M. Jean-François Stoll a exposé comment la DREE intervenait dans le domaine pétrolier. Les entreprises pétrolières sont peu nombreuses, structurées comme des multinationales et échappent, comme dans d’autres secteurs, à la logique nationale française. De ce fait, la DREE reçoit surtout leurs sous-traitants. Néanmoins, la commission des garanties pour le commerce extérieur qui délivre des garanties mises en œuvre par la Coface sur les exportations de matériel et où sont représentés le ministère de l’Economie des Finances et du Budget, le ministère des Affaires étrangères et un grand nombre de ministères techniques, est amenée à connaître certains contrats des compagnies pétrolières. Sa branche garantie sur investissements joue un rôle plus important pour le secteur pétrolier car elle garantit le risque politique sur la durée de l’investissement (quinze ans). Aussi arrive-t-il que les compagnies pétrolières qui s’apprêtent à financer un investissement dans un pays complexe demandent à l’administration de garantir le risque politique sur dix ou quinze ans. Cette procédure plus confidentielle est majoritairement utilisée par les compagnies minières et pétrolières et cette branche est restée équilibrée dans les comptes de la Coface. C’est au titre de cette deuxième branche d’activité qu’en 1994 la Commission a garanti l’entreprise Total à hauteur de 2,4 milliards de francs avec une quotité garantie de 70 % de la quotité et une prime de 1,5 % contre le risque politique en Birmanie.

La DREE dispose d’un réseau important de 160 postes pour 1 000 agents français qui conseillent les exportateurs et investisseurs français à l’étranger. En principe, quand une entreprise pétrolière investit dans un pays, elle ne dévoile pas automatiquement sa stratégie. Elle consulte rarement la DREE et demande peu d’aide. La DREE est aussi amenée à traiter du problème des compagnies pétrolières dans les enceintes multilatérales notamment à l’OCDE et à l’OMC. Les questions d’environnement, de norme sociale, de transparence en matière financière sont abordées au travers de règles multilatérales. Il n’appartient pas à la DREE de se prononcer sur le régime politique d’un pays, responsabilité qui revient au Quai d’Orsay. Seules relèvent de son appréciation les analyses des risques économiques financiers et de solvabilité en général.

M. Pierre Brana a souhaité savoir si dans le système de garanties à l’investissement, des contreparties pouvaient être demandées aux entreprises. Il a voulu savoir en quoi la DREE pouvait intervenir dans les domaines de l’environnement.

M. Roland Blum s’est étonné que les droits de l’Homme ne soient pas pris en compte quand des garanties sont accordées par des organismes publics ; ainsi Total qui soutient indirectement au plan matériel et politique une Junte au pouvoir s’est vu accorder une garantie de 2,4 milliards de francs pour son activité en Birmanie. N’y a-t-il pas là un risque de dérive ? Il a constaté que les entreprises pétrolières françaises sont libres de leur stratégie alors que l’Etat y a été majoritaire et que seule la rentabilité économique est prise en compte.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est également interrogée sur la façon dont la DREE avait accepté de garantir le risque politique en Birmanie. Le client essentiel, la Thaïlande, n’ayant semble-t-il pas encore achevé l’usine thermique qui devait être alimentée par le gazoduc. Qu’adviendra-t-il si Total se retire de Birmanie ? Elle s’est demandé si le fait d’avoir garanti Total n’encouragerait pas les opérateurs français à souhaiter la stabilité du régime politique birman actuel qui a passé des contrats dénoncés en leur temps et actuellement par l’opposition birmane. Elle a voulu savoir si Elf et Total menaient leur propre politique commerciale sans que la DREE en soit informée.

Par ailleurs, elle s’est informée sur les mécanismes de contrôle du respect des conventions sur les droits de l’Homme, les droits économiques et sociaux et le droit de l’environnement car, selon elle, la rente pétrolière ne génère ni la paix ni la prospérité dans les pays producteurs, qui achètent des armes et mènent des guerres civiles. Constatant que les seuls enjeux économiques et financiers primaient, ce qui surprend, eu égard à la situation de la population de ces pays, elle a souhaité savoir si des directives avaient été données aux administrations pour prendre en compte les termes du discours de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, au MEDEF où il insistait sur la prise en compte des droits sociaux et environnementaux.

Elle s’est renseignée sur les relations des postes d’expansion économique avec les ambassades. Elle a souhaité connaître l’incidence des cours du pétrole sur la stratégie des grands groupes pétroliers et a souhaité savoir ce que la DREE proposait pour améliorer ses relations avec eux.

M. Jean-François Stoll a apporté les réponses suivantes.

L’achat de matériel français voire européen constitue la contrepartie des garanties accordées pour l’exportation. Dans le cas des garanties sur investissement, cette clause est moins forte, l’investissement français à l’étranger étant en lui-même considéré comme intéressant pour l’économie française (dans la majorité des cas, toutefois, ces investissements sont aussi porteurs d’exportation). La prise en compte du respect de l’environnement pourra être à l’avenir une contrepartie exigée. C’est la thèse que l’Administration française défend dans la préparation du futur cycle de l’OMC. C’est désormais une pratique de la commission des garanties qui demande aux entreprises de produire une note d’impact à l’occasion de chaque dossier comportant des incidences environnementales.

La DREE prend surtout en compte un risque global, et étudie les composantes environnementales, financières et certains risques non financiers dans leur ensemble. Pour ce faire, la DREE tient compte des avis des autres ministères, notamment le ministère des Affaires étrangères.

La décision de garantir le risque politique pris par Total en Birmanie a été longue et difficile à prendre. Un débat a eu lieu au niveau du ministère et le cabinet de l’époque (1994) a exigé que l’on augmente les primes et que l’on réduise la quotité garantie à 70 %. La pratique montre que lorsqu’il y a un changement de régime politique, le risque souverain sur les dettes anciennes est en général repris par les successeurs. Ainsi, la Russie a repris les engagements passés par l’ex-URSS. Un pays qui n’honore pas ses engagements passés risque de se fermer au marché financier et prend le risque de vivre en autarcie financière.

La centrale thermique que doit construire la Thaïlande devrait être achevée au printemps 1999. Le projet est retardé mais pas différé. Si Total se retirait de Birmanie, la garantie ne jouerait pas car le fait générateur est exclusivement le risque politique (nationalisation, guérilla, etc.).

En général, les entreprises pétrolières ont leurs propres renseignements sur les pays où elles interviennent, et bien souvent elles en savent autant que l’Administration qu’elles considèrent souvent comme un guichet de financement et de garantie, ce qui est un peu réducteur.

L’intérêt d’un projet d’investissement (pour le pays de l’investisseur, comme pour le pays récipiendaire) doit s’analyser sur le long terme : exportation, approvisionnement en matières premières, installation de sous-traitants, présence culturelle. Il doit être aussi apprécié à plus court terme sous l’angle de sa rentabilité économique. Ceci est plus directement de la responsabilité de la Direction du Trésor, l’équilibre financier du projet étant sa principale condition de la maîtrise du risque.

Quand on finance un projet de développement sur crédits publics, la prise en compte de l’environnement, comme je l’ai déjà souligné, est de plus en plus importante. Bien souvent ces projets sont financés par des crédits multilatéraux. Ils font l’objet de discussions au sein de l’OCDE et au sein de l’Union européenne, notamment sur les questions de niveau de concessionnalité, mais aussi environnementales. En France, l’administration contrôle les exportations technologiquement sensibles en matière militaire et la Commission interministérielle d’exportation des matériels de guerre (CIEMG) délivre des autorisations contraignantes de négociation, de financement et d’exportation.

S’agissant de matériel civil, la commission de garantie n’a pas pour l’heure de règles précises et concordantes concernant le respect des normes sociales minimales. Ces questions sont pourtant d’ores et déjà posées dans les enceintes institutionnelles multilatérales. Ainsi, quand un financement multilatéral est examiné par la Banque mondiale, des débats sur la situation des droits de l’Homme ou l’environnement peuvent avoir lieu. Il est alors plus difficile pour un pays de donner une garantie ou un financement bilatéral alors que le Conseil d’administration de la Banque mondiale l’a refusée au nom de ces principes. Pour l’instant, le discours du ministre des Affaires étrangères au MEDEF n’a pas eu de traduction dans les textes bien que nous défendions fortement l’inscription de ce sujet dans le futur agenda de l’OMC. La notion de risque politique reste pour l’instant appréciée de manière globale.

Aux termes du décret de 1979, l’Ambassadeur a autorité sur le poste d’expansion économique du pays où il exerce. Quand une entreprise pétrolière française souhaite investir dans un pays, elle se renseigne sur son niveau de stabilité politique à long terme et s’adresse souvent à l’Ambassadeur de France. Traditionnellement, les compagnies pétrolières collectent leurs informations ailleurs qu’à la DREE, ou parallèlement. Ceci peut paraître regrettable surtout quand quelque temps plus tard cette même entreprise sollicite des aides financières ou des garanties d’investissement. Les réseaux de la DREE travaillent à 80 % pour les PME ce qui est leur vocation, et sont concentrés sur les pays émergents. Ils sont de moins en moins présents dans les pays endettés ou peu solvables. La DREE a diminué ses effectifs de 20 % dans ses postes en six ans et ferme de nombreux postes. La DREE pourrait intéresser les compagnies pétrolières en leur fournissant des informations dont elles ne disposent pas toujours, par exemple sur l’évolution de la réglementation des pays, sur les stratégies concurrentielles à moyen terme des entreprises étrangères, et bien sûr sur la solvabilité économique des acheteurs (notion de risque-pays).

La chute des cours du pétrole est intervenue depuis fin 1997. Le marché pétrolier s’est caractérisé par la coexistence d’une offre et d’une demande en progression, la première connaissant une croissance supérieure à la seconde. En effet, alors même que la crise asiatique et ses conséquences se faisaient déjà sentir, l’offre des pays membres de l’OPEP de même que celle des pays non-membres a continué à progresser. Les accords de réductions volontaires consentis durant l’année 1998 lors des réunions du Comité ministériel de surveillance de l’OPEP n’ont pas eu les effets escomptés. Les volumes des réductions ont été d’une part trop faibles pour influer le marché, d’autre part les nouveaux quotas ainsi mis en place n’ont pas été systématiquement respectés par certains pays producteurs devant faire face, par ailleurs, à de sérieuses difficultés financières.

Face aux baisses de leurs résultats, les grands groupes pétroliers ont été amenés à envisager des mesures de réduction des coûts et à revoir leur programme d’investissement avec une sélectivité plus importante des projets en fonction de leur rentabilité. Mais l’élément le plus visible, le plus médiatisé aussi a été l’accélération au niveau international du phénomène de concentration du secteur, déjà engagé depuis plusieurs années. Une illustration récente en est l’offre amicale effectuée par Elf pour le rachat d’actions du groupe pétrolier norvégien Saga Petroleum. On rappellera aussi le rachat en 1998 d’Amoco par British Petroleum, la plus grande fusion dans l’histoire des compagnies pétrolières.

Après son audition, M. Jean-François Stoll a précisé que, suite aux derniers accords de réduction de production (mars 1999) consentis par l’OPEP, qui semblent mieux respectés, ainsi que des signes de reprise en Asie, nous assistons depuis quelques mois à une remontée des cours. Si celle-ci est durable, les compagnies pétrolières devraient pouvoir en termes d’investissements envisager l’avenir avec un plus grand optimisme.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr