Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Evanno est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Evanno prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons entendre M. Philippe Evanno, délégué général de l’UNI. M. Jacques Rougeot, président de l’UNI, devrait nous rejoindre un peu plus tard.

M. Philippe EVANNO : La position de l’UNI sur la mutualité étudiante résulte d’une assez longue histoire puisque notre mouvement existe depuis maintenant plus de trente ans et qu’il s’est intéressé à la mutualité dès sa création, dans un système qui, au départ, était caractérisé par le monopole de la MNEF, seule mutuelle étudiante nationale, et qui, à partir des années 1971-1972, est devenu un système de concurrence puisque les mutuelles régionales ont commencé alors à s’implanter.

Dès le début, l’UNI a milité pour essayer d’obtenir une gestion saine et transparente du régime étudiant. Elle a dénoncé très tôt les dérives de la MNEF. L’UNI a d’ailleurs, en 1980, publié ce qui s’appelait le dossier MNEF, qui avait fait du bruit à l’époque et expliquait le fonctionnement, tel qu’il était alors, de cette mutuelle. Ce dossier présente un intérêt historique puisqu’il donne la photographie du fonctionnement de cette mutuelle peu de temps avant le changement de majorité de 1983, qui a abouti à la mise en place de l’équipe qui a dirigé la MNEF de 1983 jusqu’au changement récent.

L’UNI n’a pas cessé de réclamer la mise en place d’un fonctionnement réellement démocratique de la MNEF et un assainissement de sa gestion.

Par ailleurs, l’UNI n’a jamais participé en tant que telle à la gestion des mutuelles étudiantes et a toujours laissé ses adhérents libres de se présenter aux élections aux assemblées générales des mutuelles régionales sur les listes de leur choix, partant du principe que ce n’était pas le rôle de l’UNI de porter à l’intérieur des mutuelles les clivages politiques ou syndicaux.

Pour en revenir à l’actualité immédiate, l’objectif de l’UNI est avant tout d’éviter la disparition de la mutualité étudiante.

Historiquement, l’UNI n’a pas été farouchement pour le maintien d’un régime étudiant de sécurité sociale. Pendant de longues années, nous avons eu un point de vue très proche de celui de la CNAM, c’est-à-dire que nous étions favorables à la suppression du régime particulier de sécurité sociale étudiante. Nous avons maintenu cette position jusqu’à une période récente, jusqu’en 1993. Nous la concevions alors comme un moyen de pression, une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus des dirigeants des mutuelles étudiantes, notre objectif étant de les contraindre tous, mais en particulier ceux de la MNEF, à avoir une gestion saine et claire sous peine de disparaître un jour ou l’autre.

Cela dit, l’évolution du milieu étudiant, surtout avec la massification et la démocratisation de l’enseignement supérieur, a eu pour conséquence une dilution des structures d’encadrement des étudiants. Nous avons vu progressivement disparaître, ou s’amoindrir, le poids des corporations qui, au début des années 70, jouaient un rôle considérable dans l’animation de la vie étudiante. Progressivement, au fil des ans, notamment au début des années 90, celles-ci ont pratiquement disparu et nous nous sommes retrouvés il y a quelques années dans une situation où les mutuelles qui, vingt ans auparavant, jouaient un rôle marginal dans la vie quotidienne de l’étudiant, s’étaient vues, sous la pression des événements et surtout à la demande des gouvernements successifs, confier des tâches extra-mutualistes, qui allaient très au-delà de leur rôle dans le domaine de la santé et de la sécurité sociale. À ce moment-là, nous avons considéré qu’il n’était plus opportun de réclamer la suppression du régime étudiant et, qu’au contraire, nous devions défendre ce régime.

En outre, nous nous sommes rendus compte que le coût du régime étudiant, malgré tout ce qui a été dit depuis, semblait être inférieur au coût de gestion des CPAM. Une source interne à la CNAM nous indique aujourd’hui - c’est sous toutes réserves, je suis incapable de vous confirmer cela - que le coût par bénéficiaire actif pour les CPAM serait de 426 F alors que le coût par bénéficiaire actif pour les mutuelles étudiantes serait de 320 F.

En ce qui concerne ce problème de coût, on a beaucoup glosé sur le fait que les mutuelles étudiantes coûteraient trop cher ou que le coût de ces mutuelles aurait été établi d’une manière totalement arbitraire, sans tenir compte de la réalité des coûts de gestion.

En remontant à la période d’égalisation des remises de gestion des mutuelles étudiantes, vous savez qu’en 1985, il y a tout à coup l’apparition d’une inégalité de traitement entre les mutuelles étudiantes : la MNEF est maintenue sur une base de remises de gestion très élevée et les mutuelles régionales se voient attribuer des remises de gestion de différents niveaux, très nettement inférieures à celle de la MNEF. Il fallut une longue bagarre pour revenir à une égalité de traitement, celle-ci n’étant définitivement acquise qu’au 1er janvier 1996. C’est très récent.

Durant la période 1985-1995, le montant total des remises de gestion versé à l’ensemble des mutuelles étudiantes accuse un déficit de 150 millions de francs au détriment des mutuelles régionales et au profit de la MNEF. Il y a donc eu une très longue période d’inégalité. On constate, par exemple, qu’en 1991, la SMECO, qui était la mutuelle régionale la plus mal lotie, celle du Centre-Ouest, percevait 131 F de remise de gestion quand la MNEF recevait 341 F ; la mieux lotie des mutuelles régionales, celle de l’Ile-de-France, la SMEREP, percevait 274 F.

Quand il s’est agi avec le président de la CNAM de l’époque, M. Emile Boursier, et ses collaborateurs de procéder à une égalisation, la MNEF a invoqué des problèmes de surcharges de personnel, au demeurant justifiés puisque le personnel de la MNEF ayant commencé à être recruté dès 1948, il y avait effectivement des salariés de la MNEF qui, approchant de la retraite, étaient rémunérés sur des bases extrêmement élevées. Les charges salariales de la MNEF étaient démesurées par rapport à celles des mutuelles régionales. À ce moment-là, les mutuelles régionales demandaient une égalisation des remises de gestion au niveau de la mieux lotie d’entre elles, la SMEREP, soit 274 F. Finalement, elles ont obtenu, sans l’avoir initialement demandé, d’être alignées sur la MNEF, à 320 F. C’est assez intéressant comme résultat.

Cela dit, j’ai entendu dire ici ou là et j’ai lu un peu partout que cette remise de gestion au niveau de 320 F serait disproportionnée. Si le montant, lorsqu’il a été négocié en 1994, apparaissait trop élevé pour certaines mutuelles, aujourd’hui, avec l’apparition de Sesam-Vitale et les frais informatiques considérables qui en résultent, il semble qu’il corresponde à des besoins réels de l’ensemble des mutuelles étudiantes.

Cette inégalité de traitement nous était apparue injustifiée mais - personne ne s’en cachait, notamment à la CNAM -, elle était utilisée comme un moyen de pression sur les mutuelles et comme une arme de la CNAM pour exercer une sorte de police sur les mutuelles étudiantes et les amener à être mieux gérées. Cela dit, cela se faisait au détriment de l’égalité de traitement et a amené certaines mutuelles à recourir de façon abondante, sinon systématique, à tous les emplois aidés de type TUC ou CES afin de pouvoir survivre. Ce n’était pas supportable. C’est la raison pour laquelle nous y étions opposés.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où la mutualité étudiante est mise en cause. M. Johanet, ce n’est un mystère pour personne, a une vision très radicale, puisqu’il envisage la suppression de tous les régimes particuliers, ce qui en soi peut tout à fait se concevoir. Nous estimons, pour notre part, qu’aujourd’hui, ce serait augmenter les coûts. Et, même dans l’hypothèse où cela ne conduirait pas à une augmentation des coûts, cela supprimerait un élément fort de structuration du monde étudiant, ce qui en tout état de cause n’est pas souhaitable.

Par contre, il est certain que les événements récents ont fait apparaître un besoin de meilleure gestion de la mutualité étudiante, notamment de la principale d’entre elles, qui porte notamment sur la mise en place d’une comptabilité plus claire, d’une comptabilité analytique, et d’une plus grande transparence de gestion.

Ne pourrait-on atteindre cette transparence par la mise en place d’une sorte de commission de suivi de la mutualité étudiante, qui permettrait d’imposer à l’ensemble des mutuelles étudiantes une plus grande coordination ? Le rapport de la Cour des comptes visait particulièrement cette concurrence effrénée à laquelle se livraient les mutuelles étudiantes lors des inscriptions. Il est certain que celle-ci avait atteint des limites difficilement supportables, notamment pour les secrétariats d’université.

En outre, pour ce qui concerne la MNEF, car le reproche est moins justifié en ce qui concerne les mutuelles régionales, il faudrait une véritable démocratisation. Nous avons assisté à un début de démocratisation lors des dernières élections à la MNEF, encore qu’elles aient été extrêmement contestées et qu’il soit possible que, dans les jours qui viennent, ces élections soient annulées.

Les efforts ne doivent pas peser exclusivement sur les mutuelles étudiantes, l’amélioration de la situation passe aussi par des efforts de la CNAM qui doit proposer aux mutuelles des contrats d’objectifs et de gestion les plus clairs possible et, surtout, les signer dans des délais acceptables. Les contrats de gestion actuels sont signés pour trois ans et la CNAM les signe avec un retard de douze à dix-huit mois. Imaginez les difficultés de gestion que cela peut entraîner pour les mutuelles concernées et, au bout de la chaîne, les incertitudes que cela peut représenter pour l’étudiant.

En conclusion, je dirai que l’UNI a été très surprise de la façon dont ce dossier des mutuelles a été géré par le Gouvernement. Nous nous sommes beaucoup interrogés notamment sur l’empilement des contrôles dont les mutuelles ont été l’objet, comme si les différents organismes chargés du contrôle n’étaient pas capables, à eux seuls, de porter un jugement sur les mutuelles qu’ils contrôlaient, que ce soit la Cour des comptes, l’IGF ou l’IGAS. Cela nous a semblé surprenant. Cela est apparu, d’un certain point de vue, comme une concurrence entre ministères et, pourquoi ne pas le dire, entre ministres. Cela n’a pas donné une apparence très sérieuse de la gestion de ce dossier.

L’UNI estime qu’il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Nous avons affaire à un dossier qui est celui des mutuelles étudiantes, c’est-à-dire qui concerne beaucoup de monde en nombre d’affiliés, mais extrêmement peu du point de vue du volume financier mis en jeu par rapport à l’ensemble de la mutualité française. La Cour des comptes s’intéresse depuis novembre à la gestion de mutuelles beaucoup plus grandes, avec une crainte que l’on découvre des dérives beaucoup plus fortes qui risqueraient de mettre en cause la mutualité française dans son ensemble et d’avoir des conséquences pour des millions de mutualistes. Il faut garder cela à l’esprit.

L’affaire MNEF, qui est à l’origine de cette commission d’enquête parlementaire, a certes le mérite de révéler des dysfonctionnements. Il ne faudrait pas pénaliser les étudiants et détruire un système auquel ils sont attachés, mais au contraire tout faire pour le renforcer et l’améliorer.

Ce dossier se situe dans un contexte beaucoup plus général, qui met en cause la totalité de la mutualité française. Les Français sont attachés à leur système mutualiste. On nous dit qu’il est dépassé parce que, d’un point de vue européen, il ne serait pas repris dans l’ensemble de l’Europe. Je réponds que l’on a tort de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait pour l’exporter, car, après tout, le modèle français est peut-être exportable et l’on ne doit pas obligatoirement détruire tout ce qui est français.

M. Rougeot est introduit dans la salle de la commission. M. le président l’accueille et, sur son invitation, M. Rougeot prête serment.

M. Jacques ROUGEOT : Je tiens à présenter mes excuses à la commission pour ce retard. Il y a quelques instants, j’étais encore en train de dispenser le peu de savoir que je peux avoir à mes étudiants. Je suis venu aussi rapidement que j’ai pu et vous remercie d’avoir bien voulu m’accorder ce délai.

M. le Président : Nous acceptons vos excuses.

Monsieur Evanno, j’ai bien entendu votre argumentation sur le fait que vous êtes désormais partisan du système mutualiste étudiant et que ce système serait vraisemblablement moins cher que le système général.

Des comptes qui nous ont été présentés par le directeur général de la CNAM, il ressort que le système de la mutualité étudiante coûte 400 millions de francs. S’il était rattaché au régime général, cela permettrait une économie de l’ordre de 240 millions de francs. Connaissiez-vous ces chiffres ?

M. Philippe EVANNO : Ce sont les chiffres avancés régulièrement par les services de la CNAM, par M. Johanet aujourd’hui, par les mêmes services il y a dix ans, ces chiffres ont varié avec l’augmentation des effectifs étudiants. Ce raisonnement suppose que le coût de la gestion des dossiers étudiants par les CPAM ne représenterait qu’un quart du coût de gestion moyen d’un dossier. Il serait intéressant que les services de la CNAM justifient un coût de gestion aussi. Cela me semble totalement impossible.

M. le Président : Toutes les personnes que nous avons entendues, en dehors de la CNAM, étaient favorables au système mutualiste. Ce qui est intéressant, c’est que vous avez changé de point de vue. Sur quel dossier ou à la suite de quelles études avez-vous modifié votre position ? Qu’est-ce qui vous a amené à adhérer au système mutualiste ?

M. Philippe EVANNO : Du constat de la disparition du milieu étudiant, nous nous sommes intéressés au problème du coût et à la question de savoir si réellement le maintien du système mutualiste pouvait apparaître justifié d’un point de vue du coût, mais la première motivation a été le constat de disparition des structures étudiantes. On s’en rend moins compte aujourd’hui parce que de nouvelles structures étudiantes ont émergé ces dernières années et ont contribué à structurer le monde étudiant mais, en 1992-1993, nous avons constaté que le milieu étudiant était à peu près mort.

Le niveau de participation aux élections universitaires était le plus bas jamais enregistré. Il a progressivement remonté depuis, même s’il se situe à un niveau qui est encore très insuffisant mais cela tient, pour l’essentiel, à des raisons techniques. Le nombre de bureaux de vote mis à disposition des étudiants ferait chuter dans des proportions identiques le vote aux élections nationales, si l’on appliquait les mêmes ratios.

A ce moment-là, nous avons jugé qu’il était nécessaire de maintenir un encadrement du monde étudiant et nous avons également noté que les différents gouvernements confiaient aux mutuelles des tâches qu’ils s’estimaient incapables de mener eux-mêmes. Comme les mutuelles semblaient être capables de lancer des opérations dans toute une série de domaines importants pour les étudiants, notamment celui de l’emploi, comme cela s’est passé en 1994, nous nous sommes convertis au maintien d’un système de mutualité étudiante.

M. le Président : On a beaucoup parlé des dépenses de communication que les mutuelles engageaient, compte tenu de leur diversité et de la concurrence, pour essayer d’amener à elles des adhésions et des affiliations. Pourrions-nous avoir votre sentiment sur les budgets engagés ?

On voit beaucoup d’affichettes UNI. Pouvez-vous nous préciser le montant de votre budget de communication ?

M. Philippe EVANNO : Nous n’avons pas de budget de communication.

M. le Président : Avec quoi faites-vous toute votre communication ?

M. Philippe EVANNO : Nous avons une vieille offset et nous imprimons dans nos locaux les affiches que nous diffusons. Elles sont imprimées en une couleur sur du papier 80 g, à un coût quasiment nul par rapport à ce que cela coûte aux sociétés qui font imprimer chez des imprimeurs, en passant par des sociétés de communication qui facturent leurs prestations en allant du slogan jusqu’à la maquette.

M. le Président : Ce sont peut-être des conseils que l’on pourrait donner aux différentes mutuelles étudiantes : faire sa publicité sur une vieille offset !

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Si vous n’aviez pas prêté serment, j’aurais du mal à vous croire.

M. Philippe EVANNO : Si vous voulez avoir plus de précisions sur notre budget, vous pouvez aller voir au ministère de l’éducation. Nous remettons notre budget, vérifié par un commissaire aux comptes tous les ans, dans lequel apparaissent toutes nos dépenses, notamment celles de papier, fournitures offset et autres - les balais et la colle apparaissent aussi - qui servent à toute cette communication. C’est très facile à vérifier.

En ce qui concerne les dépenses de communication des mutuelles, d’après ce qui a été publié jusqu’ici dans la presse puisque nous n’avons pas accès aux différents rapports d’où ces informations sont puisées, il semble que la MNEF, étant une mutuelle nationale, ait eu un budget de communication considérable, et qu’il en ait été de même pour certaines mutuelles régionales. Pour le moment, la presse n’a fait état que des dépenses de la MNEF et de celles d’une mutuelle régionale, la MGEL. N’ayant pas eu accès aux différents rapports, et notamment celui de la Cour des comptes, je ne peux pas savoir ce qui a été dit sur les autres. Mais il est sûr, en tout cas, que les budgets de communication des mutuelles régionales étaient traditionnellement très faibles par rapport à celui de la MNEF, d’une part, parce qu’elles n’avaient pas de communication nationale à gérer, de type institutionnel, et d’autre part, parce qu’étant beaucoup plus proches que la MNEF de leur terrain régional, elles avaient de moindres besoins dans ce domaine.

La très forte communication de la MGEL est probablement justifiée par la volonté de cette mutuelle de s’implanter majoritairement dans sa zone géographique. Je crois que la MGEL, dans sa région, dépasse aujourd’hui les 80 % d’affiliés, alors que la MNEF, dans cette même zone, a 20 % d’affiliés. Je suppose que la MGEL avait un jour décidé d’écraser la MNEF et qu’elle y est arrivée.

M. le Rapporteur : Je crois que ces chiffres 80 %/20 % ne sont pas tout à fait les bons chiffres, mais il est vrai que la MGEL est passée devant la MNEF.

Pour revenir au fond du problème, vous expliquiez que c’était une grande victoire d’avoir obtenu l’uniformité des remises de gestion. Que pensez-vous de cette forme d’égalitarisme - un affilié-une somme - sans que soient prises en compte ni les économies d’échelle qui peuvent être faites en raison du nombre de gens concernés, ni les différences qualitatives des services apportés ? On s’aperçoit au travers d’un rapport de l’IGAS portant sur les remises de gestion que manifestement ces remises de gestion ne servent pas qu’à gérer le régime obligatoire, mais permettent de dégager des marges qui, sans être énormes, permettent tout de même de financer en partie le budget de communication et, en partie, d’autres activités. Le directeur de la CNAM précisait, par exemple, que l’argent de l’assurance maladie n’avait pas vocation à payer des places de cinéma. Qu’en pensez-vous ? Je dois avouer que je suis un peu étonné de vous voir défendre cette forme d’égalitarisme.

M. Philippe EVANNO : Vous parlez d’économies d’échelle. Quelle était la mutuelle qui pouvait faire des économies d’échelle sinon la seule qui était nationale ? Or toutes les négociations sur les remises de gestion se sont basées sur le fait qu’il ne fallait pas ramener la MNEF à un trop faible niveau de remise de gestion, d’où le fait que les mutuelles régionales, initialement à leur corps défendant parce que ce n’était pas leur demande, ont accepté, en 1994, un niveau de remise de gestion manifestement plus élevé que ce qui leur était nécessaire. Quand la négociation a commencé en 1992, il n’était pas question de remettre à niveau les remises de gestion.

La question que vous posez est très judicieuse, mais elle est la conséquence d’une gestion politique de ce dossier à partir de 1985, d’une volonté politique de certains gouvernements d’introduire une différence considérable de traitement entre des mutuelles, qui étaient traitées non pas comme des mutuelles, mais comme des catégories politiques, la MNEF étant considérée comme une alliée, les mutuelles régionales comme des adversaires. Dès lors, ce sont ceux qui ont décidé au départ d’établir une inégalité de traitement qui doivent en assumer les conséquences.

De plus, comment voulez-vous décider que l’adhérent mutualiste de Brest coûte plus ou moins cher que l’adhérent mutualiste de Strasbourg ou de Paris ? C’est très difficile. Cela aurait été à la CNAM de justifier le fait qu’elle donne à 130 F à la SMECO, 270 F à la SMEREP, et ainsi de suite. D’où venait cette différence de traitement ?

On aurait très facilement pu maintenir cette différence de traitement si la CNAM elle-même avait pu la justifier. Or la CNAM était hors d’état de la justifier.

Il est plus facile de faire des économies d’échelle sur des mutuelles qui gèrent la totalité des régions, y compris l’outre-mer, que sur des mutuelles qui gèrent deux ou trois régions. Cela me semble évident. Mais il est certain qu’un problème se posait là, qui a d’ailleurs été soulevé en 1992.

M. le Rapporteur : Je vous parle là de prospective, puisque le travail de la commission est, d’une part, d’analyser ce qui s’est passé, et, d’autre part, de présenter des propositions quant à l’évolution du système.

Si je comprends bien la position de l’UNI aujourd’hui est de défendre l’uniformité et l’égalitarisme dans le montant des remises de gestion entre les différentes mutuelles.

M. Philippe EVANNO : Cela fait partie du débat, mais encore faut-il que les uns et les autres fournissent des preuves pour étayer leur position, que ce soit la CNAM ou les mutuelles. Nous n’avons pas accès aux comptes des mutuelles, mais il semble qu’aujourd’hui, avec la mise en place de la réforme et du système de la carte Sesam-Vitale, la charge qui pèse sur les mutuelles en termes d’informatisation et de mise à niveau soit extrêmement lourde et qu’en réalité, le niveau de remise de gestion actuelle corresponde à un besoin.

Pour telle mutuelle dont le système informatique est plus performant, cela pèsera moins que sur telle autre dont le système informatique est moins performant. C’est tout à fait possible. On connaît le problème actuel de la MNEF dont le système informatique est obsolète et qui est, en plus, a mis en place au cours de l’été dernier son système de gestion sans l’avoir testé et se retrouve avec des problèmes de remboursement terribles à gérer. Il est certain que pour la MNEF, les difficultés sont plus grandes que pour d’autres mutuelles régionales, qui ont remis leur système informatique à niveau récemment, dont les systèmes sont plus souples et qui sont beaucoup plus à même d’amortir le coût de Sesam-Vitale.

Mais nous ne sommes pas armés pour répondre à ce type de question.

M. le Rapporteur : Les différents rapports que nous avons eus démontrent que de réels problèmes d’informatisation se posent un peu partout, sans même que Sesam-Vitale soit pris en compte.

Concernant les dépenses de communication de la MNEF et des mutuelles régionales, il a beaucoup été fait allusion au fait que ces mutuelles payaient des encarts publicitaires dans les revues des différentes associations ou syndicats, ce qui est une forme de subvention indirecte, puisque la seule subvention directe dont nous ayons connaissance est effectivement UNEF-ID financée par la MNEF.

Votre organisation, l’UNI, bénéficie-t-elle du paiement d’espaces publicitaires par les mutuelles régionales ou la MNEF ?

M. Philippe EVANNO : Ni de mutuelles régionales ni de la MNEF. De toute façon, nous n’avons pas recours à des supports de publicité. Nous avons eu recours il y a quelques années à un support Vie étudiante sur lequel nous avons tenté d’obtenir de la publicité, mais le démarchage a été fait auprès de sociétés commerciales, jamais auprès de mutuelles étudiantes ; cela ne nous semblait pas être de l’ordre de ce qu’il fallait demander aux mutuelles régionales. De la même manière que nous ne présentons pas de listes lors des élections mutualistes, nous n’estimons pas nécessaire de mélanger notre activité à celle des mutuelles.

Par contre, nous sommes certainement les seuls à n’avoir jamais bénéficié de ce type d’aides, indépendamment du fait de savoir si elles sont légitimes ou pas.

M. Bruno BOURG-BROC : Je voulais vous poser une question du même type. Nous avons compris que vous n’aviez pas de liens particuliers avec la MNEF, mais avez-vous des liens particuliers avec d’autres mutuelles sous les formes qui viennent d’être évoquées - publicités, liens financiers ? Vous avez dit que vous ne présentez pas de candidats aux élections mutualistes.

M. Philippe EVANNO : En effet.

M. Bruno BOURG-BROC : J’ai bien noté que vous étiez au départ opposé au régime spécifique de sécurité sociale étudiante et que vous vous y êtes ralliés en 1993.

M. Philippe EVANNO : A partir de la négociation portant sur la remise à niveau des remises de gestion.

M. Bruno BOURG-BROC : L’organisation actuelle, dans ses grandes lignes, vous satisfait-elle ? Avez-vous des suggestions à formuler sur une réorganisation possible ?

Par ailleurs, quelles devraient être à vos yeux les grandes lignes d’un statut social de l’étudiant ?

M. Philippe EVANNO : En ce qui concerne votre première question, je répondrai que nous n’avons aucun lien d’aucune sorte en tant qu’organisation avec une mutuelle étudiante. Il nous arrive, ici ou là, d’avoir un membre de l’UNI qui se présente à titre personnel sur la liste d’une mutuelle, hors MNEF évidemment, et qui peut être élu. Cela nous est déjà arrivé. Mais cela reste peu fréquent. En ce qui concerne votre deuxième question, il est nécessaire de trouver un mode de coordination pour faire mieux fonctionner ce système mutualiste étudiant. Différentes idées étaient dans l’air. L’une était de faire figurer dans les conseils d’administration des mutuelles des représentants de l’Etat. C’est une idée dangereuse, non pour les mutuelles, mais pour l’Etat, puisque, en règle générale, on se rend compte que dans toute structure de type associatif ou d’économie sociale, quand l’Etat est présent, en général, le représentant de l’Etat ne voit rien. C’est ce qui s’est passé à l’ARC. Les représentants de l’Etat sont mieux placés pour contrôler que pour participer à une gestion. Il me semble donc plus intéressant d’envisager la mise en place d’un comité de suivi, où l’Etat serait très fortement représenté, dont la mission serait de veiller à ce que le fonctionnement de la mutualité étudiante se passe du mieux possible et d’éviter les dérives auxquelles on a pu assister.

Pour revenir à la question de la communication, le problème de la communication ces dernières années est en réalité moins directement lié à une rivalité entre mutuelles, secteur par secteur, encore que l’on puisse discuter suivant les villes, car il y avait bien des endroits où la guerre était effectivement liée à une rivalité entre MNEF et mutuelle régionale, qu’à une démutualisation progressive du monde étudiant au profit des compagnies d’assurances.

L’évolution très rapide des dépenses de communication à laquelle nous avons pu assister au cours des dix dernières années correspond beaucoup plus au fait que les familles et les étudiants avaient tendance à aller s’assurer plutôt qu’à se mutualiser. En fait, c’est à mon avis plus à une concurrence entre mutuelles et compagnies d’assurances qu’à une concurrence entre mutuelles entre elles à laquelle on a assisté.

En ce qui concerne votre dernière question sur des propositions sociales pour les étudiants, le problème des mutuelles étudiantes ces dernières années est d’avoir changé et de s’être très fortement impliquées à la demande des différents gouvernements. Depuis le plan social étudiant de 1991 signé avec le ministre de l’éducation nationale de l’époque, M. Lionel Jospin, nous avons vu les mutuelles étudiantes s’impliquer dans tous les aspects sociaux de la vie étudiante. La MNEF a créé ses maisons des jeunes et de la santé, qui ne traitent pas que des problèmes de la santé. Elle est intervenue sur des quantités de dossier extra étudiants. Le dossier Carte Jeunes SA est un dossier extrêmement lourd, dans lequel la MNEF a pris une position dominante.

Il faut remettre les choses à leur place. Il est certain que les mutuelles, dans leur domaine, celui de la santé, peuvent apporter une aide considérable aux étudiants. Elles peuvent, à partir de là, faire des propositions plus larges qui ne concerneraient pas que la santé, car on ne peut réfléchir sur la santé des étudiants sans avoir une vision globale du fonctionnement de l’université.

Il faut réfléchir à un mode d’association des mutuelles à la réflexion sur l’aide sociale aux étudiants qui soit un peu mieux défini qu’il ne l’a été à ce jour.

On peut difficilement reprocher aux mutuelles étudiantes de s’être intéressées à ces dossiers, alors qu’à chaque fois, elles étaient obligées d’intervenir à la demande de l’Etat. Il est certain aussi qu’elles ont fait naître une génération de cadres dirigeants qui, dans leur majorité, avait une connaissance du système qui, paradoxalement, était fréquemment meilleure que celle que pouvaient avoir les représentants élus des mouvements étudiants, tout simplement parce qu’ils avaient une plus grande longévité dans leurs fonctions. On retrouve la même particularité à l’UNI. L’UNI est un mouvement qui regroupe des enseignants, des chercheurs et des étudiants. Il est fréquent que les enseignants et des chercheurs de l’UNI aient une meilleure connaissance des dossiers que les étudiants, tout simplement parce que la durée de passage d’un étudiant dans une association ou un syndicat étudiant est de l’ordre de deux ans, ce qui est extrêmement court pour acquérir une expérience. C’est ce qui a dû se produire avec les mutuelles étudiantes. Un certain nombre de cadres étudiants se sont retrouvés dans les mutuelles, ont continué à travailler sur les problèmes de l’université et, à partir de ce moment-là, ont été amenés à s’investir davantage sur toute une série de problèmes.

Pour ce qui est des propositions elles-mêmes, je pense qu’il existe des besoins qui concernent, d’un point de vue strict de la santé, un meilleur suivi de l’état sanitaire de la population étudiante, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. D’autres propositions traitent des conditions de vie de l’étudiant, qu’il s’agisse de la restauration ou du logement. Les mutuelles avaient été amenées à s’occuper de ce secteur à l’occasion du plan social de 1991, qui comportait un volet logement, ledit volet ayant été signé mais n’ayant pas été financé. L’UNI avait signé ce plan social. Parallèlement à cela, il y a eu surtout le dérapage de l’ALS, puisque comme vous le savez, l’ALS n’a jamais été conçue pour les étudiants. Le gouvernement qui l’a créée n’a jamais imaginé que cette allocation pourrait bénéficier aux étudiants. La conjonction entre ce plan signé avec le gouvernement et le ministère Jospin à l’époque, le besoin en logements et le dérapage de l’allocation au logement social avait conduit, à la demande des gouvernements de l’époque, les mutuelles à investir dans le logement.

On se demande aujourd’hui si c’était bien leur rôle. Probablement pas, mais tout le monde les incitait à aller dans cette direction. Maintenant, il faut savoir si l’on continue à inciter les mutuelles étudiantes à gérer le logement étudiant - elles gèrent un nombre de logements considérable - ou si l’on doit les aider, au contraire, à se recentrer sur leur mission prioritaire et à se débarrasser, d’une manière ou d’une autre, de leurs filiales.

Il est nécessaire, à mon avis, de procéder à une défilialisation des mutuelles et de rechercher une meilleure articulation entre des filiales qui sont, pour l’essentiel, des sociétés à caractère commercial et des mutuelles qui ont avant tout un objectif social.

M. le Rapporteur : Tout à l’heure, lorsque vous avez fait allusion à la participation à titre individuel de membres de votre organisation aux élections mutualistes, vous avez terminé votre phrase en disant " hors MNEF évidemment ". Y a-t-il incompatibilité entre le fait d’être membre de l’UNI et adhérent à la MNEF ?

M. Philippe EVANNO : Sauf cas particuliers, c’est-à-dire absence totale de mutuelle étudiante régionale dans une zone donnée, ce qui actuellement n’existe plus en France. Jusqu’à une période récente, à Perpignan, il n’existait que la MNEF. Depuis maintenant deux rentrées, il y a une mutuelle régionale. De même, dans les départements d’outre-mer, il n’existait que la MNEF. De toute façon, en outremer, la répartition des étudiants entre mutuelles ne se fait en aucun cas sur des critères politiques.

M. le Rapporteur : Pourquoi ? Aujourd’hui, cela se fait sur des critères politiques ?

M. Philippe EVANNO : En outre-mer, absolument pas.

M. le Rapporteur : En métropole ?

M. Philippe EVANNO : En métropole, pour une part. Beaucoup moins depuis une dizaine d’années car, progressivement, l’image politique de la MNEF s’est atténuée. C’était d’ailleurs le grand reproche qui lui était fait par beaucoup de ses amis. À partir de là, dans un certain nombre de régions, les étudiants ne se déterminaient plus en fonction d’une sensibilité politique.

Si l’on reprend le débat des années 70 et du début des années 80, il est bien évident que lorsqu’un étudiant adhérait à une mutuelle régionale, c’est qu’il était plutôt de sensibilité de droite et quand il adhérait à la MNEF, c’est qu’il était plutôt de sensibilité de gauche. C’est ce qui se faisait à cette époque. La situation a évolué. Même si cela reste partiellement vrai, on assiste de plus en plus à une dépolitisation de la mutualité étudiante, ce qui est probablement une bonne chose.

M. le Rapporteur : Avez-vous été administrateur d’une mutuelle ?

M. Philippe EVANNO : Non.

M. le Président : Estimez-vous que les étudiants étrangers doivent avoir la même couverture que les étudiants français, même lorsqu’il n’y a pas de régime de réciprocité ? Quelles sont vos propositions concernant les étudiants étrangers ?

M. Philippe EVANNO : Une décision récente a été prise à ce sujet, qui aligne les étudiants étrangers sur les autres étudiants. C’est une mesure simplificatrice utile, étant donné que s’étaient greffées sur ce traitement particulier des étudiants étrangers des sociétés purement commerciales, qui se faisaient de la publicité dans les facultés sur le thème : " En payant trois cents ou cinq cents francs, vous aurez le papier nécessaire à l’obtention du titre de séjour ", ce qui fréquemment ne reposait sur rien et mettait des étudiants étrangers dans des situations extrêmement difficiles.

La question de la réciprocité n’a pas grand sens pour nombre de pays, dès lors que dans les pays concernés, il n’existe pas de mutualité ou de système équivalent. Donc, le fait de rattacher purement et simplement les étudiants étrangers au régime étudiant est, à notre sens, plutôt une bonne chose, surtout dans une période où, depuis un bon nombre d’années déjà, le nombre d’étudiants étrangers en proportion de l’ensemble des étudiants n’a cessé de baisser et où, pour certains pays, les flux sont même en train de s’inverser. Si l’on prend un pays aussi proche de la France que la Côte d’Ivoire, personne n’imagine que les étudiants ivoiriens pourraient ne pas venir en France. Il se trouve qu’aujourd’hui, la majorité des étudiants ivoiriens s’orientent vers l’Amérique du Nord, malgré les coûts considérables des études dans ces pays. Il est vrai aussi que l’ambassade de France refusant presque systématiquement les visas d’études aux candidats à une inscription chez nous, cela rend cette réorientation obligatoire. Mais c’est un autre type de problème.

En ce qui nous concerne, nous avions recommandé à des responsables mutualistes de s’interroger sur ce problème et de voir dans quelle mesure ils pourraient intervenir pour le régler. Je ne sais pas si nous avons été entendus et si cela a été pris en compte dans la décision récente. En tout cas, cette décision nous satisfait tout à fait.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d’avoir passé avec nous une partie de votre après-midi. Vos explications étaient très claires.

M. Philippe EVANNO : Je puis vous laisser le dossier dont j’ai parlé au cours de mon exposé liminaire concernant la MNEF qui date de 1980.

M. le Président : En effet, il sera très intéressant pour nous de l’avoir.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr