M. Tyler Giannini a exposé qu’il était avocat et directeur de l’ONG EarthRights International. Depuis 1995 il a réuni témoignages et documentation sur les violations des droits de l’Homme en Birmanie. Au procès contre Unocal, il représente les villageois birmans. Depuis 1995, EarthRights international a interviewé les habitants de la région du gazoduc qui ont quitté leur village et leur foyer pour la Thaïlande. Le travail forcé, le déplacement de populations, la torture, le viol, les extorsions de fonds, les exécutions extra-judiciaires sont les principaux chefs d’accusation des violations des droits de l’Homme portés par les victimes contre les compagnies pétrolières opérant dans la région.

Il a fait état de deux témoignages. Le premier est celui d’une femme venant du village de Mi Chaung Long, l’un des treize villages identifiés comme faisant partie du périmètre du chantier. Elle avait vécu dans ce village toute sa vie. Dans les années 1991-1992 les militaires exigèrent que les villageois abandonnent leur village et ils n’avaient pas le choix. Certains ont fui vers la frontière thaïlando-birmane. D’autres ont accepté d’être relogés là où le gouvernement le souhaitait. Elle et sa famille ont choisi de se cacher dans la jungle près de son village. Après la signature du contrat, elle était encore cachée dans la forêt quand certaines unités militaires assurant la sécurité dans le secteur du gazoduc, la découvrirent. Elle berçait sont bébé en cuisinant sur un foyer à l’air libre. Les soldats lui ont interdit de rester, l’ont insultée, l’ont battue à coups de pied avec une telle violence qu’ils la laissèrent inconsciente et que le bébé qu’elle tenait tomba dans le feu et fut tué. L’unité qui a commis cette exaction était l’une de celles qui avait été envoyée sur le site du chantier et qui collaborait étroitement avec Total. Cette femme est l’un des plaignants dans le procès en cours à Los Angeles.

Le deuxième témoignage concerne un homme qui a eu à transporter du matériel pour les unités militaires opérant dans la zone du gazoduc. M. Tyler Giannini a lu des extraits de son témoignage effectué sous serment au cours du procès. "En 1994, certaines compagnies étrangères se sont installées, l’armée les a obligés à travailler notamment à construire des pistes d’atterrissage pour les hélicoptères et à faire du portage pour ses équipes de sécurité. Seuls les villageois qui pouvaient payer l’armée étaient dispensés du travail forcé. L’armée contactait la police qui contactait les chefs de villages qui obligeaient les villageois à travailler. Ces derniers effectuaient du portage au profit des unités militaires chargées de la sécurité des étrangers. Si un étranger mourait, les villageois devaient payer une forte somme. Ce porteur a rencontré des étrangers, il a pu leur parler et leur expliquer ce qu’il faisait (portage et préparation des pistes d’hélicoptères). Les étrangers ont demandé si les soldats en uniforme étaient toujours autour d’eux quand ils effectuaient ces tâches. Il le leur a confirmé. Le fait que des étrangers l’aient vu et salué alors qu’il était forcé de travailler sur le chantier du gazoduc par des soldats birmans en uniforme démontre que les compagnies étrangères savaient que des abus étaient commis en relation avec ce chantier."

Plus tard dans les mêmes conditions de témoignage, le Président d’Unocal a admis dans sa déposition que des porteurs avaient été utilisés en liaison avec ce projet et bien plus qu’ils étaient forcés au travail.

M. Tyler Giannini dispose d’un document fourni par Total remis à un diplomate américain lors d’une conférence en janvier 1996. Ce document contient un tableau qui démontre que des paiements ont été effectués auprès des villageois recrutés par l’armée pour la période du 2 décembre 1995 au 17 janvier 1996. Il contient des dates, des numéros de bataillons de l’armée, le nombre de villageois, le montant des sommes versées et précise que des rations alimentaires provenant de Total ont été fournies aux villageois travaillant avec les bataillons. Dans ce document, il apparaît qu’entre décembre 1995 et janvier 1996, Total a payé 463 villageois recrutés par l’armée et il était prévu que Total devait chaque semaine leur fournir, comme aux militaires, une ration alimentaire. Un témoignage de villageois corrobore le contenu du document. Le témoin a déclaré que le chef du village leur avait expliqué qu’ils devaient travailler pour des étrangers qui construisaient le gazoduc. Effectivement, il reconnaît avoir été rémunéré mais en fait cela ne l’intéressait pas et il n’avait pas d’autre choix que d’accepter ce travail. Ce témoin confirme que les travaux étaient toujours effectués sous la surveillance de l’armée ce qui a été vérifié par d’autres témoignages.

Cela démontre que l’armée birmane était impliquée dans le projet de gazoduc et qu’elle était présente lors des opérations de "nettoyage" préalables à la construction des infrastructures nécessaires au chantier (routes, héliports, etc.). Le fait que Total et Unocal aient payé ces villageois prouve qu’ils ont travaillé sur le gazoduc mais n’enlève rien au caractère forcé du travail effectué. Dans la définition légale du travail forcé, la rémunération n’entre pas en ligne de compte. C’est la façon dont le travail est effectué qui importe. Or, les villageois étaient forcés de travailler par les militaires. Certains bataillons, 273 et 282 sont appelés "bataillons de Total" par les gens sur place. Ces informations ont été transmises par des déserteurs qui confirment qu’ils ont reçu de l’argent de Total.

Sur le plan économique, le gazoduc est important pour le régime birman. Il lui rapportera entre 150 et 400 millions de dollars par an. Cette somme est considérable eu égard à la taille de l’économie birmane et si on prend en compte l’état de ses réserves financière. Le flou sur les chiffres s’explique car le contrat avec les autorités birmanes n’est pas public. On ne peut y avoir accès, et on n’a aucun moyen d’en connaître les clauses. En raison du caractère très fermé et secret du régime birman, il est impossible de savoir quel contrat les autorités birmanes ont signé et quel est le montant des taxes. Quoi qu’il en soit, les sommes en jeu sont considérables. Tout porte à croire que la Junte attend beaucoup de ces devises qui seront importantes pour la pérennité du régime.

Le gaz n’arrive pas encore en Thaïlande car la centrale électrique de Rachaburi n ’est pas encore terminée. Cela est en partie dû aux violations des droits de l’Homme et aux atteintes à l’environnement provoquées par le projet en Thaïlande et en Birmanie. Les autorités thaïlandaises ont tenté d’obtenir des crédits garantis par la Banque mondiale en septembre 1998 mais la Banque informée par EarthRight international et d’autres ONG des conditions d’exécution de ce projet a refusé de garantir le crédit.

M. Pierre Brana a demandé ce que savaient les compagnies pétrolières de la situation sur le terrain, si l’épisode des porteurs avait eu lieu lors de la phase de défrichage et si Total avait souhaité régulariser la situation de certains travailleurs a posteriori.

Il s’est enquis des tâches effectuées par les villageois. Ont-ils été cantonnés au portage préparatoire au chantier, ou ont-ils travaillé sur le chantier proprement dit ?

Il a souhaité savoir quand le chantier proprement dit a commencé, et à quelle date les compagnies pétrolières ont procédé à des sondages et ont commencé à avoir des équipes présentes sur place.

M. Tyler Giannini a apporté les précisions suivantes.

Le gisement de gaz a été découvert en 1982 par une compagnie japonaise et la Thaïlande s’y est rapidement intéressée. Les négociations s’intensifièrent au début des années quatre vingt dix et le contrat fut signé en juillet 1992. Unocal devint partenaire en 1993. A partir d’avril 1991, trois bataillons vinrent s’installer dans la zone du gazoduc où aucune base militaire n’était implantée. Leur nombre a augmenté et avec l’arrivée de chaque bataillon, les exactions (travail forcé, déplacement de population), etc. se sont accrues pour construire les campements militaires. L’exécution du projet débute en 1995. En fait autour de 1994 et 1995, une reconnaissance initiale a été effectuée. A ce propos, M. Tyler Giannini a cité Unocal "Nous avons demandé à deux experts de la forêt vierge d’inspecter diverses options pour le tracé lors d’un voyage en Birmanie en mai 1994. Au vu du rapport d’Unocal Myanmar aux actionnaires (juillet 1994) des événements se sont produits antérieurement. Puis il y eut davantage d’activité à l’approche de 1995".

Lors de sa déposition sous serment le Président d’Unocal a précisé qu’un consensus s’est dégagé sur le fait que les porteurs pouvaient être soit des conscrits, soit des villageois et que leur paiement en dépendait.

Evoquant le document transmis par Total qui démontrait le paiement de villageois embauchés par l’armée, il a précisé que sur le tableau figurait le nom du bataillon et le nombre de villageois dédommagés ce qui montrait que les compagnies pétrolières avaient utilisé l’armée pour recruter des villageois et pour les dédommager du travail forcé qu’ils avaient accompli.

Il était difficile de savoir si Total voulait ou non régulariser une situation mais selon l’Organisation internationale du travail, le paiement d’un salaire n’exclut pas le travail forcé. Le travail forcé se caractérisant par l’obligation pour une personne d’accepter de travailler. D’après nombre de témoignages, il apparaît que lorsque l’armée birmane recrutait des villageois pour travailler sur le projet, ceux-ci n’avaient aucun moyen de s’y soustraire et n’avaient pas le droit de refuser. La question de savoir si Total savait ou aurait dû savoir ne réduit pas sa responsabilité, d’autant que la compagnie ne pouvait ignorer que c’était l’armée qui les embauchait. On ne sait pas si le travail effectué était du portage ou concernait les infrastructures. Certaines victimes ont pu être employées à différentes tâches, notamment au débroussaillage,

Les premiers voyages de Total dans la zone du gazoduc ont eu lieu en 1994 et à partir de 1995-1996, des équipes de Total supervisaient les travaux d’infrastructure. Les villageois savaient qu’ils préparaient le terrain pour la construction d’un gazoduc.

M. Michel Diricq a ajouté que certains témoignages de victimes, apportés devant la Cour de justice de Californie dans le procès en cours contre Unocal, font état de travaux imposés en 1997, du fait des soldats birmans qui assuraient la sécurité du gazoduc.

M. Pierre Brana a fait observer que les villageois birmans étaient certainement tous soumis à la pression des militaires, mais il a estimé nécessaire d’établir s’il y a eu un lien direct entre le travail forcé et les compagnies pétrolières.

Il a souhaité mieux connaître les dates des témoignages pour vérifier si ce lien était direct ou indirect.

M. Tyler Giannini a fait état du témoignage d’un villageois expliquant que leur chef leur avait ordonné d’aller travailler sur la route du gazoduc, expliquant qu’ils seraient payés par les étrangers. Comme les militaires avaient donné cet ordre, les villageois ont été obligés de travailler et ont été payés en présence d’étrangers. Dès le départ des employés étrangers, les soldats birmans les ont fait venir un par un et rendre l’argent gagné. Ce témoignage est cohérent avec le document de Total précité qui démontre que Total a recruté des villageois birmans par l’intermédiaire de l’armée et que Total a payé en janvier 1996 des rations de nourriture pour des villageois travaillant dans des bataillons. Cela indique également que Total ne pouvait ignorer que le recrutement des villageois était effectué par les militaires.

L’ensemble de ces faits et de nombreux témoignages semblent indiquer que la compagnie savait qu’il y avait du travail forcé et que, le sachant, elle a laissé le recrutement se faire par l’armée. Un déserteur de l’armée a indiqué que certains bataillons (273 et 282) étaient appelés "bataillon Total", ce qui semble corroborer ces liens. D’autres déserteurs ont précisé que certains bataillons avaient reçu des paiements de Total.

M. Pierre Brana a voulu savoir si les déserteurs et les villageois ayant reçu de l’argent de Total étaient nommément désignés.

Il a souhaité des précisions sur les compagnies pétrolières mises en cause dans les procès en cours aux Etats-Unis et sur les principaux chefs d’accusation.

M. Tyler Giannini a apporté les précisions suivantes.

Il dispose des noms des villageois et des déserteurs, mais ne pouvait en faire état, pour des raisons de sécurité, car même si certains sont réfugiés en Thaïlande, ils ne sont pas à l’abri, notamment les déserteurs, de recherches effectuées par l’armée birmane. En outre, l’armée thaïlandaise renvoie en principe en Birmanie les déserteurs birmans.

Les compagnies Premier Oil, Nippon Oil et Petrol of Malaysia qui utilisaient les infrastructures liées au projet Yadana partageaient avec Total et Unocal les mêmes responsabilités car elles utilisaient les mêmes corridors de sécurité que l’armée birmane. Ces compagnies sont en relation directe avec l’armée birmane, qu’elles utilisent comme agent de sécurité.

Dans cette perspective en tant qu’employeurs, les compagnies pétrolières sont responsables de leurs agents de sécurité. En outre, un certain nombre de témoignages concordants montre que des étrangers ont été transportés par l’armée birmane. Il est établi que l’armée birmane a été l’agence de sécurité des compagnies pétrolières ; or, c’est une mauvaise agence de sécurité, impliquée dans des assassinats et de multiples violations des droits de l’Homme. Les principaux chefs d’accusation du procès sont les suivants : assassinats, exécutions extra-judiciaires, tortures, viols, déplacements de populations, rackets, travail forcé, et crimes contre l’humanité. Ces chefs d’accusation extrêmement larges correspondent aux définitions de la législation de différents Etats américains. La loi américaine permet aux étrangers victimes de violations de leurs droits caractérisées et reconnues par la communauté internationale d’ester en justice contre des entreprises ayant des liens suffisants avec l’Etat dans lequel la plainte est portée.

Mme Ester Saw Lone a remercié la mission d’information d’avoir accepté de l’entendre à propos de la situation de la population Karen vivant dans la zone du gazoduc. Elle a fui pour la région de Merguitavoy où elle a été enseignante pendant 17 ans avant de fuir en Thaïlande. En 1985 elle est devenue membre de l’organisation des femmes Karen qui tente de les aider à résoudre leurs problèmes quotidiens. En avril 1993, avec d’autres femmes, elle a créé un Centre de développement des femmes autochtones pour que celles-ci puissent s’entraider. Elle dût, pour des raisons liées à sa sécurité personnelle, émigrer en Australie en 1995 et obtint la nationalité de ce pays. En avril 1998 elle est revenue à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie pour travailler avec EarthRight International sur les droits des femmes et a interrogé beaucoup de réfugiés venant de la zone du gazoduc dont certains sont plaignants au procès.

Engagée dans l’enseignement et l’organisation des mouvements de femmes, elle a souhaité témoigner en tant qu’enseignante, mère et Karen, l’un des peuples de Birmanie qui aime la justice et la paix. Dans la région de Merguitavoy, elle a participé à la création d’une école d’une trentaine d’enfants, l’aggravation de la situation politique en Birmanie a poussé de plus en plus de familles à fuir vers cette région. L’école a fait face à cet afflux. De trente enfants au départ, près de 600 enfants y ont été scolarisés. La plupart des enfants avaient la même histoire personnelle extrêmement douloureuse. Leurs villages avaient été investis par l’armée birmane, leur père et leurs frères obligés de travailler comme porteurs ou tués par l’armée, parfois ils avaient vu leur mère ou leur sœur maltraitée, voire violée par les forces birmanes. Leurs habitations avaient été confisquées et ils étaient obligés de partir à cause des ordres de déplacement du régime militaire. Ces enfants n’ont jamais connu la paix et la sérénité. Les soldats birmans n’ont jamais eu pitié d’eux alors qu’ils étaient innocents, ce qui crée dans leur existence des traces très profondes, dont on ne peut imaginer la portée. L’école a été détruite par une offensive de l’armée birmane en février 1997. Les enfants et les enseignants ont trouvé refuge au camp de Tam Hin. Elle leur a rendu visite en mai 1998, mais n’a pas pu retrouver les nombreux enfants qu’elle avait éduqués. Certains avaient été tués en 1997 lors de combats entre militaires birmans et l’Union nationale karen, d’autres étaient morts de maladies faute de médicaments pour les soigner. Les ONG ont fait de nombreuses recherches sur les violations des droits de l’Homme commises en Birmanie par la Junte et les ont décrites dans de nombreux livres et rapports dont le contenu bouleverse le lecteur, mais les témoignages qu’elle a entendus de la part de ceux qui avaient souffert sont encore plus poignants. Les Karen qui sont vulnérables simplement parce qu’ils sont Karen, ont besoin de l’aide internationale en raison de la politique menée par la Junte et des offensives militaires lancées pour les décimer. Elle a supplié le gouvernement français et le peuple français qui accordent un prix très élevé aux droits de l’Homme et qui ont beaucoup aidé les peuples de la Birmanie de continuer.

M. Sunthorn Sripanngern, né dans l’Etat Mon a évoqué la situation dans la zone du gazoduc. Les Mons, les Karens, les Tavoyans et les Thaïlandais sont contre ce projet qui ne leur a apporté que du sang et des larmes. Depuis le début du chantier, le gouvernement a chargé l’un des chefs de la région côtière d’assurer la sécurité de la région ce qui a entraîné de nombreuses violations des droits de l’Homme. Quatre bataillons sont engagés pour assurer la sécurité intérieure dans la zone et vingt bataillons pour contrer les forces karens et s’occuper de la sécurité intérieure. Depuis le début du chantier on a constaté des violations des droits de l’Homme, des déplacements forcés de population et du travail forcé de portage dans la zone du gazoduc.

Plus de treize villages occupés par des Mons et des Karens ont été déplacés ce qui a entraîné le déplacement de plus de 3.000 familles et de quatorze monastères. Les Mons, les Karens, les Tavoyans n’ont nullement bénéficié de ce projet contrairement aux affirmations de Total qui prétend les avoir aidés en bâtissant des écoles et des hôpitaux. Les habitants de cette région ont en réalité terriblement souffert ; ils n’étaient même pas autorisés à pêcher et à cultiver librement leurs terres. Des ONG françaises comme Médecins du Monde aident les Mons mais de son côté Total, société française, accroît leur souffrance. Les Mons ne sont même pas autorisés à enseigner leur propre langue, leur culture et leur littérature dans les écoles.

Mme Marie-Hélène Aubert a expliqué que la mission avait déjà auditionné des personnalités diverses s’intéressant au gazoduc de Yadana et qu’elle s’était rendue en Birmanie où elle avait pu s’entretenir avec Mme Aung San Suu Kyi qui avait réitéré son opposition à ce type d’investissement en Birmanie tant que le régime en place est ce qu’il est.

Elle a rappelé que la mission avait entendu plusieurs témoignages et pris connaissance de nombreux documents faisant état de travail forcé dans cette région du monde lié ou pas, c’est à déterminer, au chantier. Elle a demandé comment faire en sorte que les grandes multinationales que sont les compagnies pétrolières puissent réaliser des investissements dans des contextes mieux régulés en termes sociaux et environnementaux.

Elle a voulu savoir si la compagnie Premier Oil qui exploite le gisement de Yetagun avait avec l’armée birmane, les mêmes types de relations que Total et Unocal.

S’agissant de la sécurité, elle a souhaité savoir si un contrat liait Total et Unocal aux autorités birmanes et si ces contrats étaient secrets et censés le rester.

Elle s’est enquise de l’état et de la durée de la procédure contre Unocal et Total et de la possibilité d’avoir accès aux contrats et aux documents concernant les liens éventuels avec l’armée birmane. La mission avait demandé ce type de documents lors de son passage à Bangkok, elle ne les a pas reçus.

Elle a souhaité des précisions sur les fondements juridiques du procès. En quoi sur le plan purement juridique les compagnies pétrolières Unocal et Total peuvent-elles être poursuivies et être tenues pour responsables dans la mesure où c’est l’armée birmane qui est directement coupable des exactions commises ?

M. Tyler Giannini a répondu à ces questions.

En général les relations des compagnies opérant en Birmanie avec l’armée birmane sont semblables et les différences ne sont pas significatives. Premier Oil, Nippon Oil, Petrol of Malaysia collaborent avec le régime et ont avec lui des arrangements concernant leur sécurité.

Dans un document émanant de Total et datant de 1992, il est expressément stipulé que la MOGE (Myanmar Oil and Gas Enterprise) assistera les contractants en assurant leur sécurité. Il ne connaît pas le contrat de Premier Oil mais il doit ressembler à celui de Total.

En principe les contrats ne sont pas publics. On peut les obtenir auprès de Total. Il y a de nombreux documents concernant le procès contre Unocal. Les contrats y figurent, mais ils sont secrets. Les documents estampillés secrets ne peuvent être divulgués sauf si on en fait une demande argumentée auprès du Tribunal. Cette situation est rare aux Etats-Unis où en principe l’accès au document est aisé.

Deux actions ont été intentées à Los Angeles à partir de 1996 contre Total et Unocal. Seule l’action contre Unocal a été déclarée recevable. Le Tribunal s’est déclaré incompétent pour instruire le procès contre la Junte birmane, la MOGE et Total. Cette décision a fait l’objet d’un appel. Le procès est en phase d’instruction. Des milliers de documents, plaintes, dépositions écrites de témoins ont été transmis par toutes les parties. La procédure et les échanges d’informations sont restés secrets pour des raisons liées à la sécurité des plaignants. La phase d’enquête devrait se terminer fin 1999 et le procès pourrait avoir lieu au printemps 2000 mais ceci n’est pas certain.

Le procès est intenté sur la base de la loi américaine qui permet à des personnes n’ayant pas la nationalité américaine de porter plainte pour violation du droit commun des gens ou violation des règles internationales communément appliquées et reconnues (torture, exécution sommaire, viol, travail forcé, génocide). Ceci implique qu’un citoyen paraguayen torturé dans son pays puisse poursuivre son tortionnaire aux Etats-Unis. Pour la première fois une société commerciale est mise en cause devant les tribunaux américains sur le fondement de cette loi. En général des actions ont été intentées contre les gouvernements d’un Etat responsable de violations des droits de l’Homme. Le procès contre Unocal constitue un précédent intéressant car la loi américaine traite les sociétés comme des individus responsables. Leur responsabilité peut être établie sur deux fondements. Premièrement dans cette affaire les compagnies Total, Unocal et MOGE sont liées par des accords, elles sont donc partenaires. En droit américain chacun est tenu pour responsable des agissements de son partenaire. Deuxièmement, il est établi que le régime politique birman a agi comme l’agent ou l’intermédiaire des compagnies en assurant leur sécurité. En droit américain, on doit également répondre des intermédiaires que l’on a choisis. Les compagnies pétrolières avaient les moyens de savoir que l’armée birmane commettait régulièrement des exactions et des violations des droits de l’Homme. Aussi les compagnies pourraient-elles être tenues pour responsables des agissements coupables de leur agent.

M. Michel Diricq a précisé que les amis birmans avec lesquels "Info Birmanie" était en contact s’étonnaient que la mission pose encore la question de la responsabilité des compagnies pétrolières dans les atteintes aux droits de l’Homme commises dans la région du gazoduc ; c’est aussi l’attitude des membres français de l’Association. Il est impossible d’investir en Birmanie sans impliquer et recourir à l’armée, notamment dans les régions où vivent les minorités ethniques. Total n’aurait pas pu investir dans ce pays sans garantie de sécurité de l’armée, comme le montre l’interview de M. Hervé Madéo, ancien responsable de Total Myanmar, dans "Reuters financial report, Energy News" du 16 octobre 1992.

Mme Marie-Hélène Aubert a rappelé qu’elle ne posait la question de la responsabilité des compagnies pétrolières implantées en Birmanie qu’en termes juridiques, moins évidente que leur responsabilité au plan moral et éthique. Les fondements juridiques du procès contre Unocal et Total sont très importants car les Etats-Unis et la France n’ont pas la même tradition juridique.

Elle a demandé sur quelle période portaient les accusations contre les compagnies. A partir de quel moment peut-on considérer que les exactions commises étaient liées au chantier du gazoduc ? Quand le pré-chantier a-t-il commencé ? Comment la situation a-t-elle évolué dans le temps ?

Précisant qu’en Birmanie lors de sa rencontre avec la mission d’information, Total avait reconnu avoir eu connaissance de travail forcé et assuré y avoir mis bon ordre sur le chantier du gazoduc, elle a souhaité savoir qui assurait matériellement les paiements et si les compagnies pétrolières géraient elles-mêmes l’embauche. Le système consistant à payer l’armée pour l’emploi de villageois a-t-il perduré ?

Elle s’est enquise de l’existence de contrat de travail entre employés birmans et Total. Considérant que les chantiers pétroliers sont susceptibles d’attirer des villageois au chômage, elle s’est renseignée sur le système de recrutement de Total. La compagnie a-t-elle ouvert un bureau d’embauche ?

M. Tyler Giannini a apporté les précisions suivantes.

Le gisement de gaz a été découvert en 1982 par une compagnie japonaise et la Thaïlande s’y est rapidement intéressée. Les négociations s’intensifièrent au début des années quatre vingt dix et le contrat fut signé en juillet 1992. Unocal devint son partenaire en 1993. A partir d’avril 1991, trois bataillons viennent s’installer dans la zone du gazoduc où aucune base militaire n’était implantée. Leur nombre a cru et avec l’arrivée de chaque bataillon, les exactions (travail forcé, déplacement de population), etc. se sont multipliées pour construire les campements militaires. L’exécution du projet débute en 1995, la pression sur la région est très forte de 1995 à 1996 où les gros travaux d’infrastructures sont effectués. Le document de Total précité le démontre. Le camp de base de Total a été construit en octobre 1995 ainsi qu’une piste d’atterrissage pour les avions et douze pistes pour les hélicoptères. L’infrastructure du chantier a du être achevée en 1996 et l’inauguration du gazoduc a eu lieu en juillet 1998. Le travail forcé a commencé au début du chantier et continue encore. Les villageois effectuent du portage au profit des militaires qui assurent la sécurité des installations. Les abus continuent car le besoin de sécurité demeure. Le procès commence en 1996 et porte selon les cas sur des périodes différentes car les règles de prescriptions sont diverses et complexes. La question n’est pas encore réglée. Cependant la loi précitée sur laquelle est fondée l’action en justice ne contient pas de dispositions à ce sujet, il est donc possible de remonter loin dans le temps.

S’agissant des conditions d’embauche et de travail, il est évident que les compagnies pétrolières ont payé les employés birmans venant de Rangoon pour travailler sur le chantier. On ne nie pas que des salaires aient été versés à des travailleurs volontaires. Selon lui, il y a eu deux sortes de travailleurs : ceux qui embauchés à long terme, signaient un contrat et des journaliers dont un livre de paiement démontre l’existence. Parmi les journaliers, certains pouvaient être volontaires, d’autres forcés de travailler par l’armée même s’ils étaient payés.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur la défense d’Unocal, et sur l’issue du procès en appel sur la recevabilité de l’action intentée aux Etats-Unis contre Total.

Elle s’est étonnée que M. Sunthorn Sripanngern ait fait état d’interdiction de pêcher dans la zone du gazoduc alors que lors de sa mission en Birmanie, elle avait visité un village de pêcheurs dans cette région.

Elle a demandé l’avis de ses interlocuteurs sur ce que devrait être désormais le comportement responsable d’une entreprise en Birmanie.

M. Tyler Giannini a estimé que Total ne s’était pas assuré du caractère volontaire ou non du travail effectué par les porteurs au profit de l’armée qui assurait la sécurité des installations du gazoduc. A ce stade, il ignore quelle sera la défense d’Unocal au procès de Los Angeles et le sort de l’appel concernant la recevabilité de l’action contre Total.

M. Sunthorn Sripanngern a expliqué que les pêcheurs dans la zone du gazoduc étaient obligés de payer l’armée birmane pour obtenir l’autorisation de pêcher.

Mme Ester Saw Lone a souligné qu’il ne fallait pas investir en ce moment en Birmanie. Le régime militaire n’a aucune légitimité. Une pause dans les investissements serait souhaitable.

M. Michel Diricq a indiqué que les contacts établis avec les représentants des démocrates birmans l’amenaient à penser que ceux-ci attendaient à présent deux choses : que la France ne ferme pas les yeux devant les meurtres commis au nom de la sécurité du gazoduc de Total ; mais également que la vente du gaz à la Thaïlande soit bloquée pour éviter que la Junte n’achète des armes et ne blanchisse l’argent de la drogue avec le produit de la vente. En outre, le gouvernement français a la possibilité d’exiger cela de Total par l’intermédiaire de son représentant au Conseil d’administration et conformément aux conventions liant Total à l’Etat. A cet égard, il a cité "Total 1998, Rapport annuel" remis aux actionnaires de lors de l’Assemblée générale de mai 1999 approuvant les comptes 1998. Pour des questions relatives au contrôle ou à des actes affectant la politique étrangère ou de défense du gouvernement, en cas de désaccord entre le représentant de l’Etat et le Conseil d’administration, après une deuxième délibération de celui-ci, la question sera soumise à l’arbitrage du Vice-Président du Conseil d’Etat, à la diligence du gouvernement".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr