S’il est globalement très vétuste, le parc pénitentiaire français est également très dégradé.

A) UN ENTRETIEN NEGLIGE

La période 1940 à 1964 s’est caractérisée par l’absence de tout programme de maintien à niveau des établissements. Les moyens financiers obtenus par la suite se sont en outre révélés insuffisants car ils n’ont pas tenu compte de la croissance de la population pénale qui a plus que doublé entre 1975 et 1995. Or, la surpopulation dans les maisons d’arrêt au cours de la dernière décennie a accéléré le vieillissement des équipements.

Par ailleurs, les crédits destinés à rénover le parc existant ont de nouveau été réduits à partir de 1987 afin de mobiliser les ressources financières au profit du programme 13 000, amplifiant le retard d’entretien des bâtiments et leur mise en conformité au regard des normes techniques et sanitaires.

Le rapport de la Cour des comptes de 1991 sur la gestion du patrimoine immobilier du ministère de la justice a dénoncé le faible niveau des crédits du titre III consacrés à l’entretien des bâtiments. En 1998, ils s’élevaient à 57 francs par m2 pour le parc classique contre 120 francs par m2 pour le parc 13 000. Une étude menée par la société Ingérop a évalué à 133 francs par m2 le coût de la maintenance du patrimoine pénitentiaire25(*).

En conséquence, les crédits du parc classique sont essentiellement consacrés à une maintenance corrective alors que ceux du parc 13 000 sont utilisés à 60 % pour une maintenance préventive.

Selon les chiffres fournis par le ministère de la justice, le déficit de maintenance est évalué à 140 millions de francs par an, soit 2 milliards de francs sur les quinze dernières années !

L’administration pénitentiaire est ainsi conduite à réaliser d’importants travaux d’entretien dont les dépenses sont supportées par le titre V.

Selon l’étude précitée, l’administration pénitentiaire aurait pris particulièrement du retard dans le domaine de la rénovation du clos et du couvert des établissements (mur d’enceinte, toitures, façades des hébergements, isolation), dont le mauvais état a accéléré le processus de dégradation des locaux.

En outre, les bâtiments sont confrontés à la nécessité de renouveler leurs équipements techniques (cuisines, installations électriques, chauffage, réseaux d’évacuation des eaux).

B) LE CONSTAT EFFECTUE PAR LA COMMISSION

Lors de ses déplacements, la commission d’enquête a pu constater l’état de délabrement de certaines maisons d’arrêt.

A Nice, des morceaux du plafond s’effondrent régulièrement et en cas d’orage, les coupures de courant sont fréquentes en raison de la vétusté de l’installation électrique.

La cuisine de la maison d’arrêt de Toulon est sordide, les murs sont gorgés d’humidité et s’effritent lentement. Si les couloirs sont bien entretenus et repeints régulièrement, les cellules sont en piteux état. Leur rénovation est entravée par la surpopulation qui ne permet pas de " vider " certaines cellules pour les repeindre.

A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 5 millions de francs ont dû être débloqués dans la loi de finances pour 2000 afin d’assurer la protection des personnes au pied des façades qui s’effritent par bloc. Selon les informations obtenues par la commission d’enquête, le programme de rénovation de cet établissement a été chiffré à 1,55 milliard de francs, soit autant que sa reconstruction après seulement 30 ans d’existence ! Cet exemple illustre les effets d’une maintenance insuffisante...

A Fresnes, le terrain de sport a été fermé parce qu’il n’était plus conforme aux normes.

A Loos, la plupart des installations électriques ne répondent pas aux normes, la cuisine est particulièrement vétuste et les toitures sont très abîmées. En outre, au pied des façades s’accumulent des monceaux de détritus qui sont jetés continuellement des fenêtres par les détenus. La direction s’est estimée impuissante devant ce phénomène malgré l’emploi de détenus du service général pour ramasser les détritus. La délégation a cependant observé que d’autres maisons d’arrêt confrontées au même problème (comme celle de Nanterre) avaient instauré un système de ramassage beaucoup plus efficace.

Certaines douches de la maison d’arrêt de la Santé sont sordides : le plafond est couvert de salpêtre, la peinture a disparu, il manque le carrelage.

D’une manière générale, la visite des établissements à gestion publique laisse une impression d’abandon : les peintures sont écaillées, les grilles rouillées, le matériel dégradé n’est pas remplacé, les cours sont en terre battue ou bétonnées, il n’y a pas d’espaces verts. Seuls les quartiers des femmes tranchent dans cette grisaille. Les cellules sont parfaitement nettoyées et en très bon état malgré la surpopulation, les sols sont lavés, même les oeilletons des portes sont briqués.

En comparaison, certaines maisons d’arrêt à gestion déléguée constituent un modèle en matière de maintenance26(*). Certes, elles sont plus récentes puisque leur construction a débuté en 1989. Toutefois, la délégation a visité d’autres établissements datant de la même époque qui étaient déjà dégradés. C’est notamment le cas du bâtiment D des Baumettes, construit en 1989. Des infiltrations d’eau sont régulièrement constatées sans qu’il y soit remédié, un contentieux opposant l’administration et l’entreprise qui a assuré les travaux.

En réalité, les établissements à gestion privée disposent de deux atouts : des crédits de maintenance suffisants, gérés par des professionnels en nombre suffisant. Par conséquent, non seulement les travaux sont réalisés sans délais, mais ils sont également planifiés.

C) LE COUT D’UNE RENOVATION

Selon l’étude de la société Ingérop, le coût total de la rénovation des établissements pénitentiaires (à l’exclusion des cinq grandes maisons d’arrêt) s’élève à 3,32 milliards de francs. Ce montant ne comprend que les améliorations et remises en état et n’intègre pas le coût de l’encellulement individuel. La rénovation des cinq grands établissements est évaluée à 3,5 milliards de francs.

Par ailleurs, le coût de l’encellulement individuel est estimé à 6,2 milliards de francs selon le calcul suivant : le parc actuel comporte 39.000 cellules. Il doit être augmenté de 12.500 cellules pour permettre l’encellulement individuel des prévenus. Le coût moyen d’une cellule est de 500.000 francs.

Au total, le montant des autorisations de programme du titre V nécessaires à la rénovation des établissements pénitentiaires se monte à 12,9 milliards de francs.

Parallèlement, les crédits de fonctionnement (titre III) des établissements pénitentiaires doivent également être augmentés puisqu’aujourd’hui, l’administration n’est pas en mesure d’assurer correctement l’entretien et la maintenance de son parc immobilier.

Comme il a été rappelé précédemment, celle-ci devrait consacrer la somme de 133 francs par m2 pour ce genre de dépenses, soit environ 300 millions de francs par an en tenant compte de l’entretien des cinq grandes maisons d’arrêt27(*).

Il apparaît ainsi que près de 150 millions par an supplémentaires seraient nécessaires pour assurer l’entretien correct des établissements pénitentiaires.

Il serait regrettable que la baisse de la population carcérale conduise à diminuer le budget de fonctionnement des établissements pénitentiaires, alors même que la dotation actuelle ne permet pas d’atteindre un niveau standard de prestation qui puisse être jugé satisfaisant, au regard de la prise en charge des personnes.

Une étude d’impact réalisée par le bureau de contrôle de gestion de la direction de l’administration pénitentiaire révèle que la baisse de la population carcérale ne se répercute pas sur tous les postes de dépenses. Seules les dépenses d’alimentation, d’habillement et de couchage des détenus sont liées directement à l’évolution de la population carcérale.

En ce qui concerne les dépenses en eau, elles dépendent en partie de la superficie des établissements pour le chauffage et le nettoyage des locaux. En outre, elles ont sensiblement augmenté au cours des deux dernières années afin de permettre à chaque détenu de bénéficier de trois douches par semaine.

De même, les dépenses d’hygiène et de blanchisserie sont en nette augmentation afin d’améliorer les conditions d’hygiène des détenus. Une politique de lutte contre l’indigence se met progressivement en place tandis que les draps et les couvertures sont nettoyés plus régulièrement. Par ailleurs, la distribution de produits de lessive et la mise à disposition de machines à laver et séchantes ne peuvent conduire qu’à une hausse des dépenses tant qu’un niveau satisfaisant d’équipement ne sera pas atteint.

D) UNE NECESSAIRE TRANSPARENCE BUDGETAIRE

Il est urgent d’instaurer une plus grande transparence dans la nomenclature budgétaire.

Aujourd’hui, l’ensemble des dépenses de fonctionnement des établissements pénitentiaires sont regroupées dans un unique article : l’article 50 (Etablissements et services : crédits déconcentrés) du chapitre 37-98 (Services pénitentiaires. Moyens de fonctionnement et de formation).

Or, la disparité des rubriques visées au sein de cet article rend la gestion des dépenses liées au fonctionnement des établissements pénitentiaires très opaque.

En outre, elle ne permet pas de distinguer les dépenses qui sont véritablement affectées à la maintenance et à l’entretien du parc immobilier de l’administration pénitentiaire. L’exemple de la loi de finances pour 2000 est significatif puisque l’article 50 précité a bénéficié de 58 millions de francs de mesures nouvelles28(*).

Pourtant, seuls les 16,4 millions de francs relatifs à la mise aux normes de sécurité constituent une dépense liée directement à l’entretien des bâtiments.

Cette opacité apparaît d’autant plus dommageable que les besoins des établissements pénitentiaires en matière de maintenance sont criants. Il serait donc indispensable de les identifier avec précision, puis d’élaborer une véritable politique d’entretien des bâtiments qui tiendrait compte de l’amortissement des équipements et disposerait de crédits spécifiques, qui ne risqueraient pas d’être remis en cause au profit d’autres actions jugées prioritaires.

L’augmentation des moyens financiers destinés à l’entretien des bâtiments ne sera efficace que si l’organisation humaine de la maintenance est revue sérieusement. Il apparaît donc urgent de lancer une réflexion sur le rôle des personnels techniques en fonction des options de gestion retenues. En effet, si la maintenance continue d’être assumée en régie directe, un effort important de recrutement devra être accompli. Si l’entretien est externalisé, il faudra plutôt former les personnels techniques au contrôle des actions menées par des entreprises privées chargées de la maintenance.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr