et c’est pourquoi nous sommes poursuivis par les journalistes. Au lieu de laisser croire que tout va bien, la démarche suivante serait mieux appropriée : nous vous informons de tout ce qui est fait pour que cela aille bien ; quant à ce qui ne fonctionne pas bien, nous sommes prêts à mettre en place d’autres choses.

Nous tenons des réunions avec des gens qui nous parlent de blanchiment en indiquant que c’est un problème international. Par exemple, les juges de Monaco nous ont dit rencontrer des problèmes considérables avec les Pays-Bas, sur l’exécution des commissions rogatoires internationales. Quand nous irons aux Pays-Bas, nous le leur dirons. Cela ne peut se faire au niveau des gouvernements.

Toutefois, ce serait un point positif si votre parlement se saisissait de ces questions de délinquance financière et de blanchiment. Certes vous avez fait voter la loi anti-blanchiment, mais peut-être y a-t-il encore un certain nombre de points à faire avancer. Le fait de coopérer avec une mission internationale, composée de membres de chaque Etat de l’Union européenne qui se pencheraient sur le sujet, pourrait avoir une influence positive.

M. Jean-Louis CAMPORA : S’il est prouvé qu’il y a du blanchiment à Monaco, comme cela peut se faire dans d’autres pays, nous souhaitons l’éradiquer car cela nous porte préjudice. Cela peut empêcher les bons investisseurs de venir investir à Monaco, sachant que des choses anormales peuvent s’y passer. Nous sommes tout à fait partants pour éradiquer ce type d’activités. Dans notre esprit, nous n’avons nul besoin d’activités de cette nature, que nous ne souhaitons absolument pas.

A partir de là, il nous paraît tout à fait possible d’imaginer s’associer à la proposition que vous nous faites. Au contraire, nous avons ainsi l’impression de participer à une mission internationale.

M. le Président : J’irai même au-delà. La France, lors du sommet de Tampere, a pris un certain nombre d’engagements et de mesures bien précises, que nous sommes dans l’obligation de tenir. J’ai cru comprendre qu’à terme, Monaco souhaitait l’euro, une intégration ou une association au Conseil de l’Europe.

Les normes que l’on voit se mettre en place, pour lutter contre le blanchiment, sont partout similaires. Peut-être est-ce dans votre intérêt, plutôt que de subir les événements, de manifester une volonté politique en indiquant que ces sujets sont collectifs. Je prends un exemple très précis pour permettre de fixer la nature de la discussion.

Il nous est rapporté, de façon récurrente, qu’il y a, à Monaco, un certain nombre d’administrateurs de sociétés offshore qui sont pour vous une préoccupation, du fait que les mécanismes de contrôle, selon les banques, ne fonctionnent pas de la même façon. Dès lors, c’est un vrai problème car, malgré tout, cela amène des fonds et crée des emplois. Par conséquent, prendre des décisions coercitives aurait un impact au niveau national.

Toutefois, par le passé, il est arrivé que des problèmes surviennent et nuisent à l’image de la place. Au sommet de Tampere, nous avons pris un certain nombre d’engagements indiquant que, collectivement, les Européens doivent se prémunir des sociétés offshore qui ne permettent pas la traçabilité des capitaux et des bénéficiaires.

Plusieurs pays ont pris des mesures législatives en ce sens. Il est un fait que l’on ne peut supprimer ces sociétés. Imaginons qu’elles sont totalement en dehors des normes internationales, ce ne serait pas notre intérêt. On peut élargir, même si cela n’existe pas dans le droit monégasque, la déclaration de soupçons et rendre l’administrateur de sociétés offshore responsable pénalement. Même si ce sont des modifications législatives, cela reste des sujets de réflexion.

Changer la législation n’engage personne. Mettre en place une telle chose, au niveau des parlementaires, pourrait avoir des conséquences et des significations tout à fait positives.

M. Michel BOERI : Je suppose que vous en avez parlé avec M. Fissore...

M. le Président : Non, pas du tout.

M. Michel BOERI : A ma connaissance, il n’a jamais eu une position très favorable à l’égard des sociétés offshore. Pour ma part, je ne serai nullement choqué que les administrateurs aient une responsabilité pénale.

M. le Président : Si nous pouvons évoluer sur quelques points de cette nature, cela va tout à fait dans l’intérêt de la place.

M. Michel BOERI : Il y a eu un grand scandale...

M. le Président : Justement, peut-être y a-t-il une initiative à avoir en tant que parlementaire.

M. Jean-Louis CAMPORA : Notre point de vue rejoint le vôtre. Nous ne voulons pas risquer de voir Monaco devenir un nid de sociétés offshore qui, au travers des administrateurs de sociétés offshore, essayent de mener certaines activités qui n’ont pas lieu d’être. Toutefois, nous allons plus loin dans la connaissance de ces problèmes, car nous interrogeons le Gouvernement sur le bilan et la portée des lois votées en 1992 et 1993, le fonctionnement du SICCFIN, s’il existe des problèmes ou non au niveau des banques.

La place bancaire monégasque est contrôlée par la banque de France et indirectement par la COB, qui peuvent intervenir sur certaines choses. Nous sommes sereins parce qu’en tant que parlementaire, de par notre rôle, notre pouvoir et notre connaissance de certains sujets, nous n’avons pas l’impression que Monaco est une lessiveuse. Cependant nous sommes très intéressés par les points que vous soulevez, qui sont beaucoup plus fouillés et techniques.

Avoir des administrateurs de sociétés offshore, qui peuvent mener leurs affaires, va à l’encontre des intérêts de Monaco et de l’économie monégasque. De toute façon, cet argent ne reste pas à Monaco et ne fait pas la recette monégasque. Il n’a, pour nous, aucun intérêt.

M. le Président : Votre place bancaire représente 300 milliards, dont 100 milliards de liquidités et 200 milliards d’actions. A l’heure actuelle, neuf affaires de blanchiment en cours d’investigation portent sur 200 millions de francs. Ce sont des transactions, pas des investissements. Il est tout à fait exact que vous n’avez aucun intérêt économique.

M. Michel BOERI : L’idéal, pour nous, serait qu’une fois les Européens en règle avec leur propre administration fiscale, les gens ayant de l’argent propre viennent le déposer à Monaco. Par ailleurs, ce serait très favorable pour la France, car nous sommes dans la zone du futur euro. Monaco n’a pas besoin de " magouilleurs ", de gens dangereux qui provoqueront, un jour ou l’autre, un scandale. Le Parlement est en entièrement en phase avec vous.

M. Jean-Louis CAMPORA : Notre but est d’aller loin pour que cela se produise le moins possible. Nous sommes conscients que notre système permet que de telles affaires puissent arriver, que notre gouvernement ne cherche pas à favoriser. Comme ce sont de hauts fonctionnaires appelés à des missions, ceux qui feront des bêtises seront immédiatement sanctionnés soit par le souverain, soit par la presse. A Monaco, il n’y a aucune volonté réelle, de qui que ce soit, de vouloir couvrir des affaires. Nous n’avons aucune gêne à vous le dire.

S’il nous est possible, grâce à vous, d’être informés, d’agir en tant que parlementaire et de participer à différentes choses sur les points que vous venez d’évoquer, nous sommes tout à fait intéressés. Cela permettra également de pouvoir donner de Monaco une image différente. Nous sommes irrités parce que cette image se véhicule, avec des hauts et des bas, en fonction d’événements indépendants de nous. Lorsque se créent certains problèmes entre les magistrats au sein de la justice, c’est Monaco, à l’arrivée, qui en supporte les conséquences. On n’en fera pas porter la faute sur M. Untel, le procureur, le magistrat ou autre, mais on dira que Monaco ne sait encore pas ce qu’il convient de faire.

Sur ce point, nous avons une séparation bien réelle des pouvoirs entre le législateur et le judiciaire. On ne veut même pas avoir à s’y mêler ni à porter un jugement. Toutefois, on ne veut pas non plus voir la presse faire ses choux gras d’événements qui auraient pu être évités et qui, avec un minimum d’intelligence, se seraient arrêtés là où cela s’arrête dans n’importe quelle autre société.

M. le Président : Je voudrais donner un second exemple. Nous étendons actuellement le champ de la déclaration de soupçons. Nous l’avons déjà étendu aux agents immobiliers, aux notaires et aux experts comptables. Nous avons révisé notre première législation qui date de 1993. Si, un jour, nous harmonisons les législations sur cet aspect, ce sont des signes qui, sur le fond, sont très parlants.

M. Michel BOERI : Autant sur les grands problèmes - lutte contre le trafic de drogue, d’armes et autres - nous sommes d’accord avec vous, autant notre société vit sur un équilibre précaire. Pour vivre sans payer d’impôts, les équilibres doivent être bien respectés. Nous ne pouvons nous permettre le luxe de faire peur aux gens.

Une inquisition fiscale de mauvais aloi serait très mal ressentie, non pas parce que l’on fraude pour frauder, mais parce que la plupart des étrangers installés ici ont fait leur mea culpa dans leur pays d’origine et viennent ici en paix. On ne peut pas, dans un pays comme le nôtre, chaque fois qu’il sort 200 000 francs pour acheter une voiture ou un autre produit, voir immédiatement le mécanisme se déclencher. Soyons très clairs, ce n’est pas possible à Monaco.

Ce n’est pas que nous soyons des voleurs ou des bandits, mais cela ne marche pas ainsi. Ce pays a ses propres mécanismes. Nous sommes tout à fait d’accord qu’il faut être intransigeant sur les grands problèmes, voire ici plus qu’ailleurs parce que tout se sait vite. Si la police veut obtenir des informations auprès du palais de justice et du Gouvernement, la procédure est beaucoup plus rapide que chez vous. En revanche, il faut établir un climat de confiance sachant que, de toute façon, tout est contrôlé.

Lors du vote de la loi TRACFIN, l’un de vos collègues m’a acheté une voiture qu’il m’a payée avec un chèque de 200 000 francs. La BNP m’a alors contacté pour me demander ce qu’il en était. C’est le genre d’excès auquel nous ne voulons pas arriver en Principauté.

M. Jean-Louis CAMPORA : Notre souhait est que ceux qui viennent s’installer à Monaco soient propres. Nous ne voulons pas d’affaires qui passent trente secondes à Monaco, par le biais des mouvements bancaires, pour aboutir chez les administrateurs de sociétés offshore, et ensuite repartir ici et là.

Nous sommes d’accord que la traçabilité de l’argent devient impossible. Mais notre souhait est que les gens viennent à Monaco, montrent patte blanche, puisque tout est contrôlé, et vivent normalement. Nous ne voulons pas créer un climat particulier tel que l’économie monégasque en subirait les conséquences.

M. Michel BOERI : Peut-être serait-ce une bonne démarche que les banquiers de tous les pays uniformisent leur mode d’enquête. Je suppose qu’en matière de blanchiment d’argent, chaque jour doit apporter une nouvelle méthode de blanchiment.

Si les parlementaires peuvent apporter leur pierre à l’édifice, ce serait au niveau de la morale, de la philosophie, des lois... Ensuite, on se heurte à un problème technique car je suppose qu’il existe différentes méthodes de blanchiment. En fait, on ne détecte rien, à moins de disposer de moyens d’investigation sophistiqués. Cela pourrait faire l’objet d’un tour de table entre banquiers de tous les pays et apporterait une grande aide, car il me semble que nous sommes avons toujours un temps de retard sur les blanchisseurs.

M. Jean-Louis CAMPORA : A Monaco, nous n’avons pas beaucoup de grandes banques, qu’elles soient françaises, italiennes ou autres, c’est-à-dire des banques connues sur la place internationale. Les méthodes des banquiers doivent aussi appliquer les normes édictées par les gouvernements, en matière de contrôle, de lutte contre le blanchiment et de l’origine de certains fonds.

M. le Président : Nous sommes très respectueux du problème fiscal, qui ne concerne d’ailleurs pas qu’un seul pays. C’est un problème qu’il ne faut pas mêler à la discussion. On ne peut contrôler tous les mouvements, et notamment l’évasion fiscale. Toutefois, s’agissant de la déclaration de soupçons et de son champ, il faut pouvoir dire que l’on a un soupçon, mais qui ne porte pas sur l’évasion fiscale. La déclaration de soupçons est sur l’initiative du banquier, du notaire ou de l’expert-comptable.

M. Jean-Louis CAMPORA : Si le banquier, le notaire ou l’expert-comptable connaît la personne qui émet un chèque de 200 000 francs, il n’a aucune raison de faire quoi que ce soit.

M. Michel BOERI : Un problème pratique peut se poser. Cela suppose que l’expert, qui travaille dans ma société, non seulement du bilan et des autres documents comptables, mais fait également l’espion en comptabilité, alors que je le rémunère pour ses loyaux services. Il lui reviendrait de contacter le SICCFIN afin de lui faire part de ses soupçons. Cela me semble paradoxal. Idem pour le notaire. On dévoile son âme chez son notaire. Il me semble délicat de mêler ces professions à une procédure de déclaration de soupçons. Un notaire consciencieux, qui sent venir une crapule chez lui, lui dira de s’adresser à une autre officine. C’est la même chose pour un expert-comptable. D’ailleurs il y en a peu à Monaco.

Quant aux banquiers, ont-ils vraiment intérêt à ignorer des transactions douteuses ? Ici, ce ne sont pas des petites banques privées, mais quasiment des multinationales. Les banquiers ne sont pas naïfs. Ils savent que, dans nos pays, s’ils sont pris le doigt dans l’encrier, cela leur coûte très cher. Je ne suis pas du tout opposé à ce que les banquiers fassent ces déclarations de soupçons. Au contraire, cela fait partie de leur travail. Ils doivent simplement le faire intelligemment parce que si cela se révèle être faux, qu’au moins celui qui a fait l’objet de la vérification ne le sache pas. Cela deviendrait alors profondément désagréable. En revanche, la déclaration de soupçons par le notaire, l’avocat ou l’expert-comptable me paraît difficile.

M. Jean-Louis CAMPORA : Avez-vous déjà pris ces mesures en France ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Des deuxièmes directives anti-blanchiment sont discutées au parlement européen. C’est une codécision entre la Commission européenne et le parlement européen. Les parlements nationaux sont actuellement consultés. Nous avons déjà imposé cette déclaration aux agents immobiliers et aux notaires. Quant aux experts-comptables et aux commissaires aux comptes, ils ont une obligation de dénonciation à laquelle les experts-comptables n’étaient pas assujettis. La conséquence est que cela les couvre. S’ils dénoncent, ils sont couverts. Ensuite, reste le problème des conseils juridiques. Je ne connais pas bien leur statut à Monaco...

M. Michel BOERI : Théoriquement, ce statut n’y existe pas.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : La question ne se pose pas dans les mêmes termes en France que dans les pays anglo-saxons car les conseils juridiques et les avocats ont fusionné. Le secret professionnel, pour celui qui représente dans une instance judiciaire, est codé. Mais c’est la façon de devenir, en quelque sorte, mandataire dans la gestion d’affaires, d’être un intermédiaire à but financier et juridique ou de faire de l’intermédiation dans la vie des affaires, ce que font de nombreux avocats.

En France, c’est interdit sauf à titre occasionnel. En plus de la gestion d’affaires ou de l’intermédiation, il y a parfois, pour tous ces conseils, la complicité, c’est-à-dire que l’on donne des instruments, on prête main forte, parfois de bonne foi, à la dissimulation de l’origine suspecte de fonds. L’Europe nous fait cette obligation de traiter de cette question.

M. Michel BOERI : Je vous rejoins sur un point. Nous avons ici un certain nombre de cabinets étrangers américains ou autres. Il est certain qu’on ne sait pas ce qui s’y passe.

M. Jean-Louis CAMPORA : Sans qu’il y ait un statut légal.

M. Michel BOERI : Ils sont autorisés. Autant l’avocat inscrit ici au barreau est contrôlé, puisque la discipline est appliquée par le procureur général. Il y a également le Conseil de l’ordre. Les avocats sont au nombre d’une vingtaine, le système est donc relativement calme. En revanche, s’agissant des conseillers juridiques installés à Monaco, ils ne donnent quasiment plus de consultations, mais sont plutôt devenus des intermédiaires de droit. Ils aident les résidents étrangers à s’installer, à faire leurs papiers, mais ce sans être avocat. Seuls, ils ne sont pas très dangereux, mais s’agissant notamment de ces cabinets anglo-saxons, qui ont certes toutes les raisons d’exister car nous ne serions pas capables sur place de traiter nos résidents étrangers selon les lois de leur propre pays, peut-être faudrait-il se rapprocher du Gouvernement pour mener une réflexion.

M. le Président : Ces intermédiaires, au contraire des avocats, ne sont pas Monégasques. Ce sont bien des cabinets étrangers qui viennent travailler dans le secteur juridique...

M. Michel BOERI : Tout à fait, mais cela nous a toujours arrangés car ces cinq ou six cabinets, dont un cabinet Blair, traitaient les affaires de tous les Anglo-saxons confondus - Américains, Britanniques... - à Monaco. Il doit exister une potentialité, sinon ces cabinets ne se seraient pas installés à Monaco. De plus, nous avons beaucoup de non-résidents qui vivent à Monaco et qui se considèrent différents, au-dessus ou à part. Monaco est un porte-avions. On s’y pose, le temps de se reposer, puis on redémarre. C’est une plate-forme d’accueil d’un moment, mais je ne pense pas qu’ils s’y investissent comme étant leur pays définitif, pour certains d’entre eux tout au moins. Ce n’est pas un régime facile. Monaco est un grand hôtel.

M. Jean-Louis CAMPORA : Certains étrangers viennent vivre ici deux ou trois ans, puis repartent.

M. Michel BOERI : Ce sont des gens qui flambent magnifiquement. On pense avoir trouvé la poule aux _ufs d’or, puis du jour au lendemain, il n’y a plus rien. De très loin, même par rapport à la France, nous avons un système inquisitorial qui n’est peut-être pas inscrit dans les textes, mais qui fonctionne manifestement comme le tam-tam africain. On sait très rapidement qui est qui, ce qu’il fait, qui fait quoi et quand il y a problème. En cas de problème, cela se sait très vite. Le gouvernement a la capacité, sans avoir à s’en justifier, de refouler. Si une mesure administrative est prise, il n’est pas obligatoire d’en notifier la raison. Quitte ensuite à ce que l’intéressé s’adresse à la cour de justice des droits de l’homme... (Réaction des parlementaires français.)

Le gouvernement est tout de même équipé pour agir. Il faut faire sortir les voyous. Donnez-leur tous les droits que vous voulez, mais à mon avis, il vaut mieux les éliminer le plus rapidement possible ou alors qu’ils aillent nuire ailleurs. Des Russes se sont vu refuser leur demande de résidence à Monaco. On a pu, par la suite, les voir s’installer à Cannes, dans des villas et tutti quanti...

M. Jean-Louis CAMPORA : On nous a même parlé d’Africains. Ce sont des gens que nous avions eus il y a deux ans et qui ont été refoulés. On les a vus jouer dans les casinos de Nice, de Cannes. A un moment donné, on s’est même demandé si on n’était pas les dindons de la farce. Quand la faute est prouvée, qu’un mafieux est pris et attend d’être jugé ou extradé, je suis d’accord, mais prendre une mesure de refoulement sur la base de soupçons...

A Monaco, nous avons encore le système des fiches de police dans les hôtels. En combinant les fiches d’hôtel et le système informatique, il est très facile à la police, quand il y a homonymie, d’arriver à 6 heures du matin et de procéder à des contrôles d’identité. Il est arrivé ainsi d’avoir à refouler un certain nombre de personnes de Monaco. De même que l’on a refoulé un certain nombre d’autres considérées persona non grata au casino. Mais elles jouent ailleurs. C’est peut-être un manque de collaboration entre les services de police qui sont, eux-mêmes, limités dans leur action par la loi. Mais la preuve de la faute n’a pas été faite...

M. le Président : C’est le grand problème dans la lutte contre le blanchiment, celui du renversement de la charge de la preuve. Nous sommes obligés de démontrer l’origine de l’argent alors qu’il faudrait demander à celui qui a l’argent d’en prouver la licité. C’est pourquoi, dans les affaires de blanchiment, vous avez très rarement de condamnations. Dans ces affaires, le juge d’instruction et les services de police ayant à fournir la preuve de l’origine criminelle de l’argent, vous avez peu de condamnations. Au final, les résultats sont très faibles.

C’est une mesure législative à prendre avec prudence et de façon concertée. Si un seul pays avance dans cette voie, il est évident qu’il sera au même niveau que la France.

M. Michel BOERI : Si un jour, vous convainquez les Anglais sur ces bons principes, n’hésitez pas à m’appeler !...

M. Jean-Louis CAMPORA : Nous sommes tout à fait d’accord de nous informer et de nous associer. En fait, il est évident qu’il faut faire le maximum pour lutter contre le crime organisé et ce blanchiment d’argent lié à cette criminalité. Pour nous, c’est très important. A Monaco, nous sommes très vigilants sur cette question bien que, régulièrement, cela ne nous apporte que des ennuis.

M. Michel BOERI : A notre niveau de parlementaire, si nous pouvons garder des contacts, savoir où vous en êtes et ce que vous avez imaginé tandis que, de notre côté, on s’attaquerait au problème de notre façon, vous nous apporteriez beaucoup car vous êtes plus pointus que nous sur ces sujets. Nous sommes des généralistes et n’allons jamais au fin fond d’une question. Or cette question semble vous passionner. Profiter de votre expérience nous apporterait beaucoup.

M. le Président : N’avez-vous pas de système de partenariat ? (Non.) Par exemple, le parlement belge a, pendant plus d’un an, effectué un travail, similaire au nôtre mais moins international, qui a été très utile. Si vous preniez l’initiative d’une simple coopération de réflexion avec d’autres parlementaires européens sur ces questions, car vous les considérez importantes, cela pourrait être un signe.

M. Michel BOERI : Nous avons un avantage que vous n’avez pas, celui d’un accès plus facile au pouvoir.

M. Jean-Louis CAMPORA : A Monaco, nous avons une politique de proximité.

M. Michel BOERI : Quand on aborde, à Monaco, des sujets qui suscitent une certaine passion, on peut tout se dire, même en usant d’un langage ferme. Nous sommes un pays très libre. Ces sujets peuvent être abordés avec le Prince, en y mettant les formes. Nous n’avons pas de blocage.

M. Jean-Louis CAMPORA : C’est aussi notre système qui veut cela. Dans un système parlementaire à la française, il faut respecter des directives de groupes majoritaires. Cela fait partie des discussions que nous avons avec les rapporteurs au Conseil de l’Europe où ils ont parfois du mal à comprendre qu’à Monaco, notre système parlementaire ne ressemble à aucun autre. La politique de proximité nous sert beaucoup car grâce à cela, on peut faire avancer les choses d’une façon peut-être moins orthodoxe, mais plus efficace.

En fait, nous avons des us et coutumes qui sortent largement de notre cadre institutionnel et réglementaire dans les pratiques quotidiennes de cette politique de proximité. Le gouvernement, ne sachant pas toujours s’il aura des difficultés à passer ses lois budgétaires ou voter ses projets de loi, est obligé de trouver une certaine concertation et des compromis avec les membres du Conseil national, même si par moments, il s’en défend.

De cette assemblée, qui regroupe dix-huit personnes en Principauté, sort un bon sens populaire. Un des avantages est que nous n’avons pas de conflit de groupe ou de parti politique. On demande qui est spécialisé dans l’Education nationale, dans l’environnement... On est parfois relativement pointu sans arrière-pensée et sans aucune interdiction d’aller dans tel ou tel domaine qui pourrait nous contrôler, si nous avions des partis politiques.

M. le Président : J’ai vu que vous aviez même réussi à avoir un communiste célèbre, élu deux fois par votre système de liste.

M. Michel BOERI : C’était un communiste sur mesure car il ne mettait pas du tout en cause le principe de la monarchie absolue. Formé aux écoles du parti, il avait une dialectique redoutable. (Rires.)

M. le Président : Combien de femmes sont membres du Conseil national ?

M. Jean-Louis CAMPORA : Quatre.

M. le Président : Quel pourcentage ?

M. Michel BOERI : Trois de trop, à mon avis !

M. le Président : Avez-vous des difficultés à trouver du renouvellement...

M. Michel BOERI : M. Grindat, le plus jeune, a trente-trois ans. Enarque, inspecteur des finances, agrégé d’espagnol, normalien et ainsi de suite... Nous avons une chose que vous n’avez pas, la sanction de l’électeur. Monaco est tellement petit que chaque Monégasque connaît ses conseillers nationaux. Dès que vous faites une erreur, vous êtes sanctionné.

M. Jean-Louis CAMPORA : Nous sommes sanctionnés comme vous pouvez l’être au niveau de vos mairies, par celui ou celle dont on n’a pu prendre l’enfant à l’école de son choix ou qui n’a pas obtenu l’appartement qu’il souhaitait... Nous sommes sanctionnés sur de telles choses parce que c’est une politique de proximité.

M. le Président : Vous dites que conseiller national n’est pas votre métier. Combien de temps cela prend-il dans votre vie quotidienne ?

M. Michel BOERI : C’est énorme.

M. Jean-Louis CAMPORA : De plus en plus. Nous arrivons à un moment charnière car nous avons de plus en plus de dossiers techniques et complexes. Nous n’avons pas d’attachés parlementaires, mais des administrateurs très dévoués et compétents, qui sont en nombre insuffisant, même si, depuis deux ans, leur nombre a été doublé. Avant, nous n’en avions que deux, ils sont maintenant quatre et devraient passer à cinq.

Nous allons développer, à ce niveau, pour avoir un certain nombre de compétences supplémentaires. Etre dans un système de bénévolat avec des indemnités fait que nous sommes gênés pour prendre des attachés car il faudrait créer, dans la fonction publique monégasque, cette fonction. Le nombre total de personnel s’élève à treize personnes. Il faudrait créer une fonction publique spéciale pour le Parlement car c’est vrai qu’on leur demande beaucoup. Ils sont considérés comme personnel de la fonction publique, sans autre avantage.

On s’interroge sur la consultation éventuelle d’un professeur de droit administratif, en France, afin de concevoir quelque chose qui nous permette d’avancer. Si nous continuons ainsi, nous aurons du mal à fouiller tous les dossiers législatifs.

M. le Président : Est-ce un sujet conflictuel avec le pouvoir exécutif ?

M. Jean-Louis CAMPORA : Le déroulement de carrière de nos administrateurs et de notre personnel est un sujet conflictuel depuis un an. Nous avons fait faire une étude par un professeur de droit administratif, en pensant que le Conseil national avait la possibilité de faire le déroulement de carrière qu’il souhaitait pour son personnel. Or on s’aperçoit que cela ne peut se faire qu’avec l’accord du ministre d’Etat, tandis que notre conseil nous dit que cela se fait avec l’accord conjoint du ministre d’Etat et du Conseil Constitutionnel, après le circuit habituel des avancements dans la fonction publique.

Depuis un an, nous n’avons pas réussi à débloquer cela. Nous verrons bien, lors des discussions budgétaires, comment les choses se passeront.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr