Mme Marie-Hélène Aubert a remercié M. Yorongar d’avoir accepté de témoigner sur le projet d’oléoduc entre le Tchad et le Cameroun, car de nombreuses interrogations subsistent à ce sujet en termes d’impact sur les situations politiques, sociales, environnementales de ces deux pays, en termes d’opportunité et en termes d’utilisation future de la rente pétrolière.

M. Ngarlejy Yorongar a affirmé d’emblée qu’il n’était ni contre Elf, ni contre les Français, ni contre la France. Sorti des grandes écoles et universités françaises, il a appris comme ses collègues français des préceptes qu’il veut appliquer en Afrique et singulièrement au Tchad. A titre d’exemple, il a évoqué le cours du professeur René Rémond portant sur "une certaine idée de la France du général De Gaulle" à l’Université de Paris X-Nanterre. Il n’est pas non plus contre le projet d’oléoduc entre le Tchad et le Cameroun. Il a répété qu’il n’avait rien contre la France, les Français et la compagnie Elf. Toutefois, il voudrait voir Elf et certains Français nostalgiques respecter la dignité de l’Afrique et du Tchad. La France lui a permis d’acquérir certaines techniques qu’il souhaite appliquer dans son pays. Il a rappelé que c’était sous la présidence de Tombalbaye que le dossier du pétrole avait été ouvert au Tchad, Elf avait fait des prospections entre les années cinquante et soixante et dit n’avoir rien trouvé. Tombalbaye qui pensait que son pays avait du pétrole car on en découvrait dans tous les Etats voisins (Libye, Nigeria, Soudan, Cameroun), fut peu satisfait de la réponse d’Elf et fit appel à la Conoco. Celle-ci rendit publiques ses recherches en 1974. Trois gisements avaient été découverts : Sédigui, Bonguor et le bassin de Doba qui va de la frontière du Cameroun à celle du Soudan ; il a été sectionné en trois, Doba, Sarh, Kyabé. Depuis cette découverte et jusqu’à l’arrivée de M. Idriss Déby au pouvoir, les chefs d’Etat tchadiens qui se sont succédé (Tombalbaye, le Général Malloum, MM. Goukouni et Habré) ont refusé catégoriquement l’entrée d’Elf dans le consortium.

En 1990, M. Yorongar, qui soutenait M. Déby entré en rébellion, a été témoin des pressions exercées par la France notamment le refoulement de M. Déby hors de France alors qu’il avait obtenu un visa. Après que ce dernier ait été refoulé à Bonn en Allemagne, Elf a pris contact avec lui pour lui proposer un marché. C’est aux Pays-Bas que fut passé ce marché qui consistait pour Elf à fournir des moyens financiers et humains à la rébellion dirigée par M. Déby. En échange de cette aide, celui-ci, une fois au pouvoir, ferait entrer Elf dans le consortium. A son arrivée au pouvoir, le 1er décembre 1991, M. Déby a éjecté Chevron du consortium pour faire place à Elf.

Une fois au sein du consortium, Elf a provoqué des désordres. Elf obtint la déviation de l’oléoduc qui initialement devait aboutir dans le port pétrolier de Limbé dans la zone anglophone du Cameroun, vers Kribi en territoire francophone. Cette déviation vers Kribi, plage touristique connue comme étant l’une des plus belles au monde, entraîne un surcoût que le Tchad devra supporter. Il faut rappeler que Kribi qui se trouve au sud du Cameroun est en pleine forêt, zone d’habitation des Pygmées alors que Limbé est au nord de Kribi. Le premier affrontement de M. Yorongar avec le gouvernement de M. Déby et le consortium provenait successivement d’une série d’aberrations notamment les exonérations exorbitantes accordées par le gouvernement au consortium pour payer cette déviation ; il a dénoncé ces faits lors de l’investiture, en mai 1997, du Premier ministre tchadien actuel, au cours également du séminaire sur le pétrole organisé en juin 1997 par la cellule pétrolière de la présidence de la République à l’attention des députés à l’Assemblée nationale et enfin au moment du débat à l’Assemblée nationale lors de l’examen de l’avenant n° 2 qui constitue une véritable braderie. Pour lui, il est inadmissible pour le Tchad de se priver de ses ressources afin de faire plaisir à Elf et au consortium, d’autant plus que le projet a pour but la lutte contre la pauvreté. Or, lutter contre la pauvreté selon lui, c’est trouver des ressources financières pour les injecter dans les circuits de développement. Le tracé initial, moins onéreux, est en outre le meilleur sur le plan écologique.

Son affrontement avec le gouvernement et le consortium a aussi été provoqué par l’étude d’impact environnemental réalisé par Dames et Moore pour le compte du consortium. M. Yorongar a jugé que cette étude était une catastrophe écologique et humaine ne prenant pas en compte les recommandations de la conférence de Rio de Janeiro et les conditionnalités de la Banque mondiale. Pire, a-t-il affirmé, la copie dite revue et corrigée sur instruction de la Banque mondiale rendue publique en octobre 1997 est une pâle copie de la première. Le Tchad risque, selon M. Yorongar, de connaître un drame plus grave que celui du peuple Ogoni au Nigeria. En outre, l’indemnisation des populations frise la provocation. Or, cette indemnisation doit s’effectuer à juste prix, mais les victimes d’un projet de lutte contre la pauvreté sont l’objet d’exploitation éhontée et d’escroquerie de la part du gouvernement et du consortium. Cette vaste escroquerie, organisée contre ces populations est traduite par la grille des tarifs d’indemnisation. Ainsi par exemple, un manguier est découpé et jeté moyennant 30 francs français. M. Yorongar a refusé cette indemnisation en tant qu’élu de la circonscription où sont situés les puits de pétrole. Pour lui, la construction de l’oléoduc Tchad-Cameroun occulte les problèmes écologiques posés par les mini pipe-lines nécessaires à l’acheminement du pétrole des 300 puits vers les stations de Komé, Miandou et Bolobo. Cette toile d’araignée de 300 pipelines constituée d’une multitude de tuyauteries va traverser champs, villages, brousse, etc. Que deviendront les habitants concernés ? Il n’y a aucune réponse du gouvernement et du consortium à cette question. Il a d’ailleurs adressé au Président de la Banque mondiale une lettre le 3 octobre 1998 à ce sujet.

C’est grâce aux quatre-vingts ONG défendant les droits de l’Homme et l’environnement, d’Europe, d’Amérique, d’Australie et d’Afrique qui ont fait campagne sur ce projet, que la Banque mondiale a réexaminé le dossier. Le FMI et la Banque mondiale ont posé des conditionnalités que le gouvernement et le consortium n’ont pas remplies. De même, le projet de loi portant gestion et répartition des revenus pétroliers adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale n’a pas tenu compte des observations pertinentes de la Banque mondiale et du FMI (comme le montrent les documents Banque mondiale et FMI). Au Tchad la loi est adoptée pour abuser la confiance de la communauté internationale et n’est jamais appliquée. Cette loi donne 5 % à la région productrice de pétrole. En chiffres réels, ce taux représente 75 milliards de francs CFA au cours de 17 dollars US le baril ce qui est déjà insuffisant pour le développement d’une région de 7 préfectures d’environ 4 millions d’habitants. Si le prix du pétrole descendait en dessous de 10 dollars, 35 milliards de francs CFA seulement reviendraient à la région alors que l’étude préliminaire à la construction d’une école de santé (éléphant blanc) dans le village de M. Déby coûte aux contribuables tchadiens plus de 3 milliards de francs CFA. Que peut-on faire avec 35 milliards de francs CFA ? Plus grave, la totalité des revenus de pétrole du Tchad constitués par les royalties, soit 1 500 milliards de francs CFA à raison de 17 dollars US le baril sont hypothéqués par le gouvernement en garantie de la mini-raffinerie que M. Déby veut construire malgré les réserves du consortium qui, ne la trouvant pas rentable, a exigé cette garantie. Cette mini-raffinerie permettra à M. Déby de contourner les exigences de la Banque mondiale ; elle sera sa "tirelire" et absorbera la totalité des revenus du pétrole à l’issue de son exploitation prévue pour dix ans. En se déclarant en faillite, le consortium fera naturellement jouer sa garantie.

Que dire des événements insolites qui se sont produits ? Le représentant de la Banque mondiale, M. Cissé de nationalité nigérienne, qui a piloté le dossier avec la famille de M. Déby, est devenu, comme par hasard, deux fois Premier Ministre de son pays. M. Déby n’a-t-il pas négocié sa nomination avec les chefs d’Etat successifs du Niger (MM. Mahamane et Maïnasara). Si, à chaque fois, c’est à bord de l’avion présidentiel que M. Cissé s’est rendu à Niamey à la veille de sa nomination comme Premier Ministre, ce n’est pas le fait de hasard. Le remplaçant de M. Cissé, M. Johnson quelquefois critique à l’égard du projet, a été tué dans un accident de la route bizarre, mettant en cause un conducteur ayant des relations de parenté avec M. Déby, et qui fut aussitôt mis en liberté par des juges aux ordres pour continuer tranquillement ses activités. Ce même chauffeur a tenté tout dernièrement de tuer le Premier Ministre et le ministre de l’Intérieur avec le même véhicule. Détenu quelques jours à la maison d’arrêt de N’Djamena, il a été immédiatement remis en liberté.

Reconnaissant envers M. Déby, Elf a largement "arrosé" de cadeaux la famille et le clan en charge du projet pétrolier. Plusieurs versements de 7 milliards de francs CFA ont permis le paiement des fonctionnaires et celui de rutilantes voitures (Laguna, Safrane, 4X4 tout terrain livrés à l’Etat), l’organisation des fraudes électorales et le financement des campagnes électorales de certains candidats dont MM. Déby et Kamougué. La démission du directeur général adjoint d’Esso-Tchad est liée à l’attitude quelque peu révoltante d’Elf notamment à l’envoi massif des parents de M. Déby dans des écoles de pétrole à travers le monde notamment en France et en Algérie.

Abordant les négociations entre Elf et le Président Déby et le rôle de cette compagnie pendant la campagne présidentielle, M. Roland Blum a souhaité des éclaircissements.

Il a demandé quelles étaient les conditions émises par la Banque mondiale pour financer le projet qui n’avaient pas été respectées. Il a voulu savoir si la Banque mondiale financerait le projet.

M. Pierre Brana a rappelé que les représentants de la Banque mondiale avaient expliqué que le dossier serait examiné cet été et que la décision serait prise quelques temps après, le respect des droits de l’Homme étant le point de blocage. Ainsi selon eux la libération de M. Yorongar était un élément positif. Il a voulu connaître l’avis de l’intéressé sur cette analyse.

Il s’est interrogé sur les effets éventuels de la rébellion de M. Youssouf Togoïmi sur l’exploitation du pétrole au Tchad.

M. Ngarlejy Yorongar a apporté les réponses suivantes.

Il n’a pas assisté personnellement aux négociations entre Elf et le Président Déby aux Pays-Bas. Toutefois étant parmi les instigateurs du coup d’Etat manqué, le 1er avril 1989, contre M. Hissène Habré et ayant fui en France, il a pu suivre tout ce qui s’était passé à ce moment là. C’est après la lettre du Préfet des Yvelines le sommant de quitter le territoire français et après que M. Habré ait à son sujet dépêché à Paris deux de ses ministres dont M. Kamougué que M. Guy Labeur (PSU à l’époque des faits) a sollicité, et obtenu du Président Blaise Compaoré sa protection à Ouagadougou. C’est là qu’il est resté jusqu’au départ de M. Habré.

La Banque mondiale exige en première condition le respect des droits de l’Homme, la bonne gouvernance, l’implication des populations affectées directement par le projet, le plan d’indemnisation de ces populations etc. conditions que M. Déby n’a pas respectées. Au Tchad, les violations graves des droits de l’Homme sont fréquentes (meurtres de femmes enceintes, bébés égorgés...). Pour économiser les armes, on tue à l’acide et par bastonnade. Dans le sud, la répression contre la rébellion passe par le génocide perpétré contre les populations civiles. La bonne gouvernance est le dernier souci de M. Déby comme le prouve la gestion catastrophique des maigres ressources du Tchad et des aides extérieures. A la veille de l’arrivée des experts de la Banque mondiale et du FMI à N’Djamena, les fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances passent des nuits blanches pour monter de toutes pièces des dossiers financiers de justification. La Banque mondiale exige également du Tchad un régime démocratique. Mais, les fraudes aux dernières élections présidentielles et le hold up électoral aux législatives constituent des preuves suffisantes démontrant que le régime tchadien n’est pas démocratique. Les résultats de ces consultations ont été falsifiés. M. Déby n’a accepté un deuxième tour que sous la menace d’émeutes. Ainsi M. Koulamallah (1), Président d’un parti proche de la Présidence de la République reconnaît avoir transféré 550 millions de Francs CFA provenant d’Elf sur le compte de M. Kamougué, Président de l’Assemblée nationale du Tchad. M. Yorongar a eu la preuve écrite de ce transfert. M. Koulamallah était d’ailleurs prêt à témoigner publiquement au tribunal, mais il a été emprisonné et condamné à deux ans de prison avec sursis. Il vit actuellement en France. M. Yorongar réserve ces preuves pour les tribunaux tchadiens, car il a été libéré sans qu’un jugement soit intervenu sur le fond comme le montre sa communication au colloque organisé par les parlementaires Verts (en date du 24 février 1999).

Selon lui, le consortium et le gouvernement tchadien veulent obtenir l’accord de la Banque mondiale à l’usure. Elle pourrait finir par céder, ce qui serait catastrophique sur le plan humain et écologique. La Banque mondiale, le consortium et le gouvernement s’appuient sur la loi portant gestion de revenus pétroliers, qu’ils considèrent comme un élément décisif, unique au monde. Selon lui, le Président Déby ne respectera pas ce texte d’autant que l’argent généré par le pétrole est apporté en garantie de la min-raffinerie de N’Djamena. En outre, certains représentants de la Banque mondiale dont la carrière est attachée à ce projet, la poussent à donner son accord.

Si d’aucuns croient que sa libération a été exigée comme condition d’acceptation du dossier par la Banque mondiale, lui-même s’inscrit en faux contre cette démarche. Un tel marchandage est inadmissible. Pour lui, les intérêts de tous les Tchadiens et surtout ceux de ses électeurs sont plus importants. M. Déby est prêt à tous les chantages ignobles pour obtenir l’exploitation de ce pétrole. M. Yorongar ose espérer qu’arrêté arbitrairement, il a été libéré sous la pression de la chaîne de solidarité en sa faveur et ce, sans marchandage. Son combat va continuer et selon lui si la Banque mondiale est logique avec elle-même, elle ne doit pas donner son accord tant que le gouvernement tchadien et le consortium ne respectent pas scrupuleusement ses propres conditionnalités et les préoccupations des populations qui vont être affectées durablement par cet oléoduc.

Quant à M. Togoïmi, plusieurs fois Ministre de M. Déby, il s’est rebellé à la suite d’une frustration personnelle. M. Yorongar soutient qu’il avait suggéré à M. Laoukein Bardé (chef des rebelles du sud) de négocier avec le gouvernement. Ce que ce dernier avait accepté. Il lui a suggéré que pour amener M. Déby à respecter un accord entre lui et le gouvernement tchadien, il fallait que M. Bardé exige que M. Togoïmi soit chef de délégation. Après de longues discussions, un accord fut signé en avril 1997 entre M. Bardé et M. Déby qui reprocha ensuite à M. Togoïmi d’avoir joué le jeu du rebelle. C’est ainsi que des instructions furent données à la garde républicaine en service à la Présidence d’humilier M. Togoïmi. Ce dernier fut agressé alors qu’il allait à la Présidence de la République pour assister à la signature d’un accord intervenu entre les rebelles Toubou du Niger et le ministre nigérien de l’Intérieur. Humilié, M. Togoïmi a préféré démissionner. C’est ainsi qu’il est entré en rébellion armée contre le régime de M. Idriss Déby. Cette rébellion semble menacer le régime actuel de N’Djamena car elle est soutenue par des puissances étrangères, notamment la Libye. Seulement d’après M. Yorongar, quelle que soit l’intégrité de M. Togoïmi, il sera, comme ses prédécesseurs MM. Goukouni, Habré et Déby, tous issus du même groupe ethnique gorane, l’otage des militaires tous natifs de la région du BET (Borkou-Ennedi-Besti). L’existence de cette rébellion dans le BET n’est pas sans rappeler les précédentes qui avaient toutes pris naissance dans cette région. Ainsi, quelle que soit son intégrité, M. Togoïmi ne pourra pas mieux gérer le pays que ses prédécesseurs, car le système est vicié. Depuis 1979, tous les trois à huit ans, on remplace un chef d’Etat par un rebelle originaire de la même région.

Evoquant le rôle d’Exxon dans le consortium Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur les réactions de cet opérateur à propos du changement de tracé. Elle a demandé qui du Président Biya, des autorités françaises et de leurs représentants ou des compagnies pétrolières avait présidé à ce changement. Elle a souhaité des précisions sur le surcoût qu’il implique.

Elle s’est interrogée sur l’impact du projet d’oléoduc sur la situation actuelle dans le sud du Tchad et sur ce qu’il convenait de faire selon M. Yorongar.

M. Pierre Brana a fait observer que la question du pétrole tant au Cameroun qu’au Tchad était, à l’évidence, traitée au niveau des chefs d’Etat. Evoquant les propos de M. Mongo Beti sur les facteurs de répression et de drames qui constituent les rivalités ethniques en Afrique, il a demandé à M. Ngarlejy Yorongar s’il partageait cette analyse.

M. Ngarlejy Yorongar a apporté les précisions suivantes.

Shell et Exxon ont refusé catégoriquement l’entrée d’Elf dans le consortium en se fondant sur l’accord entre le consortium et le gouvernement tchadien. Mais le Président Déby, usant de son droit souverain a éjecté Chevron parce que l’une des deux sociétés américaines dans le consortium devait faire place à Elf. C’est ainsi qu’Elf est entrée dans le consortium avec 20 % d’actions au lieu de 30 % convenus aux Pays-Bas, étant entendu qu’Exxon et Shell ont réussi à obtenir 40 % chacune. Un responsable d’Exxon sur place, M. Dick Linaers, aurait démissionné de son poste d’Exxon Tchad pour protester contre l’attitude d’Elf décrite plus haut et il a été remplacé par un Français, M. Jean Pierre Petit. Le coût du tracé par Kribi étant supporté par le Tchad, les bénéfices du consortium sont saufs. Le Président Biya a accepté la déviation du tracé de l’oléoduc peut-être parce que Kribi est situé dans sa région natale. Selon Jeune Afrique économie de mai 1997, 9 milliards de francs CFA auraient été versés sur un compte en France au secrétaire général de la Présidence de la République camerounaise pour obtenir le changement de tracé. Quand M. Biya s’en est rendu compte, il a fait rapatrier cet argent et a ordonné qu’Elf soit dessaisi du dossier au profit d’Exxon. Le secrétaire général de la Présidence camerounaise est depuis en prison.

Les représentants de la France ont constamment joué un rôle dans ce projet. Si la police française a déstabilisé M. Déby en le refoulant sur Bonn pour permettre à Elf de lui proposer ledit marché, a-t-on lieu de douter du rôle des représentants français dans cette affaire ? La plupart des ambassadeurs français à N’Djamena travaillent efficacement dans ce sens. Ils défendent les intérêts d’Elf, ce qui est compréhensible. En revanche, il n’était pas nécessaire d’organiser des fraudes électorales et de financer les campagnes pour payer l’entrée d’Elf dans le consortium. En récompensant M. Déby d’avoir favorisé une entreprise française, les représentants français à N’Djamena et Elf utilisent des méthodes condamnables. En outre, n’importe quel dirigeant tchadien sait qu’il ne doit pas s’opposer à Elf s’il souhaite se maintenir au pouvoir. Tombalbaye, le Général Malloum et M. Habré en ont fait l’amère expérience. M. Yorongar n’a pas condamné la présence d’Elf dans le consortium mais ses méthodes peu catholiques.

Les exonérations sur les droits et taxes évaluées à plus ou moins 3 milliards de dollars accordées au consortium par le gouvernement tchadien viennent en compensation de la déviation de l’oléoduc vers Kribi. C’est pourquoi Shell et Exxon n’ont pas continué de protester. Cependant, ce projet de lutte contre la pauvreté est amputé de 3 milliards de dollars. Selon lui, il faudrait un moratoire d’au moins dix ans sur ce projet comme le souhaitent les ONG allemandes

Le pétrole génère la guerre et le sang en Afrique (Angola, Congo-Kinshasa, Congo Brazzaville, Nigeria, Soudan, etc. Le pétrole du Gabon pas plus que celui de l’Angola, du Congo ou du Cameroun n’a profité aux populations de ces pays. Le dossier doit être entièrement renégocié, il faut que le pipeline passe par Limbé même s’il aboutit en territoire anglophone camerounais. Le Tchad doit pouvoir récupérer le montant du surcoût qu’occasionnera la déviation pour l’injecter dans son économie. Il faut réviser l’étude d’impact environnemental tant en ce qui concerne l’oléoduc Tchad-Cameroun que les petits pipelines devant drainer le pétrole des 300 puits, rendre la grille d’indemnisation acceptable pour les populations, impliquer celles affectées par le projet, supprimer purement et simplement la mini-raffinerie de N’Djamena et négocier avec le consortium pour qu’il opère des livraisons à la société tchadienne d’électricité et avec les pays voisins (Cameroun, Nigeria) en attendant la découverte d’autres gisements beaucoup plus importants en quantité.

Dans le sud du Tchad, les tueries continuent notamment dans les zones pétrolières. La situation des droits de l’Homme y est inchangée. Elle peut empirer d’un moment à l’autre. Dans le BET et le sud du Tchad la sécurité est menacée ce qui nuira au projet. Le pétrole est véritablement une affaire de chef d’Etat au Tchad, comme au Cameroun. Au Tchad, c’est la cellule présidentielle et non le ministère des mines qui s’occupe du projet. Elle est dirigée par un cousin germain du Président et composée, pour la plupart, par ses parents (son grand frère Daoussa Déby, ses oncles jumeaux Tom et Timan, Erdémi-Tom a été nommé représentant du Tchad à Houston), ses cousins Adoum Hassane Bakit Haggar, Bichara Chérif Daoussa Haggar, ceux du clan Orozi Foudeibo, Dadi Abderhaman, etc. Le pétrole est entièrement géré par ceux-ci. M. Déby a reconnu devant le Haut Conseil de la Communication (HCC) avoir envoyé ses parents se former à ses frais dans le domaine pétrolier dans plusieurs pays dont l’Algérie. M. Yorongar a d’ailleurs été condamné pour diffamation pour avoir affirmé cela, mais il en a la preuve.

Avec son peu de ressources actuelles, l’Etat mercenaire du Tchad de M. Déby participe à tous les théâtres d’opérations militaires en Afrique (au Togo au Rwanda, au Zaïre de Mobutu contre M. Kabila, en RDC avec M. Kabila contre ses compagnons d’hier, au Congo-Brazzaville aux côtés de M. Sassou N’Guesso contre M. Lissouba, au Soudan de M. Al Béchir contre M. John Garang etc.), qu’adviendra-t-il lorsque le pétrole va générer des ressources ?

M. Yorongar a exprimé son désaccord avec M. Mongo Béti. Contrairement à son affirmation, en Afrique, les guerres observées ici et là ne sont pas forcément des affrontements ethniques. Par exemple au Tchad, depuis 1979, le pouvoir a échappé aux Tchadiens des autres régions dont ceux du sud. Depuis cette date la lutte pour le pouvoir est menée entre les Goranes du BET et contre les ressortissants de cette région. Ces affrontements sont provoqués par l’absence de possibilités d’alternance démocratique. M. Goukouni tout comme MM. Habré, Déby et Togoïmi appartiennent à la même ethnie et sont de la région du BET, mais ils se chassent régulièrement du pouvoir. Peut-on dans ce cas parler des guerres ethniques ? Dans certaines officines françaises, on professe un intérêt particulier pour les hommes forts, ce qui a fait reculer l’Afrique à une période antérieure à la colonisation. Tout ce qui a été légué à l’indépendance a été détruit (écoles, hôpitaux, routes). La corruption et les prévarications minent l’économie. En Afrique, le combat démocratique est impossible, seules les armes restent l’instrument de la conquête du pouvoir et du changement. Actuellement dans certains milieux français, on évoque M. Togoïmi comme le "futur homme fort" du Tchad sans se soucier de ses capacités de gouverner. Saura-t-il réussir là où ses prédécesseurs ont échoué lamentablement parce qu’otages de leurs parents ? MM. Goukouni, Habré, et Déby sont tous trois arrivés au pouvoir de la même manière, avec les mêmes militaires et ils n’ont pas su gérer leur pays et ils n’ont été que des otages de leur entourage.

M. Yorongar a demandé l’aide de la France pour sortir de ce cercle vicieux. La démocratie est universelle. Il n’y a pas deux sortes de démocratie, l’une pour les pays du nord et l’autre pour les pays du sud. Il faut cesser de dire qu’elle n’est pas adaptée à l’Afrique. En aidant les pays africains à organiser des élections libres et démocratiques, on évitera les guerres. Arrivé au pouvoir démocratiquement, le Président Konaré a voulu obtenir un second mandat dans des conditions suspectes et le Mali a frôlé la guerre civile. En Centrafrique et au Congo-Brazzaville, où les élections ont été démocratiquement organisées, les chefs d’Etat en poste ont été battus. Mais les guerres civiles y ont fait rage. Quand aucune alternance n’est possible, on est obligé soit de cautionner les violences, soit d’en faire usage.

Il faudrait aussi éviter d’envoyer en Afrique des " diplomates colons " ou considérés comme tels, des diplomates nostalgiques de la colonisation qui se croient en Afrique comme au temps de la colonisation. En 1994, M. Yorongar fut arrêté sur instructions expresses de M. Déby alors qu’il tentait, à la demande du Président centrafricain, de persuader les rebelles de signer l’accord de Bangui. La section australienne d’Amnesty International s’en est inquiétée et a saisi le ministre des Affaires étrangères du pays qui a saisi à son tour l’ambassadeur d’Australie en France. Celle-ci a répercuté sur le Quai d’Orsay qui a demandé des explications à l’ambassadeur de France à N’Djamena. Celui-ci a fait savoir que M. Yorongar était la cause de la rébellion, c’est pourquoi il avait été arrêté, ce qui était rigoureusement faux. Tout dernièrement, celui qui est en poste l’accuse sans preuve d’avoir reçu de M. Déby une importante somme d’argent pour acheter son silence.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr