Présidence de M. Laurent FABIUS, Président, puis de M. Louis MERMAZ, Vice-président

Mme Véronique VASSEUR est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Vasseur prête serment.

M. le Président : Madame, vous êtes médecin chef à la prison de La Santé, à Paris. Vous avez écrit un livre dont on a beaucoup parlé, qui a fait l’objet de nombreux commentaires. Compte tenu de votre expérience, nous avons pensé utile de vous entendre.

Pourriez-vous, en quelques mots, évoquer les points que vous estimez essentiels ou, si vous le préférez, nous faire part de votre sentiment à la suite des réactions suscitées par votre livre ? Nous passerons ensuite au jeu des questions-réponses.

Mme Véronique VASSEUR : J’aborderai d’abord la question des locaux, puis celle de la population et enfin celle des mentalités.

En premier lieu, les locaux.

Les cellules sont occupées par deux, trois, voire quatre détenus. Cela ne va pas au-delà à la prison de La Santé ; dans certaines prisons, ils sont six. Ces conditions engendrent la promiscuité et la violation de l’intimité. Les wc sont communs et sans cloison. Le manque de douches est à l’origine de nombreux problèmes. Le climat de violence entre détenus, qui encourage le phénomène du caïdat, est entretenu par la surpopulation et les locaux inadaptés. Ce ne sont pas trois coups de peinture et la réfection de la plomberie qui régleront les problèmes, pas plus qu’un programme de reconstruction des prisons. J’ajouterai même que La Santé, bien que vétuste et crasseuse, reste l’une des prisons les plus humaines.

La population : la prison de La Santé compte 65 % d’étrangers, dont 30 % sont détenus pour infraction à la législation sur les étrangers. Ce sont des personnes qui n’ont, à l’extérieur, absolument pas accès aux soins et pour lesquelles la prison est le seul endroit où ils peuvent se faire soigner. On entend parfois des détenus qui, revenant en prison, déclarent : " J’ai repris six mois ; je vais enfin pouvoir me faire traiter. " C’est dramatique. La prison ne doit pas être perçue comme le lieu où l’on soigne.

On trouve beaucoup de personnes présentant de graves dérangements psychiques, et l’enfermement n’améliore pas ces pathologies. Il y a également des psychopathes, des personnes de plus en plus âgées et de nombreux toxicomanes - de 25 à 30 % de toxicomanes - avec tout ce que cela peut engendrer comme trafic à l’intérieur de la prison, que ce soit de médicaments ou de drogues qui entrent et circulent.

La médecine en prison a fait des progrès considérables. On est passé d’une médecine de brousse à une médecine " normale ", bien qu’elle soit dispensée dans des conditions bien spécifiques. Toutefois, subsistent de gros problèmes : nous ne disposons pas de " cellules à alarme " pour des personnes à risques, présentant de graves pathologies. Il n’y a pas de rondes de nuit entre une heure et quatre heures du matin alors qu’il y a un médecin de garde 24 heures sur 24 ; il arrive ainsi souvent que l’on retrouve les personnes décédées au matin.

Se pose également le problème des entraves pour les extractions vers des établissements de soins ; ces entraves sont en effet posées de façon très subjective.

Les mentalités poussent au non-respect, au tutoiement par les surveillants, au système des " balances ", comme dans la police, avec des pressions sur les détenus les plus fragiles pour qu’ils dénoncent les autres.

On constate également un grand laxisme. Un détenu peut rester couché jusqu’à deux ou trois heures de l’après-midi et choisir de ne pas faire son lit ou de ne pas nettoyer sa cellule. Je ne pense pas que ce soit là la meilleure façon de préparer sa réinsertion. Il faut également déplorer l’oisiveté des détenus, surtout dans une maison d’arrêt comme celle de La Santé, où il n’y a quasiment rien à faire, si ce n’est regarder la télévision et faire deux promenades, en un lieu où ne pousse pas un brin d’herbe.

Le " mitard ", quartier disciplinaire, prison dans la prison, où ont lieu la moitié des suicides par pendaison, constitue aussi un énorme problème.

M. le Président : Avez-vous constaté une évolution importante du sida à la prison de La Santé au cours des années, et dans quel sens ? Que faites-vous, vous ou d’autres collègues, pour prévenir cette maladie et aider ceux qui en sont atteints ?

Ma seconde question concerne " le mitard ".Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce que vous avez vu, constaté, et ce que vous pensez des pratiques en ce domaine ?

Mme Véronique VASSEUR : Les chiffres des malades contaminés par le virus HIV baissent. La prévention à l’extérieur commence à porter ses fruits. La Santé compte cependant encore beaucoup de détenus, notamment 3,3% d’africains, qui ne connaissent pas ou très peu la prévention.

Cette accalmie est liée à la baisse de la séropositivité HIV. En revanche, on constate une recrudescence extrêmement importante et très impressionnante de l’hépatite C, qui est liée à la toxicomanie. C’est un virus plus résistant que celui de l’HIV. Il se transmet par les aiguilles servant aux tatouages, les seringues et même par l’intermédiaire du coton partagé. Les chiffres avoisinent les 9 %, ce qui est énorme : 9 % des détenus sont contaminés par le virus de l’hépatite C.

Nous avons procédé à une étude sur un an, car nous ne pouvons faire une sérologie à tout le monde. Il faut aussi que les gens acceptent le test. Il n’y a pas eu de contamination à l’intérieur, mais les pourcentages atteignent quand même 9 %.

M. le Président : Que faites-vous face à une telle situation ?

Mme Véronique VASSEUR : La maladie est suivie par des examens biologiques, une ponction de biopsie hépatique avec application d’un traitement selon les résultats de la biopsie.

Depuis 1994, nous disposons à l’intérieur de la prison d’un centre de dépistage anonyme et gratuit qui propose à tous les entrants un test HIV, et depuis quelques temps un test pour détecter l’hépatite C.

M. le Président : Les tests sont-ils volontaires ?

Mme Véronique VASSEUR : Bien évidemment.

M. le Président : Avec un tel pourcentage, n’estimez-vous pas nécessaire de les rendre obligatoires ?

Mme Véronique VASSEUR : L’hépatite C est le nouveau fléau. Le HIV recule avec les trithérapies et la politique de prévention. L’hépatite C remplace cette maladie.

M. le Président : Oui, mais par rapport à la question que je vous pose ?

Mme Véronique VASSEUR : Oui, mais pourquoi pas pour le HIV ?

M. le Président : En effet.

Mme Véronique VASSEUR : Il y a bien un dépistage systématique et obligatoire de la tuberculose !

M. le Président : Dois-je comprendre que vous y seriez plutôt favorable ?

Mme Véronique VASSEUR : En tout cas, il devrait être obligatoire pour les toxicomanes opérant par voie intraveineuse. Cela paraît évident.

M. le Président : Nous passons au " mitard ".

Mme Véronique VASSEUR : Le " mitard " c’est la prison dans la prison, décidé au prétoire qui est un tribunal interne, sans appel, sans assistance d’un avocat. On peut y rester d’un à quarante-cinq jours. C’est une zone de non-droit où les médecins ont du mal à entrer. Les médecins doivent s’y rendre deux fois par semaine, mais les certificats que nous faisons pour des levées de quartier disciplinaire, motivées par des troubles psychiques, ne sont pas toujours respectés.

M. le Rapporteur : Madame, le livre que vous avez écrit permet une prise de conscience très forte. J’ai relevé que la bibliothèque de l’Assemblée nationale, qui est très riche, compte à peu près quatre-vingts témoignages similaires, écrits au cours des trente dernières années, s’ajoutant aux rapports réalisés par l’Assemblée nationale et dont manifestement personne n’a tenu compte.

Vous avez un excellent éditeur, et avez vous-même rédigé un excellent ouvrage. Je voulais vous en remercier, car, grâce à cela, nous pourrons peut-être faire avancer les choses.

La prison est un lieu où le droit entre avec difficultés. Nous avons entendu le président Canivet qui nous en a fait la démonstration. Vous affirmez qu’il existe en outre des lieux de non-droit, ce que nous savions, tel que le " mitard ". Vous ajoutez également, ce qui me paraît particulièrement grave, que, même quand les médecins constatent que le maintien au mitard peut avoir des conséquences graves, l’administration, parfois, souvent peut-être - lorsque l’on lit votre livre c’est souvent - ne suit pas vos recommandations. En milieu extérieur, des recommandations médicales, en milieu hospitalier par exemple, non suivies d’effets par le personnel chargé d’administrer des soins, exposeraient ce dernier à des condamnations. Une telle conduite ne vous semble-t-elle pas sortir du droit ordinaire, conduisant au maintien d’un statut extraordinaire dans un pays comme le nôtre ?

Mme Véronique VASSEUR : L’administration pénitentiaire, c’est véritablement l’Etat dans l’Etat. Dans une prison, le directeur a tous les pouvoirs. J’appartiens à l’Assistance publique, et en tant que telle, je suis extérieure à la structure pénitentiaire. En prison, les médecins et le service médical sont considérés comme des trublions ; nous dérangeons. Pour l’heure, c’est nous qui exerçons quasiment le seul contrôle externe. Chaque fois que nos certificats sont non suivis d’effets, ou que des faits graves se passent, nous les dénonçons.

M. Louis MERMAZ : En premier lieu, je voudrais vous demander si vous aviez constaté une prise de conscience de l’administration pénitentiaire ?

Comment cela s’est-il passé pour vous à la suite de la publication des deux pages dans Le Monde, qui a eu un énorme retentissement ? Si nous avions déjà entendu parler des problèmes en prison, votre livre a véritablement crée un choc. Si, du reste, nous sommes réunis aujourd’hui en commission d’enquête c’est bien pour faire suite à sa parution.

Mme Véronique VASSEUR : C’est comme en temps de guerre : il y a eu des soutiens de première heure, de deuxième heure, de vingt-troisième heure. Mais je dois dire que le soutien est massif et vient de partout et de tous les corps de métier : ceux qui travaillent à l’intérieur des établissements comme ceux qui gravitent autour, de même que je reçois également beaucoup de lettres de personnes qui sont étrangères au monde de la prison. Le soutien est massif et cela m’aide.

Après la publication des deux pages dans Le Monde, j’ai reçu beaucoup de coups bas, et notamment un tract immonde. La prison a été ouverte aux journalistes. Finalement, cela ne se passe pas si mal, même si je dois slalomer entre des peaux de banane.

Mme Catherine TASCA : Madame, vous avez fait allusion aux entraves. De quoi s’agit-il ?

Mme Véronique VASSEUR : Il existe les entraves aux mains, les menottes, et les entraves aux pieds qui sont en théorie, posées selon la dangerosité de l’individu, que ce soit la dangerosité pour les autres ou pour lui-même. A partir de cette définition, on fait un peu ce que l’on veut.

Mme Catherine TASCA : S’agit-il de pratiques courantes ? Est-ce réservé au " mitard " ?

Mme Véronique VASSEUR : Les entraves sont utilisées en cas de sortie à l’hôpital.

Le service médical fonctionne de la même façon qu’un dispensaire ; les examens sont pratiqués à l’hôpital comme, bien évidemment, les hospitalisations.

Mme Catherine TASCA : Comment concevez-vous le rôle d’un service tel que le vôtre en milieu carcéral, concernant la santé du détenu et son avenir ? Notamment, quel est votre rôle lorsque vous dépistez une maladie ? Y a-t-il un suivi possible une fois intervenue la libération ?

Lorsque vous dénoncez un état de santé inquiétant chez un détenu, notamment au " mitard ", quels sont les appuis extérieurs des services de santé ?

Mme Véronique VASSEUR : Dès l’arrivée en prison, s’instaure un suivi et il est ensuite établi un dossier de sortie. Nous avons également une assistante sociale dans le service qui s’occupe des grosses pathologies. Cela ne fonctionne pas trop mal. À leur sortie, certains continuent à se faire suivre à l’hôpital. Ensuite, se pose le problème des personnes sans papiers et en infraction au regard de la législation, car, dès lors qu’elles sortent de la prison, elles ne sont plus affiliées à la sécurité sociale ; elles en bénéficient en prison du premier au dernier jour de leur incarcération, mais pas au-delà, contrairement aux détenus français qui en bénéficient encore un an après. C’est pourquoi certains détenus sont contents de revenir en prison pour se faire soigner. Ce qui paraît paradoxal.

Mme Catherine TASCA : Lorsque vous constatez qu’un détenu est en danger sur le plan de la santé et que l’administration ne tient pas compte de votre avis, quelle est la suite donnée ?

Mme Véronique VASSEUR : Mon chef de service, le professeur Sicard, monte au créneau. Cela s’arrange, mais cela ne devrait pas se passer ainsi ; cela devrait être automatique.

M. Robert PANDRAUD : Madame, nous avons tous lu avec intérêt votre ouvrage qui nous a appris ou rappelé les problèmes qui se posaient en prison. Ce qui m’a le plus surpris, c’est le mode de recrutement des médecins. En vous entendant, on a l’impression que cela se fait un peu au hasard, au gré des relations, voire des petites annonces. N’existe-t-il pas une procédure ? Il est mis fin au contrat de certains d’entre eux, et ce, semble-t-il, sans la moindre garantie disciplinaire. Je voudrais savoir comment est géré ce corps.

On peut faire de votre livre une lecture pessimiste, mais aussi optimiste : pessimiste compte tenu des conditions de vie et des zones de non-droit qui existent dans l’établissement pénitentiaire ; une analyse optimiste peut considérer que la surveillance médicale des détenus paraît très supérieure à la surveillance médicale de la moyenne des Français. Vous l’avez dit vous-même : les étrangers en situation irrégulière sont mieux traités en prison que dans la nature.

M. Louis MERMAZ : Vous commencez à nous faire honte !

M. Robert PANDRAUD : Je crois que c’est également vrai de beaucoup de Français. Nous ne bénéficions pas tous les huit jours de la visite d’un médecin pour savoir comment nous allons.

Troisième problème : la dangerosité dans les établissements pénitentiaires existe, de même que des tentatives d’évasion lors des transferts vers les hôpitaux ou les locaux judiciaires. Quelles mesures employer ? Il existe bien des injections de tranquillisants, mais, à mon avis, les menottes sont préférables.

Par ailleurs, les détenus ont une chance extraordinaire par rapport aux surveillants. Ces derniers ont des problèmes familiaux, professionnels. Le détenu quant à lui, peut, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, réfléchir aux moyens de simuler devant les médecins ou réfléchir à des tentatives d’évasion.

Vous savez aussi bien que moi que les techniques de simulations médicales s’apprennent dans les établissements pénitentiaires, ou ailleurs. Beaucoup d’entre nous l’ont fait lorsque nous étions militaires et que nous voulions échapper à une corvée.

Mme Nicole BRICQ : Nous n’avons pas vécu cette expérience !

M. Robert PANDRAUD : En tout cas, moi je l’ai pratiquée. Je savais ce qu’il fallait faire pour qu’augmente la température. Cela existe.

(M. Louis Mermaz remplace M. Laurent Fabius.)

Mme Véronique VASSEUR : C’est un livre sans concession ; je ne m’en suis pas fait à moi-même.

J’ai pris mes fonctions, en 1992, à l’époque où les médecins étaient payés huit cents francs la garde de vingt-quatre heures. Il n’y avait pas beaucoup de candidats et certains des médecins qui se présentaient ne correspondaient pas tout à fait au profil que l’on s’attend à trouver chez un médecin. Aujourd’hui, la situation est tout à fait différente, puisqu’il s’agit de médecins de l’hôpital.

A la prison de La Santé, la surveillance médicale porte, à l’heure actuelle, sur 1 200 personnes ; elles étaient 1 800 lorsque je suis arrivée. C’est une ville sous cloche qui concentre en un même endroit de très nombreuses personnes malades. Nous recevons cent à cent cinquante lettres par jour ; deux cents détenus passent à l’infirmerie tous les jours. C’est énorme. C’est une population extrêmement malade. Parfois, il s’agit simplement de personnes qui veulent parler, d’autres qui souhaiteraient une douche, ou d’autres encore qui sont angoissées. Il ne s’agit pas forcément de grosses pathologies, mais c’est l’expression d’une grande misère, d’une grande souffrance.

Évidemment, les sans-papiers n’ayant ni sécurité sociale, ni papiers, ni argent pour acheter les médicaments, sont évidemment mieux soignés en prison qu’à l’extérieur.

Quant à la sécurité, cela fait huit ans que je travaille à La Santé. J’ai toujours tenu compte de la sécurité. Aucun rendez-vous n’est donné à l’avance, jamais on ne donne des précisions, tout est fait pour assurer la sécurité de l’escorte qui emmène les détenus à la consultation ou à l’hôpital.

Il y a un tel cirque autour de la sécurité que le médecin de l’hôpital, qui n’est pas habitué - mais les médecins le sont de plus en plus - à recevoir quelqu’un entravé, menotté, entouré de surveillants, peut avoir peur et demander que le surveillant reste à l’intérieur de la pièce pendant la consultation ; il en résulte une violation du secret médical. Lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une consultation de proctologie, la situation est très délicate et certains patients refusent la consultation, du fait de la présence de surveillants.

M. Claude GOASGUEN : Je ne vous poserai pas de questions sur les problèmes de santé, car je pense que votre apport à la multitude des livres et des rapports précédents sur la situation pénitentiaire réside dans le fait que vous apportez un témoignage de médecin. L’ampleur des réactions qui ont suivi la publication de votre ouvrage tient aux révélations médicales, même si mon collègue, Robert Pandraud a le goût du paradoxe. Les révélations de ce livre sont effroyables et sans doute à l’origine de la création des deux commissions d’enquête parlementaire.

Vous avez fait état de deux choses qui m’ont interpellé.

Vous avez dit " l’administration pénitentiaire, c’est l’Etat dans l’Etat ", ensuite " Le directeur peut tout ", ce qui revient à peu près au même, mais au niveau du directeur.

Je me demande comment circule l’information, car ce que vous avez révélé au public est, je l’imagine, connu au sein de la prison de La Santé et au sein de l’administration pénitentiaire ? J’ai eu des mots, par lettre, avec le procureur de la République de Paris, auquel j’ai rappelé, dans un échange épistolaire, que le procureur avait des devoirs de contrôle sur les prisons, qui ne se limitaient pas à la présidence de la commission de surveillance, mais qu’ils étaient entendus par le code de procédure pénale comme beaucoup plus larges et qu’ils lui donnaient tous les pouvoirs.

La première question qui se pose est de savoir pourquoi le procureur n’était pas au courant. Deuxièmement, pourquoi le directeur ne semblait pas, lui non plus, au courant d’une situation qui a ému l’ensemble de l’opinion publique ? Ma troisième question est encore liée au thème fondamental de l’information : on pourra faire les meilleures lois de la terre, si les prisons ne deviennent pas transparentes dans leur fonctionnement et si l’opinion elle-même ne se saisit pas de la question, on n’aura guère avancé. Quelle est l’attitude du personnel pénitentiaire à votre égard depuis la sortie du livre ? Cette question est fondamentale. Outre le fait personnel, notre volonté est de savoir s’il y a possibilité d’information extérieure et si le personnel de la pénitentiaire est susceptible d’accepter cette information extérieure.

M. Noël Mamère n’a pu rester. Il souhaitait poser cette question : que pensez-vous du rapport remis par le groupe de travail présidé par M. Canivet ?

Mme Véronique VASSEUR : " Les révélations du docteur Vasseur " sont un secret de Polichinelle pour tous les gens qui travaillent à l’intérieur des prisons ou qui s’y rendent - avocats, magistrats. Bien évidemment, tout le monde sait tout cela. Lorsque je suis entrée à La Santé en 1992, j’ai commencé à consigner, dès la première heure, dans un carnet tout ce que je voyais parce que j’étais bouleversée et choquée. Comme le grand public, j’ignorais tout de la prison. Mais toutes les personnes qui travaillent en prison ou qui y viennent, tels les aumôniers, les éducateurs, sont au courant. C’est le secret de Polichinelle.

Dans les textes, les magistrats, le procureur et le juge de l’application des peines, doivent visiter l’établissement. Pour ma part j’ai vu le juge d’application des peines il y a deux jours au service médical, et cela fait huit ans que je suis à La Santé.

Mme Nicole BRICQ : Est-ce à dire que vous ne l’aviez jamais vu auparavant ?

Mme Véronique VASSEUR : Je la vois dans la prison, au mess, mais elle n’était jamais venue visiter le service. C’est la première fois que je l’y ai vue.

Quant au procureur, il effectue ses visites avec la commission de surveillance. Une fois par an, a lieu un grand raout mondain qui ne sert absolument à rien. Nous sommes invités si on le demande. Moi, j’en suis évincée depuis deux ans ; sans doute parce que je parle trop.

Quelles ont été les réactions de l’administration pénitentiaire ? Le directeur me fait la tête. Il n’admet pas.

Bien sûr, le rapport Canivet est quelque chose d’extraordinaire. Il faut un contrôle externe. Et pour le faire accepter, il faut être plus contraignant. Le directeur se retranche toujours derrière les syndicats du personnel de surveillance ; il a peur des grèves ou des mouvements. Il ne se passera rien si la loi n’y oblige pas, car ils n’ont pas vraiment envie que cela bouge.

Je lis la presse, je regarde la télévision. Il est vrai que l’on s’occupe beaucoup en ce moment des locaux. Les sénateurs, ainsi que les journalistes sont venus à La Santé. La Santé n’a jamais été aussi propre ! Depuis la sortie de mon livre, les agents nettoient sans cesse.

M. le Président : C’est déjà positif.

Mme Véronique VASSEUR : En effet. J’ajoute que la vie quotidienne du détenu s’améliore en ce moment. Les locaux sont plus propres, le nécessaire d’hygiène leur est distribué. C’est une amélioration - pour l’instant ; il ne faudrait pas que cela retombe. Il faut faire des visites inopinées, non programmées et non dirigées, sinon vous ne verrez rien.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Deux questions, dont l’une prolonge celle de Claude Goasguen et l’autre est d’un ordre différent.

La première porte sur l’information. Vous avez écrit ce livre qui a provoqué des réactions. Pensez-vous qu’il devrait y avoir une sorte de rapport annuel réalisé par le médecin chef responsable d’un établissement, adressé directement au directeur de l’administration pénitentiaire ? Ce serait en quelque sorte un état des lieux de tout ce qui s’y passe. Cela existe-t-il déjà ? Serait-ce une obligation utile pour que dans, chacun des lieux où les problèmes se passent, les choses soient quasiment publiques ?

Deuxièmement, il s’agit de prison et donc votre attitude humaine de médecin est automatiquement heurtée. Quelle est, selon vous, parce qu’il s’agit de la prison, la part de l’insoluble ?

Mme Véronique VASSEUR : Le rapport annuel est le fait de la commission de surveillance. C’est un rapport statistique et tout ce qui peut être remarques qualitatives ou réflexions est, en général, retiré.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Et s’il était envoyé directement, sans passer par le directeur, à la direction de l’administration pénitentiaire ?

Mme Véronique VASSEUR : Cela ne servirait pas davantage s’il était envoyé, par exemple, à la direction régionale. Il faudrait qu’il soit envoyé à l’Assemblée nationale par exemple.

Quant à votre dernière question, il n’y a selon moi rien d’insoluble, il y a des solutions à tout, mais cela va prendre un très long temps : il y a les locaux à rénover, qui doit aller en prison, à quoi cela sert, sachant que tout détenu est amené à sortir ? Il y a des solutions à tout. Mais cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique.

M. Jacky DARNE : Madame, il est une question sur laquelle je n’arrive pas à me faire une idée. Je pense que vous pourrez m’éclairer largement.

Vous avez fait allusion aux problèmes psychiques rencontrés par une grande partie de la population carcérale. C’est une question régulièrement évoquée, encore ce matin. On indique que l’hôpital psychiatrique a évolué. Alors que des malades étaient traités auparavant par l’hôpital, parfois enfermés, ils ne le sont plus aujourd’hui, car la façon de les traiter a évolué ; en conséquence, on trouve à l’intérieur de la maison d’arrêt des personnes qui ne devraient pas y être, car elles relèvent de traitements d’autre nature.

Existe-t-il à l’intérieur de la prison un espace pertinent de traitement de la santé mentale ? Y a-t-il en prison des personnes irresponsables, que l’on ne devrait pas avoir condamnées, car si elles sont malades, elles relèvent de l’hôpital et non de la prison. Quel est votre point de vue ? Comment concevez-vous une réponse en termes de santé publique à cette question ? Subsidiairement, les médecins travaillant en prison nouent-ils des relations d’échange avec des médecins extérieurs ? Un psychiatre de l’intérieur de la prison communique-t-il facilement avec un psychiatre de l’extérieur ? L’après-prison suscite des inquiétudes si l’on veut éviter des récidives ; lorsqu’un traitement doit être poursuivi, comment se passe le suivi à l’extérieur lorsqu’il est nécessaire ? Trouvez-vous que cela se passe bien, mal ?

Mme Véronique VASSEUR : Il existe un service de psychiatrie dans chaque prison, notamment dans les grandes structures comme La Santé, qui compte même des lits d’hospitalisation. Ce sont des hospitalisations de jour, car, à partir de dix-huit heures, c’est le médecin de garde du service médical qui est également chargé de la garde des personnes hospitalisées en psychiatrie. Hormis les cas lourds de personnes atteintes psychiquement et relevant de l’hôpital psychiatrique, nombreuses sont les personnes psychiquement " border line ", non totalement psychopathes, mais qui ne vont pas bien. Parfois, elles sont déjà atteintes à leur arrivée. Se pose notamment le problème des pathologies liées à la toxicomanie. En outre, la prison casse, démolit. Des personnes qui entrent bien structurées peuvent - et c’est malheureusement extrêmement fréquent - se retrouver complètement démolies et déprimées.

Il ne faut pas tout mélanger s’agissant de psychiatrie. Il y a d’un côté, les malades psychiatriques qui relèvent de l’hôpital psychiatrique ; et de l’autre, tous ceux qui sont psychiquement très fragiles, et notamment tous les toxicomanes et ceux que la prison rend malades.

M. Michel HUNAULT : Madame, permettez-moi tout d’abord de saluer votre courage.

Vous avez indiqué que vous étiez souvent le seul lien avec l’extérieur. La semaine dernière, nous avons auditionné le bâtonnier de Paris, qui nous a fait part d’une initiative du barreau ayant pour objet de créer une permanence d’avocats au sein de la prison La Santé. Une telle initiative pourrait-elle, selon vous, améliorer les choses ? Quels sont vos liens avec les avocats ? Dans votre livre, vous parlez des sanctions prononcées envers le détenu, notamment le " mitard ", qui sont prononcées sans que les détenus puissent bénéficier d’une assistance juridique. Que pensez-vous de cette initiative du barreau de Paris ?

Mme Véronique VASSEUR : Je la trouve indispensable. Il faut toutefois, pour cela, qu’évolue la direction de La Santé comme celle des autres prisons - il ne faut en effet pas cristalliser l’attention sur la maison d’arrêt de La Santé ; rappelons qu’il y a 187 établissements en France - La permanence d’avocats permettra d’éviter des dérapages. J’y suis favorable et j’espère que cette mesure verra le jour. C’est également une proposition de la commission présidée par M. Canivet, qui, je l’espère, sera retenue.

M. Hervé MORIN : J’ai lu votre ouvrage et j’ai eu le sentiment, ce que vous avez confirmé, d’une grande évolution, même si elle a mis du temps à entrer dans les faits, avant et après 1994, autrement dit avant la réforme prévoyant votre rattachement à un hôpital qui a permis d’améliorer les choses en termes de traitement.

J’ai hier rencontré un visiteur de prison, qui m’a raconté une série d’anecdotes. Je voudrais savoir si ce qu’il me disait était chose courante. Il m’a raconté l’histoire d’un détenu auquel on avait conseillé d’avaler une fourchette pour être transféré à l’infirmerie de la prison et pouvoir être un peu mieux traité que dans la maison d’arrêt où il se trouvait. Ce qu’il a fait. Cette personne fut traitée par un régime à base de poireaux, elle a été suivie régulièrement et on lui a donné des fibres. Elle est ressortie au bout de quelques mois, car sa peine était relativement courte, et, elle a malheureusement perforé son estomac ou son intestin à la sortie de la prison ; en conduisant, les cahots de la route ont provoqué la perforation.

Je voulais savoir si ce type d’anecdote existait et, dans l’affirmative, si de telles situations se produisaient fréquemment.

Par ailleurs, vous parlez beaucoup dans votre livre des problèmes sexuels que rencontrent les détenus. Les unités de vie familiale qui seront expérimentées cette année sont-elles de bons moyens de réponse aux problèmes sexuels des détenus ?

Mme Véronique VASSEUR : Il ne me semble pas que je parle beaucoup de sexe dans mon livre.

La privation de liberté se traduit par la privation de sexe, puisque la pratique est punie au parloir et entre détenus si l’on s’en aperçoit, alors même que l’on nous demande de distribuer des préservatifs. Lorsque l’on entre en prison, on ne laisse pas sa sexualité à la porte de la prison. Cela dit, la Santé est une maison d’arrêt ; il ne s’agit pas de longues peines. C’est une population qui tourne beaucoup. Je pense qu’il y a des choses plus urgentes à faire dans les maisons d’arrêt que les unités de vie. Mais, pour les établissements accueillant des longues peines, c’est une très bonne initiative.

Quant aux violences entre détenus ou sur eux-mêmes, c’est-à-dire les avaleurs de corps étrangers ou les personnes qui s’automutilent, elles sont, non pas notre quotidien, mais presque. Cela se produit par vagues, puis cela se calme.

Nous rencontrons des violences et des automutilations presque tous les jours. Nous comptons trois ou quatre " avaleurs " par mois. Ce sont souvent des gens qui ne veulent pas être expulsés. Nous n’administrons pas de poireaux, nous les envoyons à l’hôpital pour retirer l’objet avalé par fibroscopie s’il n’est pas descendu trop loin. Sinon, nous pratiquons des radios tous les jours. Tout dépend de l’objet. Nous faisons retirer par fibroscopie ce qui présente un risque de perforation pour l’estomac nous suivons l’évolution de l’objet lorsqu’il peut passer par voie naturelle.

M. Hervé MORIN : De telles anecdotes sont-elles plausibles ?

Mme Véronique VASSEUR : C’est très fréquent. J’ai rencontré trente ou quarante avaleurs. Nous retirons l’objet par fibroscopie, mais tout dépend de l’objet. S’il s’agit d’une pièce de monnaie ou d’une clef, la personne ne risque pas la perforation. On attend donc que cela passe. Nous faisons retirer tout ce qui est tranchant. On voit des choses extraordinaires.

M. Robert PANDRAUD : L’un de nos collègues a posé la question de savoir ce qu’il était possible de faire et ce qui relevait de l’insoluble. Il y a une réponse évidente. Rien n’est sans doute insoluble, mais le coût budgétaire d’une telle révolution me rend pessimiste quant à l’issue des discussions budgétaires entre le garde des sceaux et le ministère du budget.

M. le Président : Vous sortez du sujet !

M. Robert PANDRAUD : J’ai une question très précise que je ne peux poser qu’à Mme Vasseur.

Le service médical dépend dorénavant de l’assistance publique. Comment est rémunéré le service médical ? Par le prix de journée des hôpitaux de Paris ? L’administration pénitentiaire rembourse-t-elle les soins aux hôpitaux de Paris ou, à l’inverse, est-ce l’assujetti à la sécurité sociale de Paris qui paye le service médical pour l’établissement pénitentiaire ? C’est une question qui se pose, monsieur le Président, et il n’y a qu’à Mme Vasseur que je puis la poser !

Mme Véronique VASSEUR : Il y a là un amalgame. Cela ne se passe pas ainsi. Nous sommes payés par l’assistance publique de Paris. Dans d’autres régions, les médecins sont payés par l’hôpital de rattachement.

En tant que médecin, je suis payée par l’Assistance publique. Les détenus sont affiliés à la sécurité sociale et le ticket modérateur est payé par l’administration pénitentiaire lorsqu’ils ne sont pas pris en charge à 100 % pour une pathologie grave. Le détenu est un citoyen.

M. le Rapporteur : En 1994, la commission des lois, dont certains d’entre nous faisaient partie, avait préparé une proposition de loi et ensuite voté le texte qui rattachait les services de santé et les prisons au service public de santé, considérant - c’était une première - que les détenus étaient citoyens, et qu’ils étaient en tant que tels, affiliés à la sécurité sociale. Vous avez fait le distinguo, madame, entre ceux qui sont citoyens français ou ressortissants de l’Union européenne, et les étrangers et ceux en situation irrégulière - qui selon moi ne devraient pas être en prison ; ceux-là se retrouvent en situation tout à fait particulière et relèvent de l’assistance publique, depuis 1994.

M. le Président : Docteur, vous avez apprécié le silence et l’attention avec lesquels nous vous avons écoutée. Au nom de la commission, je vous remercie beaucoup.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr