M. Jean Savoye a exposé qu’il avait effectué des études tangentes au sujet traité par la mission, en s’attachant à examiner le rôle de la rente pétrolière dans la guerre en Angola depuis 1975.

Ses hypothèses de recherches considéraient que la rente pétrolière était une simple source de revenu sans cause en Angola. Cette rente est multipliée par douze entre 1969 et 1973. Or le 11 novembre 1975 l’indépendance effective de l’Angola est proclamée ; un nouveau gouvernement issu du MPLA bénéficie d’une rente pétrolière considérable ce qui influera sur le conflit. La principale idée développée concernait la "Dutch disease" phénomène qui implique que le secteur minier ou pétrolier dans un pays sous-développé tend à s’auto-alimenter, à drainer les investissements, à être au départ le seul secteur rentable d’une économie et à le rester de plus en plus en absorbant les ressources pouvant aller ailleurs. En Angola, on observait une "Dutch disease" économique politique et militaire.

L’intérêt du cas angolais est double. Il est lié à la situation des puits de pétrole le long de la côte ce qui entraîne une politique de comptoir quelque peu néo-coloniale. La côte seule est intéressante, c’est l’Angola "utile". Le conflit angolais a été lié pendant de nombreuses années à la guerre froide, il permettait d’analyser ce qu’impliquait cette concurrence mondiale dans un conflit comme celui-là.

L’action des compagnies pétrolières en Angola se résume à protéger les sites et à rester en Angola. Les intérêts des compagnies pétrolières coïncident avec ceux du gouvernement angolais. Il s’agit de protéger et de sécuriser militairement les sites d’extraction par un dispositif approprié. A partir de 1975 l’essentiel des troupes notamment les troupes cubaines, (50 000 hommes à la fin des années quatre-vingts) se consacrent à cette protection. Parallèlement, il convient d’assurer la protection politique des sites pour que l’Angola "utile" soit politiquement stable, l’enjeu sera donc de maintenir un pouvoir politique avec lequel on pourra commercer. Entre 1975 et 1990, les gouvernements angolais successifs acceptent l’idée que l’Angola c’est la côte.

En 1975, le gouvernement angolais nationalise l’ensemble de l’économie sauf le secteur pétrolier organisé de façon complexe. Le gouvernement et les compagnies pétrolières sont associées mais ces dernières ont une autonomie complète pour commercialiser et prendre des initiatives en matière de prospection et d’extraction. Le gouvernement ayant des participations dans presque toutes les compagnies locales, garde une partie de la production pour satisfaire les besoins du pays, besoins essentiellement militaires.

La guerre civile accentue la décadence de l’économie angolaise mais le secteur pétrolier suit un parcours particulier. En effet au niveau politique, la rente pétrolière procure un revenu conséquent au personnel dirigeant. Alors que les campagnes autour ne connaissent aucun développement, la capitale Luanda est approvisionnée par l’importation de produits de l’extérieur. Sur le plan politique, une élite dirigeante intéressée à la rente se constitue, mais le reste de la population est tenu à l’écart ce qui explique le coup d’Etat manqué de 1977. Un système de marché noir se développe et il fait le lien entre les dirigeants et la population. La rente pétrolière intéresse seulement les élites. La protection des sites pétroliers et diamantifères oblige à mobiliser des ressources militaires qui ne peuvent pas servir à d’autres activités. Plus le temps passe plus il est facile à l’Unita d’attaquer ces zones ce qui rend leur protection coûteuse. La guérilla oblige le gouvernement à mobiliser de plus en plus de ressources.

Le gouvernement angolais est passé d’une attitude révolutionnaire à une attitude de plus en plus pragmatique. Ainsi le coup d’état manqué de Nito Alves en 1977 aboutit à une répression ; en 1980 Agostino Neto qui meurt en URSS est remplacé par M. Dos Santos maître d’œuvre de la purge de 1977. Celui-ci gère la transition de 1988-1989 à la suite du départ des troupes cubaines et soviétiques et actuellement il administre l’Angola comme un comptoir pétrolier.

La rente pétrolière permet de financer un appareil militaire mais pas de le créer. Elle sert à financer les corps expéditionnaires cubains jusqu’en 1988-1989, permet à Cuba de recueillir des ressources en dollars en Angola et à l’URSS de prendre le contrôle d’un pays d’Afrique australe sans y aller eux-mêmes, les deux pays poursuivant des objectifs différents. Le contre-choc pétrolier de 1986 aboutit aux départs des Soviétiques et des Cubains. A partir de cette période, le gouvernement s’est refait une image internationale : il s’efforce de faire jouer la concurrence entre les compagnies pétrolières et d’attirer des sociétés de mercenaires et des milices privées de sécurité comme Executive Outcomes dont le personnel appartient à plusieurs nationalités (Sud-Africains et Russes). Pour défendre la rente, le gouvernement angolais fait donc appel à des armées privées.

Les compagnies pétrolières en Angola n’ont pas véritablement joué de rôle politique en liaison directe avec leur pays d’origine. Elles agissaient en fonction de leurs intérêts commerciaux pendant la guerre froide. On a observé des liens entre la compagnie américaine Gulf Oil et certains dignitaires cubains. C’est au pays d’origine de décider s’il veut soutenir sa compagnie. Les compagnies américaines auraient exercé des pressions sur leur gouvernement à l’époque de la guerre d’Angola mais elles n’ont pas eu d’effet. Les compagnies américaines comme les troupes cubaines sont restées, sans que la politique américaine dans la région ait changé jusqu’à la fin des années quatre-vingts. Les compagnies pétrolières ont-elles joué un rôle politique significatif ? Il est clair qu’on assiste à une imbrication entre le gouvernement local et les compagnies pétrolières. Le gouvernement taxe la compagnie pétrolière en faisant jouer la concurrence.

Mme Marie-Hélène Aubert a rappelé qu’Elf Aquitaine était très implantée en Angola et souhaité savoir quelle était l’évolution de la situation dans ce pays depuis 1990, comment ont été payées les troupes étrangères et quelle a été la position du gouvernement français par rapport au gouvernement angolais.

Observant que le pétrole ne servait pas au développement des populations dans un Etat non démocratique, car fréquemment il alimentait un effort de guerre, elle a demandé comment le pétrole influençait les politiques d’aide au développement, car en Angola seule la côte est développée et la rente pétrolière alimente un conflit dévastateur.

M. Pierre Brana a voulu savoir si des compagnies pétrolières avaient participé au financement de la rébellion de l’Unita : auraient-elles financé le gouvernement et les opposants ? Comment s’opérait le paiement des troupes étrangères ?

M. Roland Blum s’est interrogé sur l’attitude d’Elf en Angola car il a pu constater lors d’une émission sur M6 que cette compagnie avait participé au financement des équipes dirigeantes successives du Congo et qu’ainsi, le Président Lissouba, comme son successeur, avait eu les moyens nécessaires pour acheter des armes grâce à la rente pétrolière. Il s’est informé sur les méthodes employées par Elf et les autres compagnies pour financer les classes dirigeantes.

M. Jean Savoye a répondu à ces questions.

La chute de la rente en 1986 a entraîné une hypothèque des revenus pétroliers à venir, elle a accru la dépendance de l’Angola à l’égard de compagnies dont le pouvoir a été renforcé. La découverte de gisements récents a renforcé la position "d’administrateur de comptoir" du gouvernement angolais. Selon lui, M. Jonas Savimbi n’aurait pas bénéficié de la rente pétrolière car il a rentabilisé ses propres ressources (aide extérieure de l’Afrique du Sud et des pays du Golfe jusqu’en 1990). Lorsque l’Unita a progressé vers le Nord, le diamant est devenu une de ses ressources. Mais quand elle a pris en 1993 la ville pétrolière de Soyo, il lui a été impossible de négocier avec les compagnies car elles n’ont pas voulu investir sur l’Unita. Le MPLA a pu à ce moment-là hypothéquer la rente pétrolière et se refaire "une santé militaire".

En Angola, l’utilisation de la rente pétrolière semble plus efficace qu’au Congo car la méthode est différente. A l’origine les compagnies pétrolières n’étaient pas seules. Il y avait les troupes soviétiques et cubaines. En Angola, la rente pétrolière est captée par le parti unique, ce qui simplifie les tractations ; officiel et officieux se confondent, et les trafics sont nombreux. Le général Ochoa, commandant du corps expéditionnaire cubain, fusillé en 1989 pour trafic de drogue à Cuba, avait, semble-t-il, mis en place un trafic de drogue et de diamants. En Angola, l’évolution de la dette publique et celle de la rente pétrolière sont parallèles, il n’est pas utile d’avoir un financement occulte même s’il est probable que des pots-de-vin aient été versés à des individus. Le Congo semble avoir été un enjeu plus pétrolier que géopolitique.

En 1975 le Congrès américain a voté l’amendement Clark interdisant toute aide extérieure à l’Unita, puis, à partir de 1980, les Etats-Unis ont supprimé cet amendement et ont fait face à la politique soviétique en Angola. Pendant la guerre froide, la France s’est efforcée d’être la gardienne des intérêts occidentaux en Afrique. Elle a cherché à éviter de se faire des ennemis tout en gardant et rassurant les alliés de la région pour qui le MPLA restait une menace.

Les pays où les gouvernements ont su utiliser la rente pétrolière sont rares. Les bilans des pays peu développés, où l’économie est basée sur les matières premières, montrent que le sous-développement persiste. Le Botswana, indépendant en 1966 et jouissant d’un régime démocratique, est l’un des seuls en Afrique qui ait su utiliser la rente que lui procurent les mines de diamants exploitées par la De Beers. Il l’utilise pour la construction d’infrastructures et l’éducation. Il en a placé une partie sur les marchés. Malgré cette bonne gestion ce pays ne dispose pas d’industrie.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est interrogée sur les politiques d’aide au développement et de coopération des pays d’origine de ces compagnies. Elle a constaté que les Américains parlent de "trade not aid", ce qui n’est pas la tradition française et a demandé en quoi la politique française pouvait influer sur l’exploitation des ressources.

Elle a voulu savoir les raisons du soutien apporté par l’armée angolaise à M. Kabila et à M. Sassou N’Guesso au Congo et si les compagnies pétrolières n’y avaient pas un intérêt.

M. Roland Blum s’est montré dubitatif sur la volonté des compagnies pétrolières de participer au développement global des pays où elles sont implantées.

M. Pierre Brana a voulu savoir quelles étaient les compagnies pétrolières implantées en Angola, les concessions qui leur ont été accordées et si certaines étaient particulièrement liées au pouvoir politique.

M. Jean Savoye a apporté les précisions suivantes.

Si on part de l’hypothèse selon laquelle le gouvernement du pays d’origine de la compagnie décide de soutenir son implantation, il peut proposer des avantages au pays producteur. Cette question ne s’est pas posée en Angola.

Les compagnies pétrolières sont des sociétés commerciales. Elles ne font pas d’aide au développement malgré ce qu’elles affirment. Plusieurs experts ont observé une tendance des pays occidentaux à s’intéresser aux zones utiles de l’Afrique, surtout depuis leur échec en Somalie. Quand les pays occidentaux défendent leur politique dans les pays du Sud, ils se focalisent sur des zones de sécurité. Comme le note M. Jean-Christophe Rufin, on préserve certains pays d’une instabilité totale et derrière on laisse "des zones grises". Les compagnies pétrolières sont la manifestation de cette problématique alors qu’elles pourraient avoir des politiques de développement plus ambitieuses. Les compagnies pétrolières ne génèrent pas de développement à l’échelon local. En Angola, elles n’en avaient pas la possibilité car au moment de l’indépendance, il n’y avait rien. L’Etat ne disposait d’aucune infrastructure et ne comptait pas plus de 200 étudiants. L’Angola est un cas extrême, façonné par une guerre civile cruelle ; c’est un pays détruit.

Dans cette partie de l’Afrique, il y a deux foyers de conflits, l’un autour du Soudan, où les Américains, à l’été 1997, avaient mis en place une alliance solide entre l’Erythrée, l’Ethiopie, l’Ouganda et les troupes de Kabila pour déstabiliser le Soudan, l’autre du côté Angola. Progressivement on a assisté à une jonction de ces deux conflits. L’intervention angolaise s’explique par un facteur historique, l’empreinte de l’ancien royaume Bakongo qui comportait au XVIème siècle des régions situées dans le Congo actuel, l’ex-Zaïre et le nord de l’Angola. Or, dans cette dernière région, la population bakongo qui a fui la colonisation portugaise s’est installée au Congo et a tenté de revenir en 1975 avec le troisième mouvement de libération nationale de l’Angola, le FNLA, qui a été battu devant Luanda. Mais l’Angola craint toujours une sécession de cette région qui inclut en partie Cabinda c’est-à-dire 50 % de ses réserves pétrolières. A la fin des années soixante dix, le Zaïre a soutenu le FNLA, et l’Angola a réactivé les sécessionnistes katangais. La crainte du gouvernement angolais a perduré. Avant la chute de M. Lissouba au Congo, l’Unita avait perdu l’essentiel de ses moyens d’approvisionnement dépendant des infrastructures aéroportuaires. La seule route d’approvisionnement qui lui restait passait par Pointe Noire. Elle a été perdue à la chute de M. Lissouba. Le gouvernement angolais avait donc intérêt à aider M. Kabila pour contrer les velléités d’indépendance de la zone de Cabinda et à soutenir M. Sassou N’Guesso au Congo pour couper les approvisionnements de l’Unita.

Les intérêts des compagnies pétrolières et du gouvernement angolais se confondent. Chevron, Gulf Oil, Elf sont les premières compagnies pétrolières à s’être implantées en Angola, elles ont été suivies par Shell, BP, Exxon, Agip, etc.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr