M. Philippe Durand a exposé qu’il était au service chargé de la législation fiscale et non pas à la direction chargée de la vérification des déclarations des contribuables. Il a en charge la fiscalité directe des entreprises ainsi que divers autres impôts notamment l’ISF.

S’agissant des entreprises pétrolières, au moins les plus grandes Elf et Total en particulier, elles bénéficient comme un certain nombre de grandes entreprises, du système du bénéfice consolidé, créé en 1965 afin de favoriser le développement des entreprises françaises à l’étranger. Lorsqu’une entreprise va s’implanter à l’étranger, elle est conduite à y faire des investissements et à engager des frais importants. Comme pendant plusieurs années, l’installation étrangère est déficitaire, on favorise donc le développement des entreprises à l’étranger en leur permettant de déduire du bénéfice imposable en France les déficits que leur occasionnent ces implantations. Ce régime est réservé au secteur industriel pour deux raisons : d’une part parce que les investissements y sont plus importants, d’autre part parce que la localisation des bénéfices y est plus facile à déterminer et par conséquent la fraude moins simple que pour des entreprises de services. Ce régime est complexe à mettre en œuvre, ne serait-ce que parce que les entreprises qui demandent à en bénéficier doivent présenter à l’administration fiscale leurs résultats pour chacune de leurs filiales étrangères sous la forme comptable exigée en France.

Ce régime permet d’imputer les impôts payés à l’étranger sur les impôts payés en France mais ne conduit pas à reversement si les impôts étrangers sont supérieurs à l’impôt qui devrait être payé en France. Seuls restent possibles dans cette situation des reports sur les années suivantes. Pour les entreprises pétrolières, le bénéfice consolidé a une importance majeure parce que les redevances qu’elles paient aux Etats dans lesquels elles procèdent à de l’extraction sont considérées comme des impôts payés à cet Etat et sont donc déductibles de l’impôt susceptible d’être payé en France.

Le système fiscal français présente par ailleurs l’inconvénient de pénaliser les redistributions de bénéfices prélevés sur les résultats de filiales étrangères. Certes, les bénéfices en cause n’ont pas été imposés en France dans la mesure où ils ont bénéficié du régime des sociétés mères et filiales. Mais de ce fait, en cas de redistribution, ces dividendes supportent le précompte pour gager l’avoir fiscal dont bénéficie l’actionnaire en aval. Or, pour les dividendes provenant de bénéfices étrangers, ce précompte ne peut être gagé par un avoir fiscal d’amont dans la mesure où les bénéfices en question n’ont pas donné lieu au paiement d’un impôt en France, la filiale étrangère n’étant pas dans le champ de l’impôt français sur les sociétés.

Le régime du bénéfice consolidé, en "francisant" le bénéfice étranger, supprime cet inconvénient particulièrement pénalisant pour les groupes fortement implantés à l’étranger et qui ne peuvent donc faire face à leurs besoins de distribution avec leurs seuls bénéfices de source française.

En ce qui concerne les commissions, le régime du bénéfice consolidé a pour conséquence de rendre applicable le régime français à toutes les filiales incorporées dans le périmètre du bénéfice consolidé. L’entreprise, pour que ces commissions soient déductibles du bénéfice imposable, doit être en mesure de justifier de leur pertinence. A cette fin la jurisprudence exige que la commission ait une contrepartie pour le bénéfice de l’entreprise. La Cour de Cassation et le Conseil d’Etat diffèrent légèrement dans leur appréciation. La Cour de Cassation a une jurisprudence un peu plus moralisante, le Conseil d’Etat se contente d’exiger que l’entreprise ait un intérêt à verser la commission.

Jusqu’en 1993, la France a connu la pratique du "confessionnal". Les entreprises qui envisageaient de verser des commissions pour obtenir des marchés à l’étranger avaient la possibilité de venir à l’administration centrale indiquer a priori le montant envisagé de la commission, le nom du bénéficiaire. Si l’administration donnait son agrément, l’entreprise avait ensuite la possibilité de déduire la commission du bénéfice imposable. Cette pratique concernait surtout le secteur de l’armement. La loi Sapin a réformé ce régime en supprimant la possibilité d’une assurance a priori de la régularité de la commission. Il ne reste plus que la possibilité de vérifier a posteriori l’existence d’une contrepartie réelle, et donc de rechercher si effectivement il y a eu un contrat, quelle a été l’adéquation du montant de la commission, son intérêt économique et éventuellement le résultat qui en a été obtenu. Sur le plan de la transparence, l’administration exigera des éléments permettant de s’assurer de la réalité du bénéficiaire de la commission afin de vérifier qu’aucun retour n’aura été effectué vers un "résident". La pratique et la jurisprudence montrent que selon la période le pourcentage qui paraît raisonnable, peut varier. De fait, le taux de 20% qui semblait un maximum, semble insuffisant sur certains marchés avec des pays de l’ancien bloc communiste par exemple.

Ce régime est remis en cause à compter du 15 février 1999. En effet, le nouvel article 39 bis du Code Général des Impôts prévoit l’interdiction absolue de la déduction des commissions lorsqu’elles sont versées à des agents publics. Il s’agit de mettre en œuvre immédiatement une disposition essentielle de la convention OCDE tendant à limiter la corruption. Cette disposition ne concerne que les agents publics, les agents privés en sont exclus. Si l’entreprise ne demande pas à déduire la commission de son bénéfice imposable, une discordance entre le bénéfice comptable et le bénéfice fiscal existe et est susceptible d’être remarquée par les commissaires aux comptes ; elle sera alors soumise à l’assemblée générale des actionnaires. La notion d’agent public retenue dans la Convention est assez large ; elle comprend les fonctionnaires de l’Etat, ceux des collectivités publiques, les agents des différentes autorités de régulation, et les hommes politiques dotés d’un mandat électif, mais pas les parents ou les proches des personnes précitées. Lorsqu’une entreprise effectue un versement dans un paradis fiscal, les contrôles sont plus difficiles, en conséquence de quoi la charge de la preuve est retournée et il appartient à l’entreprise de justifier totalement la contrepartie.

Le nouveau régime constitue une amélioration par rapport à l’article 238 du Code Général des Impôts qui constituait une base légale un peu fragile. Sur le plan pratique, il est possible d’effectuer des contrôles concernant la réalité des prestations qui ont constitué la contrepartie de la commission et l’adéquation de son montant au bénéfice que pouvait en tirer l’entreprise. On notera que si l’entreprise ne communique pas le nom du bénéficiaire de la commission, non seulement la charge n’est pas déductible mais en outre elle est soumise à une pénalité qui atteint 100% du montant de la commission, cette somme étant réduite à 75% si finalement l’entreprise fournit le nom de son bénéficiaire (art. 163 du CGI).

Mme Marie-Hélène Aubert a demandé si le système du bénéfice consolidé était toujours d’actualité. Elle s’est informée sur les systèmes fiscaux étrangers, sur la législation concernant les commissions et les garanties apportées par le contrôle au niveau fiscal.

M. Pierre Brana a souhaité des précisions sur les instances dans lesquelles sont discutées les questions relatives aux commissions versées, ainsi que sur les principes qui guident le contrôle de la légalité des commissions notamment sur la qualité des bénéficiaires.

Il s’est interrogé sur la notion d’agent public, de contrepartie crédible et sur l’absence de contrôle de l’administration fiscale quand une société ne demande pas la déductibilité de ses commissions. Il a voulu savoir si ces problèmes étaient posés au niveau de l’Union européenne et dans d’autres enceintes multilatérales. Il a demandé comment l’administration agissait et quelle était l’importance des dénonciations.

M. Roland Blum s’est renseigné sur la notion de commission en droit fiscal et sur la procédure dite du confessionnal. Evoquant le cas d’Elf, il a voulu savoir si l’administration fiscale française se préoccupait de l’utilisation des commissions versées à l’étranger.

M. Philippe Durand a apporté les réponses suivantes.

Incontestablement le régime du bénéfice consolidé a été un moteur du développement à l’exportation en favorisant les entreprises françaises mais il pose quelques problèmes avec les instances de Bruxelles dans la mesure où les pays étrangers connaissent des régimes différents. Pourtant, dans les pays étrangers, le résultat des succursales à l’étranger qui n’ont pas la personnalité morale, est inclus dans le résultat des entreprises. En France les succursales à l’étranger ne sont pas prises en compte dans l’assiette de l’impôt. En conséquence, le bénéfice consolidé ne fait que rétablir une certaine égalité. En outre, tout changement pénaliserait vraiment les entreprises françaises en matière de dividendes en raison du précompte. Si l’on remettait en cause le régime du bénéfice consolidé, c’est l’ensemble de la fiscalité des entreprises qu’il faudrait revoir afin que les entreprises françaises ne soient pas défavorisées par rapport à leurs concurrentes.

C’est un objet de réflexion mais le problème est complexe. Lorsqu’une entreprise est soumise au bénéfice consolidé il est possible de vérifier à l’étranger la réalité des informations fournies par l’entreprise. Parfois, des difficultés surgissent avec les Etats concernés pour des raisons de souveraineté. En ce qui concerne le coût de gestion, comme le bénéfice consolidé n’est pas un droit mais n’est attribué que sur demande de l’entreprise c’est à elle qu’il appartient de financer les frais de gestion de l’administration.

S’agissant des commissions, le régime français est beaucoup plus transparent que les régimes étrangers, il est de notoriété publique que les entreprises américaines, avant la convention OCDE, versaient des commissions par le biais de filiales implantées dans les paradis fiscaux.

Evoquant les régimes fiscaux étrangers, M. Philippe Durand a indiqué que des informations par écrit seraient communiquées sur ce sujet. D’ores et déjà une étude a été faite sur les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Il en résulte que ces pays ne connaissent pas le régime du bénéfice consolidé mais un régime de crédit d’impôt. Aux Etats-Unis, il semble que lorsque les redevances paraissent excessives, l’administration américaine les exclut du bénéfice du crédit d’impôt.

L’essentiel de l’harmonisation fiscale se fait dans le cadre de l’OCDE même si la Commission européenne s’en occupe. Au niveau européen, il existe deux groupes dans lesquels ces questions sont discutées : le groupe des quatre auquel participent les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France, et le groupe des six, héritage de la petite Europe, qui comprend la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ainsi que les trois pays du Bénélux.

Quant aux principes qui gouvernent les contrôles, il n’y a pas véritablement de règles écrites pour estimer qu’une commission "normale" doit être de 5, 10 ou 15 % . C’est plutôt à l’occasion d’échanges informels avec les fonctionnaires de la direction de vérification nationale et internationale que se constitue une sorte de doctrine d’emploi. C’est plutôt une attitude empirique qui gouverne la matière, ce qui correspond au demeurant à la pratique.

L’administration fiscale française a globalement plus de moyens que les administrations étrangères ; en particulier elle bénéficie du droit de communication de tous les éléments des comptes bancaires mais une procédure particulièrement rigoureuse est la contrepartie à ses droits importants. L’administration est en fait corsetée dans des délais et des règles de procédure plus ou moins formelles. On pourrait presque dire que l’administration française paie l’abondance de ses moyens par des "procédures chinoises" qui multiplient les risques d’erreurs de procédure. Bien évidemment l’idéal serait de disposer de beaucoup plus de moyens et de procédures plus souples mais ce n’est pas véritablement envisageable.

Vis-à-vis de l’étranger, les moyens sont souvent limités car à supposer qu’il y ait une convention fiscale avec le pays concerné, encore faut-il que, dans ce pays, l’administration y dispose des moyens d’investigation dont dispose l’administration française en France, ce qui n’est pas toujours le cas. Un élément intervient souvent qui est la prescription. Celle-ci est de cinq ans pour l’imposition des entreprises, c’est-à-dire en fait un an de plus que pour les particuliers. On notera cependant que l’existence d’un jugement pénal prolonge le droit de reprise de l’administration donc suspend en fait la prescription.

Les informations de l’administration viennent d’abord des usagers par la déclaration, ensuite de l’administration elle-même par la vérification, enfin des tiers par des informations internes. Il ne faut pas sous-estimer ce dernier point, l’administration enquête lorsqu’elle apprend des informations par la presse ; en outre elle est souvent informée soit par des salariés des entreprises, soit par des concurrents évincés du marché.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr