· LES ETAPES DE LA CONSTITUTION DE LA COMMISSION D’ENQUETE

 La présente commission d’enquête a été créée par le Sénat à la suite du dépôt, le 18 janvier, d’une proposition de résolution n° 165 (1999-2000) présentée par M. Robert Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, " tendant à créer une commission d’enquête sur les conditions de détention dans les maisons d’arrêt ", et le 25 janvier 2000, d’une proposition de résolution n° 183 (1999-2000) présentée par MM. Jean Arthuis, Josselin de Rohan, Henri de Raincourt et Guy-Pierre Cabanel, " tendant à créer une commission d’enquête sur la situation des établissements pénitentiaires en France ".

 Au cours de sa réunion du 8 février 2000, la commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, M. Georges Othily a estimé que les deux propositions de résolution étaient juridiquement recevables et que la création d’une commission d’enquête était tout à fait opportune, en précisant que cette commission devrait enquêter sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, en particulier, au regard de la présomption d’innocence, dans les maisons d’arrêt et s’assurer de l’étendue et de l’effectivité des contrôles relevant des autorités judiciaires et administratives.

 Dans sa séance publique du 10 février 2000, le Sénat a adopté sur le rapport de M. Georges Othily (n° 209, 1999-2000), la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France et son article unique dans les termes proposés par la commission des lois.

 Lors de sa réunion du 22 février 2000, la commission a constitué son bureau qui a décidé notamment que ses auditions seraient ouvertes à la presse et a arrêté les premières orientations de son programme de travail.

 La commission d’enquête a ratifié les grandes lignes de ce programme au cours de sa réunion du 8 mars 2000 et a procédé le même jour à l’audition de M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, chargé d’une mission sur le contrôle externe des établissements pénitentiaires, et de Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire.

· LES AUDITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUETE

Du 8 mars au 31 mai 2000, la commission d’enquête a organisé onze séries d’auditions au Sénat3(*) et convoqué 60 personnalités associées à un titre ou à un autre au fonctionnement du système pénitentiaire : Garde des sceaux, directrice de l’administration pénitentiaire, magistrats du parquet et instructeurs, responsables d’organisations de défense des droits de l’homme, d’inspections, d’organisations caritatives, d’associations d’anciens détenus, d’organismes de lutte contre la toxicomanie, médecins, psychiatres, observateurs européens, universitaires, experts, visiteurs de prisons, aumôniers, bâtonniers, directeur de l’ENAP, architecte, bénévoles se consacrant à la formation des détenus, syndicats de personnels de direction et de surveillance, condamné à mort gracié...4(*)

La commission tient à souligner le parfait déroulement de ces auditions qui étaient ouvertes à la presse, tous ses interlocuteurs convoqués pour déposer sous serment s’étant pliés de bonne grâce à cette obligation et ayant accepté que leur déposition soit enregistrée et filmée par la chaîne de télévision du Sénat, et que leur procès-verbal soit inséré en annexe du rapport de la commission.

Compte tenu sans doute de l’extrême diversité des intervenants dans le monde pénitentiaire, la commission a dû être sélective et n’a pu auditionner toutes les organisations qui en avaient exprimé le souhait ; elle tient à remercier tous ses interlocuteurs qui se sont spontanément manifestés et qui ont bien voulu lui transmettre leurs observations par écrit.

Lors de leurs déplacements, les délégations de la commission ont par ailleurs rencontré plusieurs directeurs régionaux de l’administration pénitentiaire et auditionné, notamment au Palais de Justice de Marseille, à l’occasion de sa visite en région PACA, des magistrats du parquet, des juges d’instruction et de l’application des peines, des bâtonniers, des délégués de l’OIP. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, outre les quatre établissements visités, elle a rencontré les principaux responsables de la politique pénitentiaire.

La commission tient à souligner l’intérêt suscité par ses déplacements et à remercier la presse régionale qui a assuré une large couverture de ses travaux.

· LES DEPLACEMENTS DE LA COMMISSION D’ENQUETE

Outre ces auditions traditionnelles, la commission d’enquête a complété ses investigations en effectuant une série de déplacements entre le 2 mars et le 8 juin 2000, qui lui ont permis de visiter 28 établissements pénitentiaires, principalement des maisons d’arrêt, mais aussi des centres de détention et des maisons centrales5(*).

Elle s’est rendue dans les établissements suivants :

2 mars : maison d’arrêt de Paris-la Santé ;

9 mars : maison d’arrêt de Fresnes ;

16 mars : maison d’arrêt de Loos-lès-Lille ;

23 mars : maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ;

29 mars : maison d’arrêt de Digne ;

30 mars : maison d’arrêt de Nanterre ;

11 avril : maison d’arrêt de Noorsingel à Rotterdam ;

centre des trajets pénitentiaires de Rotterdam ;

12 avril : complexe pénitentiaire de Scheveningen ;

13 avril : centre pénitentiaire de Belmarsh dans la banlieue de Londres ;

18 avril : maison d’arrêt des Baumettes à Marseille ;

19 avril : maison d’arrêt de Toulon ;

maison d’arrêt de Nice ;

27 avril : centre pénitentiaire de Clairvaux ;

4 mai : maison d’arrêt du Mans ;

maison d’arrêt d’Alençon ;

11 mai : maison d’arrêt de Saint-Quentin-Fallavier ;

maisons d’arrêt Saint-Paul et Saint-Joseph à Lyon ;

18 mai : centre pénitentiaire de Château-Thierry ;

19 mai : maison d’arrêt d’Aix-Luynes ;

maison d’arrêt de Salon de-Provence ;

25 mai : centre pénitentiaire de Lannemezan ;

8 juin : maison d’arrêt et centre de détention de Melun ;

maison d’arrêt de Varces ;

centre de semi-liberté de Grenoble ;

chantier extérieur du camp de Chambaran.

Alors que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, dont la mission se voulait très ambitieuse, a souhaité visiter l’ensemble des 187 établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer6(*), celle du Sénat a préféré centrer ses déplacements sur un échantillon représentatif : les cinq principales maisons d’arrêt qui sont particulièrement concernées par la surpopulation, des maisons d’arrêt petites et moyennes à caractère souvent familial, la prison " psychiatrique " de Château-Thierry, des établissements récents à gestion privée et aussi quelques centres pénitentiaires abritant des centres de détention et des maisons centrales.

S’étant gardée d’entreprendre des déplacements exotiques et lointains, certains de ses membres ayant effectué à d’autres titres des visites récentes dans plusieurs prisons ultramarines où les conditions de détention sont le plus souvent indignes (la Réunion, ...), elle a limité ses investigations hors de la métropole à quatre établissements situés aux Pays-Bas, qui apparaissent à bien des égards comme un modèle pénitentiaire, et au Royaume-Uni où le contrôle extérieur sur les prisons est particulièrement développé.

La commission a engagé son programme en visitant d’abord la maison d’arrêt de Paris-la Santé, constatant que cet établissement récemment décrié était paradoxalement apprécié de certains détenus en raison de son implantation géographique.

Elle n’a pas estimé utile de procéder à des visites inopinées dans les établissements : pour des raisons d’élémentaire courtoisie, mais surtout pour s’assurer de rencontrer tous ses interlocuteurs le jour de sa visite, elle s’est bornée à informer les directeurs des établissements la veille de son arrivée.

La commission d’enquête ne jurera pas que l’annonce de ses déplacements n’a pas été à l’origine de quelques coups de peinture, d’un nettoyage plus approfondi des locaux voire d’un allégement des quartiers disciplinaires. S’il en était ainsi, son passage n’aura pas été complètement inutile.

Il reste que l’état de délabrement et d’abandon d’un grand nombre d’établissements visités ne permettait en aucune manière un quelconque camouflage d’une réalité souvent sordide. Les équipes de direction et les personnels rencontrés ne lui ont d’ailleurs rien caché de cette réalité : les membres de la commission ont pu visiter de fond en comble tous les espaces des établissements (quartiers de détention, quartiers disciplinaires et d’isolement, cellules des entrants, cours de promenades, terrains de sports, cuisines, mess et vestiaires des personnels, parloirs, miradors, quartiers des mineurs, pôles médicaux, quartiers des femmes, maternités, ateliers, greffes, salles de cours, salles de musculation, chapelles, ...) et se sont entretenus avec de très nombreux détenus dans les coursives, en promenade, au travail, au " mitard ", au service médical et bien évidemment dans leur cellule.

Lors de ses visites, il lui a été donné d’assister en direct à Fleury-Mérogis, à une réunion de la commission de discipline où elle a pu apprécier les conditions dans lesquelles l’accusé était en mesure de présenter sa défense ; elle a également vécu, en léger différé, une tentative d’automutilation d’un détenu soigné à l’infirmerie de la maison d’arrêt d’Alençon.

Par ailleurs, la commission a tenu à rencontrer systématiquement les représentants des personnels à chacune de ses visites et a noté l’intérêt que suscitait sa venue : à l’exception du seul déplacement des Baumettes, où la délégation a été accueillie avec quelque dérision sous une pluie de confettis et par un bruyant comité d’accueil constitué des représentants des syndicats majoritaires, la commission a été reçue partout dans les meilleures conditions.

Au cours de ses déplacements, la commission a pu constater l’extrême diversité du parc pénitentiaire français : elle a visité des prisons des villes (les plus appréciées des détenus et des personnels, en dépit de leur vétusté), des prisons des champs, automatisées et déshumanisées (Luynes, Saint-Quentin-Fallavier) qui sont le plus souvent difficilement accessibles aux familles, aux avocats, aux visiteurs, aux aumôniers, voire aux magistrats lorsque ceux-ci veulent bien se donner la peine de se déplacer ; elle a visité des prisons châteaux-forts (Alençon), des prisons abbayes (Clairvaux), des prisons qui menacent ruine (Loos, Nice), des prisons " grands ensembles ", récentes mais dégradées (Fleury-Mérogis, les Baumettes), des maisons d’arrêt vétustes mais " familiales " (Toulon, Digne et Melun), des prisons sans murs (Château-Thierry, dont une partie de la double enceinte détruite par la tempête de décembre 1999 n’est toujours pas reconstruite), des prisons " de carton " (Le Mans, où les détenus incarcérés en dortoirs collectifs tentent vaille que vaille de " bricoler " de dérisoires cloisons pour préserver un semblant d’intimité) et des prisons d’enfants (Saint-Paul à Lyon et son sinistre quartier des mineurs, Toulon, Fleury-Mérogis...).

La commission a également observé que les conditions de détention étaient très diverses selon les établissements : l’aimable laisser-aller de certaines maisons d’arrêt, les désordres plus graves constatés ailleurs (le parloir " coupe-gorge " de Luynes), la rigueur sécuritaire qui est de mise dans les maisons centrales (Lannemezan, Clairvaux), l’expérimentation avant la lettre des parloirs sexuels, ... sont autant d’éléments qui témoignent de la richesse de la réalité pénitentiaire française.

Son déplacement à la maison centrale de Clairvaux a cependant rappelé à la commission que la prison, comme l’histoire, est tragique : la délégation s’est rendue dans l’ancien cloître de Saint-Bernard de l’abbaye où sont encore entreposées, à côté de l’ancien " mitard ", les " cages à poules " grillagées qui ont été utilisées jusqu’en 1971 ; cette visite n’a pu que raviver ses souvenirs scolaires sur le mode d’enfermement préféré du pieux Louis XI et de son sinistre conseiller, Olivier Le Daim.

A Clairvaux, elle a rencontré les personnels dont les plus anciens sont encore traumatisés par le double assassinat perpétré par Buffet et Bontemps à l’encontre d’un des leurs et d’une infirmière, et par l’évasion sanglante de septembre 1992 qui a coûté la vie au surveillant Marc Dormont : à l’ombre majestueuse de la vieille abbaye, sous le ciel bas et pluvieux de Champagne, la délégation de la commission a tenu à rendre hommage aux personnels de surveillance en les associant au dépôt d’une gerbe et en les invitant à se recueillir devant la stèle érigée à sa mémoire...

· LES DOCUMENTS COMMUNIQUES A LA COMMISSION

Comme elle en a la faculté, la commission en se fondant sur l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, a demandé communication de nombreux documents aux ministres compétents, et à leurs administrations, afin de compléter son information.

Celles-ci ont répondu de bonne grâce à ces requêtes et ont communiqué, le plus souvent, dans les délais souhaités les documents demandés.

Il en a été ainsi pour les 187 établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer à qui a été adressé un questionnaire très détaillé ; à l’exception de cinq établissements polynésiens, de la maison d’arrêt de Montargis et du centre de semi-liberté de Montpellier, les équipes de direction ont fourni des dossiers copieux à la commission, certes de qualité inégale, leur contenu différant parfois du rapport des commissions de surveillance.

La commission a pu constater à cette occasion que l’appareil statistique de l’administration pénitentiaire n’était pas parfait ni homogène et que certains établissements tenaient leurs archives avec une certaine désinvolture. Elle doit en revanche noter la qualité des réponses fournies par certains, c’est le cas en particulier du centre de détention de Melun.

La commission tient cependant à souligner que certains responsables des UCSA n’ont pas manifesté un empressement excessif pour répondre aux demandes de la commission, en se retranchant de manière singulière derrière le principe du secret médical, alors que les questions qui leur étaient posées ne concernaient que des données statistiques ne portant en rien atteinte à cette règle du secret.

En dépit d’un courrier de relance adressé à la direction de l’administration pénitentiaire, le 16 mai 2000, une vingtaine d’UCSA n’ont pas répondu au questionnaire de la commission.

Enfin, en demandant au Garde des sceaux, lors de son audition du 15 mars 2000, les rapports qui lui sont normalement adressés par les juges de l’application des peines, au titre de l’article D. 176 du code de procédure pénale, et par les premiers présidents de cour d’appel et les procureurs généraux au titre de l’article D. 179 du même code, la commission d’enquête a fait oeuvre utile : elle tient à faire remarquer que ces rapports lui ont été transmis le 6 juin dernier par la direction des affaires criminelles et des grâces, soit près de trois mois après l’audition du Garde des sceaux, tous les documents de transmission comportant une référence à une dépêche de la chancellerie du 27 mars.

Tout laisse donc à penser que ces rapports ne sont transmis au Garde que s’ils sont demandés : pour 35 cours d’appels, cinq rapports ont été transmis au titre de l’article D. 179, dont l’un se caractérise par son extrême concision et seuls 36 rapports de juges de l’application des peines ont été communiqués à la chancellerie.

La commission a pu ainsi constater que la pratique des rapports des chefs de cours était tombée en désuétude depuis de nombreuses années et que les rapports sur l’application des peines étaient transmis selon une proportion très variable à l’administration centrale.

Elle ne peut que se féliciter d’avoir contribué à relancer une communication régulière entre les magistrats et la chancellerie.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr