On l’a vu, la durée de la détention a fortement augmenté au cours des dernières années. Les prisons françaises abritent de plus en plus de détenus condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Ceux-ci semblent privés de toute perspective et constituent, dans ces conditions, une population extrêmement difficile à gérer pour les personnels pénitentiaires.

Le projet d’exécution de peine, censé permettre l’individualisation de celle-ci, ne semble se mettre en place qu’avec difficultés tandis que les mesures d’aménagement de peine connaissent un retrait préoccupant.

A) LE PROJET D’EXECUTION DE PEINE

Le projet d’exécution de peine a été mis en place à titre expérimental à partir de 1996. Il poursuit trois objectifs essentiels :

 donner plus de sens à la peine privative de liberté en impliquant le détenu ;

 améliorer l’individualisation administrative et judiciaire de la peine en proposant un cadre objectif ;

 introduire un mode d’observation qui assure une meilleure connaissance du détenu pour accroître la sécurité des établissements et améliorer l’efficacité des actions visant à l’insertion.

En fait, ce projet d’exécution de peine est la formalisation des étapes qui jalonnent le parcours pénitentiaire du condamné. Après la phase d’expérimentation, il a été décidé de généraliser le projet d’exécution de peine à l’ensemble des établissements pour peine.

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a pu constater que la mise en oeuvre de ce projet rencontre de nombreuses difficultés.

Tout d’abord, comme on le verra, le maintien de condamnés en maison d’arrêt, parfois pendant plusieurs années, interdit la définition d’un projet d’exécution de peine pour ces détenus.

Ensuite, l’insuffisance du nombre de personnels, notamment des travailleurs sociaux, ne facilite pas non plus une véritable individualisation de la peine.

Enfin et surtout, l’engagement d’un détenu vers des actions de réinsertion n’est pas nécessairement -loin s’en faut- synonyme d’une perspective d’aménagement de peine. Devant la commission d’enquête, Mme Marie-Suzanne Pierrard, présidente de l’association nationale des juges de l’application des peines, a ainsi évoqué cette question : " (...) on devrait clairement poser la priorité donnée à la réinsertion avec le principe d’un aménagement de peine si le détenu utilise activement sa détention pour sa réinsertion, parce que la société est mieux protégée si le délinquant revient dans la communauté de façon préparée et contrôlée. La peine doit pouvoir s’exécuter à l’intérieur de la prison, mais aussi, sous certaines conditions, dans la société et sous son contrôle. "

La faiblesse actuelle de l’utilisation des mesures d’aménagement de peine explique la difficulté de mettre en place un véritable projet d’exécution de peine. La commission d’enquête a constaté aux Pays-Bas que les condamnés ont de réelles perspectives de bénéficier d’un aménagement de peine après un certain temps de détention, ce qui les incite à entrer pleinement dans une logique de réinsertion.

B) DES AMENAGEMENTS DE PEINE EN RECUL

Alors que la durée de la détention augmente, notamment parce que les condamnations prononcées sont de plus en plus lourdes, les aménagements de peine, singulièrement la libération conditionnelle, ne sont utilisés que de manière limitée.

Le code de procédure pénale prévoit principalement trois mesures d’aménagement de peine :

 le placement à l’extérieur permet au condamné remplissant certaines conditions d’être employé en dehors d’un établissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration. Ces travaux peuvent être exécutés pour le compte d’une administration, d’une collectivité publique, d’une personne physique ou morale. Le juge de l’application des peines ne peut en principe prononcer une mesure de placement à l’extérieur qu’à l’égard de condamnés dont la durée de la peine n’excède pas cinq ans et qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation antérieure à plus de 18 mois d’emprisonnement. Les conditions sont plus strictes pour les placements à l’extérieur sans surveillance du personnel pénitentiaire ;

 la semi-liberté permet à un condamné de ne passer qu’une partie de son temps dans l’établissement pénitentiaire lorsqu’il justifie soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de son assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi en vue de son insertion sociale, soit de sa participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement médical.

Elle peut être prononcée par la juridiction de jugement quand elle condamne un individu à une peine égale ou inférieure à un an d’emprisonnement. Elle peut aussi être prononcée par le juge de l’application des peines, soit à l’égard des condamnés à une peine inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, soit à l’égard des condamnés auxquels il reste à subir un temps de détention inférieur ou égal à un an ;

 la libération conditionnelle peut actuellement être accordée aux condamnés présentant des gages sérieux de réadaptation sociale. Si la peine n’a pas été assortie d’une période de sûreté, la libération conditionnelle peut être accordée quand la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine restant à subir. Lorsque la durée n’excède pas cinq ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines. Dans les autres cas, la décision est prononcée par le Garde des sceaux.

Selon une récente étude21(*) portant sur un échantillon de condamnés libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997, 82 % des condamnés libérés n’ont bénéficié ni d’un placement à l’extérieur, ni d’une mesure de semi-liberté, ni d’une libération conditionnelle. 1,5 % d’entre eux ont fait l’objet d’un placement à l’extérieur, 7,5 % d’une mesure de semi-liberté, 11,5 % d’une libération conditionnelle.

Cette situation a pour conséquence qu’un grand nombre de détenus n’ont pas la moindre perspective de libération, ce qui ne les incite pas à s’engager dans des actions de réinsertion.

La situation est particulièrement préoccupante en ce qui concerne la libération conditionnelle puisque les taux d’octroi de cette mesure ont régulièrement diminué au cours des dernières années.

Ainsi, en dix ans, le nombre de libérations conditionnelles des condamnés relevant des juges de l’application des peines est passé de 8.167 en 1988 à 5.098 en 1998.

De même, le nombre de libérations conditionnelles des condamnés relevant de la compétence du Garde des sceaux est passé de 709 à 224 entre 1988 et 1998.

La commission d’enquête a constaté, lors de ses visites, que la raréfaction des mesures d’aménagement de peine posait des difficultés considérables. A la maison centrale de Lannemezan, tous les représentants du personnel ont fait état de la difficulté de gérer des détenus qui ne peuvent compter sur aucun aménagement de peine, qui n’ont aucun perspective, même lointaine, de libération.

Ainsi, à l’allongement des peines prononcées par les juridictions, s’ajoute la rareté des aménagements de peine, ces deux phénomènes expliquant la forte augmentation du nombre de condamnés à de longues peines en établissements pénitentiaires.

Il faut ajouter que le déclin des mesures de libération conditionnelle s’accompagne d’une raréfaction des commutations de peines de perpétuité en peines à temps, prérogative relevant du Président de la République.

Dans ces conditions, les seules mesures qui permettent aux détenus de voir le temps d’incarcération diminuer sont les réductions de peine et les grâces collectives accordées chaque année. Or, ces mesures sont les moins individualisées et ne peuvent s’inscrire dans le cadre d’un projet de réinsertion.

Dans le cadre de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, le Parlement a décidé de modifier profondément les règles d’octroi de la libération conditionnelle.

Les critères d’accès à cette mesure, considérés comme trop restrictifs, ont été élargis. Ainsi, la libération conditionnelle pourra être accordée aux condamnés manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation éventuelle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement.

Les règles de compétence ont également été modifiées. Aussi, le juge de l’application des peines sera compétent pour accorder cette mesure lorsque la peine privative de liberté prononcée sera d’une durée inférieure ou égale à dix ans. Dans les autres cas, la libération conditionnelle pourra être accordée par une juridiction régionale de la libération conditionnelle dont les décisions seront susceptibles d’appel devant une juridiction nationale de la libération conditionnelle. Ces dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2001.

L’élargissement des critères d’octroi de la libération conditionnelle peut permettre de penser que cette mesure sera davantage accordée dans l’avenir.

Il reste qu’aujourd’hui, le système pénitentiaire paraît fort démuni face aux condamnés à de longues peines.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr